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Kitabı oku: «Voyage en Égypte et en Syrie - Tome 1», sayfa 5

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Cependant les Mamlouks, jaloux de la fortune et las des hauteurs d'Ali-bek, désertèrent en foule vers son rival. Les Arabes de Hammâm, par ressentiment et par espoir de butin, se joignirent à eux. En quarante jours Mohammad se vit assez fort pour descendre du Saïd et venir camper à 4 lieues du Kaire. Ali-bek, troublé de son approche, hésita sur le parti qu'il devait prendre, et prit le plus mauvais. Craignant de se voir trahi s'il marchait en personne, il fit avancer un corps de troupes sous la conduite d'Ismaël-bek, dont il avait lieu de se défier, et lui-même campa avec sa maison aux portes du Kaire. Ismaël, qui avait trempé dans l'affaire de Damas, ne fut pas plus tôt en présence de l'ennemi, qu'il passa de son côté; ses troupes, déconcertées, se replièrent en fuyant vers le Kaire: pendant qu'elles se rejoignaient au corps de réserve, les Arabes et les Mamlouks qui les poursuivaient les attaquèrent si brusquement que la déroute devint générale. Ali-bek perdant courage ne songea plus qu'à sauver ses trésors et sa personne. Il rentra précipitamment dans la ville, et, pillant à la hâte sa propre maison, il prit la fuite vers Gaze, suivi de 800 Mamlouks qui s'attachèrent à sa fortune. Il voulait passer sur-le-champ jusqu'à Acre, chez son allié Dâher; mais les habitants de Nâblous et de Yâfa lui fermèrent la route. Il fallut que Dâher vînt lui-même lever les obstacles. L'Arabe le reçut avec cette simplicité et cette franchise qui de tout temps ont fait le caractère de sa nation, et il l'emmena à Acre. Saïde alors assiégée par les troupes d'Osman et par les Druzes, demandait des secours. Il alla les porter, et Ali l'y accompagna. Leurs troupes réunies formaient environ 7,000 cavaliers. A leur approche les Turks levèrent le siége, et se retirèrent à une lieue au nord de la ville, sur la rivière d'Aoula. Ce fut là que se livra, en juillet 1772, la bataille la plus considérable et la plus méthodique de toute cette guerre. L'armée turke, trois fois plus forte que celle des deux alliés, fut complètement battue. Les sept pachas qui la commandaient prirent la fuite, et Saïde resta à Dâher, et à son gouverneur Degnizlé. De retour à Acre, Ali-bek et Dâher allèrent châtier les habitants de Yâfa, qui s'étaient révoltés pour garder à leur profit un dépôt de munitions et de vêtements qu'une flottille d'Ali y avait laissé avant qu'il fût chassé du Kaire. La ville, occupée par un chaik de Nâblous, ferma ses portes, et il fallut l'assiéger. Cette expédition commença en juillet, et dura 8 mois, quoique Yâfa n'eût pour enceinte qu'un vrai mur de jardin sans fossé; mais en Syrie et en Égypte on est encore plus novice dans la guerre de siége que dans celle de campagne: enfin les assiégés capitulèrent en février 1773. Ali, désormais libre, ne songea plus qu'à repasser au Kaire. Dâher lui offrait des secours; les Russes, avec qui Ali avait contracté une alliance en traitant l'affaire du corsaire, promettaient de le seconder: seulement il fallait du temps pour rassembler ces moyens épars, et Ali s'impatientait. Les promesses de Rezq, son oracle et son kiâya, irritaient encore sa pétulance. Ce Copte ne cessait de lui dire que l'heure de son retour était venue; que les astres en présentaient les signes les plus favorables; que la perte de Mohammad était présagée de la manière la plus certaine. Ali, qui, comme tous les Turks, croyait fermement à l'astrologie, et qui se fiait d'autant plus à Rezq, que souvent ses prédictions avaient réussi, ne pouvait plus supporter de délais. Les nouvelles du Kaire achevèrent de lui faire perdre patience. Dans les premiers jours d'avril on lui remit des lettres signées de ses amis, par lesquelles ils lui marquaient qu'on était las de son ingrat esclave, et qu'on n'attendait que sa présence pour le chasser. Sur-le-champ il arrêta son départ, et sans donner aux Russes le temps d'arriver, il partit avec ses Mamlouks et 1,500 Safadiens commandés par Osman, fils de Dâher; mais il ignorait que les lettres du Kaire étaient une ruse de Mohammad; que ce bek les avait exigées par violence pour le tromper et l'attirer dans un piége qu'il lui tendait. En effet, Ali, s'étant engagé dans le désert qui sépare Gaze de l'Égypte, rencontra près de Salêhie un corps de 1,000 Mamlouks d'élite qui l'attendaient. Ce corps était conduit par le jeune bek Mourâd, qui, épris de la femme d'Ali-bek, l'avait obtenue de Mohammad au cas qu'il livrât la tête de cet illustre infortuné. A peine Mourâd eut-il aperçu la poussière qui annonçait au loin les ennemis, que fondant sur eux avec sa troupe, il les mit en désordre; pour comble de bonheur il rencontra Ali-bek dans la mêlée, l'attaqua, le blessa au front d'un coup de sabre, le prit et le conduisit à Mohammad. Celui-ci, campé deux lieues en arrière, reçut son ancien maître avec ce respect exagéré si familier aux Turks et cette sensibilité que sait feindre la perfidie. Il lui donna une tente magnifique, recommanda qu'on en prît le plus grand soin, se dit mille fois son esclave, baisant la poussière de ses pieds; mais le troisième jour ce spectacle se termina par la mort d'Ali-bek, due, selon les uns, aux suites de sa blessure, selon les autres, au poison: les deux cas sont si également probables, qu'on n'en peut rien décider.

Ainsi se termina la carrière de cet homme, qui, pendant quelque temps, avait fixé l'attention de l'Europe, et donné à bien des politiques l'espérance d'une grande révolution. On ne peut nier qu'il n'ait été un homme extraordinaire; mais l'on s'en fait une idée exagérée, quand on le met dans la classe des grands hommes: ce que racontent de lui des témoins dignes de foi, prouve que s'il eut le germe des grandes qualités, le défaut de culture les empêcha de prendre ce développement qui en fait de grandes vertus. Passons sur sa crédulité en astrologie, qui détermina plus souvent ses actions que des motifs réfléchis. Passons aussi sur ses trahisons, ses parjures, l'assassinat même de ses bienfaiteurs85, par lesquels il acquit ou maintint sa puissance. Sans doute, la morale d'une société anarchique est moins sévère que celle d'une société paisible; mais en jugeant les ambitieux par leurs propres principes, on trouvera qu'Ali-bek a mal connu ou mal suivi son plan d'agrandissement, et qu'il a lui-même préparé sa perte. On a droit surtout de lui reprocher trois fautes: 1º Cette imprudente passion de conquêtes, qui épuisa sans fruit ses revenus et ses forces, et lui fit négliger l'administration intérieure de son propre pays. 2º Le repos précoce auquel il se livra, ne faisant plus rien que par ses lieutenants; ce qui diminua parmi les Mamlouks le respect qu'on avait pour lui, et enhardit les esprits à la révolte. 3º Enfin, les richesses excessives qu'il entassa sur la tête de son favori, et qui lui procurèrent le crédit dont il abusa. En supposant Mohammad vertueux, Ali ne devait-il pas craindre la séduction des adulateurs, qui en tout pays se rassemblent autour de l'opulence? Cependant il faut admirer dans Ali-bek une qualité qui le distingue de la foule des tyrans qui ont gouverné l'Égypte: si les vices d'une mauvaise éducation l'empêchèrent de connaître la vraie gloire, il est du moins constant qu'il en eut le désir; et ce désir ne fut jamais celui des âmes vulgaires. Il ne lui manqua que d'être approché par des hommes qui en connussent les routes; et parmi ceux qui commandent, il en est peu dont on puisse faire cet éloge.

Je ne puis passer sous silence une observation que j'ai entendu faire au Kaire. Ceux des négocians européens qui ont vu le règne d'Ali-bek et sa ruine, après avoir vanté la bonté de son administration, son zèle pour la justice et sa bienveillance pour les Francs, ajoutent avec surprise que le peuple ne le regretta point; ils en prennent occasion de répéter ces reproches d'inconstance et d'ingratitude qu'on a coutume de faire au peuple; mais en examinant tous les accessoires, ce fait ne m'a pas paru si bizarre qu'il en a l'apparence. En Égypte, comme en tous pays, les jugements du peuple sont dictés par l'intérêt de sa subsistance; c'est selon que ses gouverneurs la lui rendent aisée ou difficile, qu'il les aime ou les hait, les blâme ou les approuve: et cette manière de juger ne peut être ni aveugle ni injuste. En vain lui diront-ils que l'honneur de l'empire, la gloire de la nation, l'encouragement du commerce et des beaux-arts exigent telle ou telle opération. Le besoin de vivre doit passer avant tout; et quand la multitude manque de pain, elle a du moins le droit de refuser sa reconnaissance et son admiration. Qu'importait au peuple d'Égypte qu'Ali-bek conquît le Saïd, la Mekke et la Syrie, si ses conquêtes ne rendaient pas son sort meilleur? Et il en devint pire; car ces guerres aggravèrent les contributions par leurs frais. La seule expédition de la Mekke coûta vingt-six millions de France. Les sorties de blé qu'occasionnèrent les armées, jointes au monopole de quelques négociants en faveur, causèrent une famine qui désola le pays pendant tout le cours de 1770 et 1771. Or, quand les habitans du Kaire et les paysans des villages mouraient de faim, avaient-ils tort de murmurer contre Ali-bek? avaient-ils tort de condamner le commerce de l'Inde, si tous ses avantages devaient se concentrer en quelques mains? Quand Ali dépensait 225,000 livres pour l'inutile poignée d'un kandjar86, si les joailliers vantaient sa magnificence, le peuple n'avait-il pas le droit de détester son luxe? Cette libéralité, que ses courtisans appelaient vertu, le peuple, aux dépens de qui elle s'exerçait, n'avait-il pas raison de l'appeler vice? Était-ce un mérite à cet homme de prodiguer un or qui ne lui coûtait rien? Était-ce une justice de satisfaire, aux dépens du public, ses affections ou ses obligations particulières, comme il fit avec son panetier87? On ne peut le nier, la plupart des actions d'Ali-bek offrent bien moins les principes généraux de la justice et de l'humanité, que les motifs d'une ambition et d'une vanité personnelles. L'Égypte n'était à ses yeux qu'un domaine, et le peuple un troupeau dont il pouvait disposer à son gré. Doit-on s'étonner après cela, si les hommes qu'il traita en maître impérieux, l'ont jugé en mercenaires mécontents?

CHAPITRE IV.
Précis des événements arrivés depuis la mort d'Ali-bek jusqu'en 1785

DEPUIS la mort d'Ali-bek, le sort des Égyptiens ne s'est pas amélioré: ses successeurs n'ont pas même imité ce qu'il y avait de louable dans sa conduite. Mohammad-bek, qui prit sa place au mois d'avril 1773, n'a montré, pendant deux ans de règne, que les fureurs d'un brigand et les noirceurs d'un traître. D'abord, pour colorer son ingratitude envers son patron, il avait feint de n'être que le vengeur des droits du sultan, et le ministre de ses volontés; en conséquence, il avait envoyé à Constantinople le tribut interrompu depuis six ans, et le serment d'une obéissance sans bornes. Il renouvela sa soumission à la mort d'Ali-bek; et, sous prétexte de prouver son zèle pour le sultan, il demanda la permission de faire la guerre à l'Arabe Dâher. La Porte, qui eût elle-même sollicité cette démarche comme une faveur, se trouva trop heureuse de l'accorder comme une grace: elle y ajouta le titre de pacha du Kaire, et Mohammad ne songea plus qu'à cette expédition. On pourra demander quel intérêt politique avait un gouverneur d'Égypte à détruire l'Arabe Dâher, rebelle en Syrie. Mais ici la politique n'était pas plus consultée qu'en d'autres occasions. Les mobiles étaient des passions particulières, et entre autres un ressentiment personnel à Mohammad-bek. Il ne pouvait oublier une lettre sanglante que Dâher lui avait écrite lors de la révolution de Damas, ni toutes les démarches hostiles que le chaik avait faites contre lui en faveur d'Ali-bek. D'ailleurs la cupidité se joignait à la haine. Le ministre de Dâher, Ybrahim-Sabbâr88, passait pour avoir entassé des trésors extraordinaires, et l'Égyptien voyait, en perdant Dâher, le double avantage de s'enrichir et de se venger. Il ne balança donc pas à entreprendre cette guerre, et il en fit les préparatifs avec toute l'activité que donne la haine. Il se munit d'un train d'artillerie extraordinaire; il fit venir des canonniers étrangers, et il en confia le commandement à l'Anglais Robinson; il fit transporter de Suez un canon de 16 pieds de longueur, qui restait depuis long-temps inutile. Enfin, au mois de février 1776, il parut en Palestine avec une armée égale à celle qu'il avait menée contre Damas. A son approche, les gens de Dâher qui occupaient Gaze, ne pouvant espérer de s'y soutenir, se retirèrent; il s'en empara, et sans s'arrêter il marcha contre Yâfâ. Cette ville, qui avait une garnison, et dont les habitants avaient tous l'habitude de la guerre, se montra moins docile que Gaze, et il fallut l'assiéger. L'histoire de ce siége serait un monument curieux de l'ignorance de ces contrées dans l'art militaire; quelques faits principaux en donneront une idée suffisante.

Yâfâ, l'ancienne Ioppé, est située sur un rivage dont le niveau général est peu élevé au-dessus de la mer. Le seul emplacement de la ville se trouve être une colline en pain de sucre, d'environ 130 pieds perpendiculaires. Les maisons, distribuées sur la pente, offrent le coup d'œil pittoresque des gradins d'un amphithéâtre; sur la pointe est une petite citadelle qui domine le tout; le bas de la colline est enceint d'un mur sans rempart, de 12 à 14 pieds de haut, sur 2 ou 3 d'épaisseur. Les créneaux qui règnent sur son faîte sont les seuls signes qui le distinguent d'un mur de jardin. Ce mur, qui n'a point de fossé, est entouré de jardins, où les limons, les oranges et les poncires acquièrent dans un sol léger une grosseur prodigieuse: voilà la ville qu'attaquait Mohammad. Elle avait pour défenseurs 5 à 600 Safadiens et autant d'habitants, qui, à la vue de l'ennemi, prirent leur sabre et leur fusil à pierre et à mèche. Ils avaient quelques canons de bronze de 24 livres de balles, sans affûts; il les élevèrent tant bien que mal sur quelques charpentes faites à la hâte: et comptant le courage et la haine pour la force, ils répondirent aux sommations de l'ennemi par des menaces et des coups de fusil.

Mohammad, voyant qu'il fallait les emporter de vive force, vint asseoir son camp devant la ville; mais le Mamlouk savait si peu les règles de l'art, qu'il se plaça à demi-portée du canon; les boulets qui tombèrent sur ses tentes l'avertirent de sa faute: il recula: nouvelle expérience, nouvelle leçon; enfin il trouva la mesure, et se fixa: on planta sa tente, où le luxe le plus effréné fut déployé de toutes parts: on dressa tout autour et sans ordre, celles des Mamlouks; les Barbaresques firent des huttes avec les troncs et les branches des orangers et des limoniers; et la suite de l'armée s'arrangea comme elle put: on distribua, tant bien que mal, quelques gardes, et, sans faire de retranchements, on se réputa campé. Il fallait dresser des batteries; on choisit un terrain un peu élevé vers le sud-est de la ville, et là, derrière quelques murs de jardin, on pointa 8 pièces de gros canons à 200 pas de la ville, et l'on commença de tirer, malgré les fusiliers de l'ennemi, qui, du haut des terrasses, tuèrent plusieurs canonniers. Tout cet ordre paraîtra si étrange en Europe, que l'on sera tenté d'en douter; mais ces faits n'ont pas 11 ans: j'ai vu les lieux, j'ai entendu nombre de témoins oculaires, et je regarde comme un devoir de n'altérer ni en bien ni en mal des faits sur lesquels l'esprit d'une nation doit être jugé.

On sent qu'un mur de 3 pieds d'épaisseur et sans rempart fut bientôt ouvert d'une large brèche; il fallut, non pas y monter, mais la franchir. Les Mamlouks voulaient qu'on le fît à cheval; mais on leur fit comprendre que cela était impossible; et, pour la première fois, ils consentirent à marcher à pied. Ce dut être un spectacle curieux de les voir avec leurs immenses culottes de sailles de Venise, embarrassés de leurs beniches retroussés, le sabre courbe à la main et le pistolet au côté, avancer en trébuchant parmi les décombres d'une muraille. Ils crurent avoir tout surmonté, quand ils eurent franchi cet obstacle; mais les assiégés, qui jugeaient mieux, attendirent qu'ils eussent débouché sur le terrain vide qui est entre la ville et le mur; là ils les assaillirent, du haut des terrasses et des fenêtres des maisons, d'une telle grêle de balles, que les Mamlouks n'eurent pas même l'envie de mettre le feu; ils se retirèrent, persuadés que cet endroit était un coupe-gorge impénétrable, puisqu'on n'y pouvait entrer à cheval. Mourâd-bek les ramena plusieurs fois, toujours inutilement. Mohammad-bek séchait de désespoir, de rage et de soucis: 46 jours se passèrent ainsi. Cependant les assiégés, dont le nombre diminuait par les attaques réitérées, et qui ne voyaient pas qu'on leur préparât des secours du côté d'Acre, s'ennuyaient de soutenir seuls la cause de Dâher. Les musulmans surtout se plaignaient que les chrétiens, occupés à prier, se tenaient plus dans les églises qu'au champ de bataille. Quelques personnes ouvrirent des pourparlers: on proposa d'abandonner la place si les Égyptiens donnaient des sûretés: on arrêta des conditions, et l'on pouvait regarder le traité comme conclu, lorsque dans la sécurité qu'il occasionait, quelques Mamlouks entrèrent dans la ville. La foule les suivit, ils voulurent piller, on voulut se défendre, et l'attaque recommença; l'armée alors s'y précipita en foule, et la ville éprouva les horreurs du sac; femmes, enfants, vieillards, hommes faits, tout fut passé au fil du sabre; et Mohammad, aussi lâche que barbare, fit ériger sous ses yeux, pour monument de sa victoire, une pyramide de toutes les têtes de ces infortunés: on assure qu'elles passaient 1200. Cette catastrophe, arrivée le 19 mai 1776, répandit la terreur dans tout le pays. Le chaik Dâher même s'enfuit d'Acre, où son fils Ali le remplaça. Cet Ali, dont la Syrie célèbre encore l'active intrépidité, mais qui en a terni la gloire par ses révoltes perpétuelles contre son père; cet Ali crut que Mohammad, avec qui il avait fait un traité, le respecterait; mais le Mamlouk, arrivé aux portes d'Acre, lui déclara que, pour prix de son amitié, il voulait la tête de Dâher même. Ali, trompé, rejeta le parricide, et abandonna la ville aux Égyptiens; ils la pillèrent complètement: à peine les négociants français furent-ils épargnés; bientôt même ils se virent dans un danger affreux. Mohammad, instruit qu'ils étaient dépositaires des richesses d'Ybrahim, Kiâya de Dâher, leur déclara que s'ils ne les restituaient, il les ferait tous égorger. Le dimanche suivant était assigné pour cette terrible recherche, quand le hasard vint les délivrer, eux et la Syrie, de ce fléau. Mohammad, saisi d'une fièvre maligne, périt en 2 jours à la fleur de l'âge89. Les chrétiens de Syrie sont persuadés que cette mort fut une punition du prophète Élie, dont il viola l'église sur le Carmel. Ils racontent même que, dans son agonie, il le vit plusieurs fois sous la forme d'un vieillard, et qu'il s'écriait sans cesse: Otez-moi ce vieillard qui m'assiége et m'épouvante. Mais ceux qui approchèrent de ce général dans ses derniers moments, ont rapporté au Kaire, à des personnes dignes de foi, que cette vision, effet du délire, avait son origine dans le souvenir de meurtres particuliers, et que la mort de Mohammad fut due aux causes bien naturelles d'un climat connu pour malsain, d'une chaleur excessive, d'une fatigue immodérée et des soucis cuisants que lui avait causés le siége de Yâfa. Il n'est pas hors de propos de remarquer à ce sujet, que si l'on écrivait l'histoire des chrétiens de Syrie et d'Égypte, elle serait aussi remplie de prodiges et d'apparitions qu'au temps passé.

Cette mort ne fut pas plus tôt connue, que toute cette armée, par une déroute semblable à celle de Damas, prit en tumulte le chemin de l'Égypte. Mourâd-bek, à qui la faveur de Mohammad avait acquis un grand crédit, se hâta de regagner le Kaire, pour y disputer le commandement à Ybrahim-bek. Celui-ci, également affranchi et favori du mort, n'eut pas plus tôt appris l'état des affaires, qu'il prit des mesures pour s'assurer une autorité dont il était dépositaire depuis l'absence de son patron. Tout annonçait une guerre ouverte; mais les deux rivaux, mesurant chacun leurs moyens, se trouvèrent une égalité qui leur fit craindre l'issue d'un combat. Ils prirent le parti de la paix, et ils passèrent un accord, par lequel l'autorité resta indivise, à condition cependant qu'Ybrahim conserverait le titre de chaik-el-beled, ou de commandant: l'intérêt de leur sûreté commune décida surtout cet arrangement. Depuis la mort d'Ali-bek, les beks et les kachefs, issus de sa maison90, frémissaient en secret de voir la puissance passée aux mains d'une faction nouvelle; la supériorité de Mohammad, ci-devant leur égal, avait blessé leurs prétentions; celle de ses esclaves leur parut encore plus insupportable: ils résolurent de s'en affranchir; et ils commencèrent des intrigues et des cabales qui aboutirent à former une ligue contre Ybrahim et Mourâd. Elle eut pour chef cet Ismaël-bek qui avait trahi Ali-bek, et qui restait seul bek de la création d'Ybrahim Kiâfa. Il se conduisit avec tant d'artifice, que Mourâd et Ybrahim furent obligés d'évacuer le Kaire de leur propre mouvement; ils se réfugièrent sous la protection du château; mais Ismaël les y ayant assiégés, ils prirent le parti de passer au Saïd. Peu après, la conduite tyrannique de ce chef leur procura une foule de transfuges avec lesquels ils revinrent l'attaquer, et ils le chassèrent à leur tour. Ismaël dépossédé s'enfuit à Gaze, d'où il passa par mer à Derné à l'ouest d'Alexandrie, et se rendit par le désert au Saïd. D'autre part, Hasan-bek, ci-devant gouverneur de Djedda, ayant été exilé du Kaire et s'étant pareillement réfugié au Saïd, ces deux chefs s'unirent d'intérêts, et formèrent un parti qui subsiste encore. Mourâd et Ybrahim, inquiets de sa durée, ont tenté plusieurs fois de le détruire, sans en pouvoir venir à bout. Ils avaient fini par accorder aux rebelles un district au-dessus de Djirdjé; mais ces Mamlouks, qui ne soupirent qu'après les délices du Kaire, ayant fait quelques mouvements en 1783, Mourâd-bek crut devoir faire une tentative pour les exterminer: j'arrivai dans le temps qu'il en faisait les préparatifs. Ses gens, répandus sur le Nil, arrêtaient tous les bateaux qu'ils rencontraient, et, le bâton à la main, forçaient les malheureux patrons de les suivre au Kaire; chacun fuyait pour se dérober à une corvée qui ne devait rapporter aucun salaire. Dans la ville, on avait imposé une contribution de 500,000 dahlers91 sur le commerce; on forçait les boulangers et les divers marchands à fournir leurs denrées au-dessous du prix qu'elles leur coûtaient, et toutes ces extorsions, si abhorrées en Europe, étaient des choses d'usage. Tout fut prêt dans les premiers jours d'avril, et Mourâd partit pour le Saïd. Les nouvelles de Constantinople et celles d'Europe qui les répètent, peignirent dans le temps cette expédition comme une guerre considérable, et l'armée de Mourâd comme une puissante armée; elle l'était relativement à ses moyens et à l'état de l'Égypte; mais il n'en est pas moins vrai qu'elle ne passait pas 2,000 cavaliers. A voir l'altération habituelle des nouvelles de Constantinople, il faut croire, ou que les Turks de la capitale n'entendent rien aux affaires de l'Égypte et de la Syrie, ou qu'ils veulent en imposer aux Européens. Le peu de communication qu'il y a entre ces parties éloignées de l'empire, rend le premier cas plus probable que le second. D'un autre côté, il semblerait que la résidence de nos négociants dans les diverses échelles dût nous éclaircir; mais les négociants, renfermés dans leurs kans comme dans des prisons, ne s'embarrassent que peu de tout ce qui est étranger à leur commerce, et ils se contentent de rire des gazettes qu'on leur envoie d'Europe. Quelquefois ils ont voulu les redresser; mais on a fait un si mauvais emploi de leurs renseignements, qu'ils ont renoncé à un soin onéreux et sans profit.

Mourâd, parti du Kaire, conduisit ses cavaliers à grandes journées le long du fleuve; les équipages, les munitions, suivaient dans les bateaux, et le vent du nord, qui règne le plus souvent, favorisait leur diligence. Les exilés, au nombre d'environ 500, étaient placés au-dessus de Djirdjé. Lorsqu'ils apprirent l'arrivée de l'ennemi, la division se mit parmi eux: quelques-uns voulaient combattre, d'autres voulaient capituler; plusieurs prirent ce dernier parti, et se rendirent à Mourâd-bek; mais Hasan et Ismaël, toujours inébranlables, remontèrent vers Asouan, suivis d'environ 250 cavaliers. Mourâd les poursuivit jusque vers la cataracte, où ils s'établirent sur des lieux escarpés si avantageux, que les Mamlouks, toujours ignorants dans la guerre de poste, tinrent pour impossible de les forcer. D'ailleurs, craignant qu'une trop longue absence du Kaire n'y fît éclore des nouveautés contre lui-même, Mourâd se hâta d'y revenir, et les exilés, sortis d'embarras, revinrent prendre possession de leur poste au Saïde, comme ci-devant.

Dans une société où les passions des particuliers ne sont point dirigées vers un but général; où chacun, ne pensant qu'à soi, ne voit dans l'incertitude du lendemain que l'intérêt du moment; où les chefs, n'imprimant aucun sentiment de respect, ne peuvent maintenir la subordination: dans une pareille société, un état fixe et constant est une chose impossible; le choc tumultueux des parties incohérentes doit donner une mobilité perpétuelle à la machine entière: c'est ce qui ne cesse d'arriver dans la société des Mamlouks au Kaire. A peine Mourâd fut-il de retour, que de nouvelles combinaisons d'intérêts excitèrent de nouveaux troubles; outre sa faction et celles d'Ybrahim et de la maison d'Ali-bek, il y avait encore au Kaire divers beks sortis d'autres maisons étrangères à celles-là. Ces beks, que leur faiblesse particulière faisait négliger par les factions dominantes, s'avisèrent, au mois de juillet 1783, de réunir leurs forces, jusqu'alors isolées, et de former un parti qui eût aussi ses prétentions au commandement. Le hasard voulut que cette ligue fût éventée, et leurs chefs, au nombre de 5, se virent condamnés à l'improviste à passer en exil dans le Delta. Ils feignirent de se soumettre; mais à peine furent-ils sortis de la ville, qu'ils prirent la route du Saïde, refuge ordinaire et commode de tous les mécontents: on les poursuivit inutilement pendant une journée dans le désert des pyramides; ils échappèrent aux Mamlouks et aux Arabes, et ils arrivèrent sans accident à Minié, où ils s'établirent. Ce village, situé 40 lieues au-dessus du Kaire, et placé sur le bord du Nil qu'il domine, était très-propre à leur dessein. Maîtres du fleuve, ils pouvaient arrêter tout ce qui descendait du Saïde: ils surent en profiter; l'envoi de blé que cette province fait chaque année en cette saison était une circonstance favorable; ils la saisirent; et le Kaire, frustré de son approvisionnement, se vit menacé de la famine. D'autre part, les beks et les propriétaires dont les terres étaient dans le Faïoum et au-delà perdirent leurs revenus, parce que les exilés les mirent à contribution. Ce double désordre exigeait une nouvelle expédition. Mourâd-bek, fatigué de la précédente, refusa d'en faire une autre; Ybrahim-bek s'en chargea. Dès le mois d'août, malgré le Ramâdan, on en fit les préparatifs: comme à l'autre, on saisit tous les bateaux et leurs patrons; on imposa des contributions; on contraignit les fournisseurs. Enfin, dans les premiers jours d'octobre, Ybrahim partit avec une armée qui passait pour formidable, parce qu'elle était d'environ 3,000 cavaliers. La marche se fit par le Nil, attendu que les eaux de l'inondation n'avaient pas encore évacué tout le pays, et que le terrain restait fangeux. En peu de jours on fut en présence. Ybrahim, qui n'a pas l'humeur si guerrière que Mourâd, n'attaqua point les confédérés; il entra en négociation, et il conclut un traité verbal, dont les conditions furent le retour des beks et leur rétablissement. Mourâd, qui soupçonna quelque trame contre lui dans cet accord, en fut très-mécontent: la défiance s'établit plus que jamais entre lui et son rival. L'arrogance que les exilés montrèrent dans un divan général acheva de l'alarmer: il se crut trahi; et, pour en prévenir l'effet, il sortit du Kaire avec ses agents, et il se retira au Saïde. On crut qu'il y avait une guerre ouverte; mais Ybrahim temporisa. Au bout de 4 mois, Mourâd vint à Djizé, comme pour décider la querelle par une bataille: pendant 25 jours, les deux partis, séparés par le fleuve, restèrent en présence sans rien faire. On pourparla; mais Mourâd, mécontent des conditions, et ne se trouvant pas assez fort pour en dicter de vive force, retourna au Saïde. Il y fut suivi par des envoyés qui, après 4 mois de négociations, parvinrent enfin à le ramener au Kaire: les conditions furent qu'il continuerait de partager l'autorité avec Ybrahim, et que les 5 beks seraient dépouillés de leurs biens. Ces beks, se voyant sacrifiés par Ybrahim, prirent la fuite; Mourâd les poursuivit, et, les ayant fait prendre par les Arabes du désert, il les ramena au Kaire pour les y garder à vue. Alors la paix sembla rétablie; mais ce qui s'était passé entre les deux commandants leur avait trop dévoilé à chacun leurs véritables intentions, pour qu'ils pussent désormais vivre comme amis. Chacun d'eux, bien convaincu que son rival n'épiait que l'occasion de le perdre, veilla pour éviter une surprise, ou la préparer. Cette guerre sourde en vint au point d'obliger Mourâd-bek de quitter le Kaire en 1784; mais, en se campant aux portes, il y tint une si bonne contenance, qu'Ybrahim, effrayé à son tour, s'enfuit avec ses gens au Saïde. Il y resta jusqu'en mars 1785, que, par un nouvel accord, il est revenu au Kaire. Il y partage comme ci-devant l'autorité avec son rival, en attendant que quelque nouvelle intrigue lui fournisse l'occasion de prendre sa revanche. Tel est le sommaire des révolutions qui ont agité l'Égypte dans ces dernières années. Je n'ai point détaillé la foule d'incidents dont les événements ont été compliqués, parce que, outre leur incertitude, ils ne portent ni intérêt ni instruction: ce sont toujours des cabales, des intrigues, des trahisons, des meurtres, dont la répétition finit par ennuyer; c'en est assez si le lecteur saisit la chaîne des faits principaux, et en tire des idées générales sur les mœurs et l'état politique du pays qu'il étudie. Il nous reste à joindre sur ces deux objets de plus grands éclaircissements.

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   Tel que Sâlêh-bek.


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86
   Poignard qu'on porte à la ceinture.


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87
   Ali-bek, partant pour un exil (car il fut exilé jusqu'à trois fois), était campé près du Kaire, ayant un délai de 24 heures pour payer ses dettes: un nommé Hasan, janissaire, à qui il devait 500 sequins (3,750 liv.), vint le trouver. Ali, croyant qu'il demandait son argent, commença de s'excuser; mais Hasan, tirant 500 autres sequins, lui dit: Tu es dans le malheur, prends encore ceux-ci. Ali, confondu de cette générosité, jura, par la tête du prophète, que s'il revenait, il ferait à cet homme une fortune sans exemple. En effet, à son retour, il le créa son fournisseur général des vivres; et quoiqu'on l'avertît des concussions scandaleuses de Hasan, jamais il ne les réprima.


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88
   Sabbâr en grasseyant l'r, ce qui signifie teinturier; avec l'r ordinaire ce mot signifierait sondeur.


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89
   Au mois de juin 1776.


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90
   C'est-à-dire dont il avait été patron: chez les Mamlouks, l'affranchi passe pour l'enfant de la maison.


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91
   2,625,000 livres.


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Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 haziran 2018
Hacim:
400 s. 34 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain