Kitabı oku: «Voyage en Égypte et en Syrie - Tome 1», sayfa 9
CHAPITRE XI.
De la ville du Kaire
LE Kaire, dont j'ai déja beaucoup parlé, est une ville si célèbre, qu'il convient de la faire encore mieux connaître par quelques détails. Cette capitale de l'Égypte ne porte point dans le pays le nom d'el-Qâhera, que lui donna son fondateur; les Arabes ne la connaissent que sous celui de Masr, qui n'a pas de sens connu, mais qui paraît l'ancien nom oriental de la basse Égypte121. Cette ville est située sur la rive orientale du Nil, à un quart de lieue de ce fleuve, ce qui la prive d'un grand avantage. Le canal qui l'y joint ne saurait l'en dédommager, puisqu'il n'a d'eau courante que pendant l'inondation. A entendre parler du grand Kaire, il semblerait que ce dût être une capitale au moins semblable aux nôtres; mais si l'on observe que chez nous-mêmes les villes n'ont commencé à se décorer que depuis 100 ans, on jugera que dans un pays où tout est encore au 10e siècle, elles doivent participer à la barbarie commune. Aussi le Kaire n'a-t-il pas de ces édifices publics ou particuliers, ni de ces places régulières, ni de ces rues alignées, où l'architecture déploie ses beautés. Les environs sont masqués par des collines poudreuses, formées des décombres qui s'accumulent chaque jour122; et près d'elles la multitude des tombeaux et l'infection des voiries choquent à la fois l'odorat et les yeux. Dans l'intérieur, les rues sont étroites et tortueuses; et comme elles ne sont point pavées, la foule des hommes, des chameaux, des ânes et des chiens qui s'y pressent, élève une poussière incommode; souvent les particuliers arrosent devant leurs portes, et à la poussière succèdent la boue et des vapeurs mal odorantes. Contre l'usage ordinaire de l'Orient, les maisons sont à deux et trois étages, terminés par une terrasse pavée ou glaisée; la plupart sont en terre et en briques mal cuites; le reste est en pierres molles d'un beau grain, que l'on tire du mont Moqattam, qui est voisin; toutes ces maisons ont un air de prison, parce qu'elles manquent de jour sur la rue. Il est trop dangereux en pareil pays d'être éclairé; l'on a même la précaution de faire la porte d'entrée fort basse; l'intérieur est mal distribué; cependant chez les grands on trouve quelques ornements et quelques commodités; on doit surtout y priser de vastes salles où l'eau jaillit dans des bassins de marbre. Le pavé, formé d'une marqueterie de marbre et de faïence colorés, est couvert de nattes, de matelas, et, par-dessus le tout, d'un riche tapis sur lequel on s'assied jambes croisées. Autour du mur règne une espèce de sofa chargé de coussins mobiles propres à appuyer le dos ou les coudes. A 7 ou 8 pieds de hauteur, est un rayon de planches garnies de porcelaines de la Chine et du Japon. Les murs, d'ailleurs nus, sont bigarrés de sentences tirées du Qôran, et d'arabesques en couleurs, dont on charge aussi le portail des beks. Les fenêtres n'ont point de verres ni de châssis mobiles, mais seulement un treillage à jour, dont la façon coûte quelquefois plus que nos glaces. Le jour vient des cours intérieures, d'où les sycomores renvoient un reflet de verdure qui plaît à l'œil. Enfin, une ouverture au nord ou au sommet du plancher, procure un air frais, pendant que, par une contradiction assez bizarre, on s'environne de vêtements et de meubles chauds, tels que les draps de laine et les fourrures. Les riches prétendent; par ces précautions, écarter les maladies, mais le peuple, avec sa chemise bleue et ses nattes dures, s'enrhume moins et se porte mieux.
Population du Kaire et de l'Égypte
On fait souvent des questions sur la population du Kaire: si l'on en veut croire le douanier Antoun Farâoun, cité par le baron de Tott, elle approche de 700,000 ames, y compris Boulâq, faubourg et port détaché de la ville; mais tous les calculs de population en Turkie sont arbitraires, parce qu'on n'y tient point de registres de naissances, de morts ou de mariages. Les musulmans ont même des préjugés superstitieux contre les dénombrements. Les seuls chrétiens pourraient être recensés au moyen des billets de leur capitation123. Tout ce qu'on peut dire de certain, c'est que, d'après le plan géométrique de Niebuhr, levé en 1761, le Kaire a 3 lieues de circuit, c'est-à-dire à peu près le circuit de Paris, pris par la ligne des boulevards. Dans cette enceinte il y a quantité de jardins, de cours, de terrains vides et de ruines. Or, si Paris, dans l'enceinte des boulevards, ne donne pas plus de 700,000 ames, quoique bâti à cinq étages, il est difficile de croire que le Kaire, qui n'en a que deux, tienne plus de 250,000 ames. Il est également impossible d'apprécier au juste la population de l'Égypte entière. Néanmoins, puisqu'il est connu que le nombre des villes et des villages ne passe pas 2,300124, le nombre des habitants de chaque lieu, ne pouvant s'évaluer l'un portant l'autre à plus de 1,000 âmes, même en y confondant le Kaire, la population totale ne doit s'élever qu'à 2,300,000 ames. La consistance des terres cultivables est, selon d'Anville, de 2,000 et 100 lieues carrées: de là résulte, par chaque lieue carrée, 1,142 habitants. Ce rapport, plus fort que celui de France même, pourra faire croire que l'Égypte n'est pas si dépeuplée qu'on l'imagine; mais si l'on observe que les terres ne se reposent jamais, et qu'elles sont toutes fécondes, on conviendra que cette population est très-faible en comparaison de ce qu'elle a été, et de ce qu'elle pourrait être.
Parmi les singularités qui frappent un étranger au Kaire, on peut citer la quantité prodigieuse de chiens hideux qui vaguent dans les rues, et de milans, qui planent sur les maisons, en jetant des cris importuns et lugubres. Les musulmans ne tuent ni les uns ni les autres, quoiqu'ils les réputent également immondes125; au contraire, ils leur jettent souvent les débris des tables, et les dévots font pour les chiens des fondations d'eau et de pain. Ces animaux ont d'ailleurs la ressource des voiries, qui, à la vérité, n'empêche pas qu'ils n'endurent quelquefois la faim et la soif; mais ce qui doit étonner, c'est que ces extrémités ne sont jamais suivies de la rage. Prosper Alpin en a déja fait la remarque dans son Traité de la médecine des Égyptiens. La rage est également inconnue en Syrie; cependant le nom de cette maladie existe dans la langue arabe, et n'y a point une origine étrangère.
CHAPITRE XII.
Des maladies de l'Égypte
§ I.
De la perte de la vue
CE phénomène dans le genre des maladies n'est pas le seul remarquable en Égypte; il en est plusieurs autres qui méritent d'être rapportés.
Le plus frappant de tous est la quantité prodigieuse des vues perdues ou gâtées; elle est au point que, marchant dans les rues du Kaire, j'ai souvent rencontré, sur 100 personnes, 20 aveugles, 18 borgnes, et 20 autres dont les yeux étaient rouges, purulents ou tachés. Presque tout le monde porte des bandeaux, indice d'une ophthalmie naissante ou convalescente; ce qui ne m'a pas moins étonné est le sang-froid ou l'apathie avec laquelle on supporte un si grand malheur. C'était écrit, dit le musulman; louange à Dieu! Dieu l'a voulu, dit le chrétien; qu'il soit béni! Cette résignation est sans doute ce qu'il y a de mieux à faire quand le mal est arrivé; mais par un abus funeste, en empêchant de rechercher les causes, elle en devient une elle-même. Parmi nous, quelques médecins ont traité cette question; mais n'ayant point connu toutes les circonstances du fait, ils n'en ont pu parler que vaguement. J'en vais faire un tableau général, afin que l'on puisse en tirer la solution du problème.
1º Les fluxions des yeux et leurs suites ne sont point particulières à l'Égypte; on les retrouve également en Syrie, avec cette différence qu'elles y sont moins répandues; et il est remarquable que la côte de la mer y est seule sujette.
2º La ville du Kaire, toujours pleine d'immondices, y est plus sujette que tout le reste de l'Égypte126; le peuple, plus que les gens aisés; les naturels, plus que les étrangers: rarement les Mamlouks en sont-ils attaqués. Enfin, les paysans du Delta y sont plus sujets que les Arabes bedouins.
3º Les fluxions n'ont pas de saison bien marquée, quoi qu'en ait dit Prosper Alpin; c'est une endémie commune à tous les mois et à tous les âges.
En raisonnant sur ces éléments, il m'a semblé que l'on ne pouvait pas admettre pour cause principale les vents du midi, parce qu'alors l'épidémie devrait être propre au mois d'avril, et que les bedouins en seraient affectés comme les paysans: on ne peut admettre non plus la poussière fine répandue dans l'air, parce que les paysans y sont plus exposés que les habitants de la ville: l'habitude de dormir sur les terrasses a plus de réalité, mais cette cause n'est point unique ni simple; car dans les pays intérieurs et loin de la mer, tels que la vallée du Balbek, le Diarbekr, les plaines de Haurân et dans les montagnes, on dort sur les terrasses, sans que la vue en soit affectée. Si donc au Kaire, dans tout le Delta et sur les côtes de la Syrie, il est dangereux de dormir à l'air, il faut que cet air prenne du voisinage de la mer une qualité nuisible: cette qualité, sans doute, est l'humidité jointe à la chaleur, qui devient alors un principe premier de maladies. La salinité de cet air, si marquée dans le Delta, y contribue encore par l'irritation et les démangeaisons qu'elle cause aux yeux, ainsi que je l'ai éprouvé; enfin, le régime des Égyptiens me paraît lui-même un agent puissant. Le fromage, le lait aigre, le miel, le raisiné, les fruits verts, les légumes crus, qui sont la nourriture ordinaire du peuple, produisent dans le bas-ventre un trouble qui, selon l'observation des praticiens, se porte sur la vue; les oignons crus surtout, dont ils abusent, ont pour l'échauffer une vertu que les moines de Syrie m'ont fait remarquer sur moi-même. Des corps ainsi nourris abondent en humeurs corrompues qui cherchent sans cesse un écouloir. Détournées des voies internes par la sueur habituelle, elles viennent à l'extérieur, et s'établissent où elles trouvent moins de résistance. Elles doivent préférer la tête, parce que les Égyptiens, en la rasant toutes les semaines, et en la couvrant d'une coiffure prodigieusement chaude, en font un foyer principal de sueur. Or, pour peu que cette tête reçoive une impression de froid en se découvrant, la transpiration se supprime et se jette sur les dents, ou plus volontiers sur les yeux, comme partie moins résistante. A chaque fluxion l'organe s'affaiblit et il finit par se détruire. Cette disposition, transmise par la génération, devient une nouvelle cause de maladie: de là vient que les naturels y sont plus exposés que les étrangers. L'excessive transpiration de la tête est un agent d'autant plus probable, que les anciens Égyptiens, qui la portaient nue, n'ont point été cités par les médecins pour être si affligés d'ophthalmies127; et les Arabes du désert qui se la couvrent peu, surtout dans le bas âge, en sont de même exempts.
§ II.
De la petite-vérole
Une grande partie des cécités en Égypte est causée par les suites de la petite-vérole. Cette maladie, qui y est très-meurtrière, n'y est point traitée selon une bonne méthode: dans les 3 premiers jours on y donne aux malades du debs ou raisiné, du miel et du sucre; et dès le 7e on leur permet le laitage et le poisson salé, comme en pleine santé: dans la dépuration, on ne les purge jamais, et l'on évite surtout de leur laver les yeux, encore qu'ils les aient pleins de pus, et que les paupières soient collées par la sérosité desséchée: ce n'est qu'au bout de 40 jours que l'on fait cette opération, et alors le séjour du pus, en irritant le globe, y a déterminé un cautère qui ronge l'œil entier. Ce n'est pas que l'inoculation y soit inconnue, mais on s'en sert peu. Les Syriens et les habitants de l'Anadolie, qui la connaissent depuis long-temps, n'en usent guère davantage128.
L'on doit regarder ces vices de régime comme des agents plus pernicieux que le climat, qui n'a rien de malsain129; c'est à la mauvaise nourriture surtout que l'on doit attribuer et les hideuses formes des mendiants, et l'air misérable et avorté des enfants du Kaire. Ces petites créatures n'offrent nulle part ailleurs un extérieur si affligeant; l'œil creux, le teint hâve et bouffi, le ventre gonflé d'obstructions, les extrémités maigres et la peau jaunâtre, ils ont l'air de lutter sans cesse contre la mort. Leurs mères ignorantes prétendent que c'est le regard malfaisant de quelque envieux qui les ensorcelle, et ce préjugé ancien130 est encore général et enraciné dans la Turkie; mais la vraie cause est dans la mauvaise nourriture. Aussi, malgré les talismans131, en périt-il une quantité incroyable; et cette ville possède, plus qu'aucune capitale, la funeste propriété d'engloutir la population.
Une maladie très-répandue au Kaire est celle que le vulgaire y appelle mal bénit, et que nous nommons assez improprement mal de Naples: la moitié du Kaire en est attaquée. La plupart des habitants croient que ce mal leur vient par frayeur, par maléfice ou par malpropreté. Quelques-uns se doutent de la vraie cause; mais comme elle tient à un article sur lequel ils sont infiniment réservés, ils n'osent s'en vanter. Ce mal bénit est très-difficile à guérir: le mercure, sous quelque forme qu'il soit, échoue ordinairement; les végétaux sudorifiques réussissent mieux, sans cependant être infaillibles; heureusement que le virus est peu actif, à raison de la grande transpiration naturelle et artificielle. L'on voit, comme en Espagne, des vieillards le porter jusqu'à 80 ans. Mais ses effets sont funestes aux enfants qui en naissent infectés. Le danger est imminent pour quiconque le rapporte dans un pays froid; il y fait des progrès rapides, et se montre toujours plus rebelle dans cette transplantation. En Syrie, à Damas et dans les montagnes, il est plus dangereux, parce que l'hiver y est plus rigoureux: faute de soins, il s'y termine avec tous les symptômes qu'on lui connaît, ainsi que j'en ai vu deux exemples.
Une incommodité particulière au climat d'Égypte, est une éruption à la peau, qui revient toutes les années. Vers la fin de juin ou le commencement de juillet, le corps se couvre de rougeurs et de boutons dont la cuisson est très-importune. Les médecins, qui se sont aperçus que cet effet venait constamment à la suite de l'eau nouvelle, lui en ont rapporté la cause. Plusieurs ont pensé qu'elle dépendait des sels dont ils ont supposé cette eau chargée; mais l'existence de ces sels n'est point démontrée, et il paraît que cet accident a une raison plus simple. J'ai dit que les eaux du Nil se corrompaient vers la fin d'avril dans le lit du fleuve. Les corps qui s'en abreuvent depuis ce moment forment des humeurs d'une mauvaise qualité. Lorsque l'eau nouvelle arrive, il se fait dans le sang une espèce de fermentation, dont l'issue est de séparer les humeurs vicieuses et de les chasser vers la peau, où la transpiration les appelle: c'est une vraie dépuration purgative, et toujours salutaire.
Un autre mal encore trop commun au Kaire est une enflure de bourses, qui souvent devient une énorme hydrocèle. On observe qu'il attaque de préférence les Grecs et les Coptes; et par là, le soupçon de sa cause tombe sur l'abus de l'huile dont ils usent plus des deux tiers de l'année. L'on soupçonne aussi que les bains chauds y concourent, et leur usage immodéré a d'autres effets qui ne sont pas moins nuisibles132. Je remarquerai, à cette occasion, que, dans la Syrie comme dans l'Égypte, une expérience constante a prouvé que l'eau-de-vie tirée des figues ordinaires, ou de celles des sycomores, ainsi que l'eau-de-vie des dattes et des fruits de nopal, a un effet très-prompt sur les bourses, qu'elle rend douloureuses et dures dès le 3e ou 4e jour que l'on a commencé d'en boire; et si l'on n'en cesse pas l'usage, le mal dégénère en hydrocèle complète.
L'eau-de-vie des raisins secs n'a pas le même inconvénient; elle est toujours anisée et très-violente, parce qu'on la distille jusqu'à 3 fois. Les chrétiens de Syrie et les coptes d'Égypte en font beaucoup d'usage; ces derniers, surtout, en boivent des pintes entières à leur souper: j'avais taxé ce fait d'exagération; mais il a fallu me rendre aux preuves de l'évidence, sans cesser néanmoins de m'étonner que de pareils excès ne tuent pas sur-le-champ, ou ne procurent pas du moins les symptômes de la profonde ivresse.
Le printemps, qui dans l'Égypte est l'été de nos climats, amène des fièvres malignes dont l'issue est toujours très-prompte. Un médecin français qui en a traité beaucoup a remarqué que le kina, donné dans les rémissions à la dose de 2 et 3 onces, a fréquemment sauvé des malades aux portes de la mort133. Sitôt que le mal se déclare, il faut s'astreindre rigoureusement au régime végétal acide; on s'interdit la viande, le poisson, et surtout les œufs; ils sont une espèce de poison en Égypte. Dans ce pays comme en Syrie, les observations constatent que la saignée est toujours plus nuisible qu'avantageuse, même lorsqu'elle paraît le mieux indiquée: la raison en est que les corps nourris d'aliments malsains, tels que les fruits verts, les légumes crus, le fromage, les olives, ont peu de sang et beaucoup d'humeurs; leur tempérament est généralement bilieux, ainsi que l'annoncent leurs yeux et leurs soucils noirs, leur teint brun, et leurs corps maigres. Leur maladie habituelle est le mal d'estomac; presque tous se plaignent d'âcretés à la gorge et de nausées acides; aussi l'émétique et la crême de tartre ont-ils du succès dans presque tous les cas.
Les fièvres malignes deviennent quelquefois épidémiques, et alors on les prendrait volontiers pour la peste, dont il me reste à parler.
§ III.
De la peste
Quelques personnes ont voulu établir parmi nous l'opinion que la peste était originaire d'Égypte; mais cette opinion, fondée sur des préjugés vagues, paraît démentie par les faits. Nos négociants établis depuis longues années à Alexandrie assurent, de concert avec les Égyptiens, que la peste ne vient jamais de l'intérieur du pays134, mais qu'elle paraît d'abord sur la côte à Alexandrie; d'Alexandrie elle passe à Rosette, de Rosette au Kaire, du Kaire à Damiât et dans le reste du Delta. Ils observent encore qu'elle est toujours précédée de l'arrivée de quelque bâtiment venant de Smyrne ou de Constantinople, et que si la peste a été violente dans l'une de ces villes pendant l'été, le danger est plus grand pour la leur pendant l'hiver qui suit. Il paraît constant que son vrai foyer est Constantinople; qu'elle s'y perpétue par l'aveugle négligence des Turks; elle est au point que l'on vend publiquement les effets des morts pestiférés. Les vaisseaux qui viennent ensuite à Alexandrie, ne manquent jamais d'apporter des fournitures et des habits de laine qui sortent de ces ventes, et ils les débitent au bazar de la ville, où ils jettent d'abord la contagion. Les Grecs, qui font ce commerce, en sont presque toujours les premières victimes. Peu à peu l'épidémie gagne Rosette, et enfin le Kaire, en suivant la route journalière des marchandises. Aussitôt qu'elle est constatée, les négociants européens s'enferment dans leur kan ou contrée, eux et leurs domestiques, et ils ne communiquent plus au dehors. Leurs vivres, déposés à la porte du kan, y sont reçus par un portier, qui les prend avec des tenailles de fer, et les plonge dans une tonne d'eau destinée à cet usage. Si l'on veut leur parler, ils observent toujours une distance qui empêche tout contact de vêtements ou d'haleine; par ce moyen ils se préservent du fléau, à moins qu'il n'arrive quelque infraction à la police. Il y a quelques années qu'un chat, passé par les terrasses chez nos négociants du Kaire, porta la peste à deux d'entre eux, dont l'un mourut.
L'on conçoit combien cet emprisonnement est ennuyeux: il dure jusqu'à 3 et 4 mois, pendant lesquels les amusements se réduisent à se promener le soir sur les terrasses, et à jouer aux cartes.
La peste offre plusieurs phénomènes très-remarquables. A Constantinople, elle règne pendant l'été, et s'affaiblit ou se détruit pendant l'hiver. En Égypte, au contraire, elle règne pendant l'hiver, et juin ne manque jamais de la détruire. Cette bizarrerie apparente s'explique par un même principe. L'hiver détruit la peste à Constantinople, parce que le froid y est très-rigoureux. L'été l'allume, parce que la chaleur y est humide, à raison des mers, des forêts et des montagnes voisines. En Égypte, l'hiver fomente la peste, parce qu'il est humide et doux; l'été la détruit, parce qu'il est chaud et sec. Il agit sur elle comme sur les viandes, qu'il ne laisse pas pourrir. La chaleur n'est malfaisante qu'autant qu'elle se joint à l'humidité135. L'Égypte est affligée de la peste tous les 4 ou 5 ans; les ravagés qu'elle y cause devraient la dépeupler, si les étrangers qui y affluent sans cesse de tout l'empire ne réparaient une grande partie de ses pertes.
En Syrie, la peste est beaucoup plus rare: il y a 25 ans qu'on ne l'y a ressentie. La raison en est sans doute la rareté des vaisseaux venant en droiture de Constantinople. D'ailleurs on observe qu'elle ne se naturalise pas aisément dans cette province. Transportée de l'Archipel, ou même de Damiât, dans les rades de Lataqîé, Saïd ou Acre, elle n'y prend point racine; elle veut des circonstances préliminaires et une route combinée: il faut qu'elle passe du Kaire, en droiture à Damiât: alors toute la Syrie est sûre d'en être infectée.
L'opinion enracinée du fatalisme, et bien plus encore la barbarie du gouvernement, ont empêché jusqu'ici les Turks de se mettre en garde contre ce fléau meurtrier: cependant le succès des soins qu'ils ont vu prendre aux Francs a fait depuis quelque temps impression sur plusieurs d'entre eux. Les chrétiens du pays qui traitent avec nos négociants seraient disposés à s'enfermer comme eux; mais il faudrait qu'ils y fussent autorisés par la Porte. Il paraît qu'en ce moment elle s'occupe de cet objet, s'il est vrai qu'elle ait publié l'année dernière un édit pour établir un lazaret à Constantinople, et 3 autres dans l'empire; savoir, à Smyrne, en Candie et à Alexandrie. Le gouvernement de Tunis a pris ce sage parti depuis quelques années; mais la police turke est partout si mauvaise, qu'on doit espérer peu de succès de ces établissements, malgré leur extrême importance pour le commerce, et pour la sûreté des états de la Méditerranée136.
Ce nom de Masr a les mêmes consonnes que celui de Mesr-aïm, allégué par les Hébreux; lequel, à raison de sa forme plurielle, semble désigner proprement les habitants du Delta, pendant que ceux de la Thébaïde s'appelaient Benikous ou enfants de kous.
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Le sultan Sélim avait assigné des bateaux pour les porter sans cesse à la mer; mais on a détruit cet établissement pour en détourner les deniers.
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Elle s'appelle karadj; k est ici le jota espagnol.
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D'Anville a connu deux listes des villages de l'Égypte: l'une, du siècle dernier, compte 2,696 villes et villages; l'autre, du milieu de celui-ci, 2,395, dont 957 au Saïd, et 1,439 dans le Delta (ce qui fait cependant, comme l'observe aussi d'Anville, 2,396). Le résumé que je donne est de l'année 1783.
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Les tourterelles, dont il y a une prodigieuse quantité, font leurs nids dans les maisons, et les enfants mêmes n'y touchent pas.
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Il faut observer que les aveugles des villages viennent s'établir à la mosquée des Fleurs (el-Azhar), où ils ont une espèce d'hôpital. Lazaret me paraît venir de là.
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Cependant, l'histoire observe que plusieurs des Faraons moururent aveugles.
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Ils la pratiquent en insérant un fil dans la chair, ou en faisant respirer ou avaler de la poudre de boutons desséchée.
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On peut citer en preuve les Mamlouks, qui, au moyen d'une bonne nourriture et d'un régime bien entendu, jouissent de la santé la plus robuste.
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Nescio quis teneros oculus mihi fascinat agnos.
Virg.
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On voit souvent en Égypte pendre sur le visage des enfants, et même sur celui des hommes faits, de petits morceaux d'étoffes rouges, ou des rameaux de corail et de verre coloré; leur usage est de fixer, par leur couleur et leur mouvement, le premier coup d'œil de l'envieux, parce que c'est celui-là, disent-ils, qui frappe.
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Les Égyptiens et les Turks en général ont pour le bain d'étuve une passion difficile à concevoir dans un pays aussi chaud que le leur; mais elle me paraît venir moins des sensations que des préjugés. La loi du Qôran, qui ordonne aux hommes une forte ablution après le devoir conjugal, est elle seule un motif très-puissant; et la vanité qu'ils attachent à l'exécuter en devient un autre qui n'est pas moins efficace. Pour les femmes, il se joint à ces motifs, 1º que le bain est le seul lieu d'assemblée où elles puissent faire parade de leur luxe et se régaler de melons et fruits, de pâtisserie et autres friandises; 2º qu'elles croient, ainsi que l'a remarqué Prosper Alpin, que le bain leur donne cet embonpoint qui passe pour la beauté. Quant aux étrangers, leurs opinions diffèrent comme leurs sensations. Plusieurs négociants du Kaire aiment le bain, d'autres s'en sont trouvés maltraités, et je leur ai ressemblé. Il m'a donné des vertiges et des tremblements de genoux qui durèrent 2 jours. J'avoue qu'une eau vraiment brûlante, et qu'une sueur arrachée par les convulsions du poumon autant que par la chaleur, m'ont paru des plaisirs d'une espèce étrange, et je n'envierai plus aux Turks ni leur opium, ni leurs étuves, ni leurs masseurs trop complaisants.
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Le lendemain il donne toujours un lavement pour évacuer ce kina.
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Prosper Alpin, médecin vénitien, qui écrivait en 1591, dit également que la peste n'est point originaire d'Égypte; qu'elle y vient de Grèce, de Syrie, de Barbarie; que les chaleurs la tuent, etc. Voyez de Medicinâ Ægyptiorum, p. 28.
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Au Kaire, on a observé que les porteurs d'eau, sans cesse arrosés de l'eau fraîche qu'ils portent dans une outre sur leur dos, ne sont jamais attaqués de la peste: mais ici c'est lotion, et non pas humidité; d'autre part, l'astronome Beauchamp m'observe, dans une lettre écrite de Bagdad, que la peste qui précéda 1787 moissonna tous les porteurs d'eau de la ville. Les Européens même, malgré leurs lotions de vinaigre, n'échappèrent pas, et cependant l'un d'eux qui en but des verres entiers se sauva. Beauchamp fait d'ailleurs la remarque curieuse que la peste ne passe jamais dans la Perse, dont le climat est en général plus tempéré, et le sol montueux et couvert de végétaux.
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L'année dernière en fait preuve, puisqu'il a éclaté dans Tunis une peste aussi violente qu'on en ait jamais éprouvé. Elle fut apportée par des bâtiments venant de Constantinople, qui corrompirent les gardes et entrèrent en fraude sans faire de quarantaine.
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