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Kitabı oku: «Les Ruines, ou méditation sur les révolutions des empires», sayfa 8

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CHAPITRE XV.
Le siècle nouveau

À peine eut-il achevé ces mots, qu'un bruit immense s'éleva du côté de l'occident; et, y tournant mes regards, j'aperçus à l'extrémité de la Méditerranée, dans le domaine de l'une des nations de l'Europe, un mouvement prodigieux; tel qu'au sein d'une vaste cité, lorsqu'une sédition violente éclate de toutes parts, on voit un peuple innombrable s'agiter et se répandre à flots dans les rues et les places publiques. Et mon oreille, frappée de cris poussés jusqu'aux cieux, distingua par intervalles ces phrases:

«Quel est donc ce prodige nouveau? quel est ce fléau cruel et mystérieux? Nous sommes une nation nombreuse, et nous manquons de bras! nous avons un sol excellent, et nous manquons de denrées! nous sommes actifs, laborieux, et nous vivons dans l'indigence! nous payons des tributs énormes, et l'on nous dit qu'ils ne suffisent pas! nous sommes en paix au dehors, et nos personnes et nos biens ne sont pas en sûreté au dedans! Quel est donc l'ennemi caché qui nous dévore?»

Et des voix parties du sein de la multitude répondirent: Élevez un étendard distinctif autour duquel se rassemblent tous ceux qui, par d'utiles travaux, entretiennent et nourrissent la société, et vous connaîtrez l'ennemi qui vous ronge.»

Et, l'étendard ayant été levé, cette nation se trouva tout à coup partagée en deux corps inégaux, et d'un aspect contrastant: l'un innombrable et presque total, offrait, dans la pauvreté générale des vêtements et l'air maigre et hâlé des visages, les indices de la misère et du travail; l'autre, petit groupe, fraction insensible, présentait, dans la richesse des habits chamarrés d'or et d'argent, et, dans l'embonpoint des visages, les symptômes du loisir et de l'abondance.

Et, considérant ces hommes plus attentivement, je reconnus que le grand corps était composé de laboureurs, d'artisans, de marchands, de toutes les professions laborieuses et studieuses utiles à la société, et que, dans le petit groupe, il ne se trouvait que des ministres du culte de tout grade (moines et prêtres), que des gens de finance, d'armoirie, de livrée, des chefs militaires et autres salariés du gouvernement.

Et ces deux corps en présence, front à front, s'étant considérés avec étonnement, je vis, d'un côté, naître la colère et l'indignation; de l'autre, un mouvement d'effroi; et le grand corps dit au plus petit:

«Pourquoi êtes-vous séparés de nous? N'êtes-vous donc pas de notre nombre?»

«Non, répondit le groupe: vous êtes le peuple; nous autres, nous sommes un corps distinct, une classe privilégiée, qui avons nos lois, nos usages, nos droits à parts.»

LE PEUPLE

Et de quel travail viviez-vous dans notre société?

LE PRIVILÉGIÉS

Nous ne sommes pas faits pour travailler.

LE PEUPLE

Comment avez-vous donc acquis tant de richesses?

LE PRIVILÉGIÉS

En prenant le soin de vous gouverner.

LE PEUPLE

Quoi, nous fatiguons, et vous jouissez! nous produisons, et vous dissipez! Les richesses viennent de nous, vous les absorbez, et vous appelez cela gouverner!...... Classe privilégiée, corps distinct qui nous êtes étranger, formez votre nation à part, et voyons comment vous subsisterez.

Alors le petit groupe délibérant sur ce cas nouveau, quelques hommes justes et généreux dirent: Il faut nous rejoindre au peuple, et partager ses fardeaux; car ce sont des hommes comme nous, et nos richesses viennent d'eux. Mais d'autres dirent avec orgueil: Ce serait une honte de nous confondre avec la foule, elle est faite pour nous servir; ne sommes-nous pas la race noble et pure des conquérants de cet empire? Rappelons à cette multitude nos droits et son origine.

LES NOBLES

Peuple! oubliez-vous que nos ancêtres ont conquis ce pays, et que votre race n'a obtenu la vie qu'à condition de nous servir? Voilà notre contrat social; voilà le gouvernement constitué par l'usage et prescrit par le temps.

LE PEUPLE

Race pure des conquérants! montrez-nous vos généalogies! nous verrons ensuite si ce qui, dans un individu, est vol et rapine, devient vertu dans une nation.

Et à l'instant, des voix élevées de divers côtés commencèrent d'appeler par leurs noms une foule d'individus nobles; et, citant leur origine et leur parenté, elles racontèrent comment l'aïeul, le bisaïeul, le père lui-même, nés marchands, artisans, après s'être enrichis par des moyens quelconques, avaient acheté, à prix d'argent, la noblesse: en sorte qu'un très-petit nombre de familles étaient réellement de souche ancienne. Voyez, disaient ces voix, voyez ces roturiers parvenus qui renient leurs parents; voyez ces recrues plébéiennes qui se croient des vétérans illustres! Et ce fut une rumeur de risée.

Pour la détourner, quelques hommes astucieux s'écrièrent: Peuple doux et fidèle, reconnaissez l'autorité légitime: le Roi veut, la loi ordonne.

LE PEUPLE

Classe privilégiée, courtisans de la fortune, laissez les rois s'expliquer; les rois ne peuvent vouloir que le salut de l'immense multitude, qui est le peuple; la loi ne saurait être que le vœu de l'équité.

Alors les privilégiés militaires dirent: La multitude ne sait obéir qu'à la force, il faut la châtier. Soldats, frappez ce peuple rebelle!

LE PEUPLE

Soldats! vous êtes notre sang! frapperez-vous vos parents, vos frères? Si le peuple périt, qui nourrira l'armée?

Et les soldats, baissant les armes, dirent: Nous sommes aussi le peuple, montrez-nous l'ennemi! Alors les privilégiés ecclésiastiques dirent: Il n'y a plus qu'une ressource: le peuple est superstitieux; il faut l'effrayer par les noms de Dieu et de religion.

Nos chers frères! nos enfants! Dieu nous a établis pour vous gouverner.

LE PEUPLE

Montrez-nous vos pouvoirs célestes.

LE PRÊTRES

Il faut de la foi: la raison égare.

LE PEUPLE

Gouvernez-vous sans raisonner?

LE PRÊTRES

Dieu veut la paix: la religion prescrit l'obéissance.

LE PEUPLE

La paix suppose la justice; l'obéissance veut la conviction d'un devoir.

LE PRÊTRES

On n'est ici-bas que pour souffrir.

LE PEUPLE

Montrez-nous l'exemple.

LE PRÊTRES

Vivrez-vous sans dieux et sans rois?

LE PEUPLE

Nous voulons vivre sans oppresseurs.

LE PRÊTRES

Il vous faut des médiateurs, des intermédiaires.

LE PEUPLE

Médiateurs près de Dieu et des rois! courtisans et prêtres, vos services sont trop dispendieux; nous traiterons désormais directement nos affaires.

Et alors le petit groupe dit: Tout est perdu, la multitude est éclairée.

Et le peuple répondit: Tout est sauvé, car si nous sommes éclairés, nous n'abuserons pas de notre force: nous ne voulons que nos droits. Nous avons des ressentiments, nous les oublions: nous étions esclaves, nous pourrions commander; nous ne voulons qu'être libres, et la liberté n'est que la justice.

CHAPITRE XVI.
Un peuple libre et législateur

Alors, considérant que toute puissance publique était suspendue, que le régime habituel de ce peuple cessait tout à coup, je fus saisi d'effroi par la pensée qu'il allait tomber dans la dissolution de l'anarchie; mais tout à coup des voix s'élevèrent et dirent:

«Ce n'est pas assez de nous être affranchis des parasites et des oppresseurs, il faut empêcher qu'il n'en renaisse. Nous sommes hommes, et l'expérience nous a trop appris que chacun de nous tend sans cesse à dominer et à jouir aux dépens d'autrui. Il faut donc nous prémunir contre un penchant auteur de discorde; il faut établir des règles certaines de nos actions et de nos droits: or, la connaissance de ces droits, le jugement de ces actions sont des choses abstraites, difficiles, qui exigent tout le temps et toutes les facultés d'un homme. Occupés chacun de nos travaux, nous ne pouvons vaquer à de telles études, ni exercer par nous-mêmes de telles fonctions. Choisissons donc parmi nous quelques hommes dont ce soit l'emploi propre. Déléguons-leur nos pouvoirs communs pour nous créer un gouvernement et des lois; constituons-les représentants de nos volontés et de nos intérêts. Et, afin qu'en effet ils en soient une représentation aussi exacte qu'il sera possible, choisissons-les nombreux et semblables à nous, pour que la diversité de nos volontés et de nos intérêts se trouve rassemblée en eux.»

Et ce peuple, ayant choisi dans son sein une troupe nombreuse d'hommes qu'il jugea propres à son dessein, il leur dit: «Jusqu'ici nous avons vécu en une société formée au hasard, sans clauses fixes, sans conventions libres, sans stipulation de droits, sans engagements réciproques; et une foule de désordres et de maux ont résulté de cet état précaire. Aujourd'hui nous voulons, de dessein réfléchi, former un contrat régulier; nous vous avons choisis pour en dresser les articles: examinez donc avec maturité quelles doivent être ses bases et ses conditions; recherchez avec soin quel est le but, quels sont les principes de toute association: connaissez les droits que chaque membre y porte, les facultés qu'il y engage, et celles qu'il y doit conserver: tracez-nous des règles de conduite, des lois équitables; dressez-nous un système nouveau de gouvernement, car nous sentons que les principes qui nous ont guidés jusqu'à ce jour, sont vicieux. Nos pères ont marché dans des sentiers d'ignorance, et l'habitude nous a égarés sur leurs pas: tout s'est fait par violence, par fraude, par séduction, et les vraies lois de la morale et de la raison sont encore obscures: démêlez-en donc le chaos, découvrez-en l'enchaînement, publiez-en le code, et nous nous y conformerons.»

Et ce peuple éleva un trône immense en forme de pyramide; et y faisant asseoir les hommes qu'il avait choisis, il leur dit: «Nous vous élevons aujourd'hui au-dessus de nous, afin que vous découvriez mieux l'ensemble de nos rapports, et que vous soyez hors de l'atteinte de nos passions.

«Mais souvenez-vous que vous êtes nos semblables; que le pouvoir que nous vous conférons est à nous; que nous vous le donnons en dépôt, non en propriété ni en héritage; que les lois que vous ferez, vous y serez les premiers soumis; que demain vous redescendrez parmi nous, et que nul droit ne vous sera acquis, que celui de l'estime et de la reconnaissance. Et pensez de quel tribut de gloire l'univers qui révère tant d'apôtres d'erreur, honorera la première assemblée d'hommes raisonnables qui aura solennellement déclaré les principes immuables de la justice, et consacré, à la face des tyrans, les droits des nations!»

CHAPITRE XVII.
Base universelle de tout droit et de toute loi

Alors les hommes choisis par le peuple pour rechercher les vrais principes de la morale et de la raison procédèrent à l'objet sacré de leur mission; et, après un long examen, ayant découvert un principe universel et fondamental, il s'éleva un législateur qui dit au peuple; «Voici la base primordiale, l'origine physique de toute justice et de tout droit.

«Quelle que soit la puissance active, la cause motrice qui régit l'univers, ayant donné à tous les hommes les mêmes organes, les mêmes sensations, les mêmes besoins, elle a, par ce fait même, déclaré qu'elle leur donnait à tous les mêmes droits à l'usage de ses biens, et que tous les hommes sont égaux dans l'ordre de la nature.

«En second lieu, de ce qu'elle a donné à chacun des moyens suffisants de pourvoir à son existence, il résulte avec évidence qu'elle les a tous constitués indépendants les uns des autres; qu'elle les a créés libres; que nul n'est, soumis à autrui; que chacun est propriétaire absolu de son être.

«Ainsi, l'égalité et la liberté sont deux attributs essentiels de l'homme; deux lois de la Divinité, inabrogeables et constitutives comme les propriétés physiques des éléments.

«Or, de ce que tout individu est maître absolu de sa personne, il s'ensuit que la liberté pleine de son consentement est une condition inséparable de tout contrat et de tout engagement.

«Et de ce que tout individu est égal à un autre, il suit que la balance de ce qui est rendu à ce qui est donné, doit être rigoureusement en équilibre: en sorte que l'idée de liberté contient essentiellement celle de justice, qui naît de l'égalité.

«L'égalité et la liberté sont donc les bases physiques et inaltérables de toute réunion d'hommes en société, et, par suite, le principe nécessaire et régénérateur de toute loi et de tout système de gouvernement régulier.

«C'est pour avoir dérogé à cette base que chez vous, comme chez tout peuple, se sont introduits les désordres qui vous ont enfin soulevés. C'est en revenant à cette règle que vous pourrez les réformer, et reconstituer une association heureuse.

«Mais observez qu'il en résultera une grande secousse dans vos habitudes, dans vos fortunes, dans vos préjugés. Il faudra dissoudre des contrats vicieux, des droits abusifs; renoncer à des distinctions injustes, à de fausses propriétés; rentrer enfin un instant dans l'état de la nature. Voyez si vous saurez consentir à tant de sacrifices.»

Alors, pensant à la cupidité inhérente au cœur de l'homme, je crus que ce peuple allait renoncer à toute idée d'amélioration.

Mais, dans l'instant, une foule d'hommes généreux et des plus hauts rangs, s'avançant vers le trône, y firent abjuration de toutes leurs distinctions et de toutes leurs richesses: «Dictez-nous, dirent-ils, les lois de l'égalité et de la liberté; nous ne voulons plus rien posséder qu'au titre sacré de la justice.

«Égalité, justice, liberté, voilà quel sera désormais notre code et notre étendard.»

Et sur-le-champ le peuple éleva un drapeau immense, inscrit de ces trois mots, auxquels-il assigna trois couleurs. Et l'ayant planté sur le siége du législateur, l'étendard de la justice universelle flotta pour là première fois sur la terre; et le peuple dressa en avant du siége un autel nouveau, sur lequel il plaça une balance d'or, une épée et un livre, avec cette inscription:

À LA LOI ÉGALE, QUI JUGE ET PROTÉGE

Puis, ayant environné le siége et l'autel d'un amphithéâtre immense, cette nation s'y assit tout entière pour entendre la publication de la loi. Et des millions d'hommes, levant à la fois les bras vers le ciel, firent le serment solennel de vivre libres et justes; de respecter leurs droits réciproques, leurs propriétés; d'obéir à la loi et à ses agents régulièrement préposés.

Et ce spectacle si imposant de force et de grandeur, si touchant de générosité, m'émut jusqu'aux larmes; et m'adressant au Génie: «Que je vive maintenant, lui dis-je, car désormais je puis espérer.»

CHAPITRE XVIII.
Effroi et conspiration des tyrans

Cependant, à peine le cri solennel de l'égalité et de la liberté eut-il retenti sur la terre, qu'un mouvement de trouble et de surprise s'excita au sein des nations; et d'une part la multitude émue de désir, mais indécise entre l'espérance et la crainte, entre le sentiment de ses droits et l'habitude de ses chaînes, commença de s'agiter; d'autre part, les rois réveillés subitement du sommeil de l'indolence et du despotisme, craignirent de voir renverser leurs trônes; et partout ces classes de tyrans civils et sacrés qui trompent les rois et oppriment les peuples, furent saisies de rage et d'effroi; et tramant des desseins perfides: «Malheur à nous, dirent-ils, si le cri funeste de la liberté parvient à l'oreille de la multitude! Malheur à nous, si ce pernicieux esprit de justice se propage!.....» Et voyant flotter l'étendard: «Concevez-vous l'essaim de maux renfermés dans ces seules paroles? Si tous les hommes sont égaux, où sont nos droits exclusifs d'honneur et de puissance? Si tous sont ou doivent être libres, que deviennent nos esclaves, nos serfs, nos propriétés? Si tous sont égaux dans l'état civil, où sont nos prérogatives de naissance, d'hérédité? et que devient la noblesse? S'ils sont tous égaux devant Dieu, où est le besoin de médiateurs? et que devient le sacerdoce? Ah! pressons-nous de détruire un germe si fécond, si contagieux! Employons tout notre art contre cette calamité; effrayons les rois, pour qu'ils s'unissent à notre cause. Divisons les peuples, et suscitons-leur des troubles et des guerres. Occupons-les de combats, de conquêtes et de jalousies. Alarmons-les sur la puissance de cette nation libre. Formons une grande ligue contre l'ennemi commun. Abattons cet étendard sacrilége, renversons ce trône de rébellion, et étouffons dans son foyer cet incendie de révolution.»

Et en effet, les tyrans civils et sacrés des peuples formèrent une ligue générale; entraînant sur leurs pas une multitude contrainte ou séduite, ils se portèrent d'un mouvement hostile contre la nation libre, et investirent à grands cris l'autel et le trône de la loi naturelle: «Quelle est, dirent-ils, cette doctrine hérétique et nouvelle? Quel est cet autel impie, ce culte sacrilége?.... Sujets fidèles et croyants! ne semblerait-il pas que ce fût d'aujourd'hui que l'on vous découvre la vérité, que jusqu'ici vous eussiez marché dans l'erreur, que ces rebelles, plus heureux que vous, ont seuls le privilége d'être sages! Et vous; peuple égaré, ne voyez-vous pas que vos nouveaux chefs vous trompent, qu'ils altèrent les principes de votre foi, qu'ils renversent la religion de vos pères? Ah! tremblez que le courroux du ciel ne s'allume, et hâtez-vous, par un prompt repentir, de réparer votre erreur.»

Mais, inaccessible à la suggestion comme à la terreur, la nation libre garda le silence; et, se montrant tout entière en armes, elle tint une attitude imposante.

Et le législateur dit aux chefs des peuples: «Si, lorsque nous marchions un bandeau sur les yeux, la lumière éclairait nos pas, pourquoi, aujourd'hui qu'il est levé, fuira-t-elle nos regards qui la cherchent? Si les chefs qui prescrivent aux hommes d'être clairvoyants, les trompent et les égarent, que font ceux qui ne veulent guider que des aveugles? Chefs des peuples! si vous possédez la vérité, faites-nous la voir: nous la recevrons avec reconnaissance; car nous la cherchons avec désir, et nous avons intérêt de la trouver: nous sommes hommes, et nous pouvons nous tromper; mais vous êtes hommes aussi, et vous êtes également faillibles. Aidez-nous donc dans ce labyrinthe où, depuis tant de siècles, erre l'humanité; aidez-nous à dissiper l'illusion de tant de préjugés et de vicieuses habitudes; concourez avec nous, dans le choc de tant d'opinions qui se disputent notre croyance, à démêler le caractère propre et distinctif de la vérité. Terminons dans un jour les combats si longs de l'erreur: établissons entre elle et la vérité une lutte solennelle: appelons les opinions des hommes de toutes les nations: convoquons l'assemblée générale des peuples: qu'ils soient juges eux-mêmes dans la cause qui leur est propre; et que, dans le débat de tous les systèmes, nul défenseur, nul argument ne manquant aux préjugés ni à la raison, le sentiment d'une évidence générale et commune fasse enfin naître la concorde universelle des esprits et des cœurs.»

CHAPITRE XIX.
Assemblée générale des peuples

Ainsi parla le législateur; et la multitude, saisie de ce mouvement qu'inspire d'abord toute proposition raisonnable, ayant applaudi, les tyrans, restés sans appui, demeurèrent confondus.

Alors s'offrit à mes regards une scène d'un genre étonnant et nouveau: tout ce que la terre compte de peuples et de nations, tout ce que les climats produisent de races d'hommes divers, accourant de toutes parts, me sembla se réunir dans une même enceinte; et là, formant un immense congrès, distingué en groupes par l'aspect varié des costumes, des traits du visage, des teintes de la peau, leur foule innombrable me présenta le spectacle le plus extraordinaire et le plus attachant.

D'un côté, je voyais l'Européen, à l'habit court et serré, au chapeau pointu et triangulaire, au menton rasé, aux cheveux blanchis de poudre; de l'autre, l'Asiatique, à la robe traînante, à la longue barbe, à la tête rase et au turban rond. Ici j'observais les peuples Africains, à la peau d'ébène, aux cheveux laineux, au corps ceint de pagnes blancs et bleus, ornés de bracelets et de colliers de corail, de coquilles et de verre: là les races septentrionales, enveloppées dans leurs sacs de peau; le Lapon, au bonnet pointu, aux souliers de raquette; le Samoyède, à l'odeur forte et au corps brûlant; le Tongouze, au bonnet cornu, portant ses idoles pendues sur son sein; le Yakoute, au visage piqueté; le Calmouque, au nez aplati, aux petits yeux renversés. Plus loin étaient le Chinois, au vêtement de soie aux tresses pendantes; le Japonais, au sang mélangé; le Malais, aux grandes oreilles, au nez percé d'un anneau, au vaste chapeau de feuilles de palmier, et les habitants tatoués des îles de l'Océan et du continent antipode. Et l'aspect de tant de variétés d'une même espèce, de tant d'inventions bizarres d'un même entendement, de tant de modifications différentes d'une même organisation, m'affecta à la fois de mille sensations et de mille pensées. Je considérais avec étonnement cette gradation de couleurs, qui, de l'incarnat vif passe au brun clair, puis foncé, fumeux, bronzé, olivâtre, plombé, cuivré, enfin jusqu'au noir d'ébène et du jais; et trouvant le Kachemirien, au teint de roses, à côté de l'Indou hâlé, le Géorgien à côté du Tartare, je réfléchissais sur les effets du climat chaud ou froid, du sol élevé ou profond, marécageux ou sec, découvert ou ombragé; je comparais l'homme nain du pôle au géant des zones tempérées; le corps grêle de l'Arabe à l'ample corps du Hollandais; la taille épaisse et courte du Samoyède à la taille svelte du Grec et de l'Esclavon; la laine grasse et noire du Nègre à la soie dorée du Danois; la face aplatie du Calmouque, ses petits yeux en angle, son nez écrasé, à la face ovale et saillante, aux grands yeux bleus, au nez aquilin du Circassien et de l'Abasan. J'opposais aux toiles peintes de l'Indien, aux étoffes savantes de l'Européen, aux riches fourrures du Sibérien, les pagnes d'écorce, les tissus de jonc, de feuilles, de plumes, des nations sauvages, et les figures bleuâtres de serpents, de fleurs et d'étoiles dont leur peau était imprimée. Et tantôt le tableau bigarré de cette multitude me retraçait les prairies émaillées du Nil et de l'Euphrate, lorsqu'après les pluies ou le débordement, des millions de fleurs naissent de toutes parts; tantôt il me représentait, par son murmure et son mouvement, les essaims innombrables de sauterelles qui, du désert, viennent au printemps couvrir les plaines du Hauran.

Et, à la vue de tant d'êtres animés et sensibles, embrassant tout à coup l'immensité des pensées et des sensations rassemblées dans cet espace; d'autre part, réfléchissant à l'opposition de tant de préjugés, de tant d'opinions, au choc de tant de passions d'hommes si mobiles, je flottais entre l'étonnement, l'admiration et une crainte secrète...., quand le législateur, ayant réclamé le silence, attira toute mon attention.

«Habitants de la terre, dit-il, une nation libre et puissante vous adresse des paroles de justice et de paix, et elle vous offre de sûrs gages de ses intentions dans sa conviction et son expérience. Long-temps affligée des mêmes maux que vous, elle en a recherché la source; et elle a trouvé qu'ils dérivaient tous de la violence et de l'injustice, érigées en lois par l'inexpérience des races passées, et maintenues par les préjugés des races présentes: alors, annulant ses institutions factices et arbitraires, et remontant à l'origine de tout droit et de toute raison, elle a vu qu'il existait dans l'ordre même de l'univers, et dans la constitution physique de l'homme, des lois éternelles et immuables, qui n'attendaient que ses regards pour le rendre heureux. Ô hommes! élevez les yeux vers ce ciel qui vous éclaire! jetez-les sur cette terre qui vous nourrit! Quand ils vous offrent à tous les mêmes dons, quand vous avez reçu de la puissance qui les meut la même vie, les mêmes organes, n'en avez-vous pas reçu les mêmes droits à l'usage de ses bienfaits? Ne vous a-t-elle pas, par-là même, déclarés tous égaux et libres? Quel mortel osera donc refuser à son semblable ce que lui accorde la nature? Ô nations! bannissons toute tyrannie et toute discorde; ne formons plus qu'une même société, qu'une grande famille; et puisque le genre humain n'a qu'une même constitution, qu'il n'existe plus pour lui qu'une loi, celle de la nature; qu'un même code, celui de la raison; qu'un même trône, celui de la justice; qu'un même autel, celui de l'union

Il dit; et une acclamation immense s'éleva jusqu'aux cieux: mille cris de bénédiction partirent du sein de la multitude; et les peuples, dans leurs transports, firent retentir la terre des mots d'égalité, de justice, d'union. Mais bientôt à ce premier mouvement en succéda un différent; bientôt les docteurs, les chefs des peuples, les excitant à la dispute, je vis naître d'abord un murmure, puis une rumeur, qui, se communiquant de proche en proche, devint un vaste désordre; et chaque nation élevant des prétentions exclusives, réclamait la prédominance pour son code et son opinion.

«Vous êtes dans l'erreur, se disaient les partis en se montrant du doigt les uns les autres; nous seuls possédons la vérité et la raison; nous seuls avons la vraie loi, la vraie règle de tout droit, de toute justice, le seul moyen du bonheur, de la perfection; tous les autres hommes sont des aveugles ou des rebelles.» Et il régnait une agitation extrême.

Mais le législateur ayant réclamé le silence: «Peuples, dit-il, quel mouvement de passion vous agite? Où vous conduira cette querelle? Qu'attendez-vous de cette dissension! Depuis des siècles la terre est un champ de dispute, et vous avez versé des torrents de sang pour des opinions chimériques: qu'ont produit tant de combats et de larmes? Quand le fort a soumis le faible à son opinion, qu'a-t-il fait pour la vérité et pour l'évidence? Ô nations! prenez conseil de votre propre sagesse! Quand, parmi vous, une contestation divise des individus, des familles, que faites-vous pour les concilier? Ne leur donnez-vous pas des arbitres?» Oui, s'écria unanimement la multitude. «Eh bien! donnez-en de même aux auteurs de vos dissentiments. Ordonnez à ceux qui se font vos instituteurs, et qui vous imposent leur croyance, d'en débattre devant vous les raisons. Puisqu'ils invoquent vos intérêts, connaissez comment ils les traitent. Et vous, chefs et docteurs des peuples, avant de les entraîner dans la lutte de vos systèmes, discutez-en contradictoirement les preuves. Établissons une controverse solennelle, une recherche publique de la vérité, non devant le tribunal d'un individu corruptible ou d'un parti passionné, mais en face de toutes les lumières et de tous les intérêts dont se compose l'humanité, et que le sens naturel de toute l'espèce soit notre arbitre et notre juge.»

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 haziran 2018
Hacim:
401 s. 3 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain