Kitabı oku: «Les Ruines, ou méditation sur les révolutions des empires», sayfa 9
CHAPITRE XX.
La recherche de la vérité
Et les peuples ayant applaudi, le législateur dit: «Afin de procéder avec ordre et sans confusion, laissez dans l'arène, en avant de l'autel de l'union et de la paix, un spacieux demi-cercle libre; et que chaque système de religion, chaque secte élevant un étendard propre et distinctif, vienne le planter aux bords de la circonférence; que ses chefs et ses docteurs se placent autour, et que leurs sectateurs se placent à la suite sur une même ligne.»
Et le demi-cercle ayant été tracé et l'ordre publié, à l'instant il s'éleva une multitude innombrable d'étendards de toutes couleurs et de toutes formes; tel qu'en un port fréquenté de cent nations commerçantes, l'on voit aux jours de fêtes des milliers de pavillons et de flammes flotter sur une forêt de mâts. Et à l'aspect de cette diversité prodigieuse, me tournant vers le Génie: Je croyais, lui dis-je, que la terre n'était divisée qu'en huit ou dix systèmes de croyance, et je désespérais de toute conciliation: maintenant que je vois des milliers de partis différents, comment espérer la concorde?… Et cependant, me dit-il, ils n'y sont pas encore tous: et ils veulent être intolérants!…
Et à mesure que les groupes vinrent se placer, me faisant remarquer les symboles et les attributs de chacun, il commença de m'expliquer leurs caractères en ces mots:
«Ce premier groupe, me dit-il, formé d'étendards verts, qui portent un croissant, un bandeau et un sabre, est celui des sectateurs du prophète arabe. Dire qu'il y a un Dieu (sans savoir ce qu'il est), croire aux paroles d'un homme (sans entendre sa langue), aller dans un désert prier Dieu (qui est partout), laver ses mains d'eau (et ne pas s'abstenir de sang), jeûner le jour (et manger de nuit), donner l'aumône de son bien (et ravir celui d'autrui): tels sont les moyens de perfection institués par Mahomet, tels sont les cris de ralliement de ses fidèles croyants. Quiconque n'y répond pas est un réprouvé, frappé d'anathème et dévoué au glaive. Un Dieu clément, auteur de la vie, a donné ces lois d'oppression et de meurtre: il les a faites pour tout l'univers, quoiqu'il ne les ait révélées qu'à un homme: il les a établies de toute éternité, quoiqu'il ne les ait publiées que d'hier: elles suffisent à tous les besoins, et cependant il y a joint un volume: ce volume devait répandre la lumière, montrer l'évidence, amener la perfection, le bonheur; et cependant, du vivant même de l'apôtre, ses pages offrant à chaque phrase des sens obscurs, ambigus, contraires, il a fallu l'expliquer, le commenter; et ses interprètes, divisés d'opinions, se sont partagés en sectes opposées et ennemies. L'une soutient qu'Ali est le vrai successeur; l'autre défend Omar et Aboubekre: celle-ci nie l'éternité du Qôran, celle-là la nécessité des ablutions, des prières: le Carmate proscrit le pèlerinage et permet le vin; le Hakemite prêche la transmigration des ames: ainsi jusqu'au nombre de soixante-douze partis, dont tu peux compter les enseignes. Dans cette opposition, chacun s'attribuant exclusivement l'évidence, et taxant les autres d'hérésie, de rébellion, a tourné contre tous son apostolat sanguinaire. Et cette religion qui célèbre un Dieu clément et miséricordieux, auteur et père commun de tous les hommes, devenue un flambeau de discorde, un motif de meurtre et de guerre, n'a cessé depuis douze cents ans d'inonder la terre de sang, et de répandre le ravage et le désordre d'un bout à l'autre de l'ancien hémisphère.
«Ces hommes remarquables par leurs énormes turbans blancs, par leurs amples manches, par leurs longs chapelets, sont les imams, les mollas, les muphtis, et près d'eux les derviches au bonnet pointu, et les santons aux cheveux épars. Les voilà qui font avec véhémence la profession de foi, et commencent de disputer sur les souillures graves ou légères, sur la matière et la forme des ablutions, sur les attributs de Dieu et ses perfections, sur le chaîtan et les anges méchants ou bons, sur la mort, la résurrection, l'interrogatoire dans le tombeau, le jugement, le passage du pont étroit comme un cheveu, la balance des œuvres, les peines de l'enfer et les délices du paradis.
«À côté, ce second groupe, encore plus nombreux, composé d'étendards à fond blanc, parsemés de croix, est celui des adorateurs de Jésus. Reconnaissant le même Dieu que les musulmans, fondant leur croyance sur les mêmes livres, admettant comme eux un premier homme qui perd tout le genre humain en mangeant une pomme, ils leur vouent cependant une sainte horreur, et par piété ils se traitent mutuellement de blasphémateurs et d'impies. Le grand point de leur dissension réside surtout en ce qu'après avoir admis un Dieu un et indivisible, les chrétiens le divisent ensuite en trois personnes, qu'ils veulent être chacune un Dieu entier et complet, sans cesser de former entre elles un tout identique. Et ils ajoutent que cet être, qui remplit l'univers, s'est réduit dans le corps d'un homme, et qu'il a pris des organes matériels, périssables, circonscrits, sans cesser d'être immatériel, éternel, infini. Les musulmans, qui ne comprennent pas ces mystères, quoiqu'ils conçoivent l'éternité du Qôran et la mission du Prophète, les taxent de folie, et les rejettent comme des visions de cerveaux malades; et de là des haines implacables.
«D'autre part, divisés entre eux sur plusieurs points de leur propre croyance, les chrétiens forment des partis non moins divers; et les querelles qui les agitent sont d'autant plus opiniâtres et plus violentes, que les objets sur lesquels elles se fondent étant inaccessibles aux sens, et par conséquent d'une démonstration impossible, les opinions de chacun n'ont de règle et de base que dans le caprice et la volonté. Ainsi, convenant que Dieu est un être incompréhensible, inconnu, ils disputent néanmoins sur son essence, sur sa manière d'agir, sur ses attributs: convenant que la transformation qu'ils lui supposent en homme, est une énigme au-dessus de l'entendement, ils disputent cependant sur la confusion ou la distinction des deux volontés et des deux natures, sur le changement de substance, sur la présence réelle ou feinte, sur le mode de l'incarnation, etc.
«Et de là des sectes innombrables, dont deux ou trois cents ont déja péri, et dont trois ou quatre cents autres, qui subsistent encore, t'offrent cette multitude de drapeaux où ta vue s'égare. Le premier en tête, qu'environne ce groupe d'un costume bizarre, ce mélange confus de robes violettes, rouges, blanches, noires, bigarrées, de têtes à tonsures, à cheveux courts ou rasés, à chapeaux rouges, à bonnets carrés, à mitres pointues, même à longues barbes, est l'étendard du pontife de Rome, qui, appliquant au sacerdoce la prééminence de sa ville dans l'ordre civil, a érigé sa suprématie en point de religion, et a fait un article de foi de son orgueil.
«À sa droite tu vois le pontife grec, qui, fier de la rivalité élevée par sa métropole, oppose d'égales prétentions, et les soutient contre l'Église d'Occident par l'antériorité de l'Église d'Orient. À gauche, sont les étendards de deux chefs récents23, qui, secouant un joug devenu tyrannique, ont, dans leur réforme, dressé autels contre autels, et soustrait au pape la moitié de l'Europe. Derrière eux sont les sectes subalternes qui subdivisent encore tous ces grands partis, les nestoriens, les eutychéens, les jacobites, les iconoclastes, les anabaptistes, les presbytériens, les viclefites, les osiandrins, les manichéens, les méthodistes, les adamites, les contemplatifs, les trembleurs, les pleureurs, et cent autres semblables; tous partis distincts, se persécutant quand ils sont forts, se tolérant quand ils sont faibles, se haïssant au nom d'un Dieu de paix, se faisant chacun un paradis exclusif dans une religion de charité universelle, se vouant réciproquement dans l'autre monde à des peines sans fin, et réalisant dans celui-ci l'enfer que leurs cerveaux placent dans celui-là.»
Après ce groupe, voyant un seul étendard de couleur hyacinthe, autour duquel étaient rassemblés des hommes de tous les costumes de l'Europe et de l'Asie: «Du moins, dis-je au Génie, trouverons-nous ici de l'humanité.—Oui, me répondit-il, au premier aspect, et par cas fortuit et momentané: ne reconnais-tu pas ce système de culte?» Alors apercevant le monogramme du nom de Dieu en lettres hébraïques, et les palmes que tenaient en main les rabbins: «Il est vrai, lui dis-je, ce sont les enfants de Moïse dispersés jusqu'à ce jour, et qui, abhorrant toute nation, ont été partout abhorrés et persécutés.—Oui, reprit-il, et c'est par cette raison que, n'ayant ni le temps ni la liberté de disputer, ils ont gardé l'apparence de l'unité; mais à peine, dans leur réunion, vont-ils confronter leurs principes et raisonner sur leurs opinions, qu'ils vont, comme jadis, se partager au moins en deux sectes principales24, dont l'une, s'autorisant du silence du législateur, et s'attachant au sens littéral de ses livres, niera tout ce qui n'y est point clairement exprimé, et, à ce titre, rejettera, comme invention des circoncis, la survivance de l'ame au corps, et sa transmigration dans des lieux de peines ou de délices, et sa résurrection, et le jugement final, et les bons et les mauvais anges, et la révolte du mauvais génie, et tout le système poétique d'un monde ultérieur: et ce peuple privilégié, dont la perfection consiste à se couper un petit morceau de chair, ce peuple atome, qui, dans l'océan des peuples, n'est qu'une petite vague, et qui veut que Dieu n'ait rien fait que pour lui seul, réduira encore de moitié, par son schisme, le poids déja si léger qu'il établit dans la balance de l'univers.»
Et me montrant un groupe voisin, composé d'hommes vêtus de robes blanches, portant un voile sur la bouche, et rangés autour d'un étendard de couleur aurore, sur lequel était peint un globe tranché en deux hémisphères, l'un noir et l'autre blanc: «Il en sera ainsi, continua-t-il, de ces enfans de Zoroastre, restes obscurs de peuples jadis si puissants: maintenant persécutés comme les juifs, et dispersés chez les autres peuples, ils reçoivent, sans discussion, les préceptes du représentant de leur prophète; mais sitôt que le môbed et les destours seront rassemblés, la controverse s'établira sur le bon et le mauvais principe; sur les combats d'Ormuzd, dieu de lumière, contre Ahrimanes, dieu de ténèbres; sur leur sens direct ou allégorique; sur les bons et mauvais génies; sur le culte du feu et des éléments; sur les ablutions et sur les souillures; sur la résurrection en corps ou seulement en ame, et sur le renouvellement du monde existant, et sur le monde nouveau qui lui doit succéder. Et les Parsis se diviseront en sectes d'autant plus nombreuses, que dans leur dispersion les familles auront contracté les mœurs, les opinions des nations étrangères.
«À côté d'eux, ces étendards à fond d'azur, où sont peintes des figures monstrueuses de corps humains doubles, triples, quadruples, à tête de lion, de sanglier, d'éléphant, à queue de poisson, de tortue, etc., sont les étendards des sectes indiennes, qui trouvent leurs dieux dans les animaux et les ames de leurs parents dans les reptiles et les insectes. Ces hommes fondent des hospices pour des éperviers, des serpents, des rats, et ils ont eu horreur leurs semblables! Ils se purifient avec la fiente et l'urine de vache, et ils se croient souillés du contact d'un homme! Ils portent un réseau sur la bouche, de peur d'avaler, dans une mouche, une ame en souffrance, et ils laissent mourir de faim un paria! Ils admettent les mêmes divinités, et ils se partagent en drapeaux ennemis et divers.
«Ce premier, isolé à l'écart, où tu vois une figure à quatre têtes, est celui de Brahma, qui, quoique dieu créateur, n'a plus ni sectateurs ni temples, et qui, réduit à servir de piédestal au Lingam, se contente d'un peu d'eau que chaque matin le brâmane lui jette par-dessus l'épaule, en lui récitant un cantique stérile.
«Ce second, où est peint milan au corps roux et à la tête blanche, est celui de Vichenou, qui, quoique dieu conservateur, a passé une partie de sa vie en aventures malfaisantes. Considère-le sous les formes hideuses de sanglier et de lion, déchirant des entrailles humaines, ou sous la figure d'un cheval, devant venir, le sabre à la main, détruire l'âge présent, obscurcir les astres, abattre les étoiles, ébranler la terre, et faire au grand serpent un feu qui consumera les globes.
«Ce troisième est celui de Chiven, dieu de destruction, de ravage, et qui a cependant pour emblème le signe de la production: il est le plus méchant des trois, et il compte le plus de sectateurs. Fiers de son caractère, ses partisans méprisent, dans leur dévotion25, les autres dieux, ses égaux et ses frères; et par une imitation de sa bizarrerie, professant la pudeur et la chasteté, ils couronnent publiquement de fleurs, et arrosent de lait et de miel l'image obscène du Lingam.
«Derrière eux viennent les moindres drapeaux d'une foule de dieux, mâles, femelles, hermaphrodites, qui, parents et amis des trois principaux, ont passé leur vie à se livrer des combats; et leurs adorateurs les imitent. Ces dieux n'ont besoin de rien, et sans cesse ils reçoivent des offrandes; ils sont tout-puissants, remplissent l'univers; et un brâmane, avec quelques paroles, les enferme dans une idole ou dans une cruche, pour vendre à son gré leurs faveurs.
«Au delà, cette multitude d'autres étendards que, sur un fond jaune qui leur est commun, tu vois porter des emblèmes différents, sont ceux d'un même dieu, lequel, sous des noms divers, règne chez les nations de l'Orient. Le Chinois l'adore dans Fôt, le Japonais le révère dans Budso, l'habitant de Ceylan dans Bedhou et Boudah, celui de Laos dans Chekia, le Pégouan dans Phta, le Siamois dans Sommona Kodom, le Tibetain dans Boudd et dans La: tous, d'accord sur le fond de son histoire, célèbrent sa vie pénitente, ses mortifications, ses jeûnes, ses fonctions de médiateur et d'expiateur, les haines d'un dieu son ennemi, leurs combats et son ascendant. Mais discords entre eux sur les moyens de lui plaire, ils disputent sur les rites et sur les pratiques, sur les dogmes de la doctrine intérieure et de la doctrine publique. Ici, ce bonze japonais, à la robe jaune, à la tête nue, prêche l'éternité des ames, leurs transmigrations successives dans divers corps; et près de lui le sintoïste, niant leur existence séparée des sens, soutient qu'elles ne sont qu'un effet des organes auxquels elles sont liées, et avec qui elles périssent, comme le son avec l'instrument. Là, le Siamois, aux sourcils rasés, l'écran talipat à la main, recommande l'aumône, les expiations, les offrandes; et cependant il croit au destin aveugle et à l'impassible fatalité. Le hochang chinois sacrifie aux ames des ancêtres, et près de lui le sectateur de Confutzée cherche son horoscope dans des fiches jetées au hasard, et dans le mouvement des cieux. Cet enfant, environné d'un essaim de prêtres à robes et à chapeaux jaunes, est le grand Lama, en qui vient de passer le dieu que le Tibet adore. Un rival s'est élevé pour partager ce bienfait avec lui; et sur les bords du lac Baikal, le Calmouque a aussi son dieu comme l'habitant de La-sa; mais d'accord en ce point important, que Dieu ne peut habiter qu'un corps d'homme, tous deux rient de la grossièreté de l'Indien, qui honore la fiente de la vache, tandis qu'eux consacrent les excréments de leur pontife.
Après ces drapeaux, une foule d'autres que l'œil ne pouvait dénombrer, s'offrant encore à nos regards: «Je ne terminerais point, dit le Génie, si je te détaillais tous les systèmes divers de croyance qui partagent encore les nations. Ici les hordes tartares adorent, dans des figures d'animaux, d'oiseaux et d'insectes, les bons et les mauvais génies, qui, sous un dieu principal, mais insouciant, régissent l'univers; dans leur idolâtrie, elles retracent le paganisme de l'ancien Occident. Tu vois l'habillement bizarre de leurs chamans, qui, sous une robe de cuir garnie de clochettes, de grelots, d'idoles de fer, de griffes d'oiseaux, de peaux de serpents, de têtes de chouettes, s'agitent en convulsions factices, et, par des cris magiques, évoquent les morts pour tromper les vivans. Là, les peuples noirs de l'Afrique, dans le culte de leurs fétiches, offrent les mêmes opinions. Voici l'habitant de Juida, qui adore Dieu dans un grand serpent, dont par malheur les porcs sont avides.... Voilà le Teleute, qui se le représente, vêtu de toutes couleurs, ressemblant à un soldat russe; voilà le Kamtschadale qui, trouvant que tout va mal dans ce monde et dans son climat, se le figure un vieillard capricieux et chagrin, fumant sa pipe, et chassant en traîneau les renards et les martres; enfin, voilà cent nations sauvages qui, n'ayant aucune des idées des peuples policés sur Dieu, ni sur l'ame, ni sur un monde ultérieur et une autre vie, ne forment aucun système de culte, et n'enjouissent pas moins des dons de la nature dans l'irréligion où elle-même les a créées.
CHAPITRE XXI.
Problème des contradictions religieuses
Cependant les divers groupes s'étant placés, et un vaste silence ayant succédé à la rumeur de la multitude, le législateur dit: «Chefs et docteurs des peuples, vous voyez comment jusqu'ici les nations, vivant isolées, ont suivi des routes différentes: chacune croit suivre celle de la vérité; et cependant si la vérité n'en a qu'une, et que les opinions soient opposées, il est bien évident que quelqu'un se trouve en erreur. Or, si tant d'hommes se trompent, qui osera garantir que lui-même n'est pas abusé? Commencez donc par être indulgents sur vos dissentiments et sur vos discordances. Cherchons tous la vérité comme si nul ne la possédait. Jusqu'à ce jour les opinions qui ont gouverné la terre, produites au hasard, accréditées par l'amour de la nouveauté et par l'imitation, propagées par l'enthousiasme et l'ignorance populaires, ont en quelque sorte usurpé clandestinement leur empire. Il est temps, si elles sont fondées, de donner à leur certitude un caractère de solennité, et de légitimer leur existence. Rappelons les donc aujourd'hui à un examen général et commun; que chacun expose sa croyance, et que tous devenant le juge de chacun, cela seul soit reconnu vrai, qui l'est pour le genre humain.»
Alors la parole ayant été déférée par ordre de position au premier étendard de la gauche: Il n'est pas permis de douter, dirent les chefs, que notre doctrine ne soit la seule véritable, la seule infaillible. D'abord elle est révélée de Dieu même....
Et la nôtre aussi, s'écrièrent tous les autres étendards; il n'est pas permis d'en douter.
Mais du moins faut-il l'exposer, dit le législateur; car l'on ne peut croire ce que l'on ne connaît pas.
Notre doctrine est prouvée, reprit le premier étendard, par des faits nombreux, par une multitude de miracles, par des résurrections de morts, des torrents mis à sec, des montagnes transportées, etc.
Et nous aussi, s'écrièrent tous les autres, nous avons une foule de miracles; et ils commencèrent chacun à raconter les choses les plus incroyables.
Leurs miracles, dit le premier étendard, sont des prodiges supposés ou des prestiges de l'esprit malin, qui les a trompés.
Ce sont les vôtres, répliquèrent-ils, qui sont supposés; et chacun parlant de soi, dit: Il n'y a que les nôtres de véritables; tous les autres sont des faussetés.
Et le législateur dit: Avez-vous des témoins vivants?
Non, répondirent-ils tous: les faits sont anciens, les témoins sont morts, mais ils ont écrit.
Soit, reprit le législateur; mais s'ils sont en contradiction, qui les conciliera?
Juste arbitre! s'écria un des étendards, la preuve que nos témoins ont vu la vérité, c'est qu'ils sont morts pour la témoigner, et notre croyance est scellée du sang des martyrs.
Et la nôtre aussi, dirent les autres étendards: nous avons des milliers de martyrs qui sont morts dans des tourments affreux, sans jamais se démentir. Et alors les chrétiens de toutes les sectes, les musulmans, les Indiens, les Japonais, citèrent des légendes sans fin de confesseurs, de martyrs, de pénitents, etc.
Et l'un de ces partis ayant nié les martyrs des autres: Eh bien! dirent-ils, nous allons mourir pour prouver que notre croyance est vraie.
Et dans l'instant une foule d'hommes de toute religion, de toute secte, se présentèrent pour souffrir des tourments et la mort. Plusieurs même commencèrent de se déchirer les bras, de se frapper la tête et la poitrine, sans témoigner de douleur.
Mais le législateur les arrêtant: Ô hommes! leur dit-il, écoutez de sang-froid mes paroles: si vous mouriez pour prouver que deux et deux font quatre, cela les ferait-il davantage être quatre?
Non, répondirent-ils tous.
Et si vous mourriez pour prouver qu'ils font cinq, cela les ferait-il être cinq?
Non, dirent-ils tous encore.
Eh bien! que prouve donc votre persuasion, si elle ne change rien à l'existence des choses? La vérité est une, vos opinions sont diverses; donc plusieurs de vous se trompent. Si, comme il est évident, ils sont persuadés de l'erreur, que prouve la persuasion de l'homme?
Si l'erreur a ses martyrs, où est le cachet de la vérité?
Si l'esprit malin opère des miracles, où est le caractère distinctif de la Divinité?
Et d'ailleurs, pourquoi toujours des miracles incomplets et insuffisants? Pourquoi, au lieu de ces bouleversements de la nature, ne pas changer plutôt les opinions? Pourquoi tuer les hommes ou les effrayer, au lieu de les instruire et de les corriger?
Ô mortels crédules, et pourtant opiniâtres! nul de nous n'est certain de ce qui s'est passé hier, de ce qui se passe aujourd'hui sous ses yeux, et nous jurons de ce qui s'est passé il y a deux mille ans.
Hommes faibles et pourtant orgueilleux! les lois de la nature sont immuables et profondes, nos esprits sont pleins d'illusion et de légèreté; et nous voulons tout démontrer, tout comprendre! En vérité, il est plus facile à tout le genre humain de se tromper que de dénaturer un atome.
Eh bien! dit un docteur, laissons là les preuves de fait, puisqu'elles peuvent être équivoques; venons aux preuves du raisonnement, à celles qui sont inhérentes à la doctrine.
Alors un imam de la loi de Mahomet s'avançant plein de confiance dans l'arène, après s'être tourné vers la Mekke et avoir proféré avec emphase la profession de foi: «Louange à Dieu! dit-il d'une voix grave et imposante! La lumière brille avec évidence, et la vérité n'a pas besoin d'examen:» et montrant le Qôran: Voilà la lumière et la vérité dans leur propre essence. Il n'y a point de doute en ce livre; il conduit droit celui qui marche aveuglément, qui reçoit sans discussion la parole divine descendue sur le Prophète pour sauver le simple et confondre le savant. Dieu a établi Mahomet son ministre sur la terre; il lui a livré le monde pour soumettre par le sabre celui qui refuse de croire à sa loi: les infidèles disputent et ne veulent pas croire; leur endurcissement vient de Dieu; il a scellé leur cœur pour les livrer à d'affreux châtiments......26»
À ces mots un violent murmure, élevé de toutes parts, interrompit l'orateur. «Quel est cet homme, s'écrièrent tous les groupes, qui nous outrage aussi gratuitement? De quel droit prétend-il nous imposer sa croyance comme un vainqueur et comme un tyran? Dieu ne nous a-t-il pas donné, comme à lui, des yeux, un esprit, une intelligence? et n'avons-nous pas droit d'en user également, pour savoir ce que nous devons rejeter ou croire? S'il a le droit de nous attaquer, n'avons-nous pas celui de nous défendre? S'il lui a plu de croire sans examen, ne sommes-nous pas maîtres de croire avec discernement?
«Et quelle est cette doctrine lumineuse qui craint la lumière? Quel est cet apôtre d'un Dieu clément, qui ne prêche que meurtre et carnage? Quel est ce Dieu de justice, qui punit un aveuglement que lui-même cause? Si la violence et la persécution sont les arguments de la vérité, la douceur et la charité seront-elles les indices du mensonge?»
Alors un homme s'avançant d'un groupe voisin vers l'imam, lui dit: «Admettons que Mahomet soit l'apôtre de la meilleure doctrine, le prophète de la vraie religion; veuillez du moins nous dire qui nous devons suivre pour la pratiquer: sera-ce son gendre Ali, ou ses vicaires Omar et Aboubekre27?
À peine eut-il prononcé ces noms, qu'au sein même des musulmans éclata un schisme terrible: les partisans d'Omar et d'Ali, se traitant mutuellement d'hérétiques, d'impies, de sacriléges, s'accablèrent de malédictions. La querelle même devint si violente qu'il fallut que les groupes voisins s'interposassent pour les empêcher d'en venir aux mains.
Enfin, le calme s'étant un peu rétabli, le législateur dit au imams: «Voyez quelles conséquences résultent de vos principes! Si les hommes les mettaient en pratique, vous-mêmes, d'opposition en opposition, vous vous détruiriez jusques au dernier; et la première loi de Dieu n'est-elle pas que l'homme vive?» Puis s'adressant aux autres groupes: «Sans doute cet esprit d'intolérance et d'exclusion choque toute idée de justice, renverse toute base de morale et de société; cependant, avant de rejeter entièrement ce code de doctrine, ne conviendrait-il pas d'entendre quelques-uns de ses dogmes, afin de ne pas prononcer sur les formes, sans avoir pris connaissance du fond?»
Et les groupes y ayant consenti, l'iman commença d'exposer comment Dieu, après avoir envoyé vingt-quatre mille-prophètes aux nations qui s'égaraient dans l'idolâtrie, en avait enfin envoyé un dernier, le sceau et la perfection de tous, Mahomet, sur qui soit le salut de paix; comment, afin que les infidèles n'altérassent plus la parole divine, la suprême clémence avait elle-même tracé les feuillets du Qôran: et détaillant les dogmes de l'islamisme, l'imam expliqua comment, à titre de parole de Dieu, le Qôran était incréé, éternel, ainsi que la source dont il émanait; comment il avait été envoyé feuillet par feuillet en vingt-quatre mille apparitions nocturnes de l'ange Gabriel; comment l'ange s'annonçait par un petit cliquetis, qui saisissait le Prophète d'une sueur froide; comment, dans la vision d'une nuit, il avait parcouru quatre-vingt-dix cieux, monté sur l'animal Boraq, moitié cheval, moitié femme; comment, doué du don des miracles, il marchait au soleil sans ombre, faisait reverdir d'un seul mot les arbres, remplissait d'eau les puits, les citernes, et avait fendu en deux le disque de la lune; comment, chargé des ordres du ciel, Mahomet avait propagé, le sabre à la main, la religion la plus digne de Dieu par sa sublimité, et la plus propre aux hommes par la simplicité de ses pratiques, puisqu'elle ne consistait qu'en huit ou dix points: professer l'unité de Dieu; reconnaître Mahomet pour son seul prophète; prier cinq fois par jour; jeuner un mois par an; aller à la Mekke une fois dans sa vie; donner la dîme de ses biens; ne point boire de vin, ne point manger de porc, et faire la guerre aux infidèles; qu'à ce moyen, tout musulman devenant lui-même apôtre et martyr, jouissait, dès ce monde, d'une foule de biens; et qu'à sa mort, son ame, pesée dans la balance des œuvres, et absoute par les deux anges noirs, traversait par-dessus l'enfer, le pont étroit comme un cheveu et tranchant comme un sabre; et qu'enfin elle était reçue dans un lieu de délices, arrosé de fleuves de lait et de miel, embaumé de tous les parfums indiens et arabes, où des vierges toujours chastes, les célestes houris, comblaient de faveurs toujours renaissantes les élus toujours rajeunis.
À ces mots, un rire involontaire se traça sur tous les visages; et les divers groupes raisonnant sur ces articles de croyance, dirent unanimement: Comment se peut-il que des hommes raisonnables admettent de telles rêveries? Ne dirait-on pas entendre un chapitre des Mille et une nuits?
Et un Samoyède s'avançant dans l'arène: Le paradis de Mahomet, dit-il, me paraît fort bon; mais un des moyens de le gagner m'embarrasse; car s'il ne faut ni boire ni manger entre deux soleils, ainsi qu'il l'ordonne, comment pratiquer un tel jeûne dans notre pays, où le soleil reste sur l'horizon quatre mois entiers sans se coucher?
Cela est impossible, dirent les docteurs musulmans pour soutenir l'honneur du Prophète; mais cent peuples ayant attesté le fait, l'infaillibilité de Mahomet ne laissa pas que de recevoir une fâcheuse atteinte.
Il est singulier, dit un Européen, que Dieu ait sans cesse révélé, tout ce qui se passait dans le ciel, sans jamais nous instruire de ce qui se passe sur la terre!
Pour moi, dit un Américain, je trouve une grande difficulté au pèlerinage; car supposons vingt-cinq ans par génération, et seulement cent millions de mâles sur le globe: chacun étant obligé d'aller à la Mekke une fois dans sa vie, ce sera par an quatre millions d'hommes en route; on ne pourra pas revenir dans la même année; et le nombre devient double, c'est-à-dire de huit millions: où trouver les vivres, la place, l'eau; les vaisseaux pour cette procession universelle? Il faudrait bien là des miracles.
La preuve, dit un théologien catholique, que la religion de Mahomet n'est pas révélée, c'est que la plupart des idées qui en font la base existaient long-temps avant elle, et qu'elle n'est qu'un mélange confus de vérités altérées de notre sainte religion et de celle des juifs, qu'une homme ambitieux a fait servir à ses projets de domination et à ses vues mondaines. Parcourez son livre; vous n'y verrez que des histoires de la Bible et de l'Évangile, travesties en contes absurdes, et du reste un tissu de déclamations contradictoires et vagues, de préceptes ridicules ou dangereux. Analysez l'esprit de ces préceptes et la conduite de l'apôtre; vous n'y verrez qu'un caractère rusé et audacieux, qui, pour arriver à son but, remue assez habilement, il est vrai, les passions du peuple qu'il veut gouverner. Il parle à des hommes simples et crédules, il leur suppose des prodiges; ils sont ignorants et jaloux, il flatte leur vanité en méprisant la science; ils sont pauvres et avides, il excite leur cupidité par l'espoir du pillage; il n'a rien à donner d'abord sur la terre, il se crée des trésors dans les cieux; il fait désirer la mort comme un bien suprême; il menace les lâches de l'enfer; il promet le paradis aux braves; il affermit les faibles par l'opinion de la fatalité; en un mot, il produit le dévouement dont il a besoin par tous les attraits des sens, par les mobiles de toutes les passions.