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Kitabı oku: «Charlotte de Bourbon, princesse d'Orange», sayfa 11

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Une nouvelle crise devait inévitablement surgir du traité d'Arras et du point d'appui qu'il prêtait au développement du système d'oppression adopté par l'Espagne, à l'égard des Pays-Bas. Don Juan venait de mourir; Alexandre Farnèse, habile capitaine, sans doute, mais en même temps homme sans foi, alliant la perfidie à la cruauté, lui succédait dans le commandement de l'armée espagnole; et ce nouveau chef allait reprendre avec vigueur les hostilités.

Tandis que Guillaume de Nassau se préparait à de nouvelles luttes, quelles étaient, au foyer domestique, les préoccupations filiales de sa compagne? Elle-même va nous les faire connaître.

CHAPITRE VII

Maladie du duc de Montpensier. – Charlotte de Bourbon lui écrit. Touchant appel au cœur paternel. – Mission de Chassincourt auprès du roi de Navarre dans l'intérêt de Charlotte. – Mémoire dont Chassincourt est porteur. – Lettre de Charlotte à son frère. – Farnèse attaque Anvers. Repoussé de cette place, il va assiéger Maëstricht. – Héroïque défense de Maëstricht. – Prise de cette ville. Cruauté de Farnèse et de ses troupes. – Antagonisme des provinces wallonnes contre les autres provinces. – Efforts de Guillaume et de Charlotte pour éviter le démembrement de la patrie commune. – Preuve de leur généreuse abnégation. – Guillaume soutient la cause de l'indépendance nationale et celle de la liberté religieuse. – Charlotte de Bourbon saisit avec bonheur le premier indice d'un changement survenu dans les sentiments du duc de Montpensier à son égard. – Lettres d'elle à François de Bourbon. – Son amitié pour Mme de Mornay. – Naissance de Flandrine de Nassau. – Lettre de la princesse aux magistrats d'Ypres. – Écrit du chanoine Allard au sujet de Flandrine de Nassau. Ce qu'il dit de son baptême et de son séjour auprès de l'abbesse du Paraclet, cousine et amie de la princesse d'Orange. – Nouveaux troubles à Gand. – Intervention de Ph. de Mornay et de Guillaume. – Répression de ces troubles. – Relations de Guillaume avec la cour de France en 1580. – Lettres de Charlotte de Bourbon à Catherine de Médicis et au roi de France. – Confiance de Guillaume dans la haute vigilance et la sagacité de sa femme, eu égard au maniement de diverses affaires d'État – Éloge par le comte Jean de la princesse, sa belle-sœur. – Lettres de la princesse à Hubert Languet et à la comtesse Julienne de Nassau. – Captivité de Lanoue. – Mort de la comtesse Julienne de Nassau. Son éloge. Lettres d'elle. – Lettre de Charlotte au comte Jean. – Naissance de Brabantine de Nassau.

Bourbon la complication des affaires publiques, arriva de France une nouvelle qui l'émut profondément. Son père avait été sérieusement malade, sans vouloir, dans le premier moment, que sa fille fût informée de la gravité de son état. Elle ne l'avait apprise que par une communication, qui lui annonçait, en même temps, la guérison. Quelque pénible que fût pour la princesse l'injuste rigueur du duc de Montpensier, persévérant à laisser sans réponse les lettres qu'elle lui avait écrites, elle n'en fut pas moins empressée à lui prouver, une fois de plus, sa déférence et sa sollicitude, en lui adressant les lignes suivantes, qui contenaient un touchant appel au cœur paternel199:

«Monseigneur, ce m'a esté beaucoup d'heur de sçavoir aussy tost vostre guérison, comme j'ai faict vostre grande maladie, dont encores je ne lesse d'estre en paine; et ne fauldroys de faire plus souvent mon debvoir de vous escrire, sans la crainte que j'ay de vous ennuier par mes lettres, qui m'a empeschée beaucoup de foys de suivre ma bonne affection; mais, d'aultre part, la peur que j'ay que ce respect me pourroit estre imputé à quelque oubliance, m'a faict derechef prendre la hardiesse de me ramentevoir en l'honneur de vostre bonne grâce et de vous supplier très humblement de croire que c'est la chose du monde que je desire le plus d'avoir quelque tesmoignage, que je suys si heureuse d'y avoir bonne part. L'extrême desir que j'en ay me faict entreprendre de m'adresser au roy de Navarre, affin que par son moïen et faveur je puisse avoir quelque accès vers vous, monseigneur, pour vous rendre tant mieulx esclarcy de beaucoup de choses qui me concernent, que, possible, vous n'avez point encores entendues; espérant que, lorsque vous en sçaurés la vérité, vous me ferés tant d'honneur et de grâce, d'oublier non seulement ce qui s'est passé, mais de n'avoir plus aucun mécontentement de moy, qui ay, ce me semble, monseigneur, par ungne si longue privation de vostre faveur et de tous offices paternels, assés ressenty d'affliction, pour me veoir à présent honorée de vostre amitié et recognue de vous pour très humble fille et servante. Monsieur le prince d'Orange vous escript aussy, à ce mesme effaict, auquel sy vous plaisoit déclarer la bonne affection qu'il vous plaist me porter, je le tiendrois à ung très grand heur, et vous en supplie encores très humblement, et de m'avoir tousjours, moy et mes petits enfans, pour recommandés, comme estant nostre plus grand support. Je prye à Dieu qu'il nous puisse durer longuement, et vous donner, monseigneur, en très bonne santé, très heureuse et longue vie.

»D'Anvers, ce 21 février 1579.
»Votre très humble et très obéissante fille,
»Charlotte de Bourbon.»

La princesse écrivit, en même temps, à son frère200:

«… J'ay prié M. de Chassincourt de vous discourir sur le faict de quelques mémoires que je luy ay donnés, pour supplier le roy de Navarre de me faire cette faveur, de moienner vers monseigneur nostre père, qu'il luy plaise me recognoistre pour ce que j'ay cest honneur de luy estre. De vous, monsieur, je vous supplie très humblement de vous y vouloir emploïer, selon l'attente et fiance que j'ay, toute ma vie, eue en vous, afin qu'à ceste fois mondit seigneur puisse prendre quelque résolution à mon contentement, lequel me sera double, sy je voy que par vostre moïen il me soit avenu; ce quy obligera monsieur le prince vostre frère, et moy, de plus en plus à vous rendre, en tout ce qui nous sera possible, très humble service.»

Guillaume de Nassau, ainsi que nous l'apprend sa femme201, avait appuyé, auprès du duc de Montpensier, les respectueuses instances de celle-ci dans une lettre dont nous ignorons la teneur. Nous connaissons du moins la lettre qu'en cette circonstance il adressa au prince dauphin; la voici202: Monsieur, j'ay esté adverti par plusieurs gens de bien de la bonne affection qu'il vous plaist de me porter, et à ma femme; de quoy elle et moy avons toute occasion de vous en remercier humblement. Et comme présentement nous prions le roy de Navarre nous vouloir estre tant favorable et à mes enfans, de prier, en nostre nom, M. de Montpensier, afin qu'il luy plaise donner quelque recognoissance de la bonne amitié et affection naturelle que je m'asseure qu'il porte aux siens; veu, monsieur, que je sçay que cela, en partie, dépend de vous, pour y avoir interest, et, d'autre part, le moïen que vous avez pour persuader à mondit sieur ce que vous trouverez estre de raison; pour tant je n'ay voulu obmettre de vous prier humblement vouloir en cela aider ceulx que vous cognoissez avoir cest honneur que de vous tenir de si près; en quoy, oultre l'obligation naturelle que nous vous avons, vous m'obligerez aussi en particulier pour vous faire humble service, partout où il vous plaira de me commander.»

Le sieur de Chassincourt, de qui il vient d'être parlé, était membre du conseil du roi de Navarre, dont il possédait, à un haut degré, la confiance. En intermédiaire dévoué, il justifia pleinement celle que le prince et la princesse d'Orange avaient placée en lui.

Le mémoire qu'il était chargé de remettre au roi de Navarre203 se composait de deux parties, dont nous avons déjà fait connaître la première204, contenant le récit de ce qui s'était passé à l'abbaye de Jouarre, en 1559, et déduisant les raisons desquelles ressortait l'irrégularité de l'investiture de Charlotte de Bourbon, comme abbesse.

La seconde partie de ce mémoire portait:

«Ladite dame (Charlotte de Bourbon) alègue ces raisons, sçachant bien que monsieur son père défère beaucoup aux cérémonies susdites, qu'il pourroit penser avoir esté observées en son endroict et pour tant s'en rendre plus difficile. Mais elles sont toutes vérifiées par l'information mesmes qui en fut faicte en l'abbaye de Jouarre, à la poursuite et instance de mondit seigneur de Montpensier, dont elle a l'original pardevers elle, en laquelle toutes les religieuses, d'une voix, tesmoignèrent, en termes exprès et plus amplement, tout ce qui dessus est dit.

»Les raisons susdites estant bien remonstrées à mondit seigneur de Montpensier, ladite dame supplie le roy de Navarre de le requérir, pour conclusion, de la vouloir recognoistre pour sa très humble et très obéissante fille, et, comme telle, luy faire part de ses biens, mesmes en considération des enfans dont il a pleu à Dieu bénir son mariage, et de ce luy donner si certaine asseurance, qu'à l'avenir il n'en puisse naistre aucune difficulté.

»C'est la première voye que ladite dame veut tenter comme la plus favorable, et qui ne peut estre trouvée mauvaise de personne, se confiant tant en la justice de sa cause, en la bonté de mondit seigneur, son père, et en l'intercession du roy de Navarre, qu'elle espère en avoir une bonne issue.

»Toutefois, parce que les passions d'aucunes personnes qui luy sont contraires pourraient rendre mondit seigneur, son père, moins facile envers elle, en ce cas, et ceste première voye ne réussît-elle pas, elle est conseillée d'en essayer une seconde, sy ledit sieur roy de Navarre la trouve à propos, qui est, qu'en cas que mondit sieur de Montpensier feust persuadé de ne rien faire, que, premier, il ne fust esclarcy de sa cause par un arrest, ladite dame s'en tient s'y asseurée, qu'elle n'a, en ce point, à craindre que manifeste injustice, quand mesme le pape en seroit juge, pourveu qu'il donnast sa sentence selon ses propres canons.

»Mais, parce que la passion et l'animosité des juges ecclésiastiques, en tels faits et contre telles personnes est trop suspecte, elle requiert que la chose soit jugée par tels personnages non ecclésiastiques, que ledit seigneur roy et mondit seigneur de Montpensier, son père, en voudront nommer pour juges ou arbitres, sous le bon plaisir et authorité du roy; en quoy elle ne doubte point de bonne issue, pourveu que mondit seigneur, son père, ne se déclare point partie contre elle, ains les en laisse faire, comme elle espère qu'il fera, par l'intercession dudit seigneur roy de Navarre.

»C'est une proposition si équitable et si juste, qu'on ne la peut refuser; car, si on réplique, qu'estant une cause de religion, elle est à renvoyer à la court d'église, nous avons l'édict de pacification, au contraire, qui la renvoye aux chambres de concorde, et en oste la cognoissance aux cours d'église, auquel mondit seigneur de Montpensier a advisé des premiers.»

Deux mois s'étaient écoulés depuis le départ du sieur de Chassincourt, sans qu'aucun détail relatif à la mission dont il s'était chargé fût encore parvenu à Charlotte de Bourbon, lorsqu'elle crut devoir inviter le prince dauphin, qui depuis longtemps la laissait privée de ses nouvelles, à rompre, vis-à-vis d'elle, un silence dont elle s'inquiétait.

«Monsieur, lui écrivit-elle, en mai 1579205, vous avez, comme je croy, à ceste heure, reçu les lettres que je vous ay escriptes par M. de Chassincourt, où vous aurez entendu combien ce temps m'est ennuyeulx, quand je n'ay point cest heur de savoir de vos nouvelles. Celles que j'ay aprinses de monsieur nostre père, depuis huict jours, m'ont mise en grant peine, pour avoir entendu comme il est recheust par deux foys depuis sa première maladie; et comme je pensois dépescher en diligence pour l'envoïer visiter, madame de Bouillon, nostre sœur, m'a escript qu'il estoit hors de danger, grâces à Dieu; quy m'a faict un peu retarder, pour envoïer, par mesme moïen, voir monsieur mon nepveu, et luy présenter, de ma part, ung cheval venu de Dannemarck, lequel je luy ay dédié aussitost que je l'ay veu, car il semble estre aussi rare de force qu'il est petit, pour l'âge de mondit sieur mon nepveu. Il luy sera, comme je l'espère, encore propre à son service. Je vouldrois, monsieur, vous en pouvoir rendre à tous deux, en chose meilleure, pour vous tesmoigner combien est grande mon affection en cet endroit, où je vous supplieray très humblement me continuer vos bons offices vers monsieur nostre père, et me mander en quelle voulonté il est à présent pour mon regard, d'aultant que l'on m'en a escript diversement. Quand il vous plaira me faire cest honneur de m'avertir de ce qui en est, je le tiendray bien plus certain. Ce porteur, l'un de mes gens, est fidèle et seur, pour oultre ce que vous m'escripvrez, me faire rapport de ce que luy commanderés de me dire. Je luy ay donné charge de vous faire entendre bien au long l'estat de nos affaires, tant générales que particulières, et à quoy l'on est du traicté de paix, etc.

»Monsieur, je vous supplie très humblement de m'envoïer vostre pourtraict, et aussy de monsieur mon nepveu, sur peine de vous envoïer celuy de ma fille aisnée, m'asseurant quy ne vous sera point désagréable.»

Guillaume de Nassau, toujours plein d'égards pour la famille de la princesse, s'adressa en même temps que celle-ci, à François de Bourbon206. «Monsieur, lui disait-il, je n'ai point voulu faillir de vous escrire par ce porteur que ma femme envoie exprès devers monsieur vostre père, pour nous rapporter des nouvelles de sa santé, delaquelle nous avons esté en bien grand'peine, pour avoir entendu comme il estoit recheu par deux fois depuis sa première maladie; mais, à ceste heure, on nous a asseuré, grâces à Dieu, qu'il estoit hors de danger. Toutesfois, pour en estre plus certain, je n'ay trouvé que bon d'effectuer ce voyage, afin que, par mesme moïen, nous puissions sçavoir vostre bonne disposition et me ramentevoir en l'honneur de vostre bonne grâce… j'ay donné charge audict porteur de vous faire entendre l'estat auquel il plaist à Dieu tenir les affaires de ce païs, etc.»

Or, quel était cet état? et qu'était le traité de paix que mentionnait la princesse, à la fin de sa lettre? Il ne peut être répondu ici, qu'en quelques mots, à ces deux questions.

Les opérations militaires vivement engagées par l'ennemi depuis environ deux mois, avaient imprimé aux événements politiques une marche rapide.

Farnèse, en se jetant tout à coup, le 2 mars, sur Anvers n'avait nullement l'espoir de s'emparer de cette grande cité, dans laquelle résidait alors, avec sa famille, un chef trop vigilant pour se laisser surprendre. L'attaque, qui n'était qu'une feinte, fut repoussée par le prince d'Orange, après un rude combat. Le but réel des opérations de Farnèse était la conquête et la ruine de Maëstricht: il se reporta donc vers cette place, et en entreprit le siège, sans se douter de l'énergique et admirable résistance qu'allait opposer à sa colossale armée une poignée de combattants, ayant pour émules, dans la défense commune, leurs femmes et leurs enfants; tant il est vrai que jamais le patriotisme n'apparaît plus grand, en affrontant une lutte formidable, qu'alors que les saintes affections de famille l'inspirent et le vivifient!!

Guillaume de Nassau fit les plus grands efforts pour déterminer les états généraux à secourir Maëstricht, mais il ne put, sur ce point capital, triompher d'une inertie qu'entretenait, à tort, leur trop grande confiance dans des négociations alors engagées avec les Espagnols pour arriver à une paix dont la conclusion était singulièrement problématique. Aussi, la malheureuse ville, abandonnée à elle-même, finit-elle par succomber, victime des atrocités commises, à l'instigation de Farnèse, par des soldats, indignes de ce nom, qu'il avait déchaînés, ainsi qu'autant de bêtes fauves, contre une héroïque population livrée, comme proie, à l'assouvissement de leur rage.

Si, relativement à Maëstricht, les états généraux étaient demeurés au-dessous de leur tâche, ils surent du moins la remplir vis-à-vis des provinces wallonnes, en suivant, cette fois, les directions du prince d'Orange.

Dans le débat soulevé par ces provinces, la question prépondérante était celle de la religion et de l'exercice du culte.

Le prince et les états généraux insistaient sur le maintien, dans les dix-sept provinces, indistinctement, de la pacification de Gand, base de l'unité nationale, et d'une tolérance préludant à la consécration de la liberté religieuse. Les provinces wallonnes répudiaient la pacification de Gand et voulaient se séparer de la nation, dans l'espoir d'assurer parmi elles la domination exclusive de la religion catholique.

Dans leur ardeur insensée à briser pour toujours l'unité nationale, et dans l'aveuglement de leur coupable intolérance religieuse, ces provinces se mirent servilement à la merci de Farnèse, en lui envoyant, sous les murs de Maëstricht, une députation; puis, bientôt fut signé, entre leurs représentants et ceux du roi d'Espagne, un accord préliminaire, officiellement ratifié plus tard, qui scindait irrévocablement les Pays-Bas en deux parties.

En cette solennelle conjoncture, Guillaume de Nassau et Charlotte de Bourbon, fidèles à leurs antécédents, remplirent un noble rôle. Pour sauver d'un démembrement la patrie commune, le prince, de concert avec sa fidèle compagne, dont l'abnégation maternelle le secondait dans un suprême effort, offrit un gage exceptionnel de sa bonne foi, à l'appui d'une alliance nécessaire entre lui et ses concitoyens catholiques: il présenta, comme autant d'ôtages, tous ses enfants.

Son alliance et son offre furent repoussées; mais, tandis que, d'une part, leur rejet pèse de tout son poids sur la mémoire des hommes néfastes qui courbèrent les provinces wallonnes sous le joug de l'Espagne, de l'autre, aux noms vénérés de Guillaume de Nassau et de Charlotte de Bourbon demeure indissolublement attaché le glorieux souvenir d'un dévouement rehaussé par la soumission volontaire au plus grand des sacrifices.

Voilà, pour reproduire les expressions employées par la princesse, dans sa lettre de mai 1579, «quel étoit, à cette époque, l'état général des affaires, et à quoy l'on étoit du traité de paix».

Ainsi, deux ordres de faits distincts, séparés l'un de l'autre par un abîme, se produisaient alors: d'un côté, l'abdication du sentiment patriotique et l'affaissement du sentiment religieux, sous la pression de l'intolérance; de l'autre, le patriotisme se confondant, dans sa fidélité, avec le légitime besoin d'une indépendance nationale, et la revendication, sur les bases de la pacification de Gand, d'un régime provisoire de tolérance, devant conduire à un régime définitif de liberté religieuse; en d'autres termes, ici l'autocratie espagnole, saturée de bigotisme et de haine, prétendant façonner dix provinces à son image; là, la haute personnalité de Guillaume de Nassau, travaillant désormais à sauvegarder l'indépendance de sept provinces, et à faire prévaloir au milieu d'elles les droits imprescriptibles de la conscience chrétienne, toujours respectueuse de ceux d'autrui.

Sur ce point, quoi de plus grand, quoi de plus salutaire que le but vers lequel tendaient les efforts de Guillaume! Car, que voulait-il? que chacun professât sa religion avec une égale liberté et obtînt pour son culte la même protection. Sa volonté s'appuyait sur un principe fondamental qui, au XVIe siècle, n'était encore entrevu que par un très petit nombre d'hommes supérieurs.

Ce principe se déduit, en théorie, du point de vue auquel dans les États civilisés, se place, comme il le doit, tout sage législateur, en proclamant la liberté religieuse. Ce législateur ne crée pas un droit; il le constate. Appuyé sur l'étude de l'organisation intellectuelle et morale de l'homme, il voit la foi religieuse se produire au sein de la société; et, mû par la généreuse appréciation de cet état élevé de l'âme, il érige au rang de règle immuable la nécessité de respecter la foi, dans son essence et dans ses manifestations. Simple témoin du mouvement religieux, à quelque degré et sous quelque forme qu'il apparaisse, il s'abstient de se prononcer sur le mérite intrinsèque des causes qui le déterminent; accueillant l'homme sur la terre, il ne l'interroge point sur les secrets du ciel. En d'autres termes, il voit surgir les religions comme d'immenses faits sociaux, non comme les expressions diverses de la vérité divine. Sans aptitude et sans mission pour discerner le vrai du faux, en matière de croyances, il ouvre, car tel est son devoir, un libre accès dans la cité, à toutes les religions; et, neutre au milieu d'elles, il les laisse agir et se développer librement, tant qu'elles respectent l'ordre social et qu'elles vivent, les unes à l'égard des autres, dans une juxtaposition paisible et un support mutuel.

Après avoir signalé le principe fondamental sur lequel s'appuyait Guillaume de Nassau, dans sa lutte en faveur de la liberté religieuse, revenons à la situation personnelle de Charlotte de Bourbon; et écoutons-la parler de la joie qu'elle éprouva à saisir le premier indice d'un changement survenu dans les sentiments du duc de Montpensier, à son égard. Ce changement venait de se traduire, d'abord par la satisfaction qu'avait paru éprouver le duc à recevoir des nouvelles de sa fille, de son gendre et de ses petits-enfants, puis, par certaines communications échangées entre lui et la princesse, ainsi que le prince, au sujet du règlement, à l'amiable, d'une affaire de famille par voie d'arbitrage.

Le langage de Charlotte de Bourbon, dans deux lettres à son frère, est précis sur ce double point.

«Monsieur, lui écrivait-elle, le 27 juillet 1579207, ayant entendu, par le retour de Jolytemps, comme il a pleu à Dieu remettre monseigneur nostre père en bonne santé, j'en ay receu beaucoup de contentement, et mesme de ce qu'il m'a asseuré comme il luy a pleu me faire cest honneur d'estre bien aise d'entendre de nos nouvelles; en quoy je remarque une bonne affection que j'ay cest heur de voir qu'il conserve encores en mon endroict, dont je reçois un grand repos et soulagement, attendant qu'il plaise à Dieu qu'il se veuille résoudre à me le faire tant plus paroistre; vous remerciant très humblement, monsieur, des bons offices qu'il vous a pleu me faire, tant pour ce regard, que pour l'avancement de mes affaires: en quoy je ne puis recevoir de vous plus de faveur et d'assistance que je m'en suis tousjours promis, pour l'amitié que m'avez continuellement fait cest honneur de me démonstrer, et celle que, de mon costé, je vous avois dédiée, oultre le debvoir et respect à quoy j'estois obligée. Il vous plaira donc, monsieur, continuant ce que vous avez desjà commencé pour moi envers mondit seigneur nostre père, luy faire souvenir de déclarer les arbitres qu'il luy plaira de prendre, ainsi que, de bouche, par ledit Jolytemps il m'a mandé qu'il estoit en volonté de s'en résoudre; à quoy je vous supplie de vouloir tenir la main, etc.»

La princesse ajoutait, le 12 août 1579208:

«Monsieur, je ne vous puis assez très humblement remercier de ce que, suivant vostre promesse, il vous a pleu envoyer ce gentilhomme pardeçà, et avec telle déclaration de vostre bonne volonté en mon endroict, que je ne vous sçaurois assez tesmoigner du contentement que j'en ay receu, pour estre la chose du monde que je désire le plus que d'estre continuée en vos bonnes grâces et celles de monseigneur nostre père, ayant monsieur le prince, vostre frère, faict response touchant les arbitres qu'il luy a plu de nommer; sur quoy il se trouve de la difficulté, d'autant que nous attendions d'en nommer aussy de nostre part, desquels nous eussions meilleure cognoissance. Enfin, nous ne nous sommes point tant arrestez sur ce faict, par l'ouverture qu'il vous a pleu commander à ce gentilhomme de me faire et sçavoir de moy ce que je penserois estre propre. Je n'ay voulu faillir de luy en donner une déclaration, laquelle j'espère que vous trouverez raisonnable, non seulement pour les moïens et facultez de nostre maison et la qualité de celle à laquelle je suis alliée, mais aussi par l'amitié qu'il vous plaist me faire cest honneur de me porter, et à mes enfans; quy me faict vous supplier très humblement, monsieur, de vouloir, selon que vous avez desjà bien commencé, estre moïen envers monseigneur nostre père à ce qu'il se résoude sur ce faict et qu'il prenne de bonne part la réponse que nous luy faisons, etc.»

Largement ouvert aux affections de famille, le cœur de Charlotte de Bourbon ne l'était pas moins aux épanchements de l'amitié; aussi, avait-elle accueilli avec bonheur l'arrivée à Anvers d'une jeune femme française qu'elle aimait et qui l'aimait. Entre elle et Mme de Mornay s'étaient établies de douces et confiantes relations, correspondant à celles que la duchesse de Bouillon avait formées et entretenait avec la pieuse et aimable compagne de l'homme d'élite dont le dévouement avait été et ne cessait d'être, pour elle et ses enfants, un ferme appui. Le prince et la princesse d'Orange avaient, pour leur propre part, reçu des preuves de ce même dévouement, et saisissaient toute occasion, s'offrant à eux, de montrer le prix qu'ils y attachaient. Or, en l'été de 1579, se présenta une circonstance dans laquelle ils se félicitèrent de pouvoir, tout particulièrement, entourer d'affectueux égards M. et Mme de Mornay. Un fils leur étant né, à Anvers, le 20 juillet, il fut décidé que Marie de Nassau serait la marraine de cet enfant, qui eut pour parrains François de Lanoue et Arthus de Vaudrey, seigneur de Mouy209. Que de fois l'enfance n'a-t-elle pas ainsi, à son insu, exercé le privilège de resserrer les liens qui déjà unissaient deux familles!

A peine un mois s'était-il écoulé depuis la naissance du fils de M. et de Mme de Mornay, que Charlotte de Bourbon devint mère d'une quatrième fille. On lit, en effet, dans le Mémoire sur les nativités des demoiselles de Nassau: «Mardi, le 18 d'août, l'an 1579, à dix heures devant midy, Madame accoucha, en Anvers, de sa quatrième fille, qui fut baptisée, au temple du chasteau, le 18 d'octobre ensuivant et nommée Flandrine par messieurs les députés des quatre membres de Flandres, et par madamoyselle Anna de Nassau, seconde fille de Son Excellence, comme tesmoings dudit baptesme, lesquels membres de Flandres luy ont accordé une rente héritière de deux mille florins par an, comme se vérifie par les lettres exprès sur ce dépeschez.»

Ailleurs on lit210: «Messieurs les estats de Flandres, en signe d'une affection publique, luy donnèrent le nom de Flandrine, afin que ceux qui l'oyraient nommer entendissent qu'elle estoit les amours et les délices de la Flandre.»

Trois jours après celui du baptême de Flandrine, Charlotte de Bourbon adressa aux magistrats d'Ypres la lettre suivante211:

«Messieurs, s'en retournans messieurs vos députez, je n'ay voulu faillir à vous remercier bien affectionnément du bien et honneur qu'il vous a pleu faire à monseigneur le prince et à moy, faisant assister en vostre nom au baptesme de nostre fille Flandrine; dont nous estions assez contens et satisfaictz de la faveur qu'avons receue en cest endroict, sans que nous eûssions desiré d'accroistre les incommoditez que vous avez en ce temps présent; mais, veu qu'il vous a pleu, sans y avoir esgard, adjouster encore nouvelle obligation par le don qu'avez faict à nostre dicte fille, ce nous est un si évident tesmoignage de vostre bonne volonté envers nous, que je ne le puis, ce me semble, assez estimer, ni vous en remercier, selon le ressentiment qui nous en demeure, qui est tel, pour mon regard, que je n'oublieray rien de ce en quoy je me pourray employer pour vostre contentement et repos; ce que je vous prie de croire, vous asseurant, qu'avec l'aide de Dieu, je ferai nourrir nostre chère fille en mesme volonté, et que cependant je ferai tout debvoir pour elle d'aussy bon cœur, qu'après avoir présenté mes plus affectionnées recommandations à vos bonnes grâces, je prie Dieu vous donner, messieurs, en santé, heureuse et longue vie. D'Anvers, ce 21 octobre 1579.

»Vostre affectionnée et bien bonne amye.
»Charlotte de Bourbon.»

Le baptême de Flandrine suggéra, en 1653, à Claude Allard, chanoine de Laval, auteur d'un livre à peine connu aujourd'hui212, les réflexions suivantes, que tout lecteur impartial appréciera à leur juste valeur:

«Après la naissance de cette jeune princesse, la grandeur de la maison dont elle était issue apporta tout ce qu'elle put à sa conservation, et depuis à son élévation, fors ce qui estoit nécessaire au salut de son âme; mais, comme le prince d'Orange, son père, avoit abandonné Dieu pour suivre le monde, son soin le plus exact ne fut pas ce qui touche l'Éternité. La mère, de son côté, estant toute de chair, et n'ayant point les véritables sentimens du ciel, puisqu'elle estoit sortie du chemin qui conduit à l'héritage céleste, ne se mit pas non plus en peine des biens immortels. Leur empressement fut pour le corps; ils allèrent à ce qui estoit périssable; et crurent qu'il leur suffisoit de former une princesse grande pour le monde, sans songer que cette imaginaire grandeur est suivie, après la mort, d'un horrible abaissement et d'une perte éternelle. Ainsi, la liberté de la religion où elle estoit née ne voulant point advouer la nécessité du baptême, elle fut baptisée plutôt pour être distinguée entre ses frères et ses sœurs, et pour estre reconnue seulement de son père charnel, que pour estre reçue comme héritière de la gloire par le père céleste. On lui imposa donc le nom de Flandrine, qui fut autant, dans l'ordre de sa famille, une nomination de puissance et d'éclat, que de religion et de sainteté. Les estats de Flandre, qui avoient formé un corps de république, furent ses parrains et luy donnèrent ce nom, pour marque qu'elle estoit la fille de l'Union et de l'Estat… Ainsi le monde prit possession du corps et de l'âme de cette jeune princesse.»

Une étroite amitié unissait, de longue date, Charlotte de Bourbon à sa cousine Madeleine de Longwic, abbesse du Paraclet. Madeleine, privée du plaisir de voir désormais Charlotte, l'avait instamment priée de lui envoyer, pour quelque temps, l'une de ses filles, dont le séjour au Paraclet atténuerait la rigueur d'une séparation imposée à la cousine retenue en France, par la situation de celle que ses devoirs fixaient, à toujours dans les Pays-Bas. La prière avait été accueillie, et, dès le mois d'août 1580, Flandrine, âgée d'un an, était arrivée à l'abbaye. Elle s'y trouvait encore, lorsque, deux ans plus tard, elle eut le malheur de perdre sa mère.

199.Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 3.344, fo 19.
200.Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 3.415, fo 60.
201.Voir ci-dessus, sa lettre du 21 février 1579, au duc de Montpensier.
202.Lettre du 21 février 1579 (Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 3.415, fo 28).
203.Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 3.182, fo 82, et fonds Clérambault, vol. 1.114, fos 182, 183. – Coustureau, Vie du duc de Montpensier, p. 217.
204.Voir ci-avant, chapitre Ier.
205.Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 3.415, fo 71.
206.Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 3.415, fo 30.
207.Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 3.415, fo 63.
208.Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 3.415, fo 65. – Avec le contenu de cette lettre concorde celui d'une lettre écrite au prince dauphin par Guillaume de Nassau, le 13 août 1579 (Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 3.415, fo 33).
209.Mémoires de Mme de Mornay, t. Ier, p. 123.
210.Épitre funèbre où est contenu un abrégé de la vie de Mme Charlotte-Flandrine de Nassau, etc. Poitiers, 1er mai 1640.
211.Documents historiques inédits, concernant les troubles des Pays-Bas, 1577-1584, publiés par Ph. Kervyn de Volkaersbeke et J. Diegerick. In-8o, Gand, 1849, t. Ier, p. 434.
212.Le Miroir des âmes religieuses, ou la vie de très haute et très religieuse princesse, madame Charlotte-Flandrine de Nassau, très digne abbesse du royal monastère de Sainte-Croix de Poitiers, par M. Claude Allard, prestre, chantre et chanoine de Laval, à Poitiers, 1653, 1 vol. in-4o.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
01 ağustos 2017
Hacim:
441 s. 3 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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