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Kitabı oku: «Charlotte de Bourbon, princesse d'Orange», sayfa 6

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A peine cette délibération venait-elle d'être prise, que le prince eut le bonheur d'accueillir à La Brielle Charlotte de Bourbon, dont l'arrivée fut acclamée par la population et par les députés des états avec un enthousiasme qui émut profondément cette princesse.

Dès le 7 juin furent arrêtées entre les futurs époux les conventions civiles qui devaient précéder leur union.

L'acte dans lequel ils les consignèrent était d'une simplicité exceptionnelle, au double point de vue de la forme et du fond. Il mérite d'autant plus d'être connu, qu'il témoigne d'une complète réciprocité de désintéressement, en laissant apparaître l'absence de toute fortune personnelle, pour le moment du moins, du côté de l'une des parties contractantes, et l'exiguïté des seules ressources alors disponibles, du côté de l'autre108.

Le 12 juin eut lieu, à La Brielle, la célébration du mariage. Il fut béni par le ministre Jean Taffin, que Guillaume de Nassau avait récemment pris pour chapelain, et qui, à ce titre, demeura désormais attaché à la maison du prince et de la princesse.

Les nouveaux époux ne tardèrent pas à se rendre à Dordrecht, où, de même qu'à La Brielle, ils reçurent un chaleureux accueil, bientôt suivi de fêtes et de réjouissances, dans le cours desquelles d'ailleurs on s'abstint de danser109.

On ne peut mieux, croyons-nous, se faire une idée de l'ardente sympathie dont Charlotte de Bourbon fut entourée, à La Brielle et à Dordrecht, qu'en se reportant à une modeste production littéraire, du XVIe siècle, qui, dans sa naïveté, demeure empreinte de l'émotion que fit naître en une foule de cœurs la présence de l'excellente et gracieuse princesse. Il s'agit d'un morceau en treize stances, faisant partie d'un ancien recueil intitulé: Chansonnier des Gueux110.

Voici la traduction simplement littérale de ce morceau, qui fut chanté, à Dordrecht, pendant le séjour du prince et de la princesse dans cette ville, en 1575:

«Entrée de la sérénissime princesse, de haute naissance.

»(Sur l'air de Guillaume de Nassau.)

»1o Faites éclater votre allégresse, vous, villes de Hollande et de Zélande! Vous, hommes, femmes, faites éclater, de tous côtés, votre allégresse, en l'honneur de l'éminent prince et de son épouse noble et renommée. Veuille Dieu, qui leur a accordé sa grâce, la leur continuer, à toujours.

»2o A La Brielle, la princesse arriva en grand triomphe, comme chacun en a été témoin. De nombreux coups de canon furent tirés en l'honneur du prince; et, quant à elle, on la prit par la main et on lui dit qu'elle était la bienvenue dans la patrie du prince.

»3o En apprenant l'arrivée de la princesse, le prince, joyeux de cœur, partit aussitôt pour La Brielle, car vers elle tendaient les plus chers désirs de ce noble et bon prince. Aussi, en recevant sa fiancée, l'a-t-il saluée affectueusement.

»4o Dans La Brielle se manifesta une franche allégresse; je vous le dis tout simplement. Les tambours et les trompettes se firent entendre sur la jetée et dans la ville. Le canon fut tiré en l'honneur de la charmante fiancée. Rien n'a été épargné pour qu'elle fût accueillie par de nombreuses salves.

»5o Quand la chaste et noble jeune dame entra dans la ville, chacun lui souhaita la bienvenue, et la joie éclata de toutes parts. Des feux brillèrent sur la tour et dans les rues, nuit et jour; et cela, d'une manière ravissante. Pas une plainte ne troubla l'émotion générale.

»6o De là, les nouveaux époux sont partis rapidement pour Dordrecht, comme on a pu s'en assurer en les voyant. Dieu les a gardés. Tandis que les trompettes et les clairons sonnaient fortement, on vit chacun accourir pour rendre hommage à la compagne du prince.

»7 °Ceux de Dordrecht, résolus de caractère, eurent bientôt pris leurs mesures; car, en attendant la princesse, ils n'épargnèrent aucuns frais pour la recevoir. La garde bourgeoise s'avança en faisant flotter ses bannières.

»8o Pleins d'ardeur, les citoyens accoururent et franchirent la porte de la ville, afin de recevoir honorablement la princesse. Le canon se fit entendre. On vit, çà et là, par la ville, les tonneaux de résine lancer leurs flammes, à la honte de tous les mécréants, et en l'honneur du prince vénéré.

»9o Les autorités de la ville, l'Escoutète, les échevins, dans leur bon vouloir, les bourgmestres et les gardes civiques allèrent triomphalement, bannières déployées, à la rencontre de la princesse, et lui adressèrent avec cordialité ces paroles: Soyez la bienvenue en Hollande.

»10o Veuillez donc, de tous côtés, vous villes, manifester une vive allégresse, faire éclater votre amour pour le vaillant prince, et remercier Dieu, à haute voix, d'avoir détruit Babylone, et de vous avoir donné sa sainte parole.

»11o Oui, vous montrerez votre allégresse, vous villes très renommées, parce que jamais vous n'avez été placées sous une aussi grande protection que sous celle de notre noble prince et de notre excellente princesse, qui, tous deux, appuyés sur la parole divine, veulent sacrifier, pour nous, corps et biens.

»12o Vous, hommes grands et petits, remerciez le Seigneur. C'est lui qui nous soutient, nous pauvres créatures chétives, comme on a pu le voir devant la ville de Leyde, où l'ennemi a été saisi d'épouvante, et aussi à Alckmaar, d'où il s'est enfui précipitamment.

»13o De grâce, seigneuries princières, veuillez agréer de bon cœur ce chant composé en l'honneur du prince d'Orange et de l'éminente princesse. Que Dieu daigne les maintenir en bonne santé et leur accorder une longue vie! Voilà ce dont je le prie, du fond de mon cœur!»

Émue, au fond du sien, de l'accueil chaleureux qu'elle rencontrait au sein des populations, Charlotte de Bourbon se demandait si elle pouvait y voir le présage de celui qu'elle recevrait des membres, alors disséminés, de la famille du prince. Répondraient-ils aux sincères efforts qu'elle ferait pour se concilier l'affection de chacun d'eux? Elle l'ignorait, mais elle se reposait sur la bonté de Dieu, pour résoudre, tôt ou tard, en sa faveur, cette importante question, si intimement liée désormais à celle de son bonheur domestique.

CHAPITRE IV

Lettre de Charlotte de Bourbon à la comtesse de Nassau, sa belle-mère. – Lettre de Guillaume au comte Jean de Nassau, son frère. – Hommage rendu par le comte Jean au noble caractère de la princesse, sa belle-sœur. – Félicitations adressées à Charlotte de Bourbon par divers membres de sa famille à l'occasion de son mariage. – Lettre de Guillaume à François de Bourbon, son beau-frère. – Charlotte de Bourbon s'efforce en vain de se concilier les bonnes grâces du duc de Montpensier, son père. – Inexorable dureté de celui-ci. – Étroitesse des sentiments du duc lors de la mort de la duchesse de Nevers, sa fille. – Graves préoccupations de Charlotte de Bourbon, au sujet de son mari, avec la carrière publique duquel elle s'est identifiée. – Il trouve dans ses judicieux conseils et dans son dévouement un appui efficace. – État des affaires publiques depuis l'insuccès des Conférences de Bréda. – Reprise des hostilités. – Diète de Delft en juillet 1575. – Siège de Ziricksée. – Naissance de Louise-Julienne de Nassau. – Lettre de Marie de Nassau. – Lettre de la princesse d'Orange à son mari lors de la mort de l'amiral Boisot. – Perte de Ziricksée. – Excès commis dans les provinces par les Espagnols. – Indignation générale et efforts faits dans la voie d'une sévère répression. – Correspondance du prince et de la princesse d'Orange avec François de Bourbon. – Lettres de Louis Cappel et de Marie de Nassau. —Pacification de Gand.– Lettre de Guillaume au duc d'Alençon. – Les Espagnols sont expulsés de la Zélande. —Union de Bruxelles.

Ni la vénérable mère de Guillaume de Nassau, ni l'unique frère qui lui restait, le comte Jean, n'avaient pu quitter l'Allemagne pour assister à son mariage. Tous deux avaient été retenus au loin, l'une, par son âge avancé et son état de faiblesse, l'autre, par la maladie.

Le comte Jean était incontestablement fort attaché à son frère; mais, plus timoré parfois que clairvoyant, il avait cherché à détourner Guillaume, si ce n'est précisément du mariage projeté par lui, tout au moins de sa prompte conclusion, en invoquant des considérations, soit politiques, soit d'intérêt privé, qui, aux yeux du prince, n'avaient rien de déterminant.

Sa mère, à l'inverse, non moins judicieuse que tendre, s'était dégagée de ces considérations, et n'avait nullement songé à dissuader son fils de contracter une union dans laquelle il lui disait être assuré de rencontrer le bonheur. Elle l'aimait trop et avait en lui trop de confiance pour ne pas croire à la dignité de ses sentiments et à la justesse de ses appréciations.

Aimante et aspirant à être aimée, Charlotte de Bourbon, dès les premiers jours de son union avec Guillaume, s'attacha à gagner, avant tout, le cœur de sa belle-mère; et y réussit immédiatement par l'expression de sa douce et délicate déférence, dans ces lignes datées de Ziricksée, où elle venait, en quittant Dordrecht, d'arriver, le 24 juin, avec son mari111:

«A madame la comtesse de Nassau, ma bien-aimée mère,

«Madame, encore que je n'aye jamais esté si heureuse de vous voir, pour vous rendre, selon mon desir, tesmoignage de l'affection que j'ay dédiée à vous obéir et servir, sy m'asseuray-je, veu l'honneur que m'a faict, monsieur le prince, vostre fils, qu'il vous plaira bien me faire ceste faveur, d'avoir agréable la bonne voullonté que je vous supplie bien humblement vouloir accepter, et croire que, si Dieu me donne le moïen, et que vos commandemens me rendent capable de vous pouvoir faire service, je m'y emploiré de sy bon cœur, que vous cognoistrés, madame, combien j'estime l'heur que ce m'est de vostre alliance, laquelle m'est doublement à priser, tant pour vostre vertu et piété, que pour celle de mondit seigneur, vostre fils, pour l'amour duquel j'espère que vous me favorisés de quelque bonne part en vos bonnes grâces, dont je vous fais encore bien humble requeste, et supplie Dieu que le temps puisse estre bientost si paisible, que je puisse avoir cest honneur de vous voir; et que cependant il vous conserve en bonne santé et vous donne, madame, très heureuse et très longue vie.

»Vostre très humble et obéissante fille.
»Charlotte de Bourbon.»

Revenu de Ziricksée à Dordrecht, Guillaume voulut, en ce qui concernait son mariage, amener le comte Jean à une saine appréciation des préliminaires et de la portée de cet acte capital. Il lui adressa donc, le 7 juillet 1575, avec toute l'autorité d'un homme de cœur, une grave et longue lettre, de laquelle nous détachons ces paroles112:

«Monsieur mon frère, despuis ma dernière escripte du 21e jour de may dernier passé, par laquelle vous priois bien affectueusement me vouloir envoier les actes et informations de la faulte commise par celle que sçavez113, ou bien quelque attestation solennelle, afin que, à faulte de cela, je ne fûsse contrainct de cercher autres moïens par publications solennelles de donner contentement à madamoiselle de Bourbon, laquelle, pour obvier à toutes oblocutions qui, par cy-après pourroient se faire, desire grandement ce que dessus; en quoy aussi je ne puis sinon luy donner toute raison: j'ay reçu vostre lettre du 19 dudit mois de may, et par icelle entendu premièrement vostre malladie, laquelle j'ay ressenti et ressentz jusques au cœur, comme celuy qui ne désire rien tant, comme aussy je me sens tenu à le desirer, que vostre bien, salut et prospérité, à quoy vous pouvez estre asseuré que de tout mon pouvoir je tiendray la main, priant Dieu, en quoy j'espère qu'il m'exaucera, de vous garder de tous inconvéniens et vous remettre bonne santé.

»Aussy ay-je par la mesme lettre apperçu, dont ay esté très marry, qu'estiez en merveilleuse peyne de ce mien mariage qui est en train, vous semblant advis que l'on n'y auroit pas procédé avec telle discrétion, et par tels moyens, comme il estoit requis, et mesmes en si grande haste, et par cela moy et les miens, voire et toute la cause générale, en pourroient encourir grans inconvéniens, mesmement en ceste journée impériale qui se doibt tenir, le 29 de juillet, à Francfort.

»Sur quoy, je vous puis asseurer, monsieur mon frère, que mon intention, depuis que Dieu m'a donné quelque peu d'entendement, a tendu toujours à cela, de ne me soucier de paroles, ni de menasses, en chose que je peusse faire avecq bonne et entière conscience, et sans faire tort à mon prochain, mesme là où je fûsse asseuré d'y avoir vocation légitime et commandement exprès de Dieu.

»Et de faict, si j'eûsse voulu prendre esgard au dire des gens, ou menasses des princes, ou aultres semblables difficultez qui se sont présentées, jamais je ne me fûsse embarqué en affaires et actions si dangereuses et tant contraires à la volonté du roi, mon maistre du passé, et mesmes au conseil de plusieurs miens parens et amys. Mais, après que j'avois veu que ny humbles prières, ny exhortations ou complaintes, ny aultre chose, quelle qu'elle fûst, y peust servir de rien, je me résoluz, avecq la grâce et aide du Seigneur, d'embrasser le faict de ceste guerre, dont encoires ne me repens, mais plus tost rendz grâce à Dieu, qu'il luy a pleu avoir esgard par sa miséricorde à la rondeur et sincérité de ma conscience, lorsqu'il me donnoit au cœur de ne faire estat de toutes ces difficultés qui se présentoient, pour grandes qu'elles fussent.

»Je dis aussy tout le mesme à présent de ce mien mariage, que, puisque c'est chose que je puis faire en bonne conscience, devant Dieu, et sans juste reproche devant les hommes; mesmes que par le commandement de Dieu je me sentz tenu et obligé de le faire, et que, selon les hommes, il n'y a que redire, tant la chose est claire et liquide; veu singulièrement qu'après avoir attendu l'espace de quatre ou cinq ans, et en avoir adverty tous les parens, tant par vous que par mon beau-frère, le comte de Hohenlohe, il n'y a eu personne qui m'ait presté la main, ou donné conseil pour y remédier; m'a semblé, puisque l'occasion s'est présentée, de l'embrasser résolutement et avec toute accélération, afin de ne ouvrir la porte aux traverses que l'on y eust peu donner.

»…J'espère que ce mariage tournera autant et plus à nostre bien et de la cause générale, que n'eust fait le retardement ou plus long délai, lequel eust peu bien aisément ruiner et renverser toute nostre intention. Aussi, quand le tout sera bien considéré, je ne voy nul juste fondement sur lequel les princes puissent asseoir leur indignation et offense si grande que vous me alléguez.

»…Quand ils considéreront bien le tout, ils auront grande occasion de me sçavoir bon gré d'y estre procédé de cette façon, et m'estre plustost assubjecty à je ne sçay quels soupçons sinistres d'aucuns qui ignorent la vérité, par ceste mienne accélération et simple et secrète façon de procéder, que d'avoir voulu, par longs délais et par odieuses disputes, débats et déclarations sur les difficultés occurrentes, ou bien par autres solennités ou cérémonies juridiques, publier ce fait par tout le monde, comme à son de trompe, et réduire le tout à plus grande aigreur et scandale qui ne fust oncques114.

»…Je croy fermement que cecy a esté le chemin plus seur, non seulement pour moy, mais aussy pour la cause générale.»

Cette conviction, qu'exprimait si fortement le prince, fut bientôt partagée, comme elle devait l'être, par le comte Jean, qui s'y affermit sans réserve, dès que, par les communications détaillées et précises qui lui parvinrent à Dillembourg, il eut appris à connaître la constante dignité de sentiments, de caractère et d'actions de sa belle-sœur, ainsi que la basse animosité de ses détracteurs et de ceux de Guillaume de Nassau. Il se fit alors, en toute loyauté, un devoir d'élever la voix en faveur de Charlotte de Bourbon et de son mari. La preuve en est, notamment, dans le langage qu'il s'empressa de tenir au landgrave de Hesse:

«En ce qui concerne, lui disait-il115, les rumeurs qui courent au sujet de la nouvelle compagne de Monsieur le prince d'Orange, il faut les reléguer au rang des déplorables et indignes calomnies proférées contre sa grâce, la princesse. Elles sont, Dieu merci, dépourvues de tout fondement. La vengeance n'en appartient qu'à Dieu. Il faut attendre avec patience le moment où, après de longs jours de troubles et d'orages, il daignera, de nouveau, faire luire son soleil de justice et délivrer Sa Grâce la princesse, ainsi que nous-mêmes, de si nombreuses croix. Ceux qui journellement arrivent de Hollande, et principalement ceux qui ont été un certain temps auprès de ladite noble épouse de Monsieur le prince, rendent, en dépit des calomniateurs, un témoignage on ne peut plus favorable à sa grâce la princesse. Et afin, mon cher prince, que vous puissiez d'autant mieux sonder le fond des odieuses calomnies dont il s'agit, je vous envoie, à cet effet, sous le présent pli, ce que Sa Grâce la princesse a écrit, de sa propre main, il y a peu de jours, à Madame ma mère.»

Ces derniers mots prouvent le soin affectueux que prenait Charlotte de Bourbon de continuer à correspondre avec sa belle-mère et l'appui implicite que celle-ci prêtait au langage du comte Jean.

Fidèle à la douce habitude de se rapprocher, en pensée, par une active correspondance, des personnes qui lui étaient chères et loin desquelles elle se trouvait, la jeune princesse avait, dès le premier moment, fait part à son frère et à ses sœurs de son mariage avec Guillaume. Le prince avait, vis-à-vis d'eux, suivi son exemple.

Par leurs réponses à la communication des nouveaux époux, les enfants du duc de Montpensier prouvèrent qu'ils étaient loin d'avoir subi l'influence des préventions et des rudesses paternelles à l'égard de leur sœur; car ils la félicitèrent, ainsi que Guillaume, d'un mariage qu'ils envisageaient comme un élément de bonheur pour elle et pour lui.

Rien de plus naturel qu'une telle appréciation de la part de la duchesse de Bouillon, à raison des liens multiples d'affection, de croyance et de sentiment qui l'unissaient à Charlotte.

Mais ce qui rend cette appréciation particulièrement remarquable, de la part des autres enfants du duc de Montpensier, c'est la spécialité même de la position de chacun d'eux.

A ne parler que de celles du frère et de l'une des sœurs, quoi de plus frappant, par exemple, que d'entendre le prince dauphin, François de Bourbon, vivant, d'habitude, aux côtés de son père, et parfois confident de ses pensées, déclarer qu'il éprouve un contentement réel du mariage de sa sœur!

Quoi de plus frappant encore que de rencontrer, sur ce point, l'expression d'une vive sympathie sous la plume d'une abbesse, et, qui plus est, d'une abbesse de Jouarre; car telle était bien Louise de Bourbon. Du fond de l'abbaye, qu'elle dirigeait, comme ayant succédé à Charlotte, elle écrivait, dans l'élan du cœur, au mari de celle-ci116:

«Monsieur, je ne vous puis dire combien j'estime l'honneur et faveur que j'ay receu de vous, m'ayant faict démonstration, par la lettre qu'il vous a pleu m'escripre, de me vouloir recognoistre pour ce que j'ay l'honneur de vous estre maintenant. Aussy vous supplieray-je très humblement de croire que, pour ma part, j'estime comme je doibz la faveur qu'il vous a pleu de faire à nostre maison, d'y avoir prins alliance par le mariage de ma sœur avec vous; la réputant très heureuse d'avoir esté voulue d'un prince si vertueux et sage, comme en avez la réputation; et me ferés cest honneur de croyre que je me tiendroys bien heureuse et contente, sy j'avois l'honneur de recevoir de vos commandemens, affin que puissiés juger, par l'exécution, combien je désire tenir lieu en vos bonnes grâces, aulxquelles je présente mes très humbles recommandations et supplie Nostre Seigneur vous donner, monsieur, en très bonne santé, très longue et très heureuse vie. A Juerre (Jouarre), ce 21 août 1575.

»Vostre plus humble et obéissante sœur à vous faire service.
»Louyse de Bourbon.»

Continuant une correspondance dont il avait pris l'initiative vis-à-vis de François de Bourbon, devenu son beau-frère, Guillaume de Nassau disait à ce prince117:

«Monsieur, j'ay receu la lettre qu'il vous a pleu m'escrire, laquelle m'a grandement resjouy, pour y entendre le contentement qu'avez receu de nostre alliance; ce que, procédant de vostre singulière courtoisie et honnesteté, j'ay receu avec telle et si bonne affection, que je m'en sens très obligé à déservir par quelque humble service où je m'employeray de bien bon cœur, toutes les fois que me ferés ceste faveur de me commander quelque chose; vous remerciant au reste bien humblement de l'honneur que me faites de vous asseurer de mon amitié; et, comme je me confie fermement en la vostre, je vous supplieray de tenir la main vers monsieur vostre père à ce qu'il puisse recevoir les offres de mon obéissance et très humble service agréables, et reprendre ma femme en sa bonne grâce, la recognoissant comme celle qui a cest honneur de lui estre fille; à quoy, monsieur, je sçay que vous luy avez desjà faict office de vrayment bon frère; ce qu'il vous plaira vouloir continuer, nous obligeant par ce moyen tous deux en tout ce qu'il vous plaira nous employer pour vostre service, et de telle affection que je désire, comme frère, serviteur et amy, d'estre particulièrement favorisé de vos bonnes grâces, etc., etc.»

Le confiant appel que Guillaume adressait ainsi au dévouement de son beau-frère, pour qu'il s'efforçât d'éveiller dans l'âme du duc de Montpensier des sentiments vraiment paternels, à l'égard de sa fille Charlotte, fut entendu par François de Bourbon; mais ses efforts demeurèrent longtemps infructueux, ainsi que le prouvent, comme on pourra s'en convaincre ultérieurement, de nombreuses lettres adressées par la princesse à son frère. Toutes, en outre, témoignent du prix qu'elle ne cessait d'attacher, en dépit d'échecs successifs, à se concilier enfin les bonnes grâces de ce père qui, depuis tant d'années, persistait à méconnaître les sentiments de respect et de dévouement qu'elle avait constamment professés à son égard.

Les inexorables refus que le duc opposait aux instances réitérées qui lui étaient faites, pour qu'il renonçât à la prétention d'asservir la conscience de sa fille Charlotte, ne s'expliquent que trop clairement par la ténacité avec laquelle il se cantonnait dans ses préjugés et son intolérance. Cette ténacité était telle, qu'il ne pouvait admettre que l'un de ses enfants échappât, même par la mort, aux liens religieux dans lesquels, durant la vie, il n'avait pu réussir à l'enserrer.

Comment en douter, en présence d'un fait qui se passa dans la demeure même du duc, et que rapporte son panégyriste attitré?

L'une des filles du tyrannique père de famille, Anne de Bourbon, veuve du duc de Nevers, venait de mourir: que fit ce père? Sans égard pour la profession de la religion réformée à laquelle il savait que la duchesse était, jusqu'à son dernier soupir, demeurée fidèle, il voulut que les rites du culte catholique se produisissent, dans toute leur pompe, autour de son cercueil118. Mais, que devenait, dans cette arbitraire main-mise exercée sur la dépouille mortelle de la croyante, le respect dû à sa foi? Traiter ainsi le corps, demeurant sans défense, dans l'inertie de sa condition présente, n'était-ce pas insulter à l'âme, qui, ne relevant que de Dieu et obéissant à son appel, était retournée à lui, juge suprême de la foi qu'elle avait manifestée aux yeux des hommes?

A la douleur d'avoir perdu Anne de Bourbon, sans avoir pu une fois encore la revoir, s'ajoutèrent, pour la princesse d'Orange, dans le cours de l'année 1575, de graves préoccupations au sujet de son mari, avec la carrière publique duquel elle s'était, dès le début de son union, pleinement identifiée.

Elle le voyait, en dehors des douces joies du foyer domestique, journellement obsédé par des complications de tout genre, par des difficultés sans cesse renaissantes: et son soin le plus cher était de le soutenir de son affection, de ses encouragements, de ses prières. Que de fois, à l'aspect de la formidable lutte dans laquelle le prince était engagé contre la tyrannie espagnole, ne lui dit-elle pas, avec la pieuse mère dont elle partageait les convictions: «Humainement parlant, il vous sera difficile, à la longue, étant dénué de tout secours, de résister à un si redoutable adversaire; mais n'oubliez pas que le Tout-Puissant vous a délivré, jusqu'à présent, des plus grands périls, et que tout lui est possible.»

Plus Guillaume sentait s'affermir sa foi en la justice et en la bonté de Dieu, plus il accueillait avec bonheur les solennelles paroles de sa mère et de sa femme. Son cœur battait à l'unisson des leurs! Ah! combien en face du danger, quel qu'il soit, et des plus austères épreuves de la vie, un homme est fort, quand il tient de la bonté du Dieu qu'il adore et qu'il sert, le double privilège d'abriter son âme sous l'égide maternelle et de posséder, en une fidèle compagne, le plus riche des trésors, celui d'un cœur aimant, d'un esprit élevé et d'un noble caractère!

L'étendue d'un pareil privilège se mesura toujours, pour Guillaume, à la gravité des événements qu'il lui fallut traverser, dès les premiers jours qui suivirent la célébration de son mariage avec Charlotte de Bourbon.

Les négociations de Bréda, dans lesquelles s'était agitée, comme prépondérante, la question de la liberté religieuse, avaient échoué, parce que l'intolérance espagnole, répudiant toute idée d'une coexistence quelconque de deux religions dans les Pays-Bas, prétendait ne laisser aux réformés d'autre alternative que celle-ci: abjurer ou s'expatrier.

Inébranlable défenseur des droits sacrés de la conscience chrétienne, Guillaume avait énergiquement refusé de souscrire aux exigences des farouches adversaires d'un culte dont ses coreligionnaires et lui étaient fondés à maintenir l'exercice; et son refus avait immédiatement entraîné la reprise des hostilités, dans des conditions défavorables pour lui et les populations sur lesquelles s'étendait sa protection.

Il existait, en effet, entre les forces militaires des Espagnols et celles du prince une énorme disproportion. Quel que fût le bon vouloir des Hollandais et des Zélandais, à la tête desquels il avait jusqu'alors, sur les champs de bataille, défendu la cause de la liberté, il n'en était pas moins contraint de constater la complète insuffisance de ses ressources en hommes, en argent, en matériel de guerre et en approvisionnements, pour continuer à soutenir efficacement la lutte engagée. Y avait-il lieu, pour cela, de désespérer? Non; aussi Guillaume, au nom des deux provinces qui s'appuyaient sur lui, faisait-il entendre ce viril langage: «Quand même nous nous verrions non seulement délaissés du monde entier, mais même ayant ce monde contre nous, pour cela, nous ne nous lasserons pas de nous défendre jusqu'au dernier, vu l'équité et la justice du fait que nous maintenons, nous reposant entièrement en la miséricorde de Dieu.»

La sainte confiance du prince en cette miséricorde suprême n'excluait pas, d'ailleurs, la légitimité d'un recours à l'intervention et à l'appui d'une puissance étrangère. Mais, où rencontrer une puissance assez sûre d'elle-même et assez résolue pour s'ériger en protectrice des provinces en lutte avec le monarque espagnol, pour se déclarer ouvertement contre lui, et pour se saisir de l'autorité dont elle le dirait déchu?

Cette question était plus que délicate; et pourtant, sans reculer devant les difficultés inhérentes à sa solution, les provinces de Hollande et de Zélande, dans la pensée d'aplanir d'avance ces difficultés, commencèrent par s'unir entre elles et par proclamer leur indépendance; puis une Diète, siégeant à Delft en juillet 1575, conféra au prince d'Orange, comme chef de l'union, des pouvoirs étendus, et décida qu'après avoir secoué le joug du roi d'Espagne il fallait invoquer le secours de l'étranger. Elle laissa au prince le choix du souverain auquel il ferait appel, en lui signalant l'obligation à laquelle ce dernier demeurerait soumis, de consulter les états sur les affaires du gouvernement.

Tel fut le premier pas fait vers l'organisation d'une situation nouvelle, qui devait conduire un jour à la formation de la république des Provinces-Unies.

Des deux parties de la tâche immense que Guillaume, d'accord avec les représentants de la Hollande et de la Zélande, venait d'assumer, l'une, à savoir la recherche et l'obtention d'un appui étranger, impliquait, pour son accomplissement, d'inévitables délais; l'autre, ayant pour objet la défense et le gouvernement des deux provinces désormais unies, nécessitait le développement immédiat d'une activité qui devrait se soutenir indéfiniment.

Ferme à son poste, alors que maintes passions, maints intérêts contradictoires s'agitaient autour de lui, souvent mal secondé, parfois même desservi et calomnié, obligé de compter avec la versatilité des masses populaires, ralliant à peine à lui, dans les rangs supérieurs de la société, quelques hommes dignes de sa confiance et dévoués, le prince souffrait de n'avoir pas à sa disposition les ressources nécessaires pour pourvoir utilement à la défense du pays.

Dans le cours des hostilités, il subit divers échecs, sans toutefois s'abandonner au moindre découragement.

Fiers des avantages qu'ils avaient obtenus, les Espagnols visaient à un avantage plus grand encore, en cherchant à se rendre maîtres de Ziricksée. Ils avaient, depuis plusieurs mois, entrepris le siège de cette place importante, sur la défense de laquelle Guillaume concentrait ses efforts, lorsqu'une diversion momentanée à ses graves préoccupations lui fut apportée par un heureux événement de famille, dont il fit part au comte Jean, le 4 avril 1576, en ces quelques mots119: «Je ne veulx laisser de vous dire comme il a pleu à Dieu délivrer ma femme d'une jeune fille, le dernier jour du mois de mars passé, sur le matin.»

Un écrit d'un caractère purement privé, intitulé: Mémoyre des nativités de mesdamoyselles de Nassau est un peu plus explicite que le billet du prince; il porte120:

«Samedy, le dernier jour de mars, l'an 1576, entre les sept et huit heures du matin, madame la princesse accoucha, en la ville de Delft, en Hollande, de sa première fille, qui fut baptisée, le 29 d'avril ensuivant, au temple du cloistre, et nommée Loyse-Julienne, par madame la comtesse de Culembourg, au nom de monsieur le duc de Montpensier121, par madame de Asperen, au nom de madame la comtesse de Nassau, mère de monseigneur le prince, et monsieur de Saincte-Aldegonde, au nom de monsieur le comte de Hohenloo, tesmoings audit baptesme.»

108.Voir Appendice, no 6.
109.Ce détail, ainsi que plusieurs autres, relatifs à l'entrée et au séjour de Charlotte de Bourbon à Dordrecht, est consigné dans la publication suivante: Dordrecht, door Dr G. V. J. Schotel, te Dordrecht bij H. Lagerewij, 1858, br. in-8o, p. 50 et suiv. (Komst van Charlotte van Bourbon te Dordrecht in 1575). Il y est parlé, notamment d'une association littéraire, dite des Rhétoriciens, ayant pour devise les «mots: joie pure, laquelle joua, pour le bon plaisir de Son Excellence, une moralité.»]
110.Geuse Liet Boek, waer in begrepen is den Oorsprongh van de troubelen der Nederlansche Oorlogen, en et geen doer op gevolght is. «T'Amsterdam gedruckt by Jan Jacobsz Bonneau, woonende op 't water, anno 1656, in-8o».
111.Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. V, p. 230.
112.Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. V, p. 244 et suiv.
113.Anne de Saxe.
114.Voir Appendice, no 7.
115.Lettre datée de Dillembourg, 21 nov. 1575 (Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. V, p. 312.)
116.Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, suppl., p. 174.
117.Bibl. nat., mss., f. fr., vol. 3.415, fo 34.
118.«Le duc de Montpensier reçut le déplaisir de perdre la duchesse douairière de Nevers, sa fille, cette même année (1575), à laquelle, quoique de la religion, il fit faire des obsèques avec grande cérémonie, à Champigny, le 25 novembre.» (Coustureau, Vie du duc de Montpensier, addit., p. 192.)
119.Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. V, p. 335.
120.Archives de M. le duc de La Trémoille.
121.Rien ne prouve que Louis II de Bourbon eût fait trêve, en l'année 1576, à ses injustes et durs procédés envers la princesse d'Orange. Il est certain, au contraire, qu'ils se prolongèrent, sans interruption, bien au delà de cette même année. D'où il est naturel de conclure que ces mots: «Mme la comtesse de Culembourg, au nom de M. le duc de Montpensier» n'impliquent nullement l'idée d'une autorisation accordée par le duc à la comtesse de le représenter au baptême. Ils n'ont d'autre signification que celle d'une preuve de déférence de la princesse envers son père. Charlotte de Bourbon voulut que sa fille, en recevant le nom de son aïeule paternelle (Julienne), reçut aussi celui de son aïeul maternel (Louis).
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
01 ağustos 2017
Hacim:
441 s. 3 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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