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Kitabı oku: «Jacques le fataliste et son maître», sayfa 6

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LE MAÎTRE

J'y suis, en effet; j'ai l'épée à la main; je fonds sur tes voleurs et je te venge. Dis-moi comment celui qui a écrit le grand rouleau a pu écrire que telle serait la récompense d'une action généreuse? Pourquoi moi, qui ne suis qu'un misérable composé de défauts, je prends ta défense, tandis que lui qui t'a vu tranquillement attaqué, renversé, maltraité, foulé aux pieds, lui qu'on dit être l'assemblage de toute perfection!..

JACQUES

Mon maître, paix, paix: ce que vous dites là sent le fagot en diable.

LE MAÎTRE

Qu'est-ce que tu regardes?

JACQUES

Je regarde s'il n'y a personne autour de nous qui vous ait entendu… Le docteur me tâta le pouls et me trouva de la fièvre. Je me couchai sans parler de mon aventure, rêvant sur mon grabat, ayant affaire à deux âmes… Dieu! quelles âmes! n'ayant pas le sou, et pas le moindre doute que le lendemain, à mon réveil, on n'exigeât le prix dont nous étions convenus par jour.

En cet endroit, le maître jeta ses bras autour du cou de son valet, en s'écriant: Mon pauvre Jacques, que vas-tu faire? Que vas-tu devenir? Ta position m'effraye.

JACQUES

Mon maître, rassurez-vous, me voilà.

LE MAÎTRE

Je n'y pensais pas; j'étais à demain, à côté de toi, chez le docteur, au moment où tu t'éveilles, et où l'on vient te demander de l'argent.

JACQUES

Mon maître, on ne sait de quoi se réjouir, ni de quoi s'affliger dans la vie. Le bien amène le mal, le mal amène le bien. Nous marchons dans la nuit au-dessous de ce qui est écrit là-haut, également insensés dans nos souhaits, dans notre joie et dans notre affliction. Quand je pleure, je trouve souvent que je suis un sot.

LE MAÎTRE

Et quand tu ris?

JACQUES

Je trouve encore que je suis un sot; cependant, je ne puis m'empêcher de pleurer ni de rire: et c'est ce qui me fait enrager. J'ai cent fois essayé… Je ne fermai pas l'œil de la nuit…

LE MAÎTRE

Non, non, dis-moi ce que tu as essayé.

JACQUES

De me moquer de tout. Ah! si j'avais pu y réussir!

LE MAÎTRE

À quoi cela t'aurait-il servi?

JACQUES

À me délivrer de souci, à n'avoir plus besoin de rien, à me rendre parfaitement maître de moi, à me trouver aussi bien la tête contre une borne, au coin de la rue, que sur un bon oreiller. Tel je suis quelquefois; mais le diable est que cela ne dure pas, et que dur et ferme comme un rocher dans les grandes occasions, il arrive souvent qu'une petite contradiction, une bagatelle me déferre; c'est à se donner des soufflets. J'y ai renoncé; j'ai pris le parti d'être comme je suis; et j'ai vu, en y pensant un peu, que cela revenait presque au même, en ajoutant: Qu'importe comme on soit? C'est une autre résignation plus facile et plus commode.

LE MAÎTRE

Pour plus commode, cela est sûr.

JACQUES

Dès le matin, le chirurgien tira mes rideaux et me dit: «Allons, l'ami, votre genou; car il faut que j'aille au loin.

– Docteur, lui dis-je d'un ton douloureux, j'ai sommeil.

– Tant mieux! c'est bon signe.

– Laissez-moi dormir, je ne me soucie pas d'être pansé.

– Il n'y a pas grand inconvénient à cela, dormez…»

Cela dit, il referme mes rideaux; et je ne dors pas. Une heure après, la doctoresse tira mes rideaux et me dit: «Allons, l'ami, prenez votre rôtie au sucre.

– Madame la doctoresse, lui répondis-je d'un ton douloureux, je ne me sens pas d'appétit.

– Mangez, mangez, vous n'en payerez ni plus ni moins.

– Je ne veux pas manger.

– Tant mieux! ce sera pour mes enfants et pour moi.»

Et cela dit, elle referme mes rideaux, appelle ses enfants, et les voilà qui se mettent à dépêcher ma rôtie au sucre.

Lecteur, si je faisais ici une pause, et que je reprisse l'histoire de l'homme à une seule chemise, parce qu'il n'avait qu'un corps à la fois, je voudrais bien savoir ce que vous en penseriez? Que je me suis fourré dans une impasse à la Voltaire28, ou vulgairement dans un cul-de-sac, d'où je ne sais comment sortir, et que je me jette dans un conte fait à plaisir, pour gagner du temps et chercher quelque moyen de sortir de celui que j'ai commencé. Eh bien! lecteur, vous vous abusez de tout point. Je sais comment Jacques sera tiré de sa détresse, et ce que je vais vous dire de Gousse, l'homme à une seule chemise à la fois, parce qu'il n'avait qu'un corps à la fois, n'est point du tout un conte.

C'était un jour de Pentecôte, le matin, que je reçus un billet de Gousse, par lequel il me suppliait de le visiter dans une prison où il était confiné. En m'habillant, je rêvais à son aventure; et je pensais que son tailleur, son boulanger, son marchand de vin ou son hôte avaient obtenu et mis à exécution contre lui une prise de corps. J'arrive, et je le trouve faisant chambrée commune avec d'autres personnages d'une figure omineuse. Je lui demandai ce que c'étaient que ces gens-là.

«Le vieux que vous voyez avec ses lunettes sur le nez, est un homme adroit qui sait supérieurement le calcul et qui cherche à faire cadrer les registres qu'il copie avec ses comptes. Cela est difficile, nous en avons causé, mais je ne doute point qu'il n'y réussisse.

– Et cet autre?

– C'est un sot.

– Mais encore?

– Un sot, qui avait inventé une machine à contrefaire les billets publics, mauvaise machine, machine vicieuse qui pèche par vingt endroits.

– Et ce troisième, qui est vêtu d'une livrée et qui joue de la basse?

– Il n'est ici qu'en attendant; ce soir peut-être ou demain matin, car son affaire n'est rien, il sera transféré à Bicêtre.

– Et vous?

– Moi? mon affaire est moindre encore.»

Après cette réponse, il se lève, pose son bonnet sur le lit, et à l'instant ses trois camarades de prison disparaissent. Quand j'entrai, j'avais trouvé Gousse en robe de chambre, assis à une petite table, traçant des figures de géométrie et travaillant aussi tranquillement que s'il eût été chez lui. Nous voilà seuls. «Et vous, que faites-vous ici?

– Moi, je travaille, comme vous voyez.

– Et qui vous y a fait mettre?

– Moi.

– Comment, vous?

– Oui, moi, monsieur.

– Et comment vous y êtes-vous pris?

– Comme je m'y serais pris avec un autre. Je me suis fait un procès à moi-même; je l'ai gagné, et en conséquence de la sentence que j'ai obtenue contre moi et du décret qui s'en est suivi, j'ai été appréhendé et conduit ici.

– Êtes-vous fou?

– Non, monsieur; je vous dis la chose telle qu'elle est.

– Ne pourriez-vous pas vous faire un autre procès à vous-même, le gagner, et, en conséquence d'une autre sentence et d'un autre décret, vous faire élargir?

– Non, monsieur.»

Gousse avait une servante jolie, et qui lui servait de moitié plus souvent que la sienne. Ce partage inégal avait troublé la paix domestique. Quoique rien ne fût plus difficile que de tourmenter cet homme, celui de tous qui s'épouvantait le moins du bruit, il prit le parti de quitter sa femme et de vivre avec sa servante. Mais toute sa fortune consistait en meubles, en machines, en dessins, en outils et autres effets mobiliers; et il aimait mieux laisser sa femme toute nue que de s'en aller les mains vides; en conséquence, voici le projet qu'il conçut. Ce fut de faire des billets à sa servante, qui en poursuivrait le payement et obtiendrait la saisie et la vente de ses effets, qui iraient du pont Saint-Michel dans le logement où il se proposait de s'installer avec elle. Il est enchanté de l'idée, il fait les billets, il s'assigne, il a deux procureurs. Le voilà courant chez l'un et chez l'autre, se poursuivant lui-même avec toute la vivacité possible, s'attaquant bien, se défendant mal; le voilà condamné à payer sous les peines portées par la loi; le voilà s'emparant en idée de tout ce qu'il pouvait y avoir dans sa maison; mais il n'en fut pas tout à fait ainsi. Il avait affaire à une coquine très-rusée qui, au lieu de le faire exécuter dans ses meubles, se jeta sur sa personne, le fit prendre et mettre en prison; en sorte que quelque bizarres que fussent les réponses énigmatiques qu'il m'avait faites, elles n'en étaient pas moins vraies.

Tandis que je vous faisais cette histoire, que vous prendrez pour un conte… – Et celle de l'homme à la livrée qui raclait de la basse? – Lecteur, je vous la promets; d'honneur, vous ne la perdrez pas; mais permettez que je revienne à Jacques et à son maître. Jacques et son maître avaient atteint le gîte où ils avaient la nuit à passer. Il était tard; la porte de la ville était fermée, et ils avaient été obligés de s'arrêter dans le faubourg. Là, j'entends un vacarme… – Vous entendez! Vous n'y étiez pas; il ne s'agit pas de vous. – Il est vrai. Eh bien! Jacques… son maître… On entend un vacarme effroyable. Je vois deux hommes… – Vous ne voyez rien; il ne s'agit pas de vous, vous n'y étiez pas. – Il est vrai. Il y avait deux hommes à table, causant assez tranquillement à la porte de la chambre qu'ils occupaient; une femme, les deux poings sur les côtés, leur vomissait un torrent d'injures, et Jacques essayait d'apaiser cette femme, qui n'écoutait non plus ses remontrances pacifiques que les deux personnages à qui elle s'adressait ne faisaient attention à ses invectives. «Allons, ma bonne, lui disait Jacques, patience, remettez-vous; voyons, de quoi s'agit-il? Ces messieurs me semblent d'honnêtes gens.

– Eux, d'honnêtes, gens! Ce sont des brutaux, des gens sans pitié, sans humanité, sans aucun sentiment. Eh! quel mal leur faisait cette pauvre Nicole pour la maltraiter ainsi? Elle en sera peut-être estropiée pour le reste de sa vie.

– Le mal n'est peut-être pas aussi grand que vous le croyez.

– Le coup a été effroyable, vous dis-je; elle en sera estropiée.

– Il faut voir; il faut envoyer chercher le chirurgien.

– On y est allé.

– La faire mettre au lit.

– Elle y est, et pousse des cris à fendre le cœur. Ma pauvre Nicole!..»

Au milieu de ces lamentations, on sonnait d'un côté, et l'on criait: «Notre hôtesse! du vin…» Elle répondait: «On y va.» On sonnait d'un autre côté, et l'on criait: «Notre hôtesse! du linge.» Elle répondait: «On y va. – Les côtelettes et le canard! – On y va. – Un pot à boire, un pot de chambre! – On y va, on y va.» Et d'un autre coin du logis un homme forcené criait: «Maudit bavard! enragé bavard! de quoi te mêles-tu? As-tu résolu de me faire attendre jusqu'à demain? Jacques! Jacques!»

L'hôtesse, un peu remise de sa douleur et de sa fureur, dit à Jacques: «Monsieur, laissez-moi, vous êtes trop bon.

– Jacques! Jacques!

– Courez vite. Ah! si vous saviez tous les malheurs de cette pauvre créature!..

– Jacques! Jacques!

– Allez donc, c'est, je crois, votre maître qui vous appelle.

– Jacques! Jacques!»

C'était en effet le maître de Jacques qui s'était déshabillé seul, qui se mourait de faim et qui s'impatientait de n'être pas servi. Jacques monta, et un moment après Jacques, l'hôtesse, qui avait vraiment l'air abattu: «Monsieur, dit-elle au maître de Jacques, mille pardons; c'est qu'il y a des choses dans la vie qu'on ne saurait digérer. Que voulez-vous? J'ai des poulets, des pigeons, un râble de lièvre excellent, des lapins: c'est le canton des bons lapins. Aimeriez-vous mieux un oiseau de rivière?» Jacques ordonna le souper de son maître comme pour lui, selon son usage. On servit, et tout en dévorant, le maître disait à Jacques: Eh! que diable faisais-tu là-bas?

JACQUES

Peut-être bien, peut-être mal; qui le sait?

LE MAÎTRE

Et quel bien ou quel mal faisais-tu là-bas?

JACQUES

J'empêchais cette femme de se faire assommer elle-même par deux hommes qui sont là-bas et qui ont cassé tout au moins un bras à sa servante.

LE MAÎTRE

Et peut-être ç'aurait été pour elle un bien que d'être assommée…

JACQUES

Par dix raisons meilleures les unes que les autres. Un des plus grands bonheurs qui me soient arrivés de ma vie, à moi qui vous parle…

LE MAÎTRE

C'est d'avoir été assommé?.. À boire.

JACQUES

Oui, monsieur, assommé, assommé sur le grand chemin, la nuit; en revenant du village, comme je vous le disais, après avoir fait, selon moi, la sottise; selon vous, la belle œuvre de donner mon argent.

LE MAÎTRE

Je me rappelle… À boire… Et l'origine de la querelle que tu apaisais là-bas, et du mauvais traitement fait à la fille ou à la servante de l'hôtesse?

JACQUES

Ma foi, je l'ignore.

LE MAÎTRE

Tu ignores le fond d'une affaire, et tu t'en mêles! Jacques, cela n'est ni selon la prudence, ni selon la justice, ni selon les principes… À boire…

JACQUES

Je ne sais ce que c'est que des principes, sinon des règles qu'on prescrit aux autres pour soi. Je pense d'une façon, et je ne saurais m'empêcher de faire d'une autre. Tous les sermons ressemblent aux préambules des édits du roi; tous les prédicateurs voudraient qu'on pratiquât leurs leçons, parce que nous nous en trouverions mieux peut-être; mais eux à coup sûr… La vertu…

LE MAÎTRE

La vertu, Jacques, c'est une bonne chose; les méchants et les bons en disent du bien… À boire…

JACQUES

Car ils y trouvent les uns et les autres leur compte.

LE MAÎTRE

Et comment fut-ce un si grand bonheur pour toi d'être assommé?

JACQUES

Il est tard, vous avez bien soupé et moi aussi; nous sommes fatigués tous les deux; croyez-moi, couchons-nous.

LE MAÎTRE

Cela ne se peut, et l'hôtesse nous doit encore quelque chose. En attendant, reprends l'histoire de tes amours.

JACQUES

Où en étais-je? Je vous prie, mon maître, pour cette fois-ci, et pour toutes les autres, de me remettre sur la voie.

LE MAÎTRE

Je m'en charge, et, pour entrer en ma fonction de souffleur, tu étais dans ton lit, sans argent, fort empêché de ta personne, tandis que la doctoresse et ses enfants mangeaient ta rôtie au sucre.

JACQUES

Alors on entendit un carrosse s'arrêter à la porte de la maison. Un valet entre et demande: «N'est-ce pas ici que loge un pauvre homme, un soldat qui marche avec une béquille, qui revint hier au soir du village prochain?

– Oui, répondit la doctoresse, que lui voulez-vous?

– Le prendre dans ce carrosse et l'amener avec nous.

– Il est dans ce lit; tirez les rideaux et parlez-lui.»

Jacques en était là, lorsque l'hôtesse entra et leur dit: Que voulez-vous pour dessert?

LE MAÎTRE

Ce que vous avez.

L'hôtesse, sans se donner la peine de descendre, cria de la chambre: «Nanon, apportez des fruits, des biscuits, des confitures…»

À ce mot de Nanon, Jacques dit à part lui: «Ah! c'est sa fille qu'on a maltraitée, on se mettrait en colère à moins…»

Et le maître dit à l'hôtesse: Vous étiez bien fâchée tout à l'heure?

L'HÔTESSE

Et qui est-ce qui ne se fâcherait pas? La pauvre créature ne leur avait rien fait; elle était à peine entrée dans leur chambre, que je l'entends jeter des cris, mais des cris… Dieu merci! je suis un peu rassurée; le chirurgien prétend que ce ne sera rien; elle a cependant deux énormes contusions, l'une à la tête, l'autre à l'épaule.

LE MAÎTRE

Y a-t-il longtemps que vous l'avez?

L'HÔTESSE

Une quinzaine au plus. Elle avait été abandonnée à la poste voisine.

LE MAÎTRE

Comment, abandonnée!

L'HÔTESSE

Eh, mon Dieu, oui! C'est qu'il y a des gens qui sont plus durs que des pierres. Elle a pensé être noyée en passant la rivière qui coule ici près; elle est arrivée ici comme par miracle, et je l'ai reçue par charité.

LE MAÎTRE

Quel âge a-t-elle?

L'HÔTESSE

Je lui crois plus d'un an et demi…

À ce mot, Jacques part d'un éclat de rire et s'écrie: C'est une chienne!

L'HÔTESSE

La plus jolie bête du monde; je ne donnerais pas ma Nicole pour dix louis. Ma pauvre Nicole!

LE MAÎTRE

Madame a le cœur tendre29.

L'HÔTESSE

Vous l'avez dit, je tiens à mes bêtes et à mes gens.

LE MAÎTRE

C'est fort bien fait. Et qui sont ceux qui ont si fort maltraité votre Nicole?

L'HÔTESSE

Deux bourgeois de la ville prochaine. Ils se parlent sans cesse à l'oreille; ils s'imaginent qu'on ne sait ce qu'ils disent, et qu'on ignore leur aventure. Il n'y a pas plus de trois heures qu'ils sont ici, et il ne me manque pas un mot de toute leur affaire. Elle est plaisante; et si vous n'étiez pas plus pressé de vous coucher que moi, je vous la raconterais tout comme leur domestique l'a dite à ma servante, qui s'est trouvée par hasard être sa payse, qui l'a redite à mon mari, qui me l'a redite. La belle-mère du plus jeune des deux a passé par ici il n'y a pas plus de trois mois; elle s'en allait assez malgré elle dans un couvent de province où elle n'a pas fait de vieux os; elle y est morte; et voilà pourquoi nos deux jeunes gens sont en deuil… Mais voilà que, sans m'en apercevoir, j'enfile leur histoire. Bonsoir, messieurs, et bonne nuit. Vous avez trouvé le vin bon?

LE MAÎTRE

Très-bon.

L'HÔTESSE

Vous avez été contents de votre souper?

LE MAÎTRE

Très-contents. Vos épinards étaient un peu salés.

L'HÔTESSE

J'ai quelquefois la main lourde. Vous serez bien couchés, et dans des draps de lessive; ils ne servent jamais ici deux fois.

Cela dit, l'hôtesse se retira, et Jacques et son maître se mirent au lit en riant du quiproquo qui leur avait fait prendre une chienne pour la fille ou la servante de la maison, et de la passion de l'hôtesse pour une chienne perdue qu'elle possédait depuis quinze jours. Jacques dit à son maître, en attachant le serre-tête à son bonnet de nuit: «Je gagerais bien que de tout ce qui a vie dans l'auberge, cette femme n'aime que sa Nicole.» Son maître lui répondit: «Cela se peut, Jacques; mais dormons.»

Tandis que Jacques et son maître reposent, je vais m'acquitter de ma promesse, par le récit de l'homme de la prison, qui raclait de la basse, ou plutôt de son camarade, le sieur Gousse.

«Ce troisième, me dit-il, est un intendant de grande maison. Il était devenu amoureux d'une pâtissière de la rue de l'Université. Le pâtissier était un bon homme qui regardait de plus près à son four qu'à la conduite de sa femme. Si ce n'était pas sa jalousie, c'était son assiduité qui gênait nos deux amants. Que firent-ils pour se délivrer de cette contrainte? L'intendant présenta à son maître un placet où le pâtissier était traduit comme un homme de mauvaises mœurs, un ivrogne qui ne sortait pas de la taverne, un brutal qui battait sa femme, la plus honnête et la plus malheureuse des femmes. Sur ce placet il obtint une lettre de cachet, et cette lettre de cachet, qui disposait de la liberté du mari, fut mise entre les mains d'un exempt, pour l'exécuter sans délai. Il arriva par hasard que cet exempt était l'ami du pâtissier. Ils allaient de temps en temps chez le marchand de vin; le pâtissier fournissait les petits pâtés, l'exempt payait la bouteille. Celui-ci, muni de la lettre de cachet, passe devant la porte du pâtissier, et lui fait le signe convenu. Les voilà tous les deux occupés à manger et à arroser les petits pâtés; et l'exempt demandant à son camarade comment allait son commerce?

«Fort bien.

« – S'il n'avait aucune mauvaise affaire?

« – Aucune.

« – S'il n'avait point d'ennemis?

« – Il ne s'en connaissait pas.

« – Comment il vivait avec ses parents, ses voisins, sa femme?

« – En amitié et en paix.

« – D'où peut donc venir, ajouta l'exempt, l'ordre que j'ai de t'arrêter? Si je faisais mon devoir, je te mettrais la main sur le collet, il y aurait là un carrosse tout près, et je te conduirais au lieu prescrit par cette lettre de cachet. Tiens, lis…»

«Le pâtissier lut et pâlit. L'exempt lui dit: «Rassure-toi, avisons seulement ensemble à ce que nous avons de mieux à faire pour ma sûreté et pour la tienne. Qui est-ce qui fréquente chez toi?

« – Personne.

« – Ta femme est coquette et jolie.

« – Je la laisse faire à sa tête.

« – Personne ne la couche-t-il en joue?

« – Ma foi non, si ce n'est un certain intendant qui vient quelquefois lui serrer les mains et lui débiter des sornettes; mais c'est dans ma boutique, devant moi, en présence de mes garçons, et je crois qu'il ne se passe rien entre eux qui ne soit en tout bien et en tout honneur.

« – Tu es un bon homme!

« – Cela se peut; mais le mieux de tout point est de croire sa femme honnête, et c'est ce que je fais.

« – Et cet intendant, à qui est-il?

« – A M. de Saint-Florentin30.

« – Et de quels bureaux crois-tu que vienne la lettre de cachet?

« – Des bureaux de M. de Saint-Florentin, peut-être.

« – Tu l'as dit.

« – Oh! manger ma pâtisserie, baiser ma femme et me faire enfermer, cela est trop noir, et je ne saurais le croire!

« – Tu es un bon homme! Depuis quelques jours, comment trouves-tu ta femme?

« – Plutôt triste que gaie.

« – Et l'intendant, y a-t-il longtemps que tu ne l'as vu?

« – Hier, je crois; oui, c'était hier.

« – N'as-tu rien remarqué?

« – Je suis fort peu remarquant; mais il m'a semblé qu'en se séparant ils se faisaient quelques signes de la tête, comme quand l'un dit oui et que l'autre dit non.

« – Quelle était la tête qui disait oui?

« – Celle de l'intendant.

« – Ils sont innocents ou ils sont complices. Écoute, mon ami, ne rentre pas chez toi; sauve-toi en quelque lieu de sûreté, au Temple, dans l'Abbaye31, où tu voudras, et cependant laisse-moi faire; surtout souviens-toi bien…

« – De ne me pas montrer et de me taire.

« – C'est cela.»

«Au même moment la maison du pâtissier est entourée d'espions. Des mouchards, sous toutes sortes de vêtements, s'adressent à la pâtissière, et lui demandent son mari: elle répond à l'un qu'il est malade, à un autre qu'il est parti pour une fête, à un troisième pour une noce. Quand il reviendra? Elle n'en sait rien.

«Le troisième jour, sur les deux heures du matin, on vient avertir l'exempt qu'on avait vu un homme, le nez enveloppé dans un manteau, ouvrir doucement la porte de la rue et se glisser doucement dans la maison du pâtissier. Aussitôt l'exempt, accompagné d'un commissaire, d'un serrurier, d'un fiacre et de quelques archers, se transporte sur les lieux. La porte est crochetée, l'exempt et le commissaire montent à petit bruit. On frappe à la chambre de la pâtissière: point de réponse; on frappe encore: point de réponse; à la troisième fois on demande du dedans: «Qui est-ce?

« – Ouvrez.

« – Qui est-ce?

« – Ouvrez, c'est de la part du roi.

« – Bon! disait l'intendant à la pâtissière avec laquelle il était couché; il n'y a point de danger: c'est l'exempt qui vient pour exécuter son ordre. Ouvrez: je me nommerai; il se retirera, et tout sera fini.»

«La pâtissière, en chemise, ouvre et se remet dans son lit.

L'EXEMPT

«Où est votre mari?

LA PATISSIÈRE

«Il n'y est pas.

L'EXEMPT, écartant le rideau

«Qui est-ce qui est donc là?

L'INTENDANT

«C'est moi; je suis l'intendant de M. de Saint-Florentin.

L'EXEMPT

«Vous mentez, vous êtes le pâtissier, car le pâtissier est celui qui couche avec la pâtissière. Levez-vous, habillez-vous, et suivez-moi.»

«Il fallut obéir; on le conduisit ici. Le ministre, instruit de la scélératesse de son intendant, a approuvé la conduite de l'exempt, qui doit venir ce soir à la chute du jour le prendre dans cette prison pour le transférer à Bicêtre, où, grâce à l'économie des administrateurs, il mangera son quarteron de mauvais pain, son once de vache, et raclera de sa basse du matin au soir…» Si j'allais aussi mettre ma tête sur un oreiller, en attendant le réveil de Jacques et de son maître; qu'en pensez-vous?

Le lendemain Jacques se leva de grand matin, mit la tête à la fenêtre pour voir quel temps il faisait, vit qu'il faisait un temps détestable, se recoucha, et nous laissa dormir, son maître et moi, tant qu'il nous plut.

Jacques, son maître et les autres voyageurs qui s'étaient arrêtés au même gîte, crurent que le ciel s'éclaircirait sur le midi; il n'en fut rien; et la pluie de l'orage ayant gonflé le ruisseau qui séparait le faubourg de la ville, au point qu'il eût été dangereux de le passer, tous ceux dont la route conduisait de ce côté prirent le parti de perdre une journée, et d'attendre. Les uns se mirent à causer; d'autres à aller et venir, à mettre le nez à la porte, à regarder le ciel, et à rentrer en jurant et frappant du pied; plusieurs à politiquer et à boire; beaucoup à jouer; le reste à fumer, à dormir et à ne rien faire. Le maître dit à Jacques: J'espère que Jacques va reprendre le récit de ses amours, et que le ciel, qui veut que j'aie la satisfaction d'en entendre la fin, nous retient ici par le mauvais temps.

JACQUES

Le ciel qui veut! On ne sait jamais ce que le ciel veut ou ne veut pas, et il n'en sait peut-être rien lui-même. Mon pauvre capitaine qui n'est plus, me l'a répété cent fois; et plus j'ai vécu, plus j'ai reconnu qu'il avait raison… À vous, mon maître.

LE MAÎTRE

J'entends. Tu en étais au carrosse et au valet, à qui la doctoresse a dit d'ouvrir ton rideau et de te parler.

JACQUES

Ce valet s'approche de mon lit, et me dit: «Allons, camarade, debout, habillez-vous et partons.» Je lui répondis d'entre les draps et la couverture dont j'avais la tête enveloppée, sans le voir, sans en être vu: «Camarade, laissez-moi dormir et partez.» Le valet me réplique qu'il a des ordres de son maître, et qu'il faut qu'il les exécute.

«Et votre maître qui ordonne d'un homme qu'il ne connaît pas, a-t-il ordonné de payer ce que je dois ici?

– C'est une affaire faite. Dépêchez-vous, tout le monde vous attend au château, où je vous réponds que vous serez mieux qu'ici, si la suite répond à la curiosité qu'on a de vous voir.»

Je me laisse persuader; je me lève, je m'habille, on me prend sous les bras. J'avais fait mes adieux à la doctoresse, et j'allais monter en carrosse, lorsque cette femme, s'approchant de moi, me tire par la manche, et me prie de passer dans un coin de la chambre, qu'elle avait un mot à me dire. «Là, notre ami, ajouta-t-elle, vous n'avez point, je crois, à vous plaindre de nous; le docteur vous a sauvé une jambe, moi, je vous ai bien soigné, et j'espère qu'au château vous ne nous oublierez pas.

– Qu'y pourrais-je pour vous?

– Demander que ce fût mon mari qui vînt pour vous y panser; il y a du monde là! C'est la meilleure pratique du canton; le seigneur est un homme généreux, on en est grassement payé; il ne tiendrait qu'à vous de faire notre fortune. Mon mari a bien tenté à plusieurs reprises de s'y fourrer, mais inutilement.

– Mais, madame la doctoresse, n'y a-t-il pas un chirurgien du château?

– Assurément!

– Et si cet autre était votre mari, seriez-vous bien aise qu'on le desservît et qu'il fût expulsé?

– Ce chirurgien est un homme à qui vous ne devez rien, et je crois que vous devez quelque chose à mon mari: si vous allez à deux pieds comme ci-devant, c'est son ouvrage.

– Et parce que votre mari m'a fait du bien, il faut que je fasse du mal à un autre? Encore si la place était vacante…»

Jacques allait continuer, lorsque l'hôtesse entra tenant entre ses bras Nicole emmaillottée, la baisant, la plaignant, la caressant, lui parlant comme à son enfant: Ma pauvre Nicole, elle n'a eu qu'un cri de toute la nuit. Et vous, messieurs, avez-vous bien dormi?

LE MAÎTRE

Très-bien.

L'HÔTESSE

Le temps est pris de tous côtés.

JACQUES

Nous en sommes assez fâchés.

L'HÔTESSE

Ces messieurs vont-ils loin?

JACQUES

Nous n'en savons rien.

L'HÔTESSE

Ces messieurs suivent quelqu'un?

JACQUES

Nous ne suivons personne.

L'HÔTESSE

Ils vont, ou ils s'arrêtent, selon les affaires qu'ils ont sur la route?

JACQUES

Nous n'en avons aucune.

L'HÔTESSE

Ces messieurs voyagent pour leur plaisir?

JACQUES

Ou pour leur peine.

L'HÔTESSE

Je souhaite que ce soit le premier.

JACQUES

Votre souhait n'y fera pas un zeste; ce sera selon qu'il est écrit là-haut.

L'HÔTESSE

Oh! c'est un mariage?

JACQUES

Peut-être que oui, peut-être que non.

L'HÔTESSE

Messieurs, prenez-y garde. Cet homme qui est là-bas, et qui a si rudement traité ma pauvre Nicole, en a fait un bien saugrenu… Viens, ma pauvre bête; viens que je te baise; je te promets que cela n'arrivera plus. Voyez comme elle tremble de tous ses membres!

LE MAÎTRE

Et qu'a donc de si singulier le mariage de cet homme?

À cette question du maître de Jacques, l'hôtesse dit: «J'entends du bruit là-bas, je vais donner mes ordres, et je reviens vous conter tout cela…» Son mari, las de crier: «Ma femme, ma femme,» monte, et avec lui son compère qu'il ne voyait pas. L'hôte dit à sa femme: «Eh! que diable faites-vous là?..» Puis se retournant et apercevant son compère: M'apportez-vous de l'argent?

LE COMPÈRE

Non, compère, vous savez bien que je n'en ai point.

L'HÔTE

Tu n'en as point? Je saurai bien en faire avec ta charrue, tes chevaux, tes bœufs et ton lit. Comment, gredin!..

LE COMPÈRE

Je ne suis point un gredin.

L'HÔTE

Et qui es-tu donc? Tu es dans la misère, tu ne sais où prendre de quoi ensemencer tes champs; ton propriétaire, las de te faire des avances, ne te veut plus rien donner. Tu viens à moi; cette femme intercède; cette maudite bavarde, qui est la cause de toutes les sottises de ma vie, me résout à te prêter; je te prête; tu promets de me rendre; tu me manques dix fois. Oh! je te promets, moi, que je ne te manquerai pas. Sors d'ici…

Jacques et son maître se préparaient à plaider pour ce pauvre diable; mais l'hôtesse, en posant le doigt sur sa bouche, leur fit signe de se taire.

L'HÔTE

Sors d'ici.

LE COMPÈRE

Compère, tout ce que vous dites est vrai; il l'est aussi que les huissiers sont chez moi, et que dans un moment nous serons réduits à la besace, ma fille, mon garçon et moi.

L'HÔTE

C'est le sort que tu mérites. Qu'es-tu venu faire ici ce matin? Je quitte le remplissage de mon vin, je remonte de ma cave et je ne te trouve point. Sors d'ici, te dis-je.

LE COMPÈRE

Compère, j'étais venu; j'ai craint la réception que vous me faites; je m'en suis retourné; et je m'en vais.

L'HÔTE

Tu feras bien.

LE COMPÈRE

Voilà donc ma pauvre Marguerite, qui est si sage et si jolie, qui s'en ira en condition à Paris!

L'HÔTE

En condition à Paris! Tu en veux donc faire une malheureuse?

LE COMPÈRE

Ce n'est pas moi qui le veux; c'est l'homme dur à qui je parle.

L'HÔTE

Moi, un homme dur! Je ne le suis point: je ne le fus jamais; et tu le sais bien.

LE COMPÈRE

Je ne suis plus en état de nourrir ma fille ni mon garçon; ma fille servira, mon garçon s'engagera.

L'HÔTE

Et c'est moi qui en serais la cause! Cela ne sera pas. Tu es un cruel homme; tant que je vivrai tu seras mon supplice. Çà, voyons ce qu'il te faut.

LE COMPÈRE

Il ne me faut rien. Je suis désolé de vous devoir, et je ne vous devrai de ma vie. Vous faites plus de mal par vos injures que de bien par vos services. Si j'avais de l'argent, je vous le jetterais au visage; mais je n'en ai point. Ma fille deviendra tout ce qu'il plaira à Dieu; mon garçon se fera tuer s'il le faut; moi, je mendierai, mais ce ne sera pas à votre porte. Plus, plus d'obligations à un vilain homme comme vous. Empochez bien l'argent de mes bœufs, de mes chevaux et de mes ustensiles: grand bien vous fasse. Vous êtes né pour faire des ingrats, et je ne veux pas l'être. Adieu.

28.«Comment a-t-on pu donner, dit Voltaire dans son Dictionnaire philosophique, le nom de cul-de-sac à l'angiportus des Romains? Les Italiens ont pris le nom d'angiporto pour signifier strada senza uscita. On lui donnait autrefois chez nous le nom d'impasse, qui est expressif et sonore. C'est une grossièreté énorme que le mot de cul-de-sac ait prévalu.»
  On lit encore dans une lettre de Voltaire aux Parisiens (cette lettre, qui précède l'Avertissement de la comédie de l'Écossaise, est écrite contre l'auteur de l'Année littéraire): «J'appelle impasse, messieurs, ce que vous appelez cul-de-sac. Je trouve qu'une rue ne ressemble ni à un cul ni à un sac. Je vous prie de vous servir du mot impasse, qui est noble, sonore, intelligible, nécessaire, au lieu de celui de cul, en dépit du sieur Fréron, ci-devant jésuite.»
  Le Breton, imprimeur de l'Almanach royal, s'étant servi du mot de cul-de-sac en donnant l'adresse de quelques personnages, Voltaire s'écrie encore, dans le Prologue de la guerre civile de Genève: «Comment peut-on dire qu'un grave président demeure dans un cul? Passe encore pour Fréron: on peut habiter le lieu de sa naissance; mais un président, un conseiller! Fi! monsieur Le Breton; corrigez-vous, servez-vous du mot impasse, qui est le mot propre; l'expression ancienne est impasse.» (Br.)
29.Variante: «bon.»
30.Saint-Florentin (Phelipeaux de la Vrillière, comte de), fils de Louis Phelipeaux de la Vrillière, a été ministre au département du clergé depuis 1748 jusqu'en 1757, en survivance de son père, qui avait occupé le même ministère de 1718 à 1748. (Br.)
31.Le Temple, l'Abbaye étaient encore à cette époque lieux d'asile soustraits à la juridiction régulière.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
11 ağustos 2017
Hacim:
340 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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