Kitabı oku: «La religieuse», sayfa 14
EXTRAIT DES REGISTRES
Voilà la lettre qui a été envoyée, et voici celle que sœur Suzanne aurait dû écrire:
Monsieur, je vous remercie de vos bontés; il ne faut plus penser à rien, tout va finir pour moi. Je serai dans un moment devant le Dieu de la miséricorde; c'est là que je me souviendrai de vous. Ils délibèrent s'ils me saigneront une troisième fois; ils ordonneront tout ce qu'il leur plaira. Adieu, mon cher monsieur. J'espère que le séjour où je vais sera plus heureux; nous nous y verrons.
LETTRE DE MADAME MADIN À M. LE MARQUIS DE CROISMARE
Je suis à côté de son lit, et elle me presse de vous écrire. Elle a été à toute extrémité, et mon état, qui m'attache à Versailles, ne m'a point permis de venir plus tôt à son secours. Je savais qu'elle était fort mal et abandonnée de tout le monde, et je ne pouvais quitter. Vous pensez bien, monsieur, qu'elle avait beaucoup souffert. Elle avait fait une chute qu'elle cachait. Elle a été attaquée tout d'un coup d'une fièvre ardente qu'on n'a pu abattre qu'à force de saignées. Je la crois hors de danger. Ce qui m'inquiète à présent est la crainte que sa convalescence ne soit longue, et qu'elle ne puisse partir avant un mois ou six semaines. Elle est déjà si faible, et elle le sera bien davantage. Tâchez donc, monsieur, de gagner du temps, et travaillons de concert à sauver la créature la plus malheureuse et la plus intéressante qu'il y ait au monde. Je ne saurais vous dire tout l'effet de votre billet sur elle; elle a beaucoup pleuré, elle a écrit l'adresse de M. Gassion derrière une Sainte Suzanne de son diurnal, et puis elle a voulu vous répondre malgré sa faiblesse. Elle sortait d'une crise; je ne sais ce qu'elle vous aura dit, car sa pauvre tête n'y était guère. Pardon, monsieur, je vous écris ceci à la hâte. Elle me fait pitié; je voudrais ne la point quitter, mais il m'est impossible de rester ici plusieurs jours de suite. Voilà la lettre que vous lui avez écrite. J'en fais partir une autre, telle à peu près que vous la demandez. Je n'y parle point des talents agréables; ils ne sont pas de l'état qu'elle va prendre, et il faut, ce me semble, qu'elle y renonce absolument si elle veut être ignorée. Du reste, tout ce que je dis d'elle est vrai: non, monsieur, il n'y a point de mère qui ne fût comblée de l'avoir pour enfant. Mon premier soin, comme vous pouvez penser, a été de la mettre à couvert, et c'est une affaire faite. Je ne me résoudrai à la laisser aller que quand sa santé sera tout à fait rétablie; mais ce ne peut être avant un mois ou six semaines, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire; encore faut-il qu'il ne survienne point d'accident. Elle garde le cachet de votre lettre; il est dans ses Heures et sous son chevet. Je n'ai osé lui dire que ce n'était pas le vôtre; je l'avais brisé en ouvrant votre réponse, et je l'avais remplacé par le mien: dans l'état fâcheux où elle était, je ne devais pas risquer de lui envoyer votre lettre sans la lire. J'ose vous demander pour elle un mot qui la soutienne dans ses espérances; ce sont les seules qu'elle ait, et je ne répondrais pas de sa vie, si elles venaient à lui manquer. Si vous aviez la bonté de me faire à part un petit détail de la maison où elle entrera, je m'en servirais pour la tranquilliser. Ne craignez rien pour vos lettres; elles vous seront toutes renvoyées aussi exactement que la première; et reposez-vous sur l'intérêt que j'ai moi-même à ne rien faire d'inconsidéré. Nous nous conformerons à tout, à moins que vous ne changiez vos dispositions. Adieu, monsieur. La chère infortunée prie Dieu pour vous à tous les instants où sa tête le lui permet.
J'attends, monsieur, votre réponse, toujours au pavillon de Bourgogne, rue d'Anjou, à Versailles.
Ce 16 février 1760.
LETTRE OSTENSIBLE DE MADAME MADIN, TELLE QUE M. LE MARQUIS DE CROISMARE L'AVAIT DEMANDÉ
Monsieur, la personne que je vous propose s'appellera Suzanne Simonin. Je l'aime comme si c'était mon enfant: cependant vous pouvez prendre à la lettre ce que je vais vous dire, parce qu'il n'est pas dans mon caractère d'exagérer. Elle est orpheline de père et de mère; elle est bien née, et son éducation n'a pas été négligée. Elle s'entend à tous les petits ouvrages qu'on apprend quand on est adroite et qu'on aime à s'occuper; elle parle peu, mais assez bien; elle écrit naturellement. Si la personne à qui vous la destinez voulait se faire lire, elle lit à merveille. Elle n'est ni grande ni petite. Sa taille est fort bien; pour sa physionomie, je n'en ai guère vu de plus intéressante. On la trouvera peut-être un peu jeune, car je lui crois à peine dix-neuf ans accomplis; mais si l'expérience de l'âge lui manque, elle est remplacée de reste par celle du malheur. Elle a beaucoup de retenue et un jugement peu commun. Je réponds de l'innocence de ses mœurs. Elle est pieuse, mais point bigote. Elle a l'esprit naïf, une gaieté douce, jamais d'humeur. J'ai deux filles; si des circonstances particulières n'empêchaient pas Mlle Simonin de se fixer à Paris, je ne leur chercherais pas d'autre gouvernante; je n'espère pas rencontrer aussi bien. Je la connais depuis son enfance, et elle a toujours vécu sous mes yeux. Elle partira d'ici bien nippée. Je me chargerai des petits frais de son voyage et même de ceux de son retour, s'il arrive qu'on me la renvoie: c'est la moindre chose que je puisse faire pour elle. Elle n'est jamais sortie de Paris; elle ne sait où elle va; elle se croit perdue: j'ai toute la peine du monde à la rassurer. Un mot de vous, monsieur, sur la personne à laquelle elle doit appartenir, la maison qu'elle habitera, et les devoirs qu'elle aura à remplir, fera plus sur son esprit que tous mes discours. Ne serait-ce point trop exiger de votre complaisance que de vous le demander? Toute sa crainte est de ne pas réussir: la pauvre enfant ne se connaît guère.
J'ai l'honneur d'être, avec tous les sentiments que vous méritez, monsieur, votre très-humble et obéissante servante,
Signé: Moreau-Madin.À Paris, ce 16 février 1760.
LETTRE DE M. LE MARQUIS DE CROISMARE À MADAME MADIN
Madame, j'ai reçu il y a deux jours deux mots de lettre, qui m'apprennent l'indisposition de Mlle Simonin. Son malheureux sort me fait gémir; sa santé m'inquiète. Puis-je vous demander la consolation d'être instruit de son état, du parti qu'elle compte prendre, en un mot la réponse à la lettre que je lui ai écrite? J'ose espérer le tout de votre complaisance et de l'intérêt que vous y prenez.
Votre très-humble et très-obéissant serviteur.
À Caen, ce 17 février 1760.
AUTRE LETTRE DE M. LE MARQUIS DE CROISMARE À MADAME MADIN
J'étais, madame, dans l'impatience, et heureusement votre lettre a suspendu mon inquiétude sur l'état de mademoiselle Simonin, que vous m'assurez hors de danger, et à couvert des recherches. Je lui écris; et vous pouvez encore la rassurer sur la continuation de mes sentiments. Sa lettre m'avait frappé; et dans l'embarras où je l'ai vue, j'ai cru ne pouvoir mieux faire que de me l'attacher en la mettant auprès de ma fille, qui malheureusement n'a plus de mère. Voilà, madame, la maison que je lui destine. Je suis sûr de moi-même, et de pouvoir lui adoucir ses peines sans manquer au secret, ce qui serait peut-être plus difficile en d'autres mains. Je ne pourrai m'empêcher de gémir et sur son état et sur ce que ma fortune ne me permettra pas d'en agir comme je le désirerais; mais que faire quand on est soumis aux lois de la nécessité? Je demeure à deux lieues de la ville, dans une campagne assez agréable, où je vis fort retiré avec ma fille et mon fils aîné, qui est un garçon plein de sentiments et de religion, à qui cependant je laisserai ignorer ce qui peut la regarder. Pour les domestiques, ce sont toutes personnes attachées à moi depuis longtemps; de sorte que tout est dans un état fort tranquille et fort uni. J'ajouterai encore que ce parti que je lui propose ne sera que son pis-aller: si elle trouvait quelque chose de mieux, je n'entends pas la contraindre par un engagement; mais qu'elle soit certaine qu'elle trouvera toujours en moi une ressource assurée. Ainsi qu'elle rétablisse sa santé sans inquiétude; je l'attendrai et serai bien aise cependant d'avoir souvent de ses nouvelles.
J'ai l'honneur d'être, madame, votre très-humble et très-obéissant serviteur.
À Caen, ce 21 février 1760.
LETTRE DE M. LE MARQUIS DE CROISMARE À SŒUR SUZANNE
SUR L'ENVELOPPE ÉTAIT UNE CROIX
Personne n'est, mademoiselle, plus sensible que je le suis à l'état où vous vous trouvez. Je ne puis que m'intéresser de plus en plus à vous procurer quelque consolation dans le sort malheureux qui vous poursuit. Tranquillisez-vous, reprenez vos forces, et comptez toujours avec une entière confiance sur mes sentiments. Rien ne doit plus vous occuper que le rétablissement de votre santé et le soin de demeurer ignorée. S'il m'était possible de vous rendre votre sort plus doux, je le ferais; mais votre situation me contraint, et je ne pourrai que gémir sur la dure nécessité. La personne à laquelle je vous destine m'est des plus chères, et c'est à moi principalement que vous aurez à répondre. Ainsi, autant qu'il me sera possible, j'aurai soin d'adoucir les petites peines inséparables de l'état que vous prenez. Vous me devrez votre confiance, je me reposerai entièrement sur vos soins: cette assurance doit vous tranquilliser et vous prouver ma manière de penser et l'attachement sincère avec lequel je suis, mademoiselle, votre très-humble et très-obéissant serviteur.
À Caen, ce 21 février 1760.
J'écris à Mme Madin, qui pourra vous en dire davantage.
LETTRE DE MADAME MADIN À M. LE MARQUIS DE CROISMARE
Monsieur, la guérison de notre chère malade est assurée: plus de fièvre, plus de mal de tête, tout annonce la convalescence la plus prompte et la meilleure santé. Les lèvres sont encore un peu pâles; mais les yeux reprennent de l'éclat. La couleur commence à reparaître sur les joues; les chairs ont de la fraîcheur et ne tarderont pas à reprendre leur fermeté; tout va bien depuis qu'elle a l'esprit tranquille. C'est à présent, monsieur, qu'elle sent le prix de votre bienveillance; et rien n'est plus touchant que la manière dont elle s'en exprime. Je voudrais bien pouvoir vous peindre ce qui se passa entre elle et moi lorsque je lui portai vos dernières lettres. Elle les prit, les mains lui tremblaient; elle respirait avec peine en les lisant; à chaque ligne elle s'arrêtait; et, après avoir fini, elle me dit, en se jetant à mon cou, et en pleurant à chaudes larmes: «Eh bien! madame Madin, Dieu ne m'a donc pas abandonnée; il veut donc enfin que je sois heureuse. Oui, c'est Dieu qui m'a inspiré de m'adresser à ce cher monsieur: quel autre au monde eût pris pitié de moi? Remercions le ciel de ces premières grâces, afin qu'il nous en accorde d'autres.» Et puis elle s'assit sur son lit, et elle se mit à prier; ensuite, revenant sur quelques endroits de vos lettres, elle dit: «C'est sa fille qu'il me confie. Ah! maman, elle lui ressemblera; elle sera douce, bienfaisante et sensible comme lui.» Après s'être arrêtée, elle dit avec un peu de souci: «Elle n'a plus de mère! Je regrette de n'avoir pas l'expérience qu'il me faudrait. Je ne sais rien, mais je ferai de mon mieux; je me rappellerai le soir et le matin ce que je dois à son père: il faut que la reconnaissance supplée à bien des choses. Serai-je encore longtemps malade? Quand est-ce qu'on me permettra de manger? Je ne me sens plus de ma chute, plus du tout.» Je vous fais ce petit détail, monsieur, parce que j'espère qu'il vous plaira. Il y avait dans son discours et son action tant d'innocence et de zèle, que j'en étais hors de moi. Je ne sais ce que je n'aurais pas donné pour que vous l'eussiez vue et entendue. Non, monsieur, ou je ne me connais à rien, ou vous aurez une créature unique, et qui fera la bénédiction de votre maison. Ce que vous avez eu la bonté de m'apprendre de vous, de mademoiselle votre fille, de monsieur votre fils, de votre situation, s'arrange parfaitement avec ses vœux. Elle persiste dans les premières propositions qu'elle vous a faites. Elle ne demande que la nourriture et le vêtement, et vous pouvez la prendre au mot si cela vous convient: quoique je ne sois pas riche, le reste sera mon affaire. J'aime cette enfant, je l'ai adoptée dans mon cœur; et le peu que j'aurai fait pour elle de mon vivant lui sera continué après ma mort. Je ne vous dissimule pas que ces mots d'être son pis-aller et de la laisser libre d'accepter mieux si l'occasion s'en présente, lui ont fait de la peine; je n'ai pas été fâchée de lui trouver cette délicatesse. Je ne négligerai pas de vous instruire des progrès de sa convalescence; mais j'ai un grand projet dans lequel je ne désespérerais pas de réussir pendant qu'elle se rétablira, si vous pouviez m'adresser à un de vos amis: vous devez en avoir beaucoup ici. Il me faudrait un homme sage, discret, adroit, pas trop considérable, qui approchât par lui ou par ses amis de quelques grands que je lui nommerais, et qui eût accès à la cour sans en être. De la manière dont la chose est arrangée dans mon esprit, il ne serait point mis dans la confidence; il nous servirait sans savoir en quoi: quand ma tentative serait infructueuse, nous en tirerions au moins l'avantage de persuader qu'elle est en pays étranger. Si vous pouvez m'adresser à quelqu'un, je vous prie de me le nommer, et de me dire sa demeure, et ensuite de lui écrire que Mme Madin, que vous connaissez depuis longtemps, doit venir lui demander un service, et que vous le priez de s'intéresser à elle, si la chose est faisable. Si vous n'avez personne, il faut s'en consoler; mais voyez, monsieur. Au reste, je vous prie de compter sur l'intérêt que je prends à notre infortunée, et sur quelque prudence que je tiens de l'expérience. La joie que votre dernière lettre lui a causée, lui a donné un petit mouvement dans le pouls; mais ce ne sera rien.
J'ai l'honneur d'être, avec les sentiments les plus respectueux, monsieur, votre très-humble et très-obéissante servante,
Signé: Moreau-Madin.À Paris, ce 3 mars 1760.
L'idée de Mme Madin de se faire adresser à un des amis du généreux protecteur de sœur Suzanne, était une suggestion de Satan, au moyen de laquelle ses suppôts espéraient inspirer adroitement à leur ami de Normandie de s'adresser à moi et de me mettre dans la confidence de toute cette affaire; ce qui réussit parfaitement, comme vous verrez par la suite de cette correspondance.
LETTRE DE SŒUR SUZANNE À M. LE MARQUIS DE CROISMARE
Monsieur, maman Madin m'a remis les deux réponses dont vous m'avez honorée, et m'a fait part aussi de la lettre que vous lui avez écrite. J'accepte, j'accepte. C'est cent fois mieux que je ne mérite; oui, cent fois, mille fois mieux. J'ai si peu de monde, si peu d'expérience, et je sens si bien tout ce qu'il me faudrait pour répondre dignement à votre confiance; mais j'espère tout de votre indulgence, de mon zèle et de ma reconnaissance. Ma place me fera, et maman Madin dit que cela vaut mieux que si j'étais faite à ma place. Mon Dieu! que je suis pressée d'être guérie, d'aller me jeter aux pieds de mon bienfaiteur, et de le servir auprès de sa chère fille en tout ce qui dépendra de moi! On me dit que ce ne sera guère avant un mois. Un mois! c'est bien du temps. Mon cher monsieur, conservez-moi votre bienveillance. Je ne me sens pas de joie; mais ils ne veulent pas que j'écrive, ils m'empêchent de lire, ils me tiennent au lit, ils me noient de tisane, ils me font mourir de faim, et tout cela pour mon bien. Dieu soit loué! C'est pourtant bien malgré moi que je leur obéis.
Je suis, avec un cœur reconnaissant, monsieur, votre très-humble et soumise servante,
Signé: Suzanne Simonin.À Paris, ce 3 mars 1760.
LETTRE DE M. LE MARQUIS DE CROISMARE À MADAME MADIN
Quelques incommodités que je ressens depuis quelques jours m'ont empêché, madame, de vous faire réponse plus tôt, pour vous marquer le plaisir que j'ai d'apprendre la convalescence de Mlle Simonin. J'ose espérer que bientôt vous aurez la bonté de m'instruire de son parfait rétablissement, que je souhaite avec ardeur. Mais je suis mortifié de ne pouvoir contribuer à l'exécution du projet que vous méditez en sa faveur; sans le connaître, je ne puis le trouver que très-bon par la prudence dont vous êtes capable et par l'intérêt que vous y prenez. Je n'ai été que très-peu répandu à Paris, et parmi un petit nombre de personnes aussi peu répandues que moi: et les connaissances telles que vous les désireriez ne sont pas faciles à trouver. Continuez, je vous supplie, à me donner des nouvelles de Mlle Simonin, dont les intérêts me seront toujours chers.
J'ai l'honneur d'être, madame, votre très-humble et très-obéissant serviteur.
Ce 31 mars 1760.
RÉPONSE DE MADAME MADIN À M. LE MARQUIS DE CROISMARE
Monsieur, j'ai fait une faute, peut-être, de ne me pas expliquer sur le projet que j'avais; mais j'étais si pressée d'aller en avant. Voici donc ce qui m'avait passé par la tête. D'abord il faut que vous sachiez que le cardinal de T***32 protégeait la famille. Ils perdirent tous beaucoup à sa mort, surtout ma Suzanne, qui lui avait été présentée dans sa première jeunesse. Le vieux cardinal aimait les jolis enfants; les grâces de celle-ci l'avaient frappé; et il s'était chargé de son sort. Mais quand il ne fut plus, on disposa d'elle comme vous savez, et les protecteurs crurent s'acquitter envers la cadette en mariant les aînées à deux de leurs créatures. L'un de ces protégés a un emploi considérable à Albi; l'autre la recette des aides de Castries, à trois lieues de Montpellier. Ce sont des gens durs; mais leur état dépend absolument de ceux qui les ont placés. J'avais donc pensé que, si l'on avait eu quelque accès auprès de Mme la marquise de T*** qu'on dit complaisante33 et qui s'est mise en quatre dans le procès de mon enfant, et qu'on lui eût peint la triste situation d'une jeune personne exposée à toutes les suites de la misère, dans un pays étranger et lointain34, nous eussions pu arracher par ce moyen une petite pension de ces deux beaux-frères, qui ont emporté tout le bien de la maison, et qui ne songent guère à nous secourir. En vérité, monsieur, cela vaut bien la peine que nous revenions tous les deux là-dessus: voyez. Avec cette petite pension, ce que je viens de lui assurer, et ce qu'elle tiendrait de vos bontés, elle serait bien pour le présent, point mal pour l'avenir, et je la verrais partir avec moins de regret. Mais je ne connais ni Mme la marquise de T***, ni le secrétaire du défunt cardinal qu'on dit homme de lettres, ni personne35 qui les approche; et ce fut l'enfant qui me suggéra de m'adresser à vous. Au reste, je ne saurais vous dire que sa convalescence aille comme je le désirerais. Elle s'était blessée au dedans des reins, comme je crois vous l'avoir dit: la douleur de cette chute, qui s'était dissipée, s'est fait ressentir; c'est un point qui revient et qui passe. Il est accompagné d'un léger frisson en dedans, mais au pouls il n'y a pas la moindre fièvre; le médecin hoche de la tête, et n'a pas un air qui me plaise. Elle ira dimanche prochain à la messe; elle le veut; et je viens de lui envoyer une grande capote qui l'enveloppera jusqu'au bout du nez, et sous laquelle elle pourra, je crois, passer une demi-heure sans péril dans une petite église borgne du quartier. Elle soupire après le moment de son départ, et je suis sûre qu'elle ne demandera rien à Dieu avec plus de ferveur que d'achever sa guérison, et de lui conserver les bontés de son bienfaiteur. Si elle se trouvait en état de partir entre Pâques et Quasimodo, je ne manquerais pas de vous en prévenir. Au reste, monsieur, son absence ne m'empêcherait pas d'agir, si je découvrais parmi mes connaissances quelqu'un qui pût quelque chose auprès de Mme de T*** et du médecin A*** qui peut beaucoup sur son esprit36.
Je suis, avec une reconnaissance sans bornes pour elle et pour moi, monsieur, votre très-humble et très-obéissante servante,
Signé: Moreau-Madin.À Versailles, ce 25 mars 1760.
P. S. Je lui ai défendu de vous écrire, de crainte de vous importuner; il n'y a que cette considération qui puisse la retenir.