Kitabı oku: «Chronique de 1831 à 1862, Tome 3 (de 4)», sayfa 18
Sagan, 26 novembre 1848.– La dernière semaine a été très difficile à passer; depuis l'état de siège proclamé à Berlin tout ce qui était mauvais a été refoulé vers la Silésie. On a tiré sur mes employés, on s'est promené ici avec le drapeau rouge, tout cela était fort laid; mais maintenant que trente mille hommes de troupes parcourent la province pour la balayer, nous commençons à respirer, et, si j'en crois mes dernières lettres de Berlin, nous allons entrer dans une ère nouvelle. J'avoue mon incrédulité, et je crains d'y persévérer encore longtemps. Ce qui est certain, c'est qu'il y a relâche momentanée aux désordres; c'est déjà un bien dont il faut se montrer reconnaissant, car la tension fiévreuse devient insoutenable.
La mort de Mme de Montjoye est le complément de l'infortune pour la sainte Reine Marie-Amélie, dont elle était la seule et la plus intime confidente. A la suite de l'eau empoisonnée bue à Claremont173, le tour des dents du Roi est devenu tout noir, à ce qu'on m'a écrit. Tout n'est pas toujours facile entre le Roi et ses enfants, et même pour les enfants entre eux. La Providence épuise ses rigueurs de tout genre sur ces émigrés; serait-ce une grande expiation morale pour le vote du père et pour l'usurpation du fils?
Sagan, 1er décembre 1848.– Les journaux nous apportent aujourd'hui le programme du nouveau Cabinet autrichien174, qui a été très bien reçu à Kremsier et a fait monter les fonds autrichiens. Dieu veuille qu'il y ait, là au moins, un Cabinet ferme et habile. Celui qui devait gouverner en Prusse, et qui semblait vouloir prendre un gantelet de fer, me semble, sous un gantelet rouillé, ne montrer que faiblesse. Le monde catholique ne saurait être trop ému du sort de Pie IX. Il a beau avoir, avec un zèle plus ardent que prudent, fait du libéralisme impétueux, il reste le chef de notre Église, un saint prêtre, un aimable homme et ses dangers doivent nous attendrir et nous alarmer175. On m'écrit, de Berlin, que M. de Gagern a manqué le but qu'il s'était promis, et que le Roi a été plus ferme qu'on le supposait, en écartant la fantasmagorie impériale qui lui était offerte par celui-ci, dans le cas où, pour cette fois-ci du moins, il se soumettrait aux lois du gouvernement de Francfort176.
Sagan, 6 décembre 1848.– On dit beaucoup, ici, que le gros de l'orage est passé. Je n'en suis pas persuadée; on va rentrer dans la fièvre électorale, dans l'essai d'une Constitution octroyée; tout cela est bien chanceux. A la vérité, tout vaut mieux que l'état de pourriture et de confusion dans lequel on périt ici, mais les dangers, pour changer de forme, ne se dissipent pas si vite. Le pays commence, il est vrai, à s'éclaircir quelque peu, à se fatiguer d'un état de choses qui réduit chacun à une misère profonde; il se réveille quelques bons instincts; à l'occasion du vingt-cinquième anniversaire du mariage du Roi, l'élan a été bon, mais trop de mauvais éléments fermentent encore; le gouvernement n'impose guère. Dans le Midi de l'Allemagne, en Bavière surtout, on paraît tenir encore au projet d'un pouvoir trinitaire, particulièrement depuis que l'Autriche se concentre grandement en elle-même pour former une grande monarchie. Quant au vieux Prince Guillaume de Prusse, désigné pour faire partie du Triumvirat, il est tombé dans un état de faiblesse morale qui le rendrait bien peu capable de cette besogne. D'ailleurs, son fils, le Prince Waldemar, se meurt à Münster d'une maladie de l'épine dorsale, c'est dommage, car c'est un Prince distingué; sa mort sera le dernier coup qui achèvera son pauvre père. Je ne donne pas longue vie au pouvoir central, le Roi de Prusse persistant, Dieu merci, à n'en pas accepter le fardeau. On dit que Mme la Princesse de Prusse aurait voulu que M. de Gagern fût à la tête d'un nouveau Cabinet prussien. Je doute que ce hautain personnage eût voulu se placer dans une position aussi incertaine, vis-à-vis d'une Chambre aussi peu sensible à l'éloquence parlementaire. Tant il y a que le Roi a repoussé toutes les insinuations directes ou indirectes. En effet, il y aurait eu stupidité et noire ingratitude à renvoyer le seul Ministère qui a eu le courage et la capacité de relever quelque peu la Couronne, et de donner un certain élan conservateur au pays.
L'état de l'Italie fait pitié! M. de Broglie sera, sans doute, fort affligé de la mort de M. Rossi, lui qui l'avait attiré en France, l'y avait fait entrer dans les affaires, à la Pairie, et poussé ensuite à l'Ambassade de Rome. Je l'avais vu beaucoup dans le salon de Mme de Broglie, plus tard à Rome. Il me paraissait astucieux et prétentieux, moins noble de caractère, mais plus spirituel que Capo d'Istria177. Leur assassinat a eu les mêmes causes; ils ont voulu, tous deux, faire à l'improviste du Richelieu.
Sagan, 30 décembre 1848.– La manière calme dont Napoléon a pris possession de la Présidence en France tendrait à prouver que les idées d'ordre et de tranquillité vont renaître dans ce pays. On parle de l'abdication du Roi de Sardaigne et d'un nouveau Ministère sarde tout guerroyant178; j'espère que Radetzky mettra le reste de l'Italie à la raison, comme il y a mis la Lombardie. Windisch-Graetz est devant Raab, où on espère qu'il entrera sans de trop grandes difficultés. Les grands froids retardent sa marche, et la nécessité de réorganiser civilement les contrées qu'il occupe ralentit aussi ses progrès179. Jellachich, emporté par son ardeur, a été un instant prisonnier des Hongrois180; ses soldats l'ont délivré. Windisch-Graetz lui a fait les plus vifs reproches sur son aveugle témérité, qui pouvait compromettre le sort de l'armée, et la question vitale du gouvernement. L'Archiduchesse Sophie a donné à son fils, le jeune Empereur, pour ses étrennes un cadre contenant les trois miniatures de Radetzky, Windisch-Graetz et Jellachich. Il n'y a pas de mal à rappeler aux souverains, par des signes visibles, la reconnaissance, qui leur est, en général, assez lourde. Voilà donc cette désastreuse année 1848 qui finit! Dieu fasse que 1849 nous apporte de meilleures conditions d'existence!
1849
Sagan, 11 janvier 1849.– M. Arago quitte enfin Berlin où il est détesté. Il paraît qu'on y doute encore de l'arrivée du prince de la Moskowa comme Ministre de France; on ne croit pas, en tout cas, qu'il y fasse un long séjour. En allant à Paris, la Grande-Duchesse Stéphanie se bornera, probablement, à faire une visite agitée et fiévreuse à son cousin le Président de la République, et à se parfumer, auprès de lui, d'un peu d'encens impérial; mais la Princesse Mathilde ne lui laissera certainement pas le plaisir de faire les honneurs de la Présidence, qu'elle paraît s'être réservée. Tout cela a bien de la peine à avoir l'air sérieux181.
Sagan, 18 janvier 1849.– Les réunions préparatoires pour les élections en Prusse ne donnent pas grand espoir pour le résultat définitif. Le ministère Brandebourg, de peur d'être accusé de réaction, fait du libéralisme inutile. La Grande-Duchesse Stéphanie, qui se réveille à mon égard d'un long sommeil, m'écrit tristement et en grande anxiété sur le sort de l'Allemagne rhénane. Il paraît que le Grand-Duc de Bade l'a menacée de lui supprimer son douaire, si elle allait le dépenser en France. J'ai aussi une lettre, pleine de dignité et d'affectueuse confiance, de Mme la Duchesse d'Orléans. Je compte aller la semaine prochaine à Dresde, pour y passer quelques jours près de ma sœur.
Dresde, 28 janvier 1849.– Depuis qu'à Francfort on a refusé au chef futur de l'Allemagne l'hérédité et même le pouvoir à vie, il paraît impossible que le Roi de Prusse s'arrange d'une pareille dignité182. C'était la meilleure intrigue autrichienne pour mettre le Roi hors de cause et pour faire tomber en poussière toute cette invention ridicule et infernale, qui n'a produit que ruines et désordres. Les élections prussiennes sont fort médiocres, moins mauvaises que celles de l'année dernière, mais bien loin d'être assez bonnes pour faire concevoir de solides espérances. Aussi quelle loi électorale que celle qui a été octroyée! Ici, on a des Chambres folles qu'on ne sait comment diriger et qu'on n'ose point encore dissoudre. J'ai trouvé la Cour de Saxe fort triste. Dresde est plein comme un œuf, mais on ne se voit guère.
Sagan, 12 février 1849.– Berlin, que j'ai traversé en revenant, fourmillait de petits Princes allemands qui demandaient, comme seul moyen de salut, leur médiatisation. Ils s'offrent à la Prusse, qui, par scrupules de tous genres, les refuse. Elle trouve dangereux de donner cet exemple, puis viennent les souvenirs et les respects historiques et traditionnels du Roi. Bref, tous ces pauvres Princes s'en iront comme ils sont venus, et, probablement, malgré les promesses assez vagues de protection qu'ils ont reçues comme fiche de consolation, ils seront chassés de chez eux, un jour ou l'autre, comme des va-nu-pieds. Le comte de Bülow, Ministre de Prusse à Francfort, penche pour l'Assemblée de Francfort; à Charlottenburg, on est le contraire; cela jette une saccade malhabile dans la marche qu'on suit, et a produit, au grand déplaisir du Roi, une froideur marquée entre Kremsier et Berlin. Je ne sais qui est ce M. de Lurde, qui remplace M. Arago comme ministre de France à Berlin, mais il n'aura pas de peine à paraître à son avantage en comparaison de son prédécesseur, qui ne parlait que du grand cœur et de l'âme noble de Barbès!
Sagan, 1er mars 1849.– Si j'en crois les lettres de Paris, tout y refleurit, tout y est en réaction vive vers l'ordre et le bien-être. Ce sont de tous côtés des éloges du Président. M. Thiers dit de lui: «Ce n'est pas César, mais c'est Auguste.» Les légitimistes remplissent ses salons, et, au sortir du bal, on n'entendait que des domestiques crier: «Les gens de Mme la Duchesse, de M. le Prince, etc…» On dit Monseigneur au Président; rien n'est moins républicain; et on assure qu'il en est ainsi dans les provinces. J'avoue que je me défie un peu de ces trop brusques transitions, mais enfin le quart d'heure semble bon.
Sagan, 31 mars 1849.– Je suis fort préoccupée de l'horizon politique, qui, au lieu de s'éclaircir, semble se couvrir de nouveaux nuages. Cette malheureuse Couronne impériale, sans tenter le Roi, plaît à ses entours, aux jeunes officiers, aux employés bureaucrates, dont la petite vanité y trouve pâture. La gauche y pousse avec perfidie, sentant bien que la soi-disant dignité impériale mettrait le Roi aux ordres des professeurs démagogues de Francfort. La mauvaise saison et l'état abominable des routes retardent la soumission de la Hongrie183. Il n'y a que les succès de Radetzky qui donnent quelque consolation, et encore à quel prix? Nous ne connaissons point encore de détails de ses deux dernières victoires, nous savons seulement l'abdication de Charles-Albert, mais les noms propres des victimes sont inconnus184.
Sagan, 13 avril 1849.– L'aimable lady Westmorland m'a fait la gracieuse surprise d'une visite de quarante-huit heures. Elle est arrivée hier, à ma grande joie. Elle est spirituelle, animée, affectueuse, vraiment charmante pour moi, conservant le plus tendre souvenir à feu M. de Talleyrand, causant du passé et du présent avec intérêt et la plus fine intelligence. Nous nous sommes rejetées vers les beaux temps de l'Angleterre. Éprouvés, comme nous le sommes tous, par les tristesses du présent, on préfère, au lieu de s'appesantir sur un sujet si lamentable, rejeter ses regards en arrière, pour y retrouver de ces précieux souvenirs que, pour ma part, je serais tentée de nommer les économies de mon cœur, et je me réfugie dans le passé, faute d'oser interroger l'avenir.
Sagan, 21 avril 1849.– J'ai eu, hier, des lettres de Paris qui disent que, malgré les efforts de l'Union de la rue de Poitiers185, le communisme fait en France de grands progrès.
On croit, à Berlin, que le Parlement de Francfort va se jeter entièrement dans les voies révolutionnaires, se former en Commission exécutive, en Comité de sûreté publique; il s'entourerait des troupes de Bade et de Nassau, sachant bien qu'on ne voudra pas faire marcher la garnison de Mayence contre Francfort, et profitant ainsi des éternelles irrésolutions de la Prusse186. La prétendue adhésion des vingt-huit petits gouvernements allemands n'est qu'une impertinence, puisqu'elle est conditionnelle; on ne veut se ranger sous la bannière prussienne que si, à l'imitation de ces petits gouvernements, la Prusse se soumet à la Constitution inventée à Francfort. Les quatre Rois de Saxe, de Bavière, de Hanovre et de Würtemberg restent dissidents.
Sans les affaires de Danemark, la Prusse pourrait se fortifier chez elle (ce qu'elle ne fait pas trop) et se mettre en panne pendant l'orage de Francfort, mais le général de Pritwitz est soumis au prétendu gouvernement de Francfort187. Il faudrait un gouvernement plus régulier que celui-là pour traiter avec le Danemark. Comment sortir de cette impasse? Le Roi, au fond affectueusement disposé pour le Roi de Danemark, et craignant la Russie188, s'oppose encore à l'occupation du Jutland.
Sagan, 30 avril 1849.– L'état de l'Allemagne ne s'améliore pas. Voilà le Roi de Würtemberg qui a cédé, parce que ses troupes ont déclaré ne pas vouloir tirer contre le peuple189. Voilà le Parlement de Francfort qui recourt aux moyens les plus révolutionnaires pour forcer les souverains à se soumettre à ses lois190. Il exige que les gouvernements ne dissolvent pas leurs Chambres sans la permission du prétendu gouvernement central. Ce bel arrêté est arrivé à Hanovre et à Berlin six heures après les dissolutions officiellement annoncées. Le général de Pritwitz demande à quitter son commandement contre les Danois, parce qu'il ne veut pas obéir à Francfort, et ne peut pas commander à tous les petits Princes allemands, qui veulent chacun trancher du maître. Le Danemark a déjà enlevé un grand nombre de bâtiments marchands prussiens; cependant, à Copenhague, on est décidé à la paix; on la désire en Russie, en Angleterre et en Prusse, sans avoir, à Berlin, le courage de rappeler les vingt mille hommes qui se trouvent en Holstein et Schleswig. Francfort s'oppose, par tous les moyens, à la paix, afin de dégarnir les Princes allemands de leurs troupes, et de les laisser ainsi, sans défense, livrés aux hordes révolutionnaires. Bref, la confusion est à son comble, et je trouve l'Allemagne plus malade de beaucoup qu'il y a quatre mois. Cependant, la dissolution de la Chambre prussienne, qui était devenue urgente depuis que, du haut de la tribune, on proclamait la République rouge, fera peut-être quelque bien191. Il est surtout très nécessaire que l'Autriche termine en Hongrie. C'est là que notre sort se décidera. La Russie est entrée en Transylvanie avec cent vingt mille hommes. A Olmütz, on trouve ce chiffre un peu élevé, mais l'Empereur Nicolas a déclaré qu'il ne voulait plus d'un second échec comme celui d'Hermannstadt192, et qu'il s'abstiendrait tout à fait, ou bien qu'il fallait trouver bon qu'il parût avec des forces imposantes. Il sent, d'ailleurs, qu'il combat ses ennemis personnels, les Polonais, sur le terrain hongrois. On dit qu'il y a vingt mille Polonais sous les drapeaux de Bem et de Kossuth.
Sagan, 10 mai 1849.– Les orages éclatent de toutes parts. L'Allemagne est en feu sur tous les points. On s'est battu à Dresde; on s'est battu à Breslau193. Les Russes se sont servis des chemins de fer prussiens pour envahir la Moravie. On les reçoit bien, car tout ce qui tendra à étouffer et à terminer la lutte hongroise sera un bienfait, non seulement pour l'Autriche, mais pour l'Europe entière, car les échos hongrois encouragent les méchants et fomentent l'insurrection partout.
Sagan, 17 mai 1849.– C'est aujourd'hui une date solennelle, que je célèbre chaque fois avec une douloureuse émotion au fond de mon cœur194. Plus les années me rapprochent de la réunion suprême, et plus je sens tout ce que cette journée, il y a onze ans, a eu de grave et de décisif. Puisse Dieu bénir chacun de ceux qui y ont pris une part chrétienne; je le lui demande, du fond de mes misères, avec une ferveur qui atténuera, je l'espère, leur peu de valeur!
Sagan, 25 mai 1849.– Un des vrais malheurs du gouvernement prussien, c'est d'avoir à Londres Bunsen, qui y joue un rôle inconcevable; Radowitz, avec des intentions plus pures, mais des idées fausses, complique aussi, à Berlin même, la situation, et empêche qu'on ne tranche aussi nettement qu'il le faudrait certaines questions. Le Roi de Prusse a envoyé le général de Rauch à Varsovie, près de l'Empereur Nicolas, pour tâcher de calmer ce souverain, qui est outré que les Prussiens soient entrés en Jutland, malgré la parole donnée195.
Sagan, 31 mai 1849.– Des négociations ouvertes à Berlin196, je puis dire, de bonne source, ce qui suit. Il y a quatre jours qu'un protocole a été signé à Berlin, entre la Prusse, la Saxe et le Hanovre. Il relate: 1o tout ce qui s'est fait pour accorder à l'Allemagne une Constitution raisonnable et efficace; 2o que le Hanovre et la Saxe, dans leur désir de maintenir l'ordre dans leurs États, reconnaissent et acceptent la direction militaire de la Prusse pour les mesures qui pourraient devenir nécessaires, dans le but de maintenir la tranquillité de leurs États. M. de Beust a néanmoins fait les réserves suivantes, au nom du Gouvernement saxon: 1o que la Saxe ne prétend pas par cet arrangement porter atteinte aux droits de l'Autriche, comme membre de la Confédération germanique; 2o que si les grands États du Sud de l'Allemagne ne veulent pas adhérer à la Constitution, jointe au protocole, la Saxe aura le droit de s'en détacher; 3o que cette Constitution recevra la sanction des Chambres saxonnes. Le Hanovre a remis une note contenant identiquement les mêmes réserves. La nouvelle Constitution va paraître incessamment dans une note circulaire adressée par la Prusse à tous les gouvernements de l'Allemagne, et les invitant à s'y rattacher. Le Ministre de Bavière, M. de Lerchenfeld, a aussi signé le protocole, mais uniquement comme un des témoins des Conférences et dans l'espérance que son Gouvernement adhérera d'une façon ou d'une autre à cet arrangement. M. de Prokesch n'a assisté qu'à la première Conférence, Radowitz y ayant déclaré, dès l'abord, qu'il n'avait pas à traiter avec les Gouvernements qui ne reconnaîtraient pas, comme base des négociations, la direction générale accordée à la Prusse. La conduite hautaine de Radowitz est incontestablement la cause de cette déplorable désunion parmi les têtes couronnées, à une époque où il serait si nécessaire de les voir indissolublement unies. Avec un peu d'adresse, et en ne mettant pas en avant, pour début, la question de suprématie, il aurait rendu à son Roi, à sa Patrie, un grand service, car alors les autres États auraient unanimement demandé à la Prusse de prendre cette direction en mains, au lieu que maintenant, ils veulent voir dans les prétentions dictatoriales des vues plus ambitieuses qu'elles ne sont en réalité, et de là naissent des jalousies inquiètes, qui étouffent la voix de la raison et des vraies nécessités. Malgré la présence d'un nouvel envoyé danois à Berlin, on est fort éloigné encore, même d'un armistice. Les dernières concessions danoises, appuyées par lord Palmerston, ont été repoussées avec hauteur par la Prusse, qui en réclame d'inadmissibles, disant que celles-ci seules peuvent satisfaire l'honneur engagé.
Sagan, 12 juin 1849.– Le choléra a repris partout dans cette partie de l'Allemagne; à Breslau, à Berlin, à Halle, il décime les populations; bref, c'est une horreur que l'état du genre humain. On m'écrit que lord Palmerston a déclaré à Bunsen que, las des exigences prussiennes, qui augmentent en raison des concessions danoises, il allait changer son rôle de médiateur en celui d'allié actif, conjointement avec la Russie, pour protéger le Danemark. Bunsen, en rendant compte de cette conversation à sa Cour, ajoute que cette menace n'a rien de sérieux, en quoi il se trompe, et trompe sa Cour.
Sagan, 9 juillet 1849.– J'ai eu la visite du baron de Meyendorff, Ministre de Russie à Berlin, se rendant par Varsovie à Gastein, ce qui n'est pas le plus court. Il était assez sombre dans ses prévisions, et encore plus sur le Nord que sur le Midi de l'Allemagne; je m'explique: plus soucieux des destinées prussiennes que de celles de l'Autriche.
Sagan, 3 septembre 1849.– Le général comte Haugwitz s'est arrêté ici quelques jours. Il venait de Vienne où on attendait Radetzky. Le jeune Empereur, pour recevoir le vieil Ajax, avait retardé son départ pour Varsovie, où il se rend pour remercier son puissant allié. Celui-ci se conduit de la manière la plus noble et la plus loyale envers son jeune ami et pupille; c'est ainsi qu'il considère l'Empereur François-Joseph. Paskéwitch a demandé la grâce de Georgei, qui lui a été accordée immédiatement197. L'Autriche désire que pour le moment quelques régiments russes se prolongent encore en Galicie.
Hanovre, 5 novembre 1849.– Ma matinée d'hier s'est passée à faire des visites à plusieurs dames de la ville que je connais, et à faire ma cour à la Princesse Royale, qui est douce, bienveillante, et chez laquelle j'ai vu ses deux enfants; le troisième est en train de se produire, on attend ce mois-ci son entrée dans le monde. La Princesse Royale m'a montré plusieurs portraits de famille fort intéressants; les deux qui m'ont frappée davantage sont celui de l'Électrice Sophie, protectrice de Leibnitz et souche de la maison Royale d'Angleterre; elle devait être bien jolie, avec ce beau type un peu allongé, mais si noble, des Stuarts; le second est un charmant portrait de la sœur de la Princesse Royale, la Grande-Duchesse de Russie, femme du Grand-Duc Constantin: c'est une figure spirituelle, animée, piquante. On dit qu'elle justifie cette expression, ce qui la rend bien plus propre à la Cour de Pétersbourg qu'elle ne l'eût été ici, où sa sœur aînée semble créée et faite exprès pour sa touchante mission198. Il y avait grand dîner chez le Roi; j'étais assise entre lui et le Prince Royal. Je n'ai jamais vu un aveugle manger plus adroitement, et sans autre secours que celui de son instinct et de l'habitude. A neuf heures, je suis retournée au thé du Roi, pris dans l'intimité, entre lui et ce qu'on appelle ici la Comtesse Royale (Mme de Grote), puis mon beau-frère, et le général Walmoden. Le Roi vit d'huîtres et de glaces, singulier régime qui réussit merveilleusement à ses quatre-vingts ans. Pendant que nous étions chez lui, est arrivée une dépêche de Vienne, qu'il a fait lire tout haut par la Comtesse199. Il y était dit que l'Autriche avait fait passer une note des plus graves à la Prusse contre la convocation de la Diète dite de l'Empire, et qu'en même temps, le mouvement de l'armée vers la frontière de Bohême et de Silésie augmentait. On dit que les corps d'armée qui s'y sont concentrés s'élèvent à soixante mille hommes. Le prince Schwarzenberg a répondu aux questions du comte Bernstorff, ministre de Prusse à Vienne, à ce sujet, que la convocation d'une Diète à Erfurt remuant et réveillant l'agitation démocratique, et menaçant par conséquent le royaume et les duchés de Saxe, ces troupes étaient destinées à leur protection et défense éventuelles.
L'Archiduc Jean croyait à un rendez-vous intime et sans pompe avec le Roi Léopold200; au lieu de cela, celui-ci l'a reçu avec une grande solennité. Mme de Brandhofen et le petit comte de Méran n'entrant pas dans le cérémonial, on leur a, tout à coup, fait faire incognito une tournée de chemin de fer en Belgique. Arrivés à Bruxelles, ils ont fait une entrée inattendue dans le salon Metternich, ce qui était d'autant plus étrange que les relations entre le prince Metternich et l'Archiduc Jean avaient été, de tout temps, froides et malveillantes. La politesse de Metternich a tout simplifié.
Eisnach, 7 novembre 1849.– J'ai quitté Hanovre hier matin et suis arrivée ici l'après-midi. J'ai tout de suite fait savoir mon arrivée à Mme Alfred de Chabannes, qui est venue aussitôt à mon auberge. Nous sommes restées longtemps à causer sur la petite Cour émigrée dont elle fait momentanément partie; je dis émigrée, quoique Mme la Duchesse d'Orléans permette le moins possible l'inconvénient, qui s'attache à cette position, de se développer. Il est cependant impossible de les écarter tous; ils naissent, pour ainsi dire, de la force des choses. C'est ainsi que les divers partis se représentent et se personnifient dans son entourage. Il y a des fusionnistes, il y a des séparatistes; elle-même n'est ni l'une ni l'autre absolument; elle n'aime pas que l'on dise que c'est elle qui s'oppose à la fusion, mais elle ne veut pas faire les premières ouvertures, et elle n'a même pas permis jusqu'à présent qu'on dise, hautement, qu'elle n'y serait pas opposée. Elle craint aussi, par la fusion, de dégoûter ses adhérents en France, qu'elle croit, ce me semble, plus nombreux qu'ils ne sont, quoiqu'elle s'aperçoive que des personnes sur lesquelles elle comptait lui manquent chaque jour; les noms qui semblent peser, en ce sens, le plus péniblement sur son cœur, sont ceux de Molé et de Thiers. J'ai vu Mme la Duchesse d'Orléans seule, pendant une demi-heure, avant le dîner; le Duc et la Duchesse de Nemours nous ont interrompues. J'ai trouvé la Duchesse d'Orléans, extérieurement, telle que je l'avais laissée, peut-être les traits un peu grossis; la disposition d'âme plus abattue, toujours la même douceur, même dignité, un peu moins d'énergie, assez prête à se sentir ployer sous les mécomptes provenant moins des choses que des personnes, humiliée de l'état de dégradation dans lequel est tombée la France, fort sage sur l'état de l'Allemagne, mettant le soi-disant pouvoir central et les parodies impériales à leur place. Les Nemours, fort Autrichiens dans leur politique, s'exprimaient aigrement sur lord Palmerston, fusionnistes au fond, revenant de Vienne, retournant à Claremont. Elle est fraîche et belle, et se risque à avoir son opinion, qui est positive. Lui, engraissé, prenant beaucoup de la ressemblance du Roi, surtout dans la façon de parler, ayant trouvé enfin le courage de s'exprimer; le faisant avec bon sens, mais manquant de grâce, comme par le passé. Les lettres publiées de ses frères n'ont eu, en aucune façon, son approbation; il redoute beaucoup qu'on adopte la loi qui rappellerait sa famille en France, de peur de voir ses frères y courir201. Tout cela est fort bon, mais, je le répète, un certain élan manque; il ne comptera jamais, et n'agira guère; c'est une honorable négation. Le Comte de Paris est fort grandi, élancé, assez joli, ayant perdu de sa timidité, mais avec un son de voix souvent glapissant et désagréable; le Duc de Chartres singulièrement fortifié et turbulent; les trois enfants Nemours sont assez gentils. Après le dîner, commencé vers sept heures, on est resté en conversation jusque vers onze heures. Boismilon est fort séparatiste; il y avait là aussi Ary Scheffer, qui me paraît être dans les zélés. M. de Talleyrand redoutait cette disposition.
La Princesse de Joinville est accouchée d'un enfant mort et elle a été dans un grand danger. Le pauvre petit corps d'enfant a été, sans avertissement préalable, porté à Dreux par mon cousin Alfred de Chabannes. On l'a déposé dans le caveau de famille; la messe s'y est dite, et ce n'est que le tout achevé que M. de Chabannes a été prévenir le Maire de sa mission accomplie. Celui-ci s'est conduit décemment. Mme de Chabannes m'a aussi raconté que lorsque son mari a été retrouver Louis-Philippe à Claremont pour la première fois après Février, celui-ci lui avait dit, presque en le voyant entrer: «Que voulez-vous! Je me suis cru infaillible!» Ce mot m'a paru frappant de vérité, et remarquable comme aveu.
Mme la Duchesse d'Orléans compte retourner au printemps à Londres, pour y faire faire au Comte de Paris sa première Communion, à laquelle l'abbé Guelle le prépare par d'assez fréquentes courses à Eisenach.
Berlin, 8 novembre 1849.– En rentrant ici, j'y trouve mon beau-frère, revenant de Dresde, où l'esprit public est, dit-on, de plus en plus mauvais. Les Ministres n'ont pu obtenir du Roi de Saxe aucun arrêt de mort, même contre les plus coupables, ce qui a indigné les bien pensants et irrité les troupes qui s'étaient si bien battues au mois de mai dernier; cela donne aussi la plus grande arrogance aux émeutiers. Le Roi est tellement tombé dans la déconsidération que, dans les rues, on ne lui rend pas son salut.
Hier, anniversaire de l'installation du Ministère Brandebourg, il y a eu aussi une grande fête dans les salles de Kroll au Tiergarten. Les Ministres y étaient tous présents, et le tout s'est passé fort loyalement, dit-on. Cependant, dans un autre coin de la ville, on célébrait, soi-disant religieusement, un autre anniversaire, celui de la fusillade du fameux Robert Blum202. Il y en avait pour tous les goûts et je crains que celui pour le désordre rouge ne soit encore assez vivace.
Une lettre de Paris que je trouve ici me dit que tout le nœud de la situation en France est dans l'armée, celle-ci mi-partie à Cavaignac, mi-partie à Changarnier; le premier, tout républicain, le second ne voulant pas se laisser pénétrer. Depuis la lettre écrite par Louis-Napoléon à Edgar Ney203 à Rome, Changarnier s'est, dit-on, un peu retiré de l'Élysée; aussi le Président voudrait-il donner le commandement des troupes de Paris au général Magnan.
A Paris, Mme de Lieven est ravie d'y être revenue; elle y dit du mal tant qu'elle peut de l'Angleterre. Elle est coiffée d'un bonnet à la du Deffand; elle loue le Président de la République; elle cherche, comme autrefois, à attirer chez elle du monde de toute couleur; il paraît qu'elle y réussit assez pour s'étonner naïvement que personne ne lui nomme M. Guizot, qu'elle attend en décembre.
Berlin, 12 novembre 1849.– J'ai passé hier presque toute la journée à Sans-Souci, entre le Roi et la Reine, toujours très obligeants pour moi. Le Prince Frédéric des Pays-Bas, qui arrivait de la Haye, disait bien du mal de l'état des choses de ce pays-là. On y prononce assez hautement les mots de déchéance, d'abdication, de Régence. Le jeune Roi est méprisé, la jeune Reine n'est pas aimée; la Douairière pas davantage; bref, on y est fort mal assis. Le Roi de Prusse s'attendait à ce qu'on proclamât l'Empire à l'Élysée; tous les regards sont tendus vers la France.
«Paris, 18 août 1849.
«Mon cher Ney,
«La République française n'a pas envoyé une armée à Rome pour y étouffer la liberté italienne, mais, au contraire, pour la régler en la préservant de ses propres excès et pour lui donner une base solide en remettant sur le trône pontifical le Prince, qui le premier s'était placé hardiment à la tête de toutes les réformes utiles.
«J'apprends avec peine que l'intention bienveillante du Saint-Père, comme notre propre action, reste stérile en présence de passions et d'influences hostiles qui voudraient donner pour base à la rentrée du Pape la proscription et la tyrannie. Dites bien de ma part au Général que dans aucun cas il ne doit permettre qu'à l'ombre du drapeau tricolore il se commette aucun acte qui puisse dénaturer le caractère de notre intervention. Je résume ainsi le pouvoir temporel du Pape: amnistie générale, sécularisation de l'administration, code Napoléon et gouvernement libéral.
«J'ai été personnellement blessé en lisant la proclamation des trois Cardinaux où il n'était pas fait mention du nom de la France et des souffrances de ses braves soldats. Toute insulte à notre drapeau ou à notre uniforme me va droit au cœur. Recommandez au Général de bien faire savoir que si la France ne vend pas ses services, elle exige au moins qu'on lui sache gré de ses sacrifices et de son intervention.
«Lorsque nos armées firent le tour de l'Europe, elles laissèrent partout, comme trace de leur passage, la destruction des abus de la féodalité et les germes de la liberté. Il ne sera pas dit qu'en 1849 une armée française ait pu agir dans un autre sens et amener d'autres résultats.
«Priez le Général de remercier, en mon nom, l'armée de sa noble conduite. J'ai appris avec peine que, physiquement même, elle n'était pas traitée comme elle méritait de l'être. J'espère qu'il fera sur-le-champ cesser cet état de choses. Rien ne doit être ménagé pour établir convenablement nos troupes.
«Recevez, mon cher Ney, l'assurance de ma sincère amitié.
«Louis-Napoléon Bonaparte.»
Nous avons reproduit cette lettre d'après le texte donné par le Journal des Débats du 7 septembre 1849. M. Edgard Ney était officier d'ordonnance du Prince-Président, qui l'avait chargé d'une mission auprès du Gouvernement papal. Le maréchal Bugeaud commandait alors les troupes françaises à Rome, mais enlevé tout à coup par le choléra, il fut remplacé par le général Oudinot qui mena toutes les opérations militaires.