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Kitabı oku: «Chronique de 1831 à 1862, Tome 4 (de 4)», sayfa 3

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Sagan, 13 mars 1852.– L'incendie du château à Varsovie donnera de l'humeur à Saint-Pétersbourg41. Une chose qui ne laisse pas d'être extraordinaire et, par conséquent, remarquée, c'est ce voyage des jeunes Grands-Ducs de Russie, se rendant, par Vienne (où on leur prépare de grandes fêtes), à Venise, en passant par Breslau et Dresde, et évitant Berlin, dont ils ne passent qu'à si extrêmement petite distance, et où se trouve, comme Roi, leur propre oncle!

Sagan, 4 avril 1852.– Je suis décidée à essayer de passer l'hiver prochain dans le Midi. Je veux choisir un lieu où ma fille Pauline puisse venir me rejoindre. J'ai donc arrêté ma pensée sur Nice, que je connais, où j'ai déjà fait deux séjours agréables, où on vit à bon marché, sans devoirs de Cour. Le climat, pour qui n'a pas mal à la poitrine, est excellent, les environs charmants, la mer superbe, les promenades faciles. Veut-on vivre en ermite? on le peut. Veut-on voir du monde? on y trouve des échantillons des différents pays de l'Europe, parmi lesquels on peut choisir. Dans une secousse politique on peut ou s'embarquer immédiatement, ou passer en une demi-heure en France. Mon intention est d'être à Nice le 1er novembre pour y rester cinq mois consécutifs. C'est bien hardi de plonger si avant dans l'avenir, mais j'avoue que je me suis attachée à ce projet, qu'il me serait pénible d'y renoncer et que je demande à Dieu de le bénir.

Sagan, 8 avril 1852.– La mort du prince Félix Schwarzenberg est un événement bien grave pour le jeune Empereur, pour tous les intérêts autrichiens, et, à mon avis, pour l'Europe entière, car tout ce qui affaiblit le principe conservateur est fatal, et, assurément, il était un habile et courageux champion dans la lutte contre le mauvais principe.

Sagan, 13 avril 1852.– On sera fort content à Saint-Pétersbourg du choix de Buol pour remplacer le prince Schwarzenberg; très mécontent à Berlin, où sa raideur est, depuis les conférences de Dresde, fort redoutée. Windisch-Graetz, que j'aime personnellement beaucoup, n'eût pas convenu à ce poste; ce n'est pas un personnage politique, et, excepté une petite coterie de famille, tout le monde le juge ainsi. Il paraît que le prince Schwarzenberg, qui savait que ses jours étaient comptés, a souvent parlé à l'Empereur des éventualités après sa mort, et que c'est lui qui a désigné Buol pour les Affaires étrangères, Kübeck pour la présidence du Conseil.

Vienne, 11 mai 1852.– Je suis arrivée à Vienne hier, vers huit heures du soir, après quinze heures de chemin de fer qui m'ont paru un peu longues, malgré un beau soleil, qui avait toutes les grâces de la nouveauté et tout le mérite de l'à-propos. A Brünn, où on s'arrête une demi-heure, j'ai aperçu le Spielberg, rendu célèbre par Silvio Pellico. Il domine de fort près la ville et comme on lui a donné, à l'extérieur, un badigeonnage rose, on peut de loin se faire illusion sur le noir de l'intérieur. Aussitôt après mon arrivée ici, j'ai vu ma sœur. Plus tard, on m'a raconté qu'il n'était question que de la belle revue du matin: trente mille hommes de troupes superbes ont été montrées à l'Empereur de Russie. Le jeune Empereur d'Autriche a commandé lui-même toute la revue. Il doit y avoir ce matin des exercices à feu; après dîner, promenade élégante de tout le beau monde au Prater où les deux Empereurs se montreront ensemble42.

L'Empereur Nicolas est allé, en personne, voir Jellachich et le prince Windisch-Graetz; ce dernier lui a présenté ses cinq fils, tous les cinq dans l'armée.

Vienne, 15 mai 1852.– Avant-hier, j'ai eu mon audience chez Mme l'Archiduchesse Sophie, très longue, très gracieuse, très intéressante.

Le comte de Nesselrode avait désiré me voir; nous avons pris rendez-vous dans le cabinet de Mme de Meyendorff; autre conversation fort intéressante dont j'espère ne pas perdre le souvenir.

J'ai aussi été chez la Princesse Amélie de Suède, qui m'a beaucoup questionnée sur sa nièce Caroline43. J'en ai dit tout le bien que j'en pense.

J'ai passé une heure entre le prince de Metternich et sa femme, car celle-ci ne permet jamais de voir le premier seul. Je pourrais rendre mon récit bien plus intéressant, mais sous de certains courants d'air la plume se paralyse.

Vienne, 17 mai 1852.– C'est aujourd'hui l'anniversaire de la mort de M. de Talleyrand. Ce jour rappelle de grandes épreuves, de grandes consolations, des larmes de regret et d'espérance.

M. et Mme de Metternich ayant mis une insistance particulière à ce que je dînasse chez eux, j'y ai dîné hier. Il a été question de M. de Talleyrand; et, à cette occasion, M. de Metternich s'est fort bien expliqué sur mon oncle. Il a dit et répété que, sans avoir toujours été de son avis, sans avoir approuvé tous les actes de son existence, il l'avait toujours trouvé d'une grande douceur, d'un grand agrément dans le commerce; plein de véritable et naturelle bienveillance, incapable d'une noirceur, encore moins d'une cruauté; sans fiel, sans rancune, fidèle à ses amis, fidèle à sa patrie, bon Français et incapable de trahir, pour un vil intérêt, ceux de la France. M. de Metternich s'est tout autrement exprimé sur M. de Chateaubriand, dont il a fait un portrait affreux, et qui m'a semblé parfaitement ressemblant.

Les nouvelles de Berlin ne sont pas bonnes; les crises ministérielles et parlementaires sont imminentes; la position de Manteuffel intolérable; Gerbach, l'aide de camp, donne sa démission; le comte de Stolberg est abreuvé de chagrin; le Prince de Prusse antinobiliaire; l'Impératrice de Russie inquiète, agitée, désolée; l'Empereur Nicolas qui, de Myslowitz à Cosel, a été tellement de glace que le Roi de Prusse a fait semblant de s'endormir parce qu'il n'y avait plus moyen d'y tenir; l'Empereur, dis-je, a dû arriver hier à Potsdam, et Nesselrode également. On s'attend à être, pendant les six jours que durera cette visite, dans l'eau bouillante. L'Empereur Nicolas a dit ici, au moment de son départ, à tout son entourage russe qu'il a rassemblé ad hoc: «Messieurs, je vous défends, sous peine de ma disgrâce, de mettre le pied dans cette infâme ville de Berlin, pendant mon séjour à Potsdam.» L'Empereur, qui souffre du foie, et qui a des vomissements de bile à chaque émotion désagréable, a dit ici à quelqu'un de qui je le tiens sans intermédiaire: «Vous verrez que mes vomissements me reprendront à Potsdam, et que j'y tomberai malade.» Ici sa disposition a été toute différente; il n'y a eu que tendresses et effusions paternelles entre le Czar et le jeune Empereur.

Sagan, 22 mai 1852.– Me voici rentrée dans mes foyers.

On me mande de Berlin que l'Empereur de Russie a concentré toutes ses tendresses fraternelles sur la Reine de Prusse, qui, du reste, les mérite parfaitement. Il paraîtrait, néanmoins, que les sollicitations et les palpitations ravivées de l'Impératrice ont obtenu que son auguste époux se rendit à Berlin pour des manœuvres, l'Opéra, et un grand dîner au Château.

Sagan, 26 mai 1852.– J'ai reçu une invitation officielle pour assister à l'ouverture du Palais de Cristal de Breslau, qui a lieu après-demain. Je voudrais pouvoir m'y rendre, afin d'y voir en lumière les industries saganaises, auxquelles on a accordé des places excellentes, dans l'idée de m'allécher. Le Roi et la Reine ne s'y rendront que le 9 ou le 10 du mois prochain, et coucheront probablement ici le 8.

Sagan, 30 mai 1852.– C'est le 8 juin que m'arrive le flot royal; le 9 on va à Breslau, dont je suis revenue hier, très satisfaite de ce qu'une province si peu en renom de civilisation ait produit de belles et bonnes choses; le tout arrangé de fort bon goût, avec intelligence et une sorte de grandeur, eu égard à notre position géographique, à nos rares débouchés et à la misère des temps.

Mon pauvre Cardinal est bien malade, il s'est réfugié à la campagne; il paraît que le coup que lui a porté l'animal furieux qui l'a terrassé l'automne dernier est la cause, longtemps cachée, de ses souffrances actuelles44.

L'Empereur de Russie a failli périr par un accident de chemin de fer entre Myslowitz et Varsovie. Le train a déraillé sur territoire russe; plusieurs personnes de la suite ont été blessées, mais l'Empereur est sain et sauf.

Le 26 au soir, à la fête donnée au Babelsberg pour l'anniversaire qu'on célébrait ce jour-là, un orage, une trombe d'eau, des éclairs furieux ont fondu sur tous les augustes promeneurs, tout au travers d'une course en voitures ouvertes; la foudre est tombée deux fois devant celle où se trouvait l'Impératrice, elle en a eu des défaillances; bref, on m'écrit que le tout a été ce qu'on peut imaginer de plus déplorable.

Sagan, 10 juin 1852.– Avant-hier, Leurs Majestés, accompagnées de Mme la Grande-Duchesse douairière de Mecklembourg-Schwerin, sont arrivées ici à deux heures de l'après-midi. J'avais été à leur rencontre. Après un peu de repos et une grande toilette, long dîner, conversation après le café, toilette de promenade, thé pris dans le haut du parc, sous une tente dressée exprès et fort ornée. Après quoi, longue tournée dans le parc, en totalité illuminé, mi-partie en ballons de couleurs, mi-partie en lampions brillants; chaque dix minutes des feux de Bengale colorés. Des bandes de musique sur l'eau dans des bateaux illuminés, des chants, des fusées; bref, c'était très beau, je dois en convenir. L'église de Sainte-Croix s'est produite dans une mer de feux rouges; le temps superbe, plus de huit mille personnes circulant librement partout, foule tranquille et respectueuse, et cependant faisant entendre de bons cris. Toute la caravane royale dans huit voitures à moi, parcourant au pas toute cette étendue. On est rentré souper au milieu des livres et des gravures; après quoi, toute la ville, les corporations diverses, bannières flottantes, transparents allégoriques, se sont placées sur la place du Château en Fakel-Zug45. Le Roi s'est fait présenter tous mes petits protégés du gymnase. La bonne humeur, la bonne grâce ont été parfaites. La Reine surtout, avant tout, par-dessus tout, d'une gaieté, bonté, abandon de conversation comme je ne me doutais pas qu'elle pût être.

Sagan, 16 juin 1852.– C'est le Prince de Hesse, ex-gendre de l'Empereur Nicolas, qui épouse la Princesse Anna de Prusse. Elle devra vivre à Cassel dans les plus désagréables relations de famille, avec un mari qui ne semble pas rassurant. Il doit hériter de l'Électorat, ce qui suffit à le rendre odieux à l'Électeur actuel qui est un très méchant homme. Il a négocié partout pour que ses enfants morganatiques fussent reconnus ses successeurs, mais partout il a échoué. L'avenir de la Princesse Anna fait naître bien des appréhensions; mais elle a beaucoup d'esprit, beaucoup de volonté, cela aide.

J'ai lu l'article de Cousin sur Mme de Longueville dans la Revue des Deux Mondes, et j'en ai été ravie. Il m'est venu à la pensée que des allures chrétiennes avaient échappé au voltairien46, tant il est vrai qu'il n'y a pas moyen de rester profane quand on touche au grand siècle. Aussi, je voudrais m'y plonger et délaisser toute autre lecture.

Günthersdorf, 18 juin 1852.– Humboldt m'a prêté un livre que j'ai lu hier: L'Orléanisme, c'est la révolution. On dit qu'il fait effet, et je le crois. Ce n'est pas qu'on ne puisse en partie le controverser, mais il y a des faits, des rapprochements, des résultats habilement et clairement établis, impossibles à nier. Puis il y a, à la suite, des pièces, lithographiées sur originaux, frappantes. Je regrette, pour la pauvre Reine Marie-Amélie, que l'amertume ne lui en soit pas épargnée.

Lœbichau, 30 juin 1852.– Je suis auprès de ma sœur. Elle est fort triste et moi très abattue; à nous deux, nous ne nous sommes pas importunes, parce que nous ne contrastons pas dans nos dispositions d'âme. Les mille et une souvenances d'enfance et de jeunesse ensevelies dans les tombeaux, et qui, ici, semblent nous faire appel, ne laissent pas que de mettre les cordes les plus sensibles en jeu. Ma sœur et moi nous nous sentons sur la pente rapide qui nous conduit là où reposent ceux qui remplissaient jadis brillamment des lieux devenus si solitaires. Les vieux serviteurs qui restent gardiens de ces déserts en font encore plus apercevoir le vide, ou, pour mieux dire, la vétusté.

Carlsbad, 4 juillet 1852.– Mme Alfred de Chabannes m'écrit de Versailles: «La position de Mme la Duchesse d'Orléans en Suisse deviendra affreuse. Ses beaux-frères négocient maintenant avec le Comte de Chambord, qui, dégoûté et blessé, demande des garanties. Les jeunes Princes ne consultent plus leur belle-sœur; elle sera forcée de les suivre plus tard, en attendant, elle se place dans un vrai guêpier. Le duc de Montpensier, arrivant d'Espagne, est le plus spirituel et le plus actif; il a fait changer les voies; c'est lui qui mène mère, et frères, et sœur; aussi Mme la Duchesse d'Orléans ne l'aime-t-elle guère.»

Carlsbad, 14 juillet 1852.– M. de Flavigny, venant de Paris, et qui a passé vingt-quatre heures ici, dit que la santé du Président inquiète ses amis. Il a, dit-on, un tempérament épuisé, et parfois, des somnolences étranges.

Changarnier et Lamoricière, qui ont vu la Duchesse d'Orléans en Belgique, lui ont, à ce qu'il paraîtrait, fortement parlé pour la fusion. Je suppose qu'en Suisse elle entendra d'autres sons qui lui paraîtront plus harmonieux.

Carlsbad, 18 juillet 1852.– Voici deux faits dont l'exactitude m'est certifiée. Le Gouvernement français a trouvé très mauvais les honneurs rendus sur le territoire belge à Mme la Duchesse d'Orléans; il en a fait porter plainte, et on s'est confondu en excuses, disant que le maire de Liège entre autres avait agi sans ordres. En outre, l'Ambassadeur de France à Londres a reçu ordre de ne point se rendre à l'audience diplomatique que la Duchesse de Montpensier a donnée comme Infante d'Espagne au Corps diplomatique de Londres. L'Ambassadeur d'Espagne a fort ressenti ce procédé, et a déclaré qu'il ne mettrait plus le pied à l'Ambassade de France.

Teplitz, 2 août 1852.– La comtesse de Hahn-Hahn m'a écrit une lettre inattendue, dans laquelle elle m'annonce se dépouiller de tout ce qu'elle possède. Elle donne toute sa fortune à l'établissement du couvent du Bon-Pasteur, à Mayence, dans lequel elle prendra le voile47. Mais cette fortune ne suffit pas; elle quête pour achever cette œuvre, et elle commence par moi. Cette lettre figurera dans ma collection d'autographes, et c'est ce que j'en aime le mieux.

J'ai reçu aussi une lettre de la comtesse Mollien. Elle est en Angleterre, auprès de la Reine Marie-Amélie, et fait des tournées intéressantes avec cette Reine douée d'une force physique extraordinaire et d'une activité que le malheur ne peut détruire.

Le duc d'Aumale a acheté une propriété en Angleterre; je crois que c'est la maison que ses parents habitaient jadis à Twickenham. Il s'y établira à l'automne avec sa belle-mère48, qui est venue rejoindre sa fille. Le prince de Joinville partira à l'automne avec femme et enfants pour l'Espagne; peut-être sa mère sera-t-elle du voyage. Les Nemours restent à Claremont. On paraît être là fort ignorant des projets de Mme la Duchesse d'Orléans.

Teplitz, 10 août 1852.– Sans nier l'incontestable talent de Mlle Rachel, qui est maintenant à Bade, sa belle prononciation, sa physionomie expressive, ses gestes gracieux, ses inspirations heureuses, je dois dire qu'elle ne ma jamais entraînée. Elle est trop étudiée; tout est calculé à l'avance, minutieusement calculé; et la preuve, c'est qu'elle joue chaque rôle toujours de la même manière; même geste, même intonation, même accent, même cri placé au même instant. C'est une page notée, et c'est là aussi ce qui fait qu'à la seconde ou troisième fois qu'on l'a vue dans le même rôle, elle paraît extrêmement monotone. Mais ce sont de ces aveux qu'il ne faut faire qu'à huis clos. Quant à la comédie, dans laquelle je l'ai vue aussi s'essayer, elle m'a déplu; elle y est sèche et trop risquée à la fois, à cent pieds au-dessous de Mlle Mars, dont la grâce, le bon goût et les nuances fines étaient si remarquables.

Teplitz, 18 août 1852.– La rentrée de l'Empereur d'Autriche à Vienne a été quelque chose de merveilleux49. La Capitale a voulu effacer, par cette réception, les mauvais souvenirs de 1848, et ne pas rester en arrière des ovations de la Hongrie. Au débarcadère, il y avait soixante mille personnes rassemblées autour de l'estrade préparée où le Corps municipal a harangué l'Empereur. Toutes les corporations ont fait haie jusqu'à l'église Saint-Étienne; les maisons étaient pavoisées, les fenêtres se payaient jusqu'à cent francs chacune; les dames qui les occupaient étaient en brillantes toilettes. Sur la place Saint-Étienne, le Métropolitain, croix en tête, harangua Sa Majesté, entourée non seulement de tout le clergé régulier de la ville, mais encore de toutes les communautés religieuses, si nombreuses à Vienne. Te Deum ensuite dans la cathédrale. Il faisait obscur quand on est sorti, car il était déjà six heures du soir quand l'Empereur était arrivé au débarcadère. En sortant de l'église, il a trouvé Vienne nageant dans la lumière, de toutes les tours des différentes églises, des feux de Bengale. Tous les édifices publics et privés illuminés a giorno, devises, transparents, cris, vivats, applaudissements, rien n'y a manqué. Le jeune Empereur a passé deux heures à se promener, en calèche découverte, dans les rues, toujours au pas, à cause de la foule qui se pressait autour de la voiture.

Sagan, 2 septembre 1852.– J'ai quitté Teplitz, à tout prendre, contente de l'effet des bains et douches, et satisfaite du repos et de l'air doux et léger de cet agréable lieu. Je suis rentrée hier dans mon home où j'ai trouvé tout en bon ordre.

On m'écrit que le Président donne à Saint-Cloud des fêtes à la Louis XIV. Il y a des loteries de bijoux pour les dames, où la princesse Schœnbourg a gagné une bague en pierreries valant cinq cents francs. Je ne sais si, à sa place, cela me plairait.

Sagan, 18 septembre 1852.– La mort du duc de Wellington m'a saisie péniblement. Je lui étais restée fort reconnaissante de son fidèle souvenir pour mon oncle, et de sa constante bienveillance pour moi. Comme notre misérable époque va s'appauvrissant! Les derniers astres s'évanouissent, pour rendre les ténèbres de plus en plus profondes.

Sagan, 26 septembre 1852.– La France va donc devenir impériale. Mme la Duchesse d'Orléans l'aura bien voulu, et j'avais bien raison de lui dire à Eisenach: «Madame, vous jouez le jeu du Président.» Du reste, cette France, si près l'année dernière d'entendre crier: Vive la République démocratique et sociale, s'égosille à présent, par terreur, à crier: Vive l'Empereur! Du moins, si Louis-Napoléon étouffe le monstre du socialisme, il faudra reconnaître en lui, une fois de plus, le doigt sauveur de la Providence50.

Nuremberg, 19 octobre 1852.– Après avoir passé quelques jours à Potsdam, j'en suis partie le 17 après-midi pour aller coucher à Leipzig, et hier j'ai fait, en quinze pénibles heures de chemin de fer, le long et ennuyeux trajet de Leipzig ici, par une gelée blanche qui ne s'est pas même évanouie devant un tardif et pâle soleil. La jolie et intéressante contrée s'apercevait à peine à travers les fenêtres ternies. Je resterai aujourd'hui ici pour rafraîchir mes souvenirs de Nuremberg. Demain, je compte être à Munich, puis me diriger sur Nice.

1853

Nice, 5 janvier 1853.– Je trouve, dans une lettre de Paris, de Mme Louis de Talleyrand, une phrase qui me paraît juste: «On respire ici sous l'oppression, tant l'anarchie a fatigué, mais on en prévoit le retour, et la tristesse domine, au fond, tous les esprits non officiels.»

J'ai achevé les Mémoires de Cosnac. Si des deux volumes on en faisait un seul, il pourrait être des plus piquants, car il s'y trouve quelques coins de coulisses qui n'étaient point encore venus jusqu'à nous. Puis l'auteur était évidemment un esprit fin, prompt, vif, original, hardi, libre d'allures, par hauteur plus que par licence, ce qui le plaçait presque au niveau de ceux de qui dépendait sa fortune. La charmante Henriette d'Angleterre y paraît sous le jour le plus touchant51.

Mes lettres de Berlin disent que, pour la politique générale, le voyage de l'Empereur d'Autriche y a fait merveille, mais que pour la question douanière elle n'a pas fait un pas. La cuisine parlementaire qui se fait en ce moment à Berlin y cause une grande agitation; on en est ému et inquiet.

Nice, 8 janvier 1853.– Dans l'Indépendance du 3 janvier se trouve la liste officielle des sénateurs: Mouchy, La Rochejaquelein et Pastoret étonnent! La Maison Impériale y est aussi; du moins, est-elle toute prise dans les sommités bonapartistes, il n'y a rien à y reprendre.

Mon fils Alexandre52, qui est arrivé hier, et la poste m'ont apporté de Paris une quantité de lettres, dont je vais donner quelques extraits: 1o «Ici on se querelle, on se boude, l'hiver est triste; notre pauvre société française n'existe plus; il n'y a plus un salon possible; chacun vit dans son coin. Vous aurez vu les noms des grandes et premières charges avec leurs énormes cumulants, traitements, dans les gazettes. Voici ceux des chambellans: MM. de Flamarens, d'Arjuzon, de Quitry, Walsch, de Belmont, et quelques autres encore que j'oublie en ce moment. Chaque chambellan aura un traitement de dix mille francs. Il n'y aura plus de Clichy pour les sénateurs, leur prison sera le Luxembourg.»

2o «Vous aurez vu les grandes charges de la Maison Impériale. Elles ont amené la démission de sénateur du prince de Wagram, qui s'attendait à être Grand-Veneur, son père l'ayant été sous l'Empire, et le fils connaissant mieux que personne la vénerie.

«La société est intenable. L'aigreur réciproque de chaque fraction, à son comble, l'anathème contre MM. de Pastoret et de La Rochejaquelein presque unanime.

«M. Molé est revenu accablé et dérouté de Champlâtreux.

«Depuis que les journaux n'osent plus rien dire, les faux bruits nous inondent: je ne vous donne donc pas pour certain que c'est le duc de Guiche qui ira à Berlin remplacer M. de Varennes, M. de Béarn allant à Bruxelles, ce qui mécontente les Broglie.»

3o «Les lettres de créance du ministre de Prusse ont tardé à arriver jusqu'il y a six jours. On en était de bien mauvaise humeur ici, et on le montrait d'une façon bien gauche. Les lettres envoyées à M. de Kisseleff ne contenaient pas les mots: Monsieur mon frère, tandis que celles de l'Autriche et de la Prusse les portaient. L'ordre était donné aux ministres de ces deux Puissances de ne remettre leurs lettres que si celles de Russie étaient acceptées, et on ne voulait pas les recevoir. Cependant, tout s'est arrangé, Kisseleff vient de remettre les siennes, les autres le seront demain.»

4o «Rien ne peut vous donner une idée de ce qu'a été le séjour de la Cour Impériale à Compiègne. Entre autres, on y a joué des charades en action. Sur le mot curé, par exemple, les dames, à quatre pattes, faisaient les chiens, etc.

«L'Empereur est décidément fort amoureux d'une Espagnole, Mlle de Montijo. Il lui a montré la couronne impériale préparée pour l'Impératrice. On dit ce joyau splendide. Pour le faire valoir, l'Empereur a voulu que la belle Espagnole l'essayât, à quoi elle s'est prêtée sans difficulté, accueillant même ce que cet augure pouvait avoir de personnel pour son avenir.

«Il paraît que les trois Cours du Nord reconnaissent le fait impérial, mais non comme provenant d'un droit hérité, ni même transmissible par héritage: Napoléon élu Empereur par la nation, voilà tout. Louis-Napoléon a reçu officieusement communication de cette rédaction à Compiègne; ayant au premier moment comprimé l'impression qu'elle lui faisait, le soir l'effet a éclaté par de violentes attaques de nerfs et de colère, pendant lesquelles il menaçait de faire immédiatement entrer l'armée française en Belgique. On a fait chercher au plus vite les Ministres pour le calmer. Ils y sont parvenus avec peine. C'est là le vrai de cette indisposition qui l'a retenu à Compiègne, au delà du premier terme fixé pour la durée de ce séjour.»

Nice, 11 janvier 1853.– J'ai reçu hier une très affectueuse lettre de la Reine Marie-Amélie, en réponse à une lettre de bonne année. Elle m'est parvenue par Mme Mollien, qui était chargée de me la faire arriver. Celle-ci me mande que Mme la Duchesse d'Orléans était allée, avec ses enfants, passer les fêtes de Noël et du jour de l'An avec sa sainte belle-mère; que, depuis, elle est retournée à la belle habitation qu'elle a louée près de Plymouth; elle s'y ennuie beaucoup, à ce qu'il paraît, et, au printemps, elle veut changer, non seulement de lieu, mais aussi de pays. On ne sait point encore celui qu'elle choisira.

Nice, 15 janvier 1853.– J'avance dans la lecture de l'histoire de Louis XVII53, si profondément émouvante. Il ne s'y trouve rien de nouveau en fait de grands événements; les contours extérieurs du quadruple drame du Temple sont connus de tout le monde; mais des détails curieux dans leur révélation abondent et remplissent ce cadre de larmes et de sang d'une manière habile, parce que la vérité est prise sur le fait, qu'elle se sent partout, se reconnaît à des signes certains et met ainsi le lecteur directement aux prises avec tous les bourreaux et toutes les victimes. C'est une douleur et une angoisse qui saisissent à la première page du livre et qui s'accroissent jusqu'à la dernière, sans aucune relâche. J'en suis parfois malade, parce que la torture devient contagieuse, et cependant je ne sais pas quitter cette agonie si barbare et si admirablement chrétienne, et sublime jusque dans ce malheureux enfant, qui se retrouve en mourant le petit-fils de saint Louis. Je sais bon gré à l'auteur, M. de Beauchesne, d'avoir consacré tant de soins à cette courte vie de dix ans, qui se trouve être celle d'un enfant, d'un homme, d'un vieillard, d'un martyr.

Mon fils Louis54 m'a apporté une lettre de Paris dont voici l'extrait: «L'intérêt des derniers jours ici a roulé sur la reconnaissance par les Puissances du nouveau titre impérial de Louis-Napoléon. Cet intérêt a été vif. Louis-Napoléon a hésité pendant quarante-huit heures à accepter les lettres de créance. La raison politique l'a emporté; il s'est appuyé, vis-à-vis de lui-même et vis-à-vis des autres, sur les termes aimables et amicaux de l'Empereur de Russie, pour passer par-dessus ce qui y manquait, et il l'a fait d'assez bonne grâce. Mais c'est un sacrifice qu'il a fait, il ne le cache pas à certaines personnes. En gardera-t-il rancune? C'est là la question. Je suis porté à le croire. Il y a une chose certaine, c'est que, sans désirer la guerre positivement, et voulant surtout que la France ne l'accuse pas de la faire par ambition personnelle, il ne la craint pas; il croit qu'elle tournerait à son avantage, et que son nom aurait, sur les bords du Rhin, l'effet qu'il a eu dans le midi de la France. Que ce soit une illusion ou non, une pareille conviction suffit pour tout commencer. Rien n'est prochain, cependant cela est sûr. Il y a une autre chose certaine, c'est que c'est une tête froide, qui travaille toujours, qui se croit sûre de ne pas se tromper, et qui n'abandonne jamais ses desseins. La réalité, qui a justifié ses plus chimériques espérances, donne raison d'avance à toutes celles qu'il peut former désormais. Or, il a dans l'esprit l'idée qu'il est appelé à faire de grandes choses pour la France, et même pour l'Europe. Toutes ces conditions ne présentent pas une grande sécurité pour l'avenir.

«L'intérieur est très calme; de longtemps les difficultés ne viendront pas de là. On se rapproche peu du nouveau Gouvernement. Nous sommes vis-à-vis de lui comme l'étranger, nous ne lui disons pas: mon frère.

«On songe toujours au mariage; j'y crois l'Empereur décidé, mais on ne trouve pas de Princesse; tout a échoué; il y en a d'ailleurs fort peu. Il serait possible qu'il s'en passât, et qu'il épousât une femme quelconque, afin d'avoir une postérité. Cela ne grandirait pas la situation. En tout, l'opinion s'arrête très difficilement à l'idée qu'il aura des successeurs, et elle est surtout très hostile à Jérôme et à son fils.»

Nice, 21 janvier 1853.– Les lettres reçues hier de Paris tournent toujours autour du même sujet: le mariage de Louis-Napoléon. Je lis dans les journaux l'étonnant discours qu'il a adressé au Sénat et aux Corps constitués. Il faut lire cette allocution in extenso; le Journal des Débats donne ce texte en entier55.

La sœur de Mme de Montijo a épousé Lesseps, autrefois Consul; voilà une petite parenté toute gentille! Eugénie56 a choisi comme témoins le duc d'Ossuna et le marquis de Bedmar, qui ont accepté de la conduire à l'autel.

On voulait marier le fils de Jérôme avec Mlle de Wagram, mais il a reculé devant la parenté Clary, qu'il trouve au-dessous de sa dignité. Cela flattera le Roi de Suède57. Quel tohu-bohu que tout ceci!

Nice, 22 janvier 1853.– C'est décidément un mariage d'amour que fait Louis-Napoléon. On me mande que Mlle de Montijo, élevée dans une pension de Paris, est fort belle, de grande naissance par son père; sa mère est fille d'un consul anglais, ce qui explique la teinte anglaise du genre de beauté, nullement espagnol, de la nouvelle Impératrice, car il n'est pas question de formes morganatiques; ainsi, point de Princesse. J'en suis charmée. Mais quelle charge, à l'âge et avec la santé du sposo, d'avoir une femme jeune, belle et méridionale! et cela dans l'entourage Bonaparte et l'atmosphère qui l'enveloppe.

Voici d'autres détails que j'ai glanés dans mes lettres de Paris, qui ne sont remplies que du mariage: Mlle de Montijo a de vingt-cinq à vingt-sept ans; beauté hautaine avec des cheveux auburn qu'elle tient de sa mère irlandaise; elle a des allures hardies. On raconte que jouant à cache-cache dans les saturnales de Compiègne, l'Empereur l'aurait découverte cachée derrière le rideau d'une chambre, où, se croyant seul avec elle, il aurait voulu l'embrasser étroitement, et qu'elle l'aurait repoussé en disant: «Pas avant d'être Impératrice.» Une autre personne, cachée tout auprès, prétend avoir entendu ce propos.

Le Conseil des Ministres a été très opposé à ce mariage. Les entours immédiats en sont très peinés. Légitimistes et orléanistes sont charmés de cette équipée matrimoniale et de tout ce qu'elle promet.

41.Le palais habité par le général-gouverneur de Varsovie fut, par suite d'un accident, la proie des flammes dans la nuit du 22 février/6 mars 1852. A force d'efforts on put, pourtant, en sauver une partie, ainsi que les archives. Cet ancien palais de la famille Radziwill avait été vendu en 1821 au gouvernement du Royaume de Pologne.
42.Cette entrevue des deux souverains n'avait d'autre but, pour l'Empereur Nicolas, que de rendre à l'Empereur d'Autriche, dans sa capitale, les deux visites que le Monarque lui avait faites à Varsovie.
43.La Princesse Royale de Saxe.
44.Mgr Diepenbrock, Prince-évêque de Breslau, mourut le 19 janvier 1853. Deux années auparavant, Son Éminence avait été poursuivie et attaquée, dans la montagne du Johannisberg, par une vache furieuse, excitée par la vue de la soutane rouge du Cardinal, qui ne se remit jamais de cet accident.
45.Cortège accompagné de torches enflammées.
46.Victor Cousin, le père de l'éclectisme, après avoir erré plus de quarante ans sur tous les grands chemins de la pensée, sans dresser sa tente nulle part, finit par renoncer à la philosophie pour se donner à la littérature et à l'érudition, disant qu'après tout, la philosophie se réduisait à la morale. Or, d'après lui, la morale ne différait pas de la religion, et la religion, c'était le christianisme. Le voltairien s'était ainsi créé une religion intellectuelle, qui explique l'esprit de ses derniers ouvrages sur le dix-septième siècle.
47.La comtesse de Hahn-Hahn prit en effet le voile en novembre 1852.
48.La Princesse de Salerne. Elle était fille de François II, Empereur d'Autriche.
49.L'Empereur François-Joseph était rentré solennellement dans sa bonne ville de Vienne le 14 août 1852, après avoir fait en Hongrie une grande tournée, qui avait achevé la pacification de son Empire, dont les Madgyars avaient été sur le point de se détacher par la révolution de 1849.
50.Quelque temps après la session législative, le Prince-Président se mit à visiter une partie de la France. Le 20 septembre, il inaugurait à Lyon une statue de Napoléon Ier, se rendait ensuite à Marseille, à Bordeaux où il prononçait dans un discours ces paroles célèbres: l'Empire, c'est la paix. A son retour à Paris, il fut accueilli aux cris de Vive l'Empereur; des députations se rendirent auprès de lui, lui demandant de céder aux vœux du peuple, en reprenant la couronne du fondateur de sa dynastie. Cédant à cette pression de l'opinion publique, il consulta le Sénat qui s'empressa de répondre à cet appel en proclamant l'Empire, par quatre-vingt-six voix sur quatre-vingt-sept votants, le 7 novembre 1852, et son sénatus-consulte fut soumis à la ratification du peuple. Un an après le coup d'État, Louis Bonaparte était proclamé Empereur sous le nom de Napoléon III, à Saint-Cloud, en présence du Sénat et du Corps législatif.
51.Cosnac, nommé évêque de Valence par le cardinal Mazarin et appelé plus tard à l'archevêché d'Aix, fut aumônier de Monsieur, frère de Louis XIV. Il joua un rôle actif lors de l'Assemblée du Clergé en 1682, et il laissa des Mémoires qui ne furent publiés qu'en 1852, par le comte Jules de Cosnac, pour la Société de l'Histoire de France.
52.Le duc de Dino.
53.M. de Beauchesne, ancien gentilhomme de la Chambre du Roi sous la Restauration, avait publié en 1852, le fruit de longues études et de patientes recherches sur le malheureux fils de Louis XVI, sous le titre: Louis XVII, sa vie, son agonie, sa mort. Cet ouvrage fut couronné par l'Académie française.
54.Le duc de Valençay.
55.Au mois de janvier 1853, le bureau du Sénat, celui du Corps législatif et le Conseil d'État tout entier furent convoqués au Palais des Tuileries, dans la salle du Trône; Napoléon III, en uniforme de général, monta les degrés de ce trône, et, par un discours qui fut affiché dans toute la France, annonça aux grands Corps de l'État sa résolution d'épouser Mlle de Montijo et de la faire Impératrice. Le mariage fut célébré quelques jours plus tard, le 31 janvier.
56.La nouvelle Impératrice se nommait Eugénie.
57.Les Clary étaient une famille de petits négociants à Marseille. Dans sa jeunesse, et avant les grandeurs de sa famille, Joseph Bonaparte avait épousé Julie Clary, et leur fille Désirée épousa Bernadotte qui devint Roi de Suède. Le fils aîné de Berthier, prince de Neufchâtel, duc de Wagram, avait épousé Françoise Clary, et c'est leur fille qu'il était question de marier au prince Jérôme-Napoléon.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 ekim 2017
Hacim:
440 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain