Kitabı oku: «Journal du corsaire Jean Doublet de Honfleur, lieutenant de frégate sous Louis XIV», sayfa 15
Et dans l'un des bateaux il vint un Espagnol nommé Dom Antonio de Garcia qui étoit avec toute sa famille esclave de l'Empereur du Maroc, lequel l'avoit député pour venir au bord du comandant Portugais, affin qu'il emmena sur son vaisseau au Roy de Portugal afin de faire quelqu'échange de part et autre de plusieurs captifs des deux nations. Je le fis conduire par mon canot au bord du portugois qui le receut bien quoyque pauvrement habillé, et il pria le sieur comandant de diférer son départ de trois à quatre jours pour atendre les instructions de son ambassade, et le présent de l'Empereur pour le Roy de Portugal, lesquels présents estoient de deux chevaux barbes, un lion et un tigre et quatre autruches et six béliers à six cornes, le tout de très peu de valeur, à l'ordinaire des affriquains pour recevoir au quadruple.
Ce Dom Garcia revint à mon bord souper et coucher et m'entretint du comencement de son malheureux esclavage et de son épouse, et que son père étoit le lieutenant du Roy de la place de Larache coste d'Afrique et qu'elle fut subjuguée par les armes de Maroc, qui manqua au traité de la capitulation ayant permis de mettre en liberté et de renvoyer tous les prisonniers et au contraire il les rendit tous esclaves, et que son père en mourut de chagrain peu après et qu'après une rude servitude luy et sa femme fut affectionnées de l'Empereur qui les mit ensemble dans le grand jardin de Fez ou estoient des bains et un sérail, étoient posées concierge des bains et vivoient des fruits du jardin d'une vie assées paisible et puis de leur mariage est issu une fille puis un garçon et une autre fille, et que sa première fille ayant atteint l'âge de 15 ans, l'empereur la demanda à Dom Garcia pour son sérail. Dom Garcia luy répondit que Dieu l'avoit fait maistre de leurs personnes et non de leurs âmes et que l'enfant appartenoit à la mère, et le Roy luy dit: «Je t'ordonne de me l'envoyer dès ce soir à un tel bain.» Garcia tout affligé le fut dire à son épouse; elle en tomba en faiblesse et lorsqu'elle en fut revenue elle dit à sa fille sy elle n'aimeroit pas mieux souffrir le martyr et mourir en la foy de Jésus-Christ plutots que de renier son Dieu et se faire mahométante. Elle dits: «Chère mère, tuez-moy plutots vous mesme avant que pareil malheur m'arrive, peut-estre ne serais-je maitresse de résister aux menaces ou tourments.» Et la mère qui estoit munie d'un gros canif coupa et tailla en divers endroits le visage de sa fille, en luy disant: «Souffre pour Jésus-Christ.» Et la pauvre fille sans se plaindre ny crier disoit: «Encore, ma chère mère», par plusieurs fois, et elle fut toute défigurée. Ce qu'ayant seu l'Empereur, il fit donner cent coups de bâton sur la plante des pieds à Dom Antonio et deux cents coups sur le ventre de la mère, dont elle expira soubs les coups, et que sa fille cadette qui prenoit dix années leur fut ostée et mise au sérail et mourut de chagrain peu de jours après y estre enfermée, et que six mois après ces malheurs, le Roy le reprit en amitié et luy redonna sa première office dans le jardin et luy permis d'élever son fils avec les missionnaires servant d'interprettes, et que c'étoit pour la troisiesme fois qu'il le députoit pour traiter des échanges d'esclave: effectivement ce sr Garcia étoit homme d'esprit et bien prudent. Et le lendemain par un bateau qui nous vint, il retourna à terre recevoir ses dépêches et trois jours après l'escadre partit avec luy et les présents.
Les temps devenoient fascheux et les bateaux ne pouvoient plus sortir sans risquer cors et biens. J'écrivis une lettre à Mr Fossard de faire en sorte de m'envoyer le restant de nos effects s'il le peut, et que nous courions de grands risques de perdre la vie et biens sy pas tempestes nos câbles ou ancres nous manquent ou que ceux qui échaperoient à la coste seroient esclave, et il trouva les moyens de m'envoyer sa responce pour lequel il me marquoit n'avoir plus qu'une barque de marchandizes à m'envoyer et qu'il serait impossible de le faire avant huit jours qui seroit nouvelle lune, temps où la barre est la plus agitée, et que luy ni l'homme que je luy avois donné pour le servir ne pouroient se hasarder de s'embarquer. Et le 28 décembre par un rude coup de vent de sud-ouest notre maistre câble se rompit et nous mismes promptement soubs les voiles pour nous échaper de la coste, et puis nous poussasmes pour entrer au détroit de Gibraltar afin de nous rendre à Marseille pour y débarquer nos marchandizes, et arrivasmes en rade au 20e de janvier 1697, où nous eusmes ordre de Mr de la santé de nous placer dans la baye de l'ille de Pomégué200 pour y faire la quarantaine à cause des effets venant de Barbarie que nous envoyasmes par bateaux au lazaret pour y estre éventés, et lorsque nous avions quelques besoins nous mettions un pavillon au bout de la pointe de l'ile, on nous envoyoit un bateau et nous luy donnions une lettre trempée au vinaigre et nous raportoit sur la mesme pointe ce que nous avions demandé, et après les quarante jours on nous demanda de venir à la chaisne à l'entrée du port et en présence de Mr de la Santé, le médecin et chirurgien nous examinèrent tous et ensuite on nous enfuma et le navire, et on nous permis d'entrer dans le port. Je disposay à faire caresner notre navire et à le ravitailler pour faire la course en faisant notre retour vers le Ponnant. Et il se fit une sédition dans mon équipage qui fut suscitée par un nommé Le Désert. Ils jetoient les plats et les gamelles plaines de vivres dans le port. Je demanday d'où cela provenoit. Le Désert qui étoit contre-maître prit la parole et dits: «Nous ne prétendons point travailler à moins que vous ne nous payez ce qui est deubs jusqu'à présent et que vous nous payez encore trois mois en advance de partir d'icy.» Je dits qu'il n'étoit pas besoin de venir à l'extrémité de jetter les gamelles plaines et que l'admirauté étoit pour rendre justice sur l'engagement de la charte-partie. Et il fut ordonné que je payerois ce qui étoit deub des advances étant continuation du voyage. Le dit Désert sur le souper recommença la mutinerie jetant en mer une gamelle plaine, et je le frappé d'une corde et luy fit mettre les fers aux pieds dans la proüe du vaisseau, et le matin je portay mes plaintes à Mr de Montmaur201 pour lors intendant de police et de gallères, et il députta Mr Lemonnier, lieutenant du port, pour venir à mon bord faire les informations afin de rendre compte du subject de la mutinerie, ce qui fut fait avec exactitude et en porta le reffect à Monsieur l'intendant, lequel envoya deux sergents des galères pour y conduire Le Désert qui étoient de sa caballe, et furent tous mis à la chaisne avec chacun un forçat dans la Réalle202, et on leur coupa les cheveux. Ils se creurent perdus entièrement et ils employèrent des personnes charitables pour me prier de commisération et m'écrivoient des lettres pitoyables, ce qui m'engagea d'aler prier Mr l'intendant d'acorder leurs grasces. Et il me dits: «Lorsque vous serez prêts de mettre soubs les voiles, je les feray rendre à votre bord.» Et ont esté plus de trois semaines en cet état.
CHAPITRE IX
Croisières sur les côtes d'Afrique. – Relâche à Lisbonne. – Doublet est pris par les Anglais. – Retour à Saint-Malo et à Honfleur. – Voyages à Terre-Neuve. – Voyage à Saint-Domingue. – Historiette du Sr Gotreau, qui pesait les sacs à procès. – Tempête. – Retour à Saint-Nazaire. – Voyage à Paris. – Doublet prend le commandement de quatre vaisseaux de Compagnie.
Le 9e avril je sorty du port de Marseille; l'on me renvoya mes cinq mutins et Le Désert étoit attaqué de fièvre; il étoit naturellement mal souffrant et en avoit souvent contre les uns et autres qui luy disoient ne vouloir pas faire comparaison avec un galérien, il s'en chagrina et mourut, un mois après estre rembarqué à mon bord. Je fus détenu près d'un mois à la rade de Dome par vents contraires et pris la mer au 12 may j'ay croisé depuis aux costes d'Affrique et celles d'Espagne sans autre rencontre que des corssaires d'Alger avec lesquels nous étions en paix et qui nous évitoient de nous parler. Et étant pour sortir le détroit, m'étant approché de Senta et du camp des Maures, l'on m'envoya plusieurs bombes dont une surpasssa pardessus nos mâts, et je fits prendre au large et il étoit le 6e juin quand je sorty le détroit sans rien trouver. Je fits les routes de m'aprocher de Cadix et les costes D'Algarves jusqu'au travers de Lisbonne que je prits un flûton anglois de 150 thonneaux de port n'ayant que du sable pour lest. Je le conduits à Lisbonne pour y espalmer le navire et y remettre des vivres, et vendits ma prise pour 2,700 croisades dont je paya les frais de ma relasche, et partis le 16 aoust. Je prits la mer à 60 et 70 lieux au large des caps jusqu'à l'entrée de notre Manche sans rencontre et nous aprochâmes aux costes d'Angleterre entre les Sorlingues et le cap Lézard au 4e de septembre, et le neufviesme nous aperceusmes un navire sur lequel nous chassions, et il nous fit nos signaux et auxquels nous fismes réponsce et nous nous joignismes, et nous parlasmes. C'étoit aussy un Garde coste Anglois de 36 canons, que le Sr Belière-le-Fer avoit pris et donné à commander au Sr De la Rüe, et nous convinsmes de croiser quelques jours par enssemble et n'ayant pas eu plus de bonheur dans les rencontres que nous, et après sept jours de notre jonction nous apperceusmes 2 navires proche de Lézard, et comme nous allions pour les reconnoistre ils nous prévindrent en donnant eux-mêmes vers nous. Je criay à Mr De la Rüe que c'étoit deux gardes costes ennemis et ils dits: «ce peut estre aussy des marchands», et ne se mit en peine de fuir que trop tard. Mes officiers et équipage en murmuroient. Je leur dits: «Quoy faire? si ce jeune homme est pris il publiera que je l'ay abandonné, et s'il en échape il dira que c'étoit deux forts navires marchands et quétant luy seul n'osoit les ataquer, il est allié des plus puissants de St-Malo, il nous tirera l'honneur et le crédit, et il vaut mieux se battre en braves.» Cepandant pour l'engager à fuir je le faisois moi-même, mais il n'en étoit plus tems et les Anglois marchoient mieux que nous. Le plus gros qui avoit 66 canons m'atrapa à portée de son canon et il ne m'en tira qu'un seul dont je ne fits aucun cas, et il poursuivit le Sr De Larüe. Voyant son camarade venir sur moy je dits: «Mrs, celuy qui nous poursuit n'est pas aussy fort que nous, laissons encore dépasser le gros et puis nous mesmes yrons d'emblée aborder celuy qui nous chasse, et nous l'étourdirons et le prendrons à coup seur avant que l'autre puis revenir sur nous, et disposons-nous bien.» Et jordonnay de serrer toutes nos menues voilles pour revirer sur luy, et dans ce moment mon grand mât rompit à l'uny du tillac, emporta avec luy le mât d'artimon et tomba sur le mat de missenne et le cassa et le tout tomba à la mer. Nostre pont estoit couvert de nos voilles, notre navire vint le costé au travers sans pouvoir gouverner, et nos canons que nous avions désaisis passoient d'un bord à l'autre par les grands roulie de notre vaisseau. Aucun homme n'osoit se présenter crainte d'estre écrasées, et nous fusmes pris sans pouvoir combattre contre une frégatte qui n'avoit que 32 canons nomée le Rie, et Mr de la Rüe en fuyant avec des coups de retraite fut aussy pris par le Cantorbéry de 66 canons, et ils nous conduirent tous les deux à Pleimuts où nous fusmes emprisonnés le 18 septembre 1697, nous achevasmes de remplir la prison, où nous fusmes très étroitement logées à 3 et 4 officiers sur des méchants lits; quant aux aliments nous les faisions achepter dans la ville et l'on nous les survendoit plus de la moittiée et estions fort observées par deux corps de garde, et au mois de décembre l'on dépescha un paquebot avec 200 de nos prisonniers pour les porter à Sainct-Malo et faire un échange pour des Anglois. Mrs de Ferville et Cochard avec leurs officiers de la marine furent renvoyées avec leurs équipages en partie, et deux jours ensuitte on dépescha un autre paquebot avec 200 autres prisonniers et les officiers dont partie avoit esté pris depuis nous. J'en fis mes plaintes à Mrs les commissaires de leur injustice que de renvoyer ceux depuis nous et ils me dirent: «Nous renvoyons la plus part de vos équipages et nous avons ordre de vous garder jusqu'à ce que l'on nous renvoie un ambassadeur qui aloit en Suède et que les Dunkerquois ont pris.» je dits: «Cela n'a pas relation d'avec les malouins. – Pourquoy ne déteniez-vous plustots que moy les officiers de la marine?» Et ils me dirent: «Ils n'ont pas esté sy bien recommandées que vous l'estes; ils ne nous ne sont pas sy connus; ils n'ont pas enlevé de navire dans ce port et ils n'ont pas esté sy bons marchands en Ecosse et ils ne sont pas réclamés de Mr De Pontchartrain comme vous l'estes. Tenez, en voilà une lettre; consolées vous et prenez patience il en partira encore d'autres avant vous.» Et sur un placet que je fits présenter à la Reine, il me fut accordé permission d'aler à la ville et une lieux en dehors soubs l'escorte de deux soldats qui tous les soirs me reconduiront à la prison. J'ay eu cette satisfaction pendant un temps et avec grands frais de dépences. L'on dépescha encore deux autres paquebots sans me permettre de m'y embarquer, et à la fin de l'an 1697 l'on me permit de m'embarquer au dernier paquebot que la paix fut déclarée.
Etant de retour à Sainct-Malo, me trouvant démonté de navires et ne sachant quoy entreprendre, je proposay à mon épouze de venir à mon pays natal y voir ma mère et mes parents, et que j'avois un peu de bien dont je n'avois rien receu en considération de ma chère Mère, et qu'il étoit bon de vois à nos petites affaires. Et nous entreprismes avec une chaize ce voyage. Nous fusmes bien reçus de tous nos amis, desquels une partie me proposèrent que sy je voulois me tabler que nous ferions une petite société d'achepter un navire pour entreprendre de faire la pesche des morues au sec, à la coste du Canada, pour les apporter à Honfleur où il s'en étoit fait de grands débits au temps passé, et que nous ne serions que deux navires du pays à faire ce commerce. J'acceptay ces propositions et reconduits mon épouze à Sainct-Malo affin de disposer à nos affaires pendant que j'yrois à Dunkerque ou Hollande achepter un navire, et que lorsque je l'aurois a conduit à Honfleur j'yrois la prendre avec deux enfants que nous avions203 affin de nous établir au dit Honfleur. Je trouvay à Dunkerque un navire de 300 thonneaux et 16 canons qui me parut convenable pour notre entreprise. Je l'acheptay et l'équipay simplement pour l'a conduire au dit Honfleur et pour y faire le nécessaire pour notre entreprise comme des grandes barques et chaloupes, et après quoy je fus pour a conduire mon épouse et nos deux enfants et affrettay une barque pour aller m'apporter nos meubles, le tout arriva heureusement. Et au commencement de mars 1698 je party pour le voyage du Canada, et après que j'aurois pris du sel à Sainct-Martin de Rey d'où je partis sur la fin d'avril, et après cinq semaines de traversée ayant dépassé le grand banc à vert nous trouvasmes devant nous un enchainement de glaces qui m'empeschoient ma route. Je parcourus plus de cent lieux sans en trouver le bout, et nous appercumes une ouverture entre deux hautes montagnes de glace qui nous fit croire qu'elles estoient divisées et creusmes y trouver nostre passage et donnasmes dedans jusqu'à 15 et 16 lieux, que nous y rencontrasmes un petit navire de Grandville qui faisoit la route pour en sortir, lequel nous apprits quil n'y avoit pas de sortye et nous retournasmes fort à propos sur nos pas, car le lieu où nous avions entré se fermoit, et en arrière la brume survint fort épaisse et l'avons creu enfermé, et après que nous fusmes échapés nous fismes la route pour approcher la terre du Cap Breton et dont nous eumes la connoissance au lendemain matin, mais nous y trouvasmes encore un grand banc de glace qui nous baroit le chemin de notre route, et nous arrivasmes courant au sud le long du dit banc, et en attrapasmes le bout, et nous aprochasmes de la dite terre, où nous aperceusmes à trois lieux au large un navire que nous croyons estre de Granville et nous luy parlasmes. Il étoit de la Rochelle, nommé le capitaine Thomas, qui nous dit avoir party de la Rochelle le 3e février et qu'ayant fait la route jusqu'au 16 mars, il avoit rencontré les mesmes glaces que nous qui l'avoient empêché de passer plus outre pendant sept semaines et que par les grandes froidures qu'ils ont ressenty ils avoient consomé tout leur bois à feu jusqu'à avoir décloué les planches du dedans de leurs bords et mesme ont été contrainct de brusler des bariques et tous leurs mâts et les vergues de leurs perroquets. Je leurs dits que sy avant la nuit nous pouvions mouiller l'ancre dans la baye qui paroissoit devant nous, qu'il m'envoyroit sa chaloupe et je l'en assisterois, mais que nous n'avons pas ce temps à perdre pour y attraper, le vent nous favorisa et nous donnasmes à l'ancre tous les deux dans la dite baye sur les 3 heures du soir, et la reconnusmes pour la baye de Ste-Anne, et il envoya aussitôt à terre deux chaloupes pour prendre du bois et je me fis porter à terre par curiosité de voir ce pays où à ma dessente je ramassey sur le rivage plusieurs morceaux de charbon de terrre, qui me fit conjecturer qu'il y avoit aux environs une mine de ce charbon. Sur la nuit je me rendis à mon bord et le lendemain j'envoyai un de mes officiers représenter au capitaine Thomas que les glaces étoient desendus par les courants vis à vis de l'ouverture de la baye et que nous ne pourrions sortir qu'après qu'elles seroient dépassées, et que s'il vouloit d'intelligence, que je luy donnerois un homme et qu'il m'en donnât un des siens afin qu'au cas de notre séparation le premier arrivé à L'ille Percée, lieu de nos destinations, l'on prendroit possession d'une des meilleures places pour l'arrivée du navire et il y consentit. Et voyant que nous ne pouvions sortir, je fis embarquer des provisions dans une de mes chaloupes et me fis conduire au haut de la dite baye où donnoit une rivière afin d'y faire quelque découverte et avant de partir j'avois donné mes ordres que, au cas qu'il y eut apparence de pouvoir partir de tirer un coup de canon pour m'appeler, et j'avancey près de quatre lieux dans cette rivière, où nous voyons de temps à autre plusieurs ours et je vits une futaye d'ormes prodigieux dont un que le vent avoit abattu avoit 65 pieds de long portant à cette longueur 14 pouces de largeur et au pied trois pieds et 10 pouces de diamètre, et il y en avoit quantité. Il survint un brouillard qui m'empescha de pénétrer plus avant, et comme je retournois à bord sur les 3 heures j'entendis un coup de canon et ne savois que présumer voyant qu'il ne faisoit pas bon d'appareiller tant par les glaces et que la nuit survenoit. J'arrivay à mon bord sur les six heures, où j'appris que le capitaine Thomas avoit dans le brouillard appareillé sans envoyer son homme, ny advertir pourquoy. Je dits: «Voilà un fourbe qui croit arriver le premier et il se trompe et se met dans un grand hazard.» Le brouillard fut extrême et jugey très à propos de ne pas bouger, et sur une heure après minuit nous entendions souvent des coups de canons de ce navire que nous creusmes bien avoir esté transporté dans les glaces, mais d'une aussy grande obscurité où le pouvoir trouver? et mettre mes gens au péril. Et à 3 heures nous n'entendismes plus les canons, et sur le jour il tomba une grande pluye, et nous restasmes à notre place. Le lendemain il fit beau clair et du haut de nos mats on ne voyoit plus de glaces, et nous appareillasmes et rangions la terre à portée d'un moyen canon, et nous retrouvasmes d'autres glaces après avoir fait 8 lieux de chemin, où nous trouvasmes une autre petite baye où je fits mouiller l'ancre. Je dessendis au fond de la dite baye nommée Niganich; on trouva le débris d'une carcasse d'un navire perdu; je fus sur une petite isle où je trouvay huipt chaloupes sur le terrain qui en les accomodant pouvoient servir pour faire la pesche et, voyant la saison un peu avancée et l'obstacle des glaces, je proposay à mon équipage de nous tenir en ce lieu pour y faire nostre pesche. Ils répondirent qu'ils le voulaient bien, et je dits qu'il en falloit dresser un procès-verbal que nous signerions tous l'ayant jugé utile pour le bien commun des intéressés et de l'équipage qui étoit engagé au tiers du provenu de la pesche, et ils refusèrent de signer, et pendant 4 jours que nous restasmes je leur fits couper des bois pour les préparatifs de la pesche, et les glaces ayant disparu nous mismes à la voille. Je fis passer notre navire entre l'isle de St-Paul et le cap St-Laurent, et ensuitte passey entre les isles Brion et la Madelaine, lieux si peu fréquentés que tous mes officiers disoient que s'ils avoient cent navires il n'y en risqueroit pas un, et nous passames sans accident, et au 24 juin feste de St-Jean, nous arrivasmes à l'isle Percée tout le premier et travaillasmes d'une grande diligence à nous cabaner et acomoder nos barques et chaloupes que nous avions portés par pièces numérotées, et au premier de juillet on commença notre pescherie, et sur la fin de septembre elle fut achevée ayant notre charge. Il y eut quatre de nos gens qui voulurent bien rester à hiverner avec un pauvre habitant qui avoit sa femme. Je leur fit faire un bon logement par des doubles rangs de pieux, entre les deux de bons gasons, et fut couverte de planche, et y reportasmes leurs vivres et toutes choses à servir à la pesche pour l'année ensuivant qu'il avoit fallu porter et rapporter et nous partimes au 4 octobre.
Et arrivasmes à Honfleur au 20 de novembre, et comme il n'y avoit qu'un moyen navire qui avoit fait la mesme pesche avec nous, nos morues furent assés avantageusement vendues. Mais l'envie qui ne meurt jamais fit entreprendre à d'autres particuliers d'équiper encore deux autres navires pour nostre mesme dessein et furent avec nous à l'Isle Percée et arrivèrent tous les quatre à bon port, et par la quantité des morues la vente s'en fit à bien moindre prix, et mesme il en resta bonne partie à vendre, et l'année 1700 ce fut encor pis et qui causa bien des pertes. A ce dernier voyage204 une de mes chaloupes m'advertit avoir veu une grosse baleine morte et échouée près du cap enragé à deux lieux d'où nous étions établis. Je m'y fis porter et mesuray sa longueur qui portoit cent six pieds de long sans y comprendre la queue qui en avoit bien encore quinze; j'en fits couper plusieurs grands morceaux de lard et les portay à fondre dedans nos plus grandes chaudières, et en emplis deux bariques d'huile; j'y renvoyay deux chaloupes pour en rapporter, et la mer avait enlevé le reste du cadavre. Voyant la perte que nous faisions sur les deux derniers voyages notre société ainsy qu'une des autres se rebutèrent, et il n'y eut que deux navires qui retournèrent; le nôtre avec l'autre demeurèrent au fossé. Et la guerre survint au sujet de Mr le duc d'Anjou, les Anglois prirent ceux qui étoient à l'isle Percée et brulèrent toutes nos barques et ustensils et mon magasin. Il survint un différent entre deux ou trois de mes intéressés qui vouloient envoyer notre navire charger à fret du sel pour les gabelles. Les autres s'y opposèrent en voyant que je ne voulois plus le comander; on adjusta les comptes où il y eut une contestation de trois livres dix sols dont ils eurent un procès qui a conté plus de mil livres en fraix et le navire demeura au fossé à dépérir, et à la fin il fut vendu par justice dont on a pas retiré cinq mil livres de ce qui en avoit cousté cinquante deux mil.
1702. Et pendant leurs brouils il vint à notre ville un espagnol nommé Dom Bartolomé Ramos, qui ne sachant notre langue s'informa si quelqu'un savoit la sienne et le maître de son auberge me l'amena, et cet espagnol me raconta son désastre205, que s'estant embarqué sur un de leurs navires avec peu de force, luy et plusieurs de sa nation partant de Portobello pour se rendre à Carthagesme, ils furent rencontrés d'un forban qui les pilla toutes leurs richesses et que luy dit Ramos y perdit à sa part un peu plus de quarante mil piastres dont il en avoit gardé les connoissements, et que ayant appris le nom du capitaine forban et sachant qu'il avoit esté désarmé et débarqué tout le butin au Petit-Goave, Ille de Sainct-Domingue, et sachant que nous étions en bonne paix avec l'Espagne par le Duc d'Anjou qui y feut receu pour Roy, le dit Ramos étant muni de bonnes attestations du vol qui luy fut fait, trouva les moyens de se faire aporter à Saint-Domingue pour réclamer ce qu'on luy avoit volé, porta des plaintes au commandant pour lors deux lieutenants du Roy: Galifet206 pour le département de Leogane et Mr Du Paty207 au Petit Goüave, ils contrefirent les faschées et qu'ils aloient faire justice, et au lieu de faire avertir les forbans ils les firent évader dans d'autres quartiers. Et le dit Ramos ayant appris et reconnoissant que l'on le jouoit prit la résolution de passer en France pour faire ses remontrances à la cour par l'ambassadeur d'Espagne qui luy obtint un ordre du Roy qui en joignoit aux deux susdits deux lieutenants de faire rendre au dit Ramos ou à son comettant l'entière somme et de faire punir les forbants à peine de répondre à leur privé nom. Le Sr Ramos vint me trouver et me prier de passer avec luy à Sainct-Domingue et qu'il me donnerait le quart de ce qui luy seroit rendu croyant la chose très seure avec de sy bonnes ordres, et il me fit consentir d'aller avec luy. Et étant disposés d'aler à Nantes trouver le passage il survint des lettres au dit Ramos de sa femme et de sa famille, qui le demandoient à San-Lucar de Barameda pour affaire qui luy estoient de plus de conséquence, ce qu'il me fit voir et me pria instamment d'aller à cette poursuitte et qu'il m'en céderoit le tiers veu qu'il n'étoit pas en état de me rien advancer.
J'entrepris le voïage à mes fraix; je fus à Nantes où je trouvay un navire prêt à partir, et en 6 semaines je débarqué au Leogane et délivray le paquet de la cour à Mr de Galifet, qui l'ayant leu me regarda et me traita de mauvaises paroles et bien colère en me menaçant de me mettre dans un cachot dont on n'entendroit pas de nouvelles. Je luy répondis: «Monsieur, je n'ay ouy dire à personne qu'un porteur d'ordre du Roy fut maltraité et vous estes trop sage pour le faire.» Et il changea de ton, et pour toutes conclusions je n'obtins rien en huit mois de poursuite au conseil de Sainct-Domingue lesquels s'entendoient comme larons en foire. Et peu après que je fus arrivé il survint un religieux Augustin qui fit jonction avec moy s'étant trouvé avec le Sr Ramos lors du dit forbant, le dit Religieux prouvant avoir esté pillé de plus de soixante mil livres piastres, et il fut joué comme moy, et nous cherchons repasser ensemble en France et j'avois dépensé inutilement bien de l'argent. Et Mr Morville208, lieutenant de vaisseau, comandoit une grande flutte du Roy nomée la Gironde ayant 40 canons, et il s'apprêtoit pour partir et me promis et au Religieux notre passage gratis, et je fis embarquer une partie de mes hardes et provisions au bord. Et en même temps il parut cinq vaisseaux le travers de la Gonave qui est une isle inhabitée à 4 lieux de Leogane où notre navire étoit devant la petite rivière, et lorsque nous reconnusmes les pavillons anglois Mr De Morville jugea à propos pour sauver son navire de tascher de le faire entrer dans le grand cul de sac, et nous fismes nos diligences; mais à l'entrée le vent nous manqua et voyant que nos ennemis s'approchoient nous mismes nos chaloupes en avant pour nous attirer à terre et échouer pour ne pas nous laisser enlever.209 Nous échouasmes proche des mangliers qui sont des tissus d'arbres entrelassés qu'à peine les hommes y peuvent passer, et nos ennemis voyant notre manœuvre nous cannonnèrent fortement, tirant dans nos mastures pour favoriser et ne pas endommager deux brigantins et leurs chaloupes qu'ils avoient envoyées armées pour nous enlever. Je dis à Mr de Morville qu'il falloit faire percer quelques trous dans notre calle pour y faire entrer l'eau et de ne permettre à l'équipage de se débarquer affin de deffendre l'abordage des brigandins et des chaloupes. Nous les rebutasmes par plusieurs décharges de notre mousqueterie, mais ils envoyèrent deux frégattes légères de 24 à 30 canons qui ne tiroient pas tant d'eau que nous et qui ne venoient pour nous aborder et auroient enlevé nostre vaisseau, ce qui nous engagea d'y mettre le feu à trois différents endroits, et nous nous sauvasmes à terre simplement qu'avec ce que nous avions sur notre corps, et le tout fut conssomé par le feu, et de dépit nos ennemis cannonnèrent le bourg de la Petite Rivière et ceux de l'Ester et du Petit Goave sans nous faire que très peu de domage, et un seul homme fut tué et un qui eut une jambe emportée et nous n'avons pu savoir ce que nous leur avons fait par nos canons. Nous aprismes seulement que c'étoit l'admiral Benbou210 qui comandoit une escadre et qu'ils cherchoient Mr Ducasse211 qui comandoit une de nos escadres,212 enfin nous nous trouvions presque dépourvus de nos commodités et privés de repasser sitost que nous l'espérions en France. Et plusieurs riches habitants s'efforçoient à qui nous auroit chez eux et de nous bien traiter entr'autres un Mr Le Maire, originaire de Dieppe, et le gendre de son épouse procureur général du conseil, nomé Me Duquesnot. Et un nomé Gottreau de la Rochelle n'étant qu'un tonnelier de profession sans savoir ny A ny B., avoit hérité d'une belle succession avec une belle terre et sucrerie et plus de 50 neigres travaillants et vivoit honorablement, Et par amys il obtint une charge de consseiller qui l'anoblit, et Mrs ses confrères l'ayant receu et enregistré ses provisions luy defférèrent de rendre un raport sur un procèes qui étoit assées d'importance que l'on creut bien estre lui estre donné par dérizion. Il n'y avoit ny procureur ny advocats pour se conssulter. Il me vint chercher avec mon Religieux dans son carosse, nous disant que nous luy fissions l'honneur de passer quelques jours avec luy, et nous emena. Le premier jour il ne me parla de rien; et le landemain, au lever, il me fit apporter par un jeune commis qu'il avoit à à gages deux sacs de papiers du procès qu'il avoit à rapporter et débuta: «Vous qui estes de Normandie debvez estre au fait des affaires; je vous prie de m'aider.» Je luy dits: «Je n'y suis pas plus savant que vous; j'ay esté en mer dès ma tendre jeunesse et ne me suis attaché qu'à la navigation.» Il me répartit: «Vous savez sy bien lire et écrire, peut-estre comprendez-vous le fort de cette affaire.» Et pour le contenter j'examiné les écritures du premier sac. Je trouvois que cette partye avoit grande raison dans ses demandes. Et quelques jours après que j'eus veu les pièces du deffendeur, je trouvois qu'il avoit encore plus de raison. Mr Gottreau se prend à rire et dire: «Qui diable a donc plus de raison? Parbleu, je say bien pour me débarasser ce que j'ay à faire.» Je demande: «Hé quoy, mon amy?» «Il m'est venu une bonne pensée. J'ay toujours ouy dire que la justice avoit des balences en main et les yeux bandés, je les ay bien puisque je ne vois goute en cet affaire, ma foy je vais peser les deux sacs et celuy qui pèsera le plus je luy donne le gain de sa cause avec dépends.» Et je ne peus m'empescher de rire tout mon saoul. Il dits: «Riez sy vous voulez, je ne saurois mieux me tirer de cet affaire que par là, Mrs mes confrères me l'ont remise pour se moquer de moy et je me moqueray d'eux. Tout ce qui en peut arriver est que le perdant pourra en appeler au conseil de Paris, et il se passera plus d'un an avant que l'on sache rien, et dont je vous prie de me garder le secret.» Ce que je luy promis et tenu. Après avoir pesé, il fut question de dresser le raport, et il m'en pria. Je luy dits n'y entendre rien non plus et il fut chercher un raport qui avoit esté rendu pour luy au subjet de sa succession; nous travaillâsmes dessus, à changer quelques termes avec les noms des parties, et luy dits de le faire copier pour que mon écriture ne parut pas, ce qu'il fit par son comis, et il demeura content et le porta dès la première audience, et le perdant ne manqua pas d'en appeler, et on apris depuis que son jugement fut aprouvé au consseil de Paris, et il en fut sy aize qu'il divulgua comme il avoit fait, et on a pris à proverbe sur les affaires embarrassantes; il faut faire un jugement à la Gottreau.
M. Du Paty, lieutenant du roi, commandant la partie de l'ouest y rendait les ordonnances pendant cet intérim.
Nous croyons qu'il existe de nouveau dans le passage qui suit une erreur de date. Les faits dont parle Doublet ainsi que son voyage aux Antilles se rapportent à l'année 1702.