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Kitabı oku: «Journal du corsaire Jean Doublet de Honfleur, lieutenant de frégate sous Louis XIV», sayfa 16

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Je ne peut trouver de passage que sur le mois de février 1703 que Mr de Morville ayant apris qu'au Petit Goave il y avoit un moyen navire de 12 canons de la Rochelle, le capitaine Billoteau qui s'aprestoit à partir et que luy et son équipage devoient passer et je fus par terre trouver le dit capitaine et arrestay mon passage et du religieux pour chacun 50 écus et que nous embarquerions des volailles et rafraichissements, et ce navire fut retardé de 2 mois et demye par une voye d'eau qu'ils eurent paine à trouver et l'étancher, et ne peumes partir qu'à la fin de juin avec un petit navire aussy de la Rochelle nomé la Biche, et nous débousquasmes pour l'isle de Sainct-Thomé, et faisant nos routes jusqu'à la hauteur des isles de Bermudes que nous vismes étant à 7 lieux de nous. Et lorsque nous les eusmes dépassés d'environ 60 lieux nous fusmes frappés d'une rude tempeste, en ouragan et dont un rude coup de mer nous renversa entièrement sur le costé de babord, quoyque nous n'eussions que notre seulle grande voille déployée et les mâts d'hune abaissés, nous nous creumes tous péris et je sautay avec un bon matelot sur le haut costé de nostre navire pour éviter un peu le dernier moment de vie. Je pris mon couteau et coupois les ris des grands haubans. Je dits à ce matelot nomé André d'en faire autant et ce qu'il fit avec agilité; cela fit rompre notre grand mât, lequel tomba sur celuy de Misenne quy tomba aussy sur le mât de Bauprey, lesquels cassèrent tout, et le navire se redressa. Nous coupasmes le mât d'artimon, ainssy nous nous trouvasmes sans aucun mat ny vergues. L'on courut aux pompes et ne trouvasmes que trois pieds d'eau dans notre calle qui y avoit entré par nos mortes œuvres lorsque le navire fut empenché sur le costé, et nos mats qui étoient retenus le long de nous par leurs cordages qui les y arestoient, et nuitament sans pouvoir se servir de lanternes et à tastons nous coupasmes tous les cordages qui les arestoient et heureusement un segond rude coup de mer nous frapa et nous fit passer pardessus, ce qui nous en dégagea. Mais ce dernier coup de mer nous cassa nostre timon dans la mortoise du gouvernail, lequel donnoit de si grandes secousses aux ferrures du gouvernail que nous étions dans les frayeurs qu'il n'évantat ou emportats l'étambot. Cependant je trouvay un expédient d'arester ce débat et de faire saisir d'un bord notre gouvernail et sans secousse, et notre pauvre navire arriva vent arrière sans mâts ny sentiment du dit gouvernail, et se mit sur l'autre costé à travers au vent, et il se tourmentoit extrêmement à rouler à faute du soutient des mâts. Je fits jeter à la mer dix de nos canons pour le soulager, après quoy je creus pouvoir changer d'une chemise et d'habit, mais aucun de nous n'eurent un filet de sec. On me donna un verre d'eau-de-vie et Mr de Morville ainssy que tous en général dirent: «Après Dieu, voilà notre sauveur.» Et je fus caressé on ne le peut plus. Nous trouvasmes six de nos hommes de moins et tout notre pain et biscuit mouillé et gasté ainssy que nos légumes, toutes nos volailles emportées et nos moutons, cochons et canards. Nous trouvasmes une cage avec dix dindes noyées, que nous salasmes par quartiers et une truye noyée arestée soubs notre chaloupe. Nous épluchasmes nostre biscuit qui n'étoit point mouillé ou peu que nous mismes seicher au soleil et puis nous le partageâmes également du petit au grand à chacun trois onces par jour pendant 20 jours. La tempeste dura trois fois 24 heures et la mer étoit épouvantable; les vagues estoient en feu et plus hautes que des hautes montagnes, et nous fusmes pendant ces espaces à la dérive au gré des temps, et lorsque cela fut apaisé nous tinsmes conseil pour nous réquiper de notre mieux, et de quel costé nous pouvions faire une relasche. Les uns étoient d'aler chercher Plaisance213 en Terre Neuve et les autres pour la Martinique. Je remontray que Plaisance étoit plus éloigné de nous et que les gros vents et les brouillards y reignent souvent, et que de l'autre costé les temps y sont plus pacifiques et tous d'un commun accord adhérèrent à mes sentiments. Il se trouva dans notre entrepont un sapin de 18 pieds de long et gros de 9 à 10 pouces dont nous fismes un grand mat, l'ayant renforcé par des quartiers de planches que ny avions reliez; notre timon de gouvernail fut ralongé et renférer par deux pinces de fer; nous déclouâmes les ourlets et lisses de nos plats bords que nous reliasmes ensemble comme un fagot et en fismes un mât de misenne, et nous attachasmes trois avirons de chaloupe pour faire un mât de beaupré, et de la gaule d'enseigne en fismes le mât d'artimon, ainsy nous fismes des vergues de toutes menues pièces avec des barres de cabestan, et de nos menues voiles d'étay et des perroquets nous fismes des voilles légères à proportion des mastures. Et nous faisions 16 à 18 lieux quelquefois 20 par 24 heures. Il y avoit pour l'équipage un peu de bœuf et du lard salé, mais échaufé et détrempé à l'eau de mer. Je dits à quelques matelots de nous atraper des rats, et que je les payerois bien. Ils firent des attrapes et j'en payé deux 30 sols. Cela anima les autres à en prendre, et il n'en manque pas aux navires qui sont chargés de sucre. Ceux qui s'étoient raillées de moy pour les rats y prirent du goût, et nous les firent enchérir jusqu'à un écu la pièce étant devenus plus rares. Et au bout de 21 jours, nous mettions des morceaux de cuir en poil à la détrempe; nous en fimes bouillir, cela venoit en colle et très puante, mais grillés sur les charbons nous en servions et apaisions notre grande faim. Nous souhaitions fort d'estre encontrés de quelques navires ennemy qui nous peut prendre; les médecins n'ont jamais ordonné pareil régime. Et la 26e journée de route après, ce torrent nous conduit en vue de l'isle de Sainct-Eustache habitée par les Holandois. Plusieurs de nous disoient de nous y aler rendre. Je mits opposay et fit connoistre à Mr de Morville et au capitaine Biloteau qu'il n'y avoit pas de sens à nous mettre prisonniers. Et que avant la nuit nous attraperions l'isle de Saint-Thomé appartenant aux Danois avec lesquels nous étions en paix. J'en feu creut, et le lendemain après 27 jours de cette marche nous y entrasmes dans un bon port, où rien ne nous manqua sitots que j'eus salué le gouverneur Danois, lequel me dits de nous adresser au directeur du comptoir de Brandebourg qui avoit de bons magasins. Je fus le saluer avec notre capitaine, et après luy avoir raconté notre désastre il nous dit: «Voilà un navire proche du vostre qui est à peu près de mesme grandeur, qui est une prise faite sur les Anglois par Mr de Beaumont214 comandant une frégatte de 24 canons pour le Roy de France et il m'a délaissé cette prize pour la vendre s'il en trouve l'occasion. Le corps du navire a esté jugé incapable de pouvoir retourner en Europe et il en a pris dans sa frégate le chargement, la masture et les agrès vous seront propres; je vous vendray le tout, voyez ce que vous m'en voulez donner.» Billoteau demanda du temps pour répondre et voulut s'informer s'il se trouveroit pas des mats du pays a bon compte. Je luy fis connoistre que non et où trouveroit-il des haubans, étais et autres manœuvres, mâts d'hune et vergues et voiles, et il me pria le lendemain d'aler arrester le prix de toutes choses, et qu'il m'aprouveroit. Je fus au directeur lequel me dit: «Je ne vendray rien en particulier, il faut que vous achetiez tout ou rien.» Il en vouloit cinq mille livres et nous tombasmes d'accord pour trois mil deux cents cinquante livres. Je retournay à nostre bord en rendre compte, et on fut avec raison bien contents. Mr de Morville me demanda sy je comptois encore me hasarder avec le navire du dit Billoteau après ce qui nous étoit arrivé. Je dits que c'en estoit la raison et que dans tout autre que nous n'aurions pas échapé. Il me dits: «Pour moy ny mes officiers ny équipage ne nous y embarquerons pas, je vais affretter un bateau du pays pour nous porter à la Martinique, sy vous voulez venir, il ne vous en coûtera rien ny à votre moine.» Je le remerciay et luy représentay qu'à la Martinique l'on couroit risque d'estre attaqués de la maladie de Siam215 et que nous serions aussy prêts à partir de ce port que luy arrivé à la Martinique et étions au débarquement et il se fascha de ce que je ne le voulut pas suivre, et trois jours après il partit dans le bateau. Je donnay les soins de faire faire le biscuit pendant que Billoteau accrocha son navire contre la prise et se ramasta entièrement à des vergues, cordages, et de huit canons et de deux ancres et cables et ne laissa que la carcasse de la dite prise. L'on fit des eaux et du bois; nous fismes bonnes provisions de bestiaux et volailles étant à meilleur compte que dans nos isles et deux bariques de vin, et partismes le 9e septembre 1702 de ce port: nous débouquasmes le mesme jour et continuasmes nostre route pour France jusqu'au 15 octobre n'estant qu'à trente lieux de Belle isle nous fusmes encore frapés d'une très rude tempeste où nous pensasmes encore périr, notre capitaine voulut faire couper le grand mat et m'y oposay, et deux braves hommes montèrent à la hune et coupèrent le mat d'hune qui tomba à la mer et le navire en fut soulagé et nous étions sans aucune voile nous sentant proche de la terre, et qu'il y avoit plus de 8 jours que nous n'avions pu observer la hauteur. Sur les dix heures de nuit il calma et nous sondasmes et y trouvasmes 37 brasses d'eau, nous mismes à la cape jusqu'au jour que nous poussasmes à toute voile excepté le grand hunier dont nous avions coupé le mat, et sur les deux heures après midy nous reconnusmes la terre par la baie de Marmoutier, le capitaine Billoteau voulut reprendre au large pour regagner la Rochelle, je luy représentay que le temps étoit tout disposé à nous redonner une segonde tempeste au soleil couchant, et que n'ayant plus de grand hunier pour soutenir au vent et que nous péririons tous. Son pilote et son équipage se mirent de mon costé, et je conseillay d'entrer dans la rivière de Nantes d'où nous n'étions plus qu'à 3 lieux et nous attrapasmes à cinq heures à l'ancre devant St-Nazère. Il vint à notre bord une chaloupe du dit lieu, je m'y embarqué et le moine et quatre autres passagers et nous ne fusmes pas sitots débarqués de la chaloupe que la tempeste recomença; on ne pouvoit se tenir dans les rues par les ardoises, qui tomboient des maisons et de l'église, et le lendemain il se trouva perdu et échoué à la coste plus de 4 batiments. Billoteau y pensa périr sy la tempeste avoit un peu duré. Nous affrétames une chaloupe pour nous porter à Nantes, où je débarquay sur les trois heures; les négossiants s'estoient assemblés à la bourse s'informant des navires qui avoient péry le jour précédent, et il y en eut qui me reconneurent et me firent de grands accueils me conviant à souper, et entr'autres Mr René Montaudouin et Mr le Prieur me demandant d'où je venois. Je leurs dits et donnay des lettres au dit sieur de Montaudouin. Il m'embrassa et me dit: «Je suis intéressé de plus de 6 mil livres sur ce navire; j'ay receu des lettres dès son départ de Sainct-Domingue et par le long temps je l'ay creu péry, car s'il avoit esté pris j'en apris les nouvelles et hier je voulut donner 80 pour cent pour que l'on m'assura et n'ay pas trouvé qu'il le voulut.» Je me deffendis de souper étant fatigué et à cause du moine, et le lendemain Mr de Montaudouin receu une lettre de son capitaine Billoteau qui luy marquoit sy nous sommes en vie et arrivés au bon port nous le devons par deux fois après Dieu à Mr Doublet que nous avons nomé notre Rédempteur, et vous ne debvez luy faire payer son passage. Mr de Montaudouin fit lecture de la lettre devant la Bourse, après quoy il vint avec son frère Bertiere à mon auberge me prier d'aler disner et ne peut m'en dispenser, et à la fin du repas il me leut sa lettre et me dit: «Vous ne m'aviez dit, et j'aurois pris votre passage mais je vous l'aurois en voyé sy vous aviez party et, loin d'en prendre, acceptées ce petit présent, je say que vous n'avez pas gagné dans votre voyage.» Et il me donna 25 louis d'or malgré mes refus, et deux jours après je pris la route de venir chez moy avec mon religieux Espagnol et nous restasmes bien 15 jours à nous rétablir.

Et ce religieux me prioit d'aler l'acompagner à Paris et luy servir de conducteur par mes amis pour se présenter aux pieds du Roy, représenter l'injustice de Mrs ses lieutenants contre les ordres de sa Majesté tant pour luy que pour le sieur Ramos. Je luy dis que je ne voulois plus faire de poursuites à mes dépends, et que je ne voyois pas jour de pouvoir rien obtenir, et que ces messieurs qui avoient eu le plus fort du butin des forbants nous joueroient toujours, et il me pria sy fortement et qu'il me défrayeroit avec mon épouse de l'aler et du séjour à Paris et de notre besoin chez nous et nous nous laissasmes gagner. J'avois aussy en vue quelqu'entreprise. Nous y fusmes dans une auberge plus d'un mois sans pouvoir obtenir d'audience et pouvoir le faire aprocher de sa Majesté. J'eus recours à Mr le mareschal duc de Harcourt216 dont j'avois eu l'honneur d'estre bien voulu étant à Dunkerque, et il nous promit qu'en peu s'il nous présentoit pas qu'il le feroit par quelqu'autre seigneur, et au bout de huipt jours il me fit advertir de nous rendre à Versailles le trouver, où il nous dits d'aller de sa part à Mr le mareschal duc de Duras217 qui étoit de garde. Ce seigneur nous receut bien et nous dits de nous trouver le lendemain dans la grande galerie avant que le Roy fut à la messe et nous n'y manquasmes pas. Mr de Duras nous présenta à Sa Majesté. Le religieux avoit son placet tout prêt, se jetta à genoux et le Roy luy dits en bon Espagnol: «Levez-vous, Père, je vais expédier votre placet que vous redemanderez à Mr de Pont Chartrain218.» Et nous nous retirasmes. Le Père étoit bien content et je ne l'étois pas. Car je savois que les deux lieutenants du Roy étoient ses créatures, mais coment le dire au Roy. Mr de Pontchartrain nous détint plus de quinze jours sans nous expédier, et il nous dits: «Que prétendez-vous? que les lieutenants du Roy payent pour des forbans qui se sont échapés, j'en ay des nouvelles, revenez demain.» Nous y fusmes et il nous délivra un paquet bien cacheté disant: «Tenez, voilà les dernières ordres du Roy.» Et puis il me demanda: «Et vous? retournez-vous aussi à Sainct-Domingue.» Je dits: «Non, Monseigneur, j'y ay perdu mon temps et n'espère pas en rien retirer.» Il sourit et ne dit rien. J'en tiray mauvaise augure et nous retournasmes à notre auberge à Paris de la part de Mr D'Argenson219. Et dès le lendemain vint nous trouver deux religieux du grand couvent des Augustins220 nous dirent que leur supérieur ne pouvoit souffrir un de l'ordre en auberge, et qu'ils avoient une chambre à luy donner et l'enlevèrent au grand couvent où il se dit docteur en médecine, et un jeune moine adroit le proclamoit habile de tous costés, et il eut beaucoup de gens de considération qui tomboient dans ce panneau et s'en faisoit traiter et en bonne foy il ne savoit pas son rudimen et atrapa bien des sots. Je voulois m'en revenir avec mon épouse, il nous pria sy fort et nous défrayoit jusqu'aux carosses dont nous nous servions.

Je pensois à mes affaires, et un jour vers le mois de mars 1703 que j'étois en visite chez Mr Ducas221 qui venoit d'estre fait Grand d'Espagne et lieutenant général des armées navales, et après que je l'eus complimenté, il me demanda ce que je faisois et que c'étoit domage que j'avois quitté le service du Roy, et que je serois fort advancé, je luy dits que je n'ay quitté que lorsque je n'avois plus de patrons. Sur cela il me dit: «Voulez-vous comander un vaisseau du Roy pour notre compagnie de la Siento222?» Je luy répondit qu'il me fera bien de l'honneur et du plaisir, et il m'en assura et me dits que dans quinzaine je fus le trouver à l'assemblée au grand bureau, où je ne manquay pas de m'y trouver, et lorsque ces Mrs firent assemblée on me fit entrer et Mr Ducas dits: «Messieurs, voilà un homme dont je connois fort les capacités au fait de marine et qui a du service sur les vaisseaux du Roy, vous ne pouvez mieux à qui donner le commandement d'un des vaisseaux.» Et je fus agréé, et l'on me dits que le lendemain j'eus à me rendre chez Mr Pasquier, directeur général de cette Compagnie Royale, pour faire avec luy mes conditions d'engagement, ce qui fut arresté, et Mr Pasquier me donna congé pour un mois pour reconduire mon épouse et pour disposer de mes affaires domestiques, et après ce terme expiré ordre de me rendre à Paris pour y recevoir mes derniers ordres, lesquels portoient de me rendre incessament à Rochefort pour faire le radoub du vaisseau du Roy nomé l'Avenant et de ne l'armer que de 36 canons et 160 hommes d'équipage et que toute chose me seroit fournie à l'arsenal touchant ce qui concernait le radoub et l'armement quant aux vituailles et dépences; pour les engagements des équipages la compagnie fourniroit le nécessaire par Mr Du Casse, directeur à Rochefort, et à la Rochelle par Mr Herault père et fils. J'arrivé à Rochefort au comencement d'octobre. Après avoir salué Mr Begon223 intendant et Mr Du Magnou224 et marquis de Villette pour lors comandant, je fus chez Mrs les officiers du port, dont j'étois fort connu et nous travaillasmes de concert au devis de ce qu'il y avoit à faire au vaisseau, après quoy me restoit les soins d'y faire travailler, ce que je fis avec beaucoup d'exactitude. La Compagnie nomma Mr de Fondat pour capitaine de la frégatte la Badinne et le sr Barnaban pour capitaine du vaisseau le Faucon de chacun 30 canons et le sieur Desmonts capitaine de la frégatte le Marin montée de 26 canons et chaque de 130 hommes. L'on travailla au radoub des quatre à la fois, et aussy Mr Marin225 capitaine de brulot pour comander la frégatte l'Hermione de 30 canons pour porter aux isles de l'Amérique Mr Deslandes226 intendant à Sainct-Domingue et directeur général dans toute l'Amérique pour cette royale compagnie. Nos frégattes et vaisseaux ne furent aprestés qu'à la my de février 1704 que nous sortismes la rivière de Rochefort et fusmes à la rade de l'isle d'Aix huipt jours pour y recevoir nos rechanges et les poudres et munitions ensuite nous fusmes en la rade de chef de Bois pour recevoir les marchandises pour la traitte des neigres ainsy que les vituailles, et la Compagnie m'honora de me donner le commandement sur l'escadre de nos quatre vaisseaux. Le sieur de Fondat voulut prétendre commander disant qu'il étoit mon ancien dans le service de cette compagnie, ayant fait un voyage dans une de leurs frégattes. Mr Du Casse, lieutenant général des armées du Roy, qui avoit toute direction, luy demanda combien de campagnes il avoit fait au service de Sa Majesté, ne sachant que répondre il luy dit de m'obéir ou d'estre démonté et le tout fut apaisé. Et Mr Du Coudray Guymont227 arriva aussi en rade du chef de Bois avec le vaisseau du Roy l'Alcion de 52 canons et plusieurs frégattes et navires marchands pour l'Amérique et nous composant d'une flotte de 46 batiments dont le sieur Du Coudray étoit commandant jusqu'à notre séparation et nous partismes le 26 de mars de cette rade de chef de Bois, et fusmes tous ensemble à 120 lieux ouest des caps sans rencontre d'ennemis, et nous nous séparasmes, et je repris le commandement sur nos quatre vaisseaux228.

CHAPITRE X

Voyage aux côtes d'Afrique. – Prise de dix navires. – Traite des nègres à Whydah. – Construction d'un fort. – Coutumes du pays. – Incendie de l'Avenant. – Arrivée à la Grenade, à Saint-Domingue. – Maladie de Doublet. – Il séjourne à la Havane. – Il y défend le consulat de France. – Retour en Europe. – Entrevue avec M. de Pontchartrain. – Doublet reçoit le commandement d'un vaisseau de 40 canons. – Il se prépare à un voyage dans les mers du Sud. – Il défend Toulon contre les Anglais. – Conclusion.

Nous fismes nos routes pour nous rendre aux costes de Guinée et lieu de destination à Spada, et la première terre de ceste coste que nous aprochasmes fut le cap de Mesurade229 où nous prismes quelque peu d'eau et de bois et nous y trouvasmes quelques nègres qui nous vendirent un peu de ris, et en passant en vue du cap de Monte le sieur de Fondat sur la Badine s'en étant aproché plus que nous y aperceut un navire à l'ancre et nous fit des signaux d'aller avec luy ce que nous fismes. Et l'ayant aproché nous le reconnusmes estre anglois et nous le canonasmes. Ils coupèrent leurs câbles et échouèrent en costes plutôt que de se rendre à nous. Nous envoyasmes des chaloupes bien équipées avec nos officiers qui le sauvèrent et mirent à flot, et nous descendismes à terre où nous trouvasmes une grande baraque faite avec facinnes dont les nègres du pays s'en étoient mis en possession et pilloient tout ce qui étoit dedans, ayant peur de nous se sauvoient dans les bois avec chacun leur charge, de bassins d'étain et des petites canivettes pleines de liqueurs composées d'eau-de-vie de grains et avoient enlevé les Anglois dans le haut du pays rempli de marais et rivières qui inonde beaucoup de ce pays. Nous rapatriasmes de ces naturels du pays qui étoient très farouches et pour les amener à nous on leur présentoit des raisins et canivettes et pots d'étain qu'ils n'avoient encore enlevés ils les recevoient à longueur des bras et nous les arachoient et fuyoient. A la fin leur chef nous présenta à nous capitaines chacun un petit bateau de roseau qui est le signal de paix et beurent en mesmes les flacons et sumanisèrent avec nous par des signes d'amitié ny ayant aucuns de nous qui entendissent leur langue ny eux la nostre, et par signes montrant le navire anglois et la baraque nous leur fismes entendre de nous amener les gens, et ils députèrent deux des leurs qui sur le soir nous amenèrent deux hommes et dont il y avoit un françois nomé Pierre Roche, de Bourdeaux, qui nous dits avoir esté pris par ce mesme navire à la hauteur de Madère chargé de vins et affecté pour la Martinique et que luy dit Roche étoit le capitaine du navire et que l'Anglois l'avoit envoyé son dit navire et les gens à la Barbade, et luy retenu sur ce navire anglois, nomé l'Archiduc avec trois de ces gens, mais que sy nous n'avons pas de compassion des autres qui ont esté enlevés qu'indubitablement ils seront tous mangés par les Barbares qui sont antropophages, et qu'ils avoient un des quartiers d'hommes pendus à des crocs et qu'on leur fit entendre que lorsque les quartiers seroient mangés on leur en feroit autant, et qu'on le fit boire dans un crâne où la chaire étoit encore fraiche. Et sur cette déposition nous nous saisismes du chef et de dix autres leur faisant entendre de nous renvoyer les autres. Il députa les deux mesmes qui avoient amené le dit Roche et le lendemain nous ramenèrent le capitaine Anglois et reste de son équipage, excepté un jeune homme nepveu du dit capitaine qui fut mangé en sa présence la nuit précédente dont il étoit fort afligé. Ils traitoient du bois en bûche très jaune et busche de bois de campesche et puis nous en alasmes avec ceste prise où il n'y avait presque plus rien dedans et nous laissasmes les bois en buscher, et poursuivismes nos routes, et cinq jours après étant éloignés viron à trente lieux au large de Sestre, la Badinne aperceut un navire sur lequel elle donna la chasse, et nous tira du canon pour nous appeler, l'ayant reconnu navire Holandois et mesme Mr Fondat le fut ataquer, mais n'osoit l'aborder le croyant aussy fort que luy, ce qui m'obligea d'y aller. Et étant à portée du dit Holandois je luy envoyay deux bordées de canons et il se rendit et nous l'amarinasmes. Le capitaine nomé Simon Roux fut blessé à la cuisse et au jaret, dont il se guérit longtemps après. Je fis amariner par mes gens et officiers cette prise qui étoit une flutte de 350 thonnaux et 24 canons, 70 hommes d'équipage et nomée la Rachel d'Amsterdam destinée pour le fort de Mina où est le comptoir de Holande, et étoit chargé de beaucoup de bons effets pour la traitte des neigres, et nos officiers et équipages de nostre petite escadre ne manquèrent pas de piller beaucoup de choses, quelques soins que je peus aporter à les en empescher, et tout ce qui fut emporté dans mon bord de marchandises je fis prendre un état par notre écrivain du Roy et par nos commis préposés de la Compagnie et les fit enfermer dans une de nos soutes qui avoit esté vidée de biscuits, promettant à tous nos officiers que lorsque nous arriverons à un port de l'Amérique soit Cartagesne ou Portobello où il s'y doibt trouver un directeur de la compagnie que nous luy déclarerions tous les susdits effets provenant des prises, et que ce qu'il nous adjugera estre pour nous que j'en feray faire les partages entre nous afin de n'avoir des reproches de la Compagnie. Mais cela m'attira autant d'ennemis qui vouloient posséder chacun leur part pour les trafiques aux costes de Guinées, ce qui nous étoit bien défendu par nos engagements en fin d'une bonne paix que nous vivions, ce me fut autant d'ennemis. Et continuasmes nos routes et fismes encore quelques prises de trois brigandins anglois et de cinq brigandins portugois de peu de valleur et dont nous en redonnasmes quatre à nos prisonniers pour les reconduire ou bon leur sembleroit. Nous fusmes devant le fort d'Acra où est deux comptoirs, l'un Holandois et l'autre pour le Roy de Dannemarc dont le lieutenant vint à mon bord savoir sy je voudrois traiter quelques effets de la prise Holandoise. Je luy dits ne le pouvoir faire et mes officiers demandoient leur part des pillages que je ne voulus leur acorder, ce qui redoubla la haine contre moy, jusqu'à nostre aumonier qui étoit le pis de tous et à les animer. Enfin le 27 de septembre 1704 nous arivasmes à la rade de Juida230, lieu de destination où étoit nostre comptoir sous la direction du sieur Gommets. Il fallut débarquer au rivage pour l'aler trouver à deux lieux dans les terres où ets le Roy en la ville de Xavier qui nets qu'un hameau de cabanes en forme du dessus d'un colombier, les murs d'argille et couverte de roseaux. Et estant advertis qu'il est dangereux aux Europiers d'estre mouillés particulièrement au ventre, l'on enfonce dans un baril ce qu'on a de bonnes hardes pour échanger sitots que l'on est débarqué et on at sur soy simplement que veste et culotte et bas, car on ne peut débarquer que très rarement sans estre mouillé des flots, en premier lieu partant d'abord dans les chaloupes lorsqu'on aproche de la barre. Il faut mouiller l'ancre de la chaloupe et se tenir au dehors des brisans de la dite barre, puis deux ou quatre nègres s'embarquent dans un canot et viennent vous recevoir et ce que vous avez repassent par dessus la dite barre, qui est toujours fort agitée et qu'il est presque impossible d'éviter d'estre mouillé, et à l'abord du rivage sont plusieurs neigres préparés à vous débarquer promptement et échouer le dit canot, et au cas qu'il soit comblé d'eau en passant la barre, ils vous repeschent, mais il en périt quelquefois des nostres, et lorsqu'on a repris les hardes du baril, on change sans estre à couvert, puis on vous présente un hamac attaché à une bonne perche par les deux bouts du dit hamac, et vous couchées de vostre long, et deux forts neigres le chargent sur leurs épaules et vous portent jusqu'au comptoir parce qu'il y a plusieurs étangs pleins d'eaux à passer sur cette route, ce qui en fait leurs fortifications, et il n'y a d'eau que jusqu'à la ceinture d'un homme de bonne taille. Etant arrivés, Mr Gomat et autres comis nous reçoivent civilement, et nous présentent bien à manger, et après estre reposés jusque sur les 3 à 4 heures, il me conduit avec un ministre d'Estat avec nos présents.

L'on y entre par une basse cour quarrée, entourée de basses maisons, les murs d'argile et couverte de rozeaux, et ladite basse cour sans pavés. A l'entrée est un corps de garde gardé par dix ou douze noirs avec leurs fusils apuyées contre le mur, et à l'entrée de la salle est un sentinelle sans armes et la dite salle sans porte, où à l'entrée est tendu du haut en bas une étamine comme d'un pavillon de nos navires par careaux rouges et blancs. Le ministre de la marine nomé le capitaine Asson, homme très bien de taille et d'esprit quoyque noir laissa ses gardes à l'entrée de la cour de ce magnifique palais, et lorsqu'il nous conduit proche le rideau sans couler il se mit à marcher par dessoubs sur ses genoüils et ses mains passant par dessoub le dit pavillon comme une beste jusquà estre à portée de parler au Roy, et luy annoncer notre venue pour avoir son audience. Et il revint sur ses pas en la mesme posture, le cul en arrière jusqu'à dépasser le dit pavillon, et puis il se dressa en nous disant d'entrer et de nous seoir sur les tabourets qui étoient en la dite salle. C'étoit des sièges d'une masse d'argille qui ne peuvent estre remuez, et il nous suivit sur les quatres pattes ainsy dire, et en cette figure s'aprocha du cabinet Royal situé dans le milieu de la salle contre le mur qui est un petit enclos de cannes de roseaux où ce roy noir des plus noirs étoit couché sur une natte sur le costé apuyé sur son coude et fumant une pipe de tabac, et du costé de sa teste est une ouverture à cete alcôve, et aux pieds où étoit une négresse qui tenoit un bassin de cuivre très salle pour luy servir de pot de comodité, et luy emplissoit une autre pipe pour fumer et vis-à-vis son estomac étoit une plus jeune noire assise sur ces talons tenant un vase de fayence où le dit Roy crachoit affin qu'à nuit fermante, au son du tambour, on enteroit ces Reliques, etc. A son audience il me fit dire par son ministre, capitaine Asson, qui parloit françois sans avoir sorty du pays, l'ayant apris dans notre comptoir. Il témoigna sa joye de notre arrivée, et qu'il m'invitoit avec les autres capitaines de mon escadre au lendemain à disner, et nous présenta un petit verre d'au-de-vie et puis nous retirasmes au comptoir où fusmes souper et coucher.

Au lendemain, nous fusmes sur les unze heures introduits par le mesme ministre pour le disner. Ce fut la mesme sérémonie à notre entrée, et une table fut dressée au milieu de douze tabourets d'argille immuable, et je fus placé à celuy plus proche de l'ouverture de l'alcôve pour que le Roy me fit entendre ces discours par un autre interprète, veu que le capitaine Asson étoit à table avec nous pour représenter sa place. Et l'on nous servit du riz avec des poulles et force poisure, puis du bœuf, du cabrit et des poules en abondance, rôties, à demy bruslées, les cuisses et les ailles sans brochettes, tirant des bottes de chaque costé. Le pain et le vin ayant esté fourny et les serviettes par Mr Gomet, et aux deux bouts de la salle qui nest planchée ny voutée, voyant les lattes et roseaux et quelques lézards et couleuvres coure au travers, à ces deux bouts étoient grand nombre de femmes et filles du sérail que chantoient à gorge déployées et d'autres jouent avec des cornes de bouc parées et d'espèces de cilintres de fer où il y avoit des bagues de laiton, d'autres de courges et calbasses ornées de cordes, et des bassins de cuivre sur lesquels on changeoit différents tons faisoient cacafonie au lieu d'harmonie, ce fut l'opéra dont j'aurois voulu en estre bien éloigné. Le Roy me fit l'honneur de boire deux fois de l'eau-de-vie à ma santé et du Roy notre Maistre.

213.Plaisanse. Baie de l'Amérique anglaise du Nord, sur la côte sud de l'île de Terre Neuve, avec un beau port. La pêche des morues y est abondante.
214.Voyez la note 109.
215.Le mal de Siam des anciens historiens des Antilles, le vomito negro des Espagnols, le typhus d'Amérique ou la fièvre jaune.
216.Henri d'Harcourt, marquis de Beuvron, né en 1654. Colonel d'infanterie en 1675; brigadier en 1683, maréchal de camp en 1688, lieutenant-général en 1693; maréchal de France en 1703; il mourut en 1718. Le marquisat de Beuvron fut érigé en duché d'Harcourt au mois de novembre 1700.
217.Jacques-Henri de Durfort de Duras, né en 1626, capitaine des gardes du corps en 1671; maréchal de France en 1675; chevalier des ordres en 1688; chevalier de Saint-Louis en 1693. Il mourut à Paris le 12 octobre 1704. Le marquisat de Duras fut érigé en duché par lettres de février 1689.
218.Jérôme de Phélipeaux, comte de Pontchartain, né en 1674, conseiller au Parlement de Paris, conserva le département de la maison du Roi et de la marine du 6 septembre 1699 au 1er septembre 1715.
219.Marc-René de Voyer, comte d'Argenson, né en 1652, lieutenant-général de la police à Paris.
220.Le couvent des grands Augustins était établi sur l'emplacement actuel du marché de la Vallée, sur la rive gauche de la Seine. C'était dans la chapelle de ce couvent qu'avait été faite, en 1578, la première promotion des chevaliers du Saint-Esprit; Philippe de Commines y était inhumé ainsi que le poète Remy Belleau. On sait que les Etats-Généraux se réunirent plusieurs fois aux Grands Augustins.
221.Voyez plus haut note 211.
222.Il s'agit de l'Assiento, compagnie de traite à laquelle le gouvernement espagnol avait octroyé le droit d'importer des nègres dans ses colonies. Ce monopole fut accordé à la compagnie française des côtes de Guinée par Philippe V, en 1701. Celle-ci ne tarda pas à en être dépossédée par l'Angleterre qui fit de ce privilège l'une des clauses expresses du traité d'Utrecht (4 mai 1713).
223.Voyez la note 103.
224.Guérusseau Du Magnou, fait lieutenant de vaisseau en 1662 et capitaine de vaisseau en 1666, fut condamné à mort pour avoir perdu le vaisseau le Rouen. Rétabli dans son grade en 1672, il fut nommé chef d'escadre le 1er janvier 1693 et mourut à Rochefort le 10 mai 1706.
225.Capitaine de flûte le 1er janvier 1691; capitaine de brûlot le 1er janvier 1703. Mort à Brest le 28 mai 1719.
226.Commissaire ordinaire de la marine le 21 avril 1703. Commissaire ordonnateur le 28 décembre 1703. Faisant fonctions d'intendant de justice, police et finances de l'île de la Tortue et côte de Saint-Domingue, 1708.
227.René Guimont du Coudray, garde, écrivain de la marine en 1692; sous-lieutenant et lieutenant et capitaine d'artillerie de 1692 à 1701. Fait capitaine de vaisseau le 1er novembre 1705. Chevalier de St-Louis le 28 juin 1715. Mort à Rochefort le 13 novembre 1745.
228.Sur un des vaisseaux que Doublet commandait se trouvait en qualité de major le chevalier Des Marchais. On a de cet officier un Voyage en Guinée et aux îles voisines, imprimé à Paris en 1730 par les soins du P. Labat. Le chevalier Des Marchais y fait allusion au voyage qu'il effectua avec Doublet.
229.Les navires en campagne de traite mouillaient ordinairement au cap Mesurado, sur la côte des Graines (Guinée supérieure), pour faire de l'eau et du bois; ils venaient ensuite découvrir le cap des Palmes.
  La traite commençait au cap Blanc pour finir à la rivière du Congo, mais elle était particulièrement abondante en or et en noirs depuis le cap des Trois-Pointes jusqu'à la rivière de la Volta.
230.La ville de Ouiddah ou Whydah fait partie du royaume de Dahomey. On l'aperçoit de la mer, dont elle est distante d'environ 3 milles. Une lagune ou lac, d'une largeur de 1 mille environ et d'une profondeur de 2 à 6 pieds anglais, s'étend entre elle et la mer. Son aspect est très pittoresque. Whydah et Badagry étaient les deux grands ports de traîte du golfe de Benin.