Kitabı oku: «L'Espion»
L’ESPION
Juan Moisés de la Serna
Traduit par Ana Moreno Cruz
Éditions Tektime
2019
« L’espion »
Élaboré par Juan Moisés de la Serna
Traduit par Ana Moreno Cruz
1ère édition: mars 2019
© Juan Moisés de la Serna, 2019
© Éditions Tektime, 2019
Tous droits réservés
Distribution par Tektime
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Préface
Le silence s’était déjà approprié de toutes les chambres au point que, parfois, j’avais du mal à rester là-bas où autant de choses s’étaient passées, tant de choses en famille.
Au début, j’allumait la télé ou la radio juste pour avoir des voix à écouter partout dans la maison. Ça me faisait du bien, mais après… C’était tellement ridicule ! Je me mentais à moi même ! Je faisais semblant d’avoir quelqu’un à mes côtés, mais il n’y avait plus personne.
La joie, la tristesse et le chagrin remplissaient tous les coins du foyer, ce foyer dont ma femme se donnait beaucoup de mal pour le garder en ordre et propre.
Il y a des moments dans la vie
que nous devons attraper,
conserver en grand amitié
et jamais en oublier.
Nous devons pas garder l’espoir
de la stabilité et le calme,
avec des problèmes de mémoire
les souvenirs nous échappent.
Bien qu’on ait l’intention
d’essayer de s’en souvenir,
ce terrible tourbillon,
ne les laissera pas revenir.
Après tous ces souvenirs
déjà tombés dans l’oubli,
si ma mémoire était bonne
ils ne seraient tous partis.
AMOUR
Dédié à mes parents
Sommaire
CHAPITRE 1. La Mémoire
CHAPITRE 2: Les adieux
CHAPITRE 3. La Communauté
CHAPITRE 4. La Loi du Sept
CHAPITRE 5. Le Rescapé
CHAPITRE 6. La Décision
CHAPITRE 7. Le dernier souvenir
CHAPITRE 1. La Mémoire
Le silence s’était déjà approprié de toutes les chambres au point que, parfois, j’avais du mal à rester là-bas où autant de choses s’étaient passées, tant de choses en famille.
Au début, j’allumait la télé ou la radio juste pour avoir des voix à écouter partout dans la maison. Ça me faisait du bien, mais après… C’était tellement ridicule ! Je me mentais à moi même ! Je faisais semblant d’avoir quelqu’un à mes côtés, mais il n’y avait plus personne.
La joie, la tristesse et le chagrin remplissaient tous les coins du foyer, ce foyer dont ma femme se donnait beaucoup de mal pour le garder en ordre et propre.
Petit à petit je commençai à fermer toutes ces chambres que je n’utilisais plus, ou celles qui m’apportaient autant de souvenirs à chaque fois que je les voyais. Des souvenirs qui étaient d’habitude très heureux, et qui, en même temps, me provoquaient une souffrance horrible, parfois par nostalgie, et d’autres fois parce que j’étais sûr qu’ils ne se répéteraient jamais. Tout ce que je vécus ne resterait que dans ma mémoire, le temps qu’elle durerait.
Malgré les fois que j’avais proposé à ma femme de déménager, parfois pour des raisons de travail et d’autres fois au moment de notre retraite, elle insistait sur le fait que sa place restait là où elle avait créé toutes ses mémoires, là où elle avait vu ses enfants grandir. Elle disait qu’elle connaissait tout le monde, tous les voisins et qu’elle se sentait à l’aise là-bas.
Pour des raisons qui m’échappent, elle préférait son statu quo, comme elle le disait d’habitudeet qui voulait dire: pas de changements à la maison et pas de changements dans les tableaux et les photos. A chaque fois que je lui demandais pourquoi, elle ne répondait que «c’est bien comme ça».
Nous avions toujours eu des problèmes pour aller en vacances, même à notre âge, que nos enfants étaient déjà partis dans d’autres villes pour travailler et que nous étions seuls. Mais à chaque fois, elle attendait que les enfants nous visitaient ou me donnait des excuses pour rentrer à la maison dans deux ou trois jours.
Mais comment allaient-ils apparaître du jour au lendemain? S’il y en avait certains qui habitaient dans d’autres continents et, avec celui qui habitait près de nous, on ne se parlait plus depuis la grande dispute qu’on eut.
Je le regrette toujours. Pas seulement car il s’agissait d’une dispute totalement inutile, mais surtout par les graves implications qu’elle eut pour notre relation. Dès ce moment, ma femme ne me regarda plus pareil. Et je savais que j’avais raison et pas mon fils, mais elle, en tant que mère, ne comprenait pas mon manque de support au moment dont il en avait le plus besoin.
Pour moi, le plus difficile fut de la perdre. Je ne peut plus respirer quand ce moment traverse mon esprit. Après toutes ces années de vie en commun, y compris quand on se disputait, il existait un profond respect et un profond amour entre nous deux.
Les dernières années de sa vie, on dirait presque que nous étions séparés, à défaut de meilleur terme. On s’aimait, on se respectait, mais chacun faisait sa vie sans prévenir l’autre. Tout au contraire qu’au début de notre relation, quand nous voulions tout faire ensemble et partager autant de moments que possible.
C’était l’habitude, peut-être, mais on ne se voyait que pour prendre le petit-déjeuner et le dîner. Elle organisait des activités différentes chaque après-midi: elle voyait ses amies, ou visitait la famille, ou… Moi, d’autre part, j’adorais rester tranquillement à la maison entre mes annotations et mes calculs. Je ne me rendait même pas compte qu’elle était sortie mais… après son décès…
Tout était différent. J’avais maintenant beaucoup plus de temps pour moi, il n’y avait personne pour me dire que je passais trop de temps à faire ceci ou cela, plus personne pour me rappeler que je devais arrêter et me reposer, plus personne… Tout ce que je croyais d’être si important et dont je consacrait la plupart du temps, n’avait plus de sens.
Petit à petit la maison devint un mausolée. Je ne sais pas pourquoi! Mais au cours des années, elle avait rempli chaque mur avec des photos de ses enfants et de ses grands-enfants. Ces photos que nous recevions de temps en temps quand il y avait un nouveau-né ou une certaine festivité.
Du coup, je ne reconnais plus les personnes dans les photos. Et pas à cause de ma presbytie! J’ai mes lunettes pour voir tout en détaille! Mais c’est que les têtes ne me disent plus rien.
Combien de fois je me suis arrêté sur un photo pour en parler avec ma femme du bonheur qu’ils montrent, de l’envie de les revoir bientôt… Maintenant, par contre, les photos sont là, figées dans le temps, comme si elles appartenaient à une autre vie dont je ne fait plus partie.
J’imagine pas mon passé sans elle. Chaque endroit que nous visitâmes, chaque fête à la quelle nous allâmes. Elle était là. Dans toutes ces photos, c’était nous deux. Mais en ce moment, sauf elle, j’ai du mal à reconnaître le reste… En outre, je n’ai plus personne à qui demander sur les photos ou à qui en parler.
Maintenant elles font partie du mur comme du papier peint. Je ne les regarde plus, car ce sont des inconnus qui, à un moment donné, partageaient ma vie. Néanmoins, aujourd’hui je n’ai plus le sentiment qu’ils soient éloignés parce que, de fait, je ne les ressens plus.
Quand je marche dans le couloir, il y a des fois que je regarde les photos. Je vois des endroits et des personnes complètement inconnues et c’est intéressant, à chaque fois je cherche de deviner qui sont ou ce qu’ils font, mais jamais je n’y arriveà me rappeler!
Parfois, la femme de ménage qui vient nettoyer un peu la maison me demandait à propos de mes grands-enfants et je lui montrais les photos. Mais je ne sais plus où se trouvent toutes ces photos ni le nombre de grands-enfants que j’ai.
Je n’ai même pas trop envie de parler, je n’ai rien à raconter, mes mémoires son douloureuses. Ce n’est pas que j’aie peu vécu ou que j’aie eu peu d’expériences, au contraire, mes les souvenirs les plus importants pour moi sont justement ceux de mes grands amours et, malheureusement, elles ne sont plus là.
Je me souviens de mon premier amour comme si c’était hier. Elle travaillait dans un relais routier à la sortie du village, à côté de la station-service.
Je mettais toujours le minimum d’essence nécessaire pour rouler et revenir le lendemain. De cette façon, j’avais une excuse pour entrer au bar prendre mon petit-déjeuner.
Au début je ne l’avais pas remarquée, elle venait d’arriver au village, ou peut-être elle était de passage. Son sourire doux et ses cheveux foncés et bouclés me rendirent dingue! Je ne savais pas si elle m’avait aussi repéré, habituée à écouter tout genre d’éloges des clients qui venaient prendre un verre. Mais apparemment mon insistance donna des résultats. Après quelques mois de passer par là-bas au quotidien, un jour me dit-elle:
–Voilà! Dites-moi, qu’est-ce que vous voulezen réalité ?
–Oh, aujourd’hui j’aimerais «Le Spécial Maison» ! Je répondis.
–Je le dis sérieusement! Nous avons plein de clients et vous êtes le seul à venir tous les jours, qu’il fasse froid ou chaud, même quand la station-service est fermée! Alors, qu’est-ce que vous voulez?
Étonné, je restai sans savoir quoi dire et, faisant de nécessité vertu j’arrivai à prononcer :
–Toi!
–Comment? demanda-t-elle stupéfiée.
– Si, pendant tous ces jours, toutes ces semaines et tous ces mois, c’est toi que j’ai voulu ! C’est pourquoi je viens te voir. Un jour sans toi c’est comme un jour sans soleil!
Elle s’enfuit en cuisine, désorientée par ces mots apparemment et, quelques instants plus tard, elle rentra et me dit:
– Je pars! C’est mon dernier jour de travail! J’étais là pour faire un peu d’argent avant de continuer mon parcours. Vous avez été très gentil pendant tout ce temps, merci beaucoup.
–Mais… Je viens de vous déclarer ma flamme.
–Je sais, c’était des très jolis mots, mais c’est trop tard. Si j’avais su avant, nous aurions pu profiter du temps, mais là… c’est trop tard – Ceci dit, elle fit demi-tour et continua à travailler.
Malgré l’aspect délicieux de tout ce que j’avais devant moi, je ne pouvais rien avaler. Je restai pendant cinq minutes de plus et je partis presque en courant. Je ne pouvait pas y croire! J’étais déjà habitué à la voir tous les jours, à voir son beau sourire et ses cheveux noirs et, là… elle m’abandonnait!
Je pensai à parler avec son patron pour lui dire d’augmenter son salaire. Je pensai même à payer la différence du salaire à son patron. Je pensai à parler avec elle pour lui demander de ne pas partir… Je pensai… Le lendemain, quand je rentrai au bar convaincu d’avoir subi un cauchemar, elle n’était pas là, ni le lendemain, ni le jour après celui-là… Au moment donné, je compris que je n’allais plus la revoir, je sus que mon grand amour était sorti de ma vie et jamais je ne rencontrerai personne comme elle, car elle était unique.
Ces souvenirs me font du mal… J’arrive toujours à me rappeler de ses cheveux et de son sourire, surtout de ses cheveux. Je les adorais, c’est comme si je la voyais en ce moment, comme si c’était hier qu’elle les repoussait de son visage quand cette petite mèche maligne lui échappait et elle la mettait avec ses doigts derrière l’oreille.
Bien qu’il s’agisse d’un amour sans retour, je ne l’ai jamais oublié. Elle fut mon premier amour.
Je n’ai aucune photo d’elle. J’en ai beaucoup par tout dans la maison, mais aucune de cette époque de ma vie.
Je n’ai non plus d’amis, de voisins ou de connaissances. Ils sont tous décédés ou partis dans des maisons de retraites.
Ce quartier n’est plus ce qu’il était auparavant. Maintenant, tout le monde est pressé, les gens ne tondent pas la pelouse le matin, ni ne jouent avec les enfants le week-end. Parfois, c’est bizarre d’être ici. Tout est tellement différent!
Je connais chaque maison, chaque arbre… mais les gens? Ils sont tous des complètes inconnus et je ne me sens pas à l’aise dans la rue malgré les sourires de toutes ces personnes qui me disent bonjour quand on se croise.
Les années passent et le temps laisse sa trace dans ma santé. Malheureusement, il est en train de m’enlever ce que j’avais de plus précieux: ma mémoire. Le reste, toutes mes possessions, je m’enfiche si elles sont couvertes en poussière! Mais pas mes souvenirs qui se dissipent lentement comme le brouillard du matin, pas toutes mes expériences, l’une après l’autre.
Quelqu’un me recommanda un jour d’écrire un livre, à mon âge! Ben oui, car c’est du gâteau, quoi! D’autres, aussi, me proposèrent de faire un documentaire de ma vie, mais je ne vois pas trop l’idée.
Je pourrais raconter tellement d’histoires, mais je n’ai pas la force de m’en souvenir, et encore moins devant les caméras avec tous ces inconnus qui m’écouteraient.
A chaque fois que je me rappelle d’un événement je ressens l’enthousiasme de vivre à nouveau ce moment-là mais après, quand tout est fini et je me rends compte qu’il ne s’agissait que d’une mémoire, une profonde tristesse m’envahit et je vois que c’est du passé, quelque chose qui fut relégué à un autre temps et qui est presque oublié.
Je ne sais pas pourquoi, je n’arrive pas à me rappeler de ce que je viens de manger, mais chaque jour je me souviens plus clairement de ma jeunesse et de mon enfance, des aventures vécues quand j’étais petit et des meilleurs moments du lycée.
Il y a une telle quantité de personnes avec qui je parlai et partageai des moments, tant de personnes que j’aimai et qui m’aimèrent. Ma famille, mes copains et mes connaissances qui partagèrent avec moi son affection et sa chaleur. Où se trouvent-ils maintenant?
J’imagine qu’ils auront vécu leur propre vie, qu’ils seront en train de profiter de ses enfants ou même de ses grands-enfants, là où ils se trouvent. J’ai tellement besoin de ne pas être seul!
Le pire est la nuit. Au moment d’aller me coucher tous ces souvenirs m’envahissent, toutes ces expériences vécues à la maison, les expériences d’un vieil homme, on dirait! Une énorme quantité de moments qui eurent lieu jour après jour, tout au long de ma vie! Je me mets à y réfléchir, une idée entraîne une autre en me troublant le sommeil pendant des heures jusqu’à ce que je suis épuisé et je tombe raide mort.
D’autres fois, je n’arrive pas à dormir à cause des maux de mon âges. Quand ce n’est pas l’un, c’est l’autre! Si je ne bouge pas pendant quelques minutes, j’ai mal au genou, ou j’ai mal au dos… Et ça continue jusqu’à ce que je m’endors.
Mais, bien entendu, mon réveil continue à sonner à six heures du matin, comme toujours depuis mes débuts au travail, quand j’étais beaucoup plus jeune.
D’après ma chère épouse, l’une des « manies » que je n’abandonnai jamais, y compris après prendre ma retraite et me libérer de mes obligations, c’est me lever avant l’aube.
Il s’agit probablement de la force de l’habitude ou, peut-être, c’est justement que j’aime bien planifier le matin. En tout cas, bien qu’elle essaya toujours de me convaincre, et avec ou sans soleil, je continuai à me lever à la même heure.
Tous les jours, immédiatement après me lever, je cherchais un endroit ouvert pour faire mes exercices, mes étirements et travailler un peu ma flexibilité. Juste pour m’étirer un peu avant de me laver le visage à l’eau froide.
« Le secret pour avoir une peau sans rides c’est l’eau froide tous les matins!» C’est ce que j’avais entendu dire à un acteur très âgé qui se vantait d’avoir la peau lisse.
A mon âge, je ne le fais pas pour des raisons d’esthétique ou pour ma peau, mais tout simplement pour m’éveiller. J’en avait vraiment besoin avant, quand je devais me préparer pour aller au travail et commencer la journée, mais là… Parfois je regards ma tête devant le miroir du lavabo et je me demande, «qu’est-ce que je fais maintenant?»
Je me lave encore le visage ayant l’espoir de trouver quelque chose à faire, mais rien… Je regarde ce miroir qui me renvoie une tête presque inconnue, des rides qui n’étaient pas là et qui couvrent totalement mon visage maintenant. Je vois aussi les mains…
Je ne suis pas sûr du sentiment que les autres ressentiront à l’heure de vieillir, mais pour moi cela n’a pas été agréable. Voir mes rêves et mes espoirs fondre dans le temps.
J’ai beaucoup accompli dans ma vie, mais ça sert à quoi? Qui va se rappeler de moi, de mon travail, de mes efforts? A quoi sert tout ce temps, ces milliers d’heures consacrées?
Peut-être au moment donné il y aura quelqu’un qui pourra se souvenir de moi, c’est vrai. Mais au-delà de ma famille ou de quelques amis, personne n’a montré aucun intérêt à ce que j’ai fait.
Oui, je sais, il y en a pire! Ma vie fut assez bonne, je travaillai toujours en ce que je voulais, mais en ce moment il n’y a que les souvenirs qui restent… et parfois même pas.
Il y avait des fois dont je me rendais au bureau juste pour regarder les centaines de vieux dossiers remplis de documents. Je m’asseyais, j’ouvrais l’un des dossiers et je le révisais afin d’évoquer les projets passés.
Tant de notes écrites avec du vrai enthousiasme… Je pensais que tout cela pourrait justement «faire la différence», comme le disent les jeunes d’aujourd’hui. Cependant, tout tomba dans l’oubli.
Les années s’écoulèrent et le sentiment de fierté que je ressentais au début devint une étrange sensation de curiosité. Je regardais les piles de dossiers sans savoir ce qu’ils contenaient ou quels sujets se traitaient dedans. Je les ouvrais pour découvrir sur quels sujets ils portaient et l’angoisse me prenait totalement. Bien sûr, ces documents étaient à moi, mais quand est-ce que je les avais écrits? Quand s’était tout passé?
Je reconnaissais mon écriture, au moins j’en étais sûr de quelque chose. Et elle était présente par tout dans les centaines de cahiers et de rapports distribués par la chambre, mais je ne reconnaissais à peine d’autres détails du temps investi dans ce travail.
C’était là que je commençai à me rendre compte de ce qui se passait. Je étais en train de perdre ma bonne mémoire et je n’arrivais même pas à identifier ce que j’écrivis un jour.
Mes papiers ne m’appartenaient plus, c’étaient des documents d’un inconnu qui écrivait comme moi. J’étais incapable de trouver du sens entre tous ces dossier.
Souvent, cela me rendait tellement furieux que je jetais tout par terre…. J’essayais de l’éviter mais… je ressentais une exaspération si profonde que j’arrivais à penser que ma vie n’avait à rien servi.
Plus tard, quand j’étais plus calme, je rangeais chaque document et, sans savoir pourquoi, je cherchais de les mettre à sa place, mais je ne me souvenais pas des contenus. Je ne pouvait que les classer par la date écrite à droite, dans la partie haute du manuscrit et, bien qu’il s’agisse d’une tâche extrêmement fatigante, je ne m’arrêtait pas jusqu’à ce que le puzzle soit résolu. Bien entendu, je n’arrivais non plus à respecter complètement l’ordre chronologique, mais au moins je réussissais à les classer par années.
De temps en temps, je m’assois devant la télé, allumée ou éteinte, et j’essaie de me rappeler de certains moments passés. Des moments où on ne racontait pas les vrais évènements au grand public pour éviter une alarme sociale, et j’imagine leur vie, à l’écart du péril qui les menaçait.
Ils étaient tous trop occupés pour se rendre compte du travail derrière son bien-être.
Je me souviens toujours de la première fois que j’entendis parler à ce propos. J’ai un don pour les nombres qui m’a toujours permis de me démarquer du reste, mais pendant mon service militaire, à un moment où personne ne le réaliserait, mon capitaine se rendit compte et m’offrit une promotion.
Je lui serai toujours reconnaissant de cette décision, car c’est lui qui m’offrit l’opportunité de rendre un grand service à ma nation et de sauver des nombreuses vies d’une mort certainement douloureuse.
–Vous avez un don! me dit le capitaine ce jour-là.
–Plutôt qu’un don, je pense qu’il s’agit d’un cadeau, répondis-je.
–Un cadeau? Il me demanda surpris.
–Oui, un cadeau du Créateur.
Le capitaine réfléchit, confus, pendant quelques instant et me dit:
– Ben, quoi qu’il en soit! Vous ferez un meilleur service en Pennsylvanie. Là-bas vous serez instruit pour des grandes choses.
–Mais… qu’est-ce que je vais dire à mes parents? Je répondis étonné et confus par ses mots.
–Ne vous inquiétez pas! L’armée s’en occupera de votre famille pendant que vous serez loin. Ce n’est pas ce que vous vouliez?
–Si, en effet, nous venons d’arriver ici et c’est une nouvelle langue pour eux. Nous avons quelques amis qui nous aident autant qu’ils peuvent, mais ils n’ont pas encore trouvé un travail.
–Pas de souci! Ils recevront la paie chaque mois ponctuellement! Mais vous devez aussi vous acquitter de vos obligations.
–Bien sûr, je ferai mon mieux! Je ne vous décevrai pas! Par contre, pourquoi la Pennsylvanie?
– Vous le saurez au moment donné. Je peux seulement vous dire: Allez faire que vos parents soient fiersde vous!
Celles-là furent les derniers mots – ou ordres, je ne suis pas très sûr!– qu’il me donna, puisque le lendemain deux soldats arrivèrent dans ma baraque pendant que je dormais entouré du reste du peloton, et me firent sortir de la base ou je passais mon instruction, pour m’emmener vers un avenir incertain.
Mais comment c’est bizarre! Je peux presque mâcher le sable levé par le jeep tout au long du chemin qui nous menait à la nouvelle base militaire.
C’était un jour particulièrement chaud, mais cela ne pourrait jamais dissiper l’émotion de découvrir finalement comment je pourrais utiliser mon don.
Après trois ans d’entraînement, je suis convaincu que je devais le savoir, mais l’écoulement du temps efface tout ce qu’il veut sans nous prévenir.
Quoique les noms les plus familiers soient disparus de ma mémoire, il y a longtemps j’élaborai une méthode par laquelle je notai tous les noms, les dates et les évènements importants dans ma vie et, de temps en temps, je prends une feuille blanche et j’essaie d’écrire une liste avec tout ce dont je me rappelle encore.
C’était un jeu d’enfants! Au moins au début… Comment allais-je oublier le nom de mes grands-enfants? Ou la date de mon mariage! Mais au fil du temps, dans mon désespoir, cette feuille que j’essayais de remplir restait de plus en plus vide, jusqu’au jour où j’oubliai même où je l’avais mis et, avec elle, j’oubliai toutes les dates, les noms et les évènements dont je croyais impossibles d’oublier.
Je me rappelle du jour où on acheta le grille-pain qui est en cuisine. On s’était beaucoup disputé à cause de la couleur. Elle préférait le jaune citron et moi, l’argenté.
A la fin c’est moi qui cédai, comme toujours. Mais c’est normal car dans toutes nos disputes –pour les appeler ainsi– étaient causées par des questions sans importance, alors pourquoi pas céder? Peu importait la couleur du grille-pain!
Elle se sentait à l’aise comme ça, quand elle organisait tout à sa façon. Je n’étais pas du tout convaincu par ces couleurs criards, mais elle disait toujours «Ça va beaucoup égayer l’atmosphère!»
Maintenant, par contre, je ne me souviens plus du moment ou il tomba en panne… comment s’était-il cassé? Ou pourquoi je ne l’utilise plus? Peu importe, ce n’est que des bricoles! Comme toutes les autres que je retrouve par tout dans la maison. Je ne sais même pas à quoi servent…
Quand j’ouvre les tiroirs je trouve vraiment tout genre de trucs, des casseroles ici, des outils de travail par là, des boîtes vides dans l’autre… Mais quel entassement de trucs inutiles!
Dans l’un des tiroirs je trouvai une boîte à outils qui m’appartenait, à moi, qui jamais ne touchai une ampoule! Qu’est-ce que j’allais faire en ce moment avec cela? Après quelques instants d’y réfléchir et d’essayer de me rappeler si on l’avait jamais utilisée, tout simplement je fermai le tiroir.
Elle me manque tellement, ma femme! Si au moins je savais où elle est… Au ciel, bien entendu! Mais comment c’est loin, le ciel!
Il est tout à fait clair qu’elle est l’une des personnes qui méritent vraiment se reposer. Elle était toujours prête à aider tout le monde dans tout ce qu’il fallait, sans la moindre lamentation et toujours avec un sourire.
En fait, elle ne se plaignait jamais du temps qu’elle passait toute seule lorsque j’étais coincé au bureau ou quand je partais en voyage de travail pendant des semaines.
A mon retour, elle m’attendait avec son grand sourire et, bien qu’elle savait que je ne pouvais rien lui raconter, elle me demandait avec sa voix chaude comment s’était tout passé.
Parfois, lorsque je me lève et après m’avoir lavé et avoir fait mes exercices, je m’assieds à table dans la salle à manger et j’attends… et j’attends… et à peine je me rends compte qu’elle n’est pas là pour m’apporter le petit déjeuner, une peine insupportable m’arrive et je n’ai plus envie d’aller le préparer.
D’ailleurs je n’aimai jamais trop être en cuisine. Je n’aime pas cuisiner. Seul quand il le fallait je donnais un coup de main et je faisais mon mieux, par exemple, pendant ces fête où il y avait plein de monde et ma femme ne pouvait pas s’en sortir.
Je préférais mettre la table et m’occuper de la vaisselle après manger, ou aller faire les courses s’il le fallait, mais rien d’autre.
En échange, dès qu’elle était partie et même si je traitais par tous les moyens de ne pas entrer dans «son territoire», j’avais l’impression de passer tout mon temps là-bas maintenant.
C’est vrai que je n’avais pas réalisé du travail qu’entraînait la cuisine, toute ces heures qu’il faut investir et, en plus, sachant qu’elle ne touchera plus ces objets qui ne l’appartenaient qu’à elle.
Beaucoup d’autres fois, je restais tout simplement en silence… en attendant d’entendre du bruit ou des rumeurs en cuisine comme ceux qu’elle faisait pendant qu’elle préparait à manger le soir, ou l’écouter chanter pendant qu’elle arrosait les plantes… mais qu’est-ce que je fais là? Je ne sais pas, mais elle me manque trop, ça c’est sûr!
Après prendre ma retraite, je restai en contact avec mes anciens collègues parce que je voulais me tenir à la page sur tout ce qui échappait à mon contrôle, mais en dépit des efforts et des heures passées à étudier tout au long de ma vie, on dirait que le temps ne s’apitoya pas de moi.
En réalité la liste de personnes avec qui je parle est de plus en plus petite, car certaines sont parties loin et d’autres, simplement, ne veulent rien entendre à propos des affaires du gouvernement.
Il y a aussi d’autres qui ne sont plus dans ce monde, et je remercie la vie de m’avoir offert un autre jour, mais il fait longtemps que je ne tiens plus les comptes des jours. D’ailleurs si je ne portais pas mon bloc-notes avec moi tout le temps, je ne connaîtrais même pas le jour de mon anniversaire.
J’écrivis les données les plus importants de ma vie dans ce petit cahier: mon nom, mon adresse, ma date de naissance, mes commissions à faire pendant la journée, les personnes à appeler si j’ai besoin de quelque chose…
Curieusement, cette dernière liste est de plus en plus réduite, certains numéros sont déjà barrés. J’imagine qu’ils auront changé de numéro ou qu’ils seront décédés…
Mes mémoires! Combien de fois m’auront-ils proposé de les écrire pour signaler ce que je vécus, pour raconter mon histoire aux générations à venir et qu’elles puisent tirer leurs propres conclusions. Bien entendu je ne pouvais pas le faire! Je signai une foule de contrats et de politiques de confidentialité dans lesquelles je prêtais serment de silence absolu sur tous les aspects de mon travail.
Si je révélais l’un seul des secrets militaires dont j’avais connaissance, ce serait comme signer mon arrêt de mort.
Je sais, cela peut sembler un peut radicale, mais il s’agit tout à fait de la vérité. J’avais déjà vu tous ces enthousiastes qui voulaient se lever, faire entendre sa voix et crier les secrets du gouvernement sur tous les toits. Je vis même des journalistes qui étaient prêts à tout publier à l’une des journaux… Après, ils disparurent tous du jour au lendemain, aussi simple que cela.
Parfois dans des accidents de voiture ou au baignoire à la maison… Bien sûr, il s’agissait toujours des «raisons officielles» des disparitions, deux ou trois jours avant la publication des informations afin d’enlever ces personnes de sa place.
C’est quelque chose qu’on apprit dès le premier jour: On ne plaisante pas avec le gouvernement! Ils sont au courant de tout ce qu’il se passe et les fuites son absolument interdites. Même quand il y en a certaines, c’est par sa main, parce que rien ne touche la surface sans être autorisé. Pendant tout ce temps, je ne pus que fermer la bouche et détourner le regard, faire comme si tout se passait normalement, comme si l’on n’avait pas d’autres choix pour notre société, quand ce n’est pas le cas.
Je essayai de compiler mes propres documents pour tenir des registres d’activité, mais il ne fut jamais possible. Le moment que j’abandonnai l’armée, comme par hasard, ils confisquai tous mes effets et je n’eus droit qu’à prendre mes habits. Après tous les informations que j’avais recueilli et dans ma position, avec une maison propre dès que j’arrivai dans l’armée, maintenant je n’avais qu’une petite valise et le numéro de compte où je recevrais ma retraite pour le reste de ma vie.