Kitabı oku: «Pauline, ou la liberté de l'amour», sayfa 15
XVI
– Grasse!
Marcelin descendit.
Il courut à la poste.
– Pouvez-vous me donner l'adresse de Mme Facial? demanda-t-il à l'employé de service au guichet de la poste restante.
– Mme Facial? Attendez donc… Une dame vient quelquefois réclamer des lettres à ce nom-là. Quant à son adresse…
Et interpellant une femme qui se trouvait dans le bureau:
– Hé! mère Divonne, vous qui connaissez tout Grasse, vous ne connaîtriez pas ça, par hasard Mme Facial?
– Faudrait me dire un peu comment elle est.
– J'ai son portrait, dit Marcelin.
Il tira un médaillon suspendu à son cou, l'ouvrit et le montra aux deux personnages.
– C'est bien celle-là, fit l'employé.
– Oui, fit la femme, je la connais. C'est moi qui lui porte ses fruits, tous les matins. Seulement elle ne s'appelle pas Mme Facial.
– Comment? demanda l'employé.
– Elle s'appelle Mme de Rocrange.
– Possible. Elle est divorcée; elle vit avec son amant.
L'enfant reçut cela comme un coup de tonnerre sur la tête. Mais il ne broncha pas. Il croyait comprendre cependant ce que ces mots voulaient dire. Il sentait que c'était épouvantable. Trois jours auparavant, il eût sauté à la gorge de ces gens, au seul soupçon qu'ils outrageaient sa mère. Aujourd'hui, il ne savait pas, il ne savait plus…
Et il dit d'une voix douce:
– Pourriez-vous me conduire chez elle, Madame?
Sa mère! Comme tout était égal, puisqu'il allait la revoir!
La fruitière le regarda avec curiosité.
– Vous n'êtes pas d'ici, mon jeune monsieur?
– Non.
– Vous venez de Nice?
– De Paris.
– Seigneur Jésus! est-il permis de laisser un enfant faire tout seul un pareil voyage! Et vous venez pour madame… pour cette dame… dont vous avez le portrait?
Marcelin contint avec effort les larmes nerveuses qu'il sentait sourdre. Il dit:
– C'est ma mère.
– Ah! fit la femme, je vous demande excuse. Il n'y a pas de mal à ça. Il faut bien être le fils de quelqu'un.
Et pour manifester sa bonté, elle ajouta:
– Venez avec moi, mon jeune monsieur: je vais de ce côté; je vous montrerai où c'est. Il y en a pour dix minutes.
Dix minutes! Dans dix minutes, après plus d'une année de séparation! Il fut pris d'une telle émotion, qu'il pouvait à peine se soutenir. Tout en marchant, la fruitière le questionnait, s'apitoyait sur lui. Il n'entendait rien, la tête bourdonnante d'impressions confuses, le cœur gonflé, les genoux vacillants. A ce moment, son père en personne eût surgi devant lui et lui eût crié que sa mère avait commis un crime, qu'il eût répondu: Elle a bien fait. Il ne concevait pas que quelque chose fût reproché à sa mère. Elle n'agissait que noblement, saintement. Dieu lui-même n'avait pas le droit de l'accuser. Et sa vénération croissait en proportion du rempart de haine et d'injustice qu'on avait dressé autour d'elle. Que signifiaient ces infamies qui flottaient? Il aurait voulu mourir et que son sang se répandît à ses pieds.
La fruitière dit:
– C'est ici.
Elle montrait une villa. La grille était entr'ouverte. Marcelin entra. Au bout de quelques pas dans le jardin, il aperçut, entre les bosquets, une robe blanche.
Fou, il courut.
Deux cris:
– Maman!
– Mon enfant!
Ils étaient dans les bras l'un de l'autre.
Longtemps ils furent incapables de prononcer une parole suivie. La commotion était trop violente. Ils pleuraient, ils sanglotaient. Des mots palpitaient sur leurs lèvres. Pour tous deux, mais pour la mère surtout, cette ineffable rencontre était un baiser du ciel, un merveilleux étourdissement d'ivresse versé comme un miracle par le paradis.
– Toi ici! toi ici! put enfin exprimer Pauline, les yeux vibrants d'une joie délirante, pressant sur son sein l'enfant inattendu.
– Je suis venu… je me suis sauvé… Il me fallait toi!
– Tu ne m'as donc pas oublié! Mon enfant, mon enfant chéri! Par quelles souffrances j'ai dû passer: sans nouvelles de mon enfant! Mais si c'était pour me réserver le providentiel bonheur de cet instant, merci, Père céleste, Consolateur suprême, merci! Et ce n'est point un rêve! J'ai tant de fois rêvé à toi, que si mon rêve avait pu t'évoquer, tu serais déjà venu! Et c'est toi, toi vraiment, mon Marcelin, mon fils!
– O mère, pourquoi m'as-tu abandonné?
Le cœur de Pauline éclata.
– C'est un affreux malheur qui est arrivé! Tu ne sais pas, tu ne peux savoir… Que t'ont-ils dit? Comment as-tu cru que je t'abandonnais!.. Que t'ont-ils dit? Que t'a-t-il dit, lui?.. lui?..
– On n'a rien dit… J'ai vécu dans ce mystère… Ils ne disaient pas que tu étais morte… J'avais peur… Enfin, j'ai eu la lettre, ta lettre.
– Elle t'a remis la lettre?
– Oui, avant-hier.
– Oh! je t'en ai écrit dix, vingt. Celle-ci date de plus d'un mois. C'est la dernière. Je désespérais. Je suis allée deux fois à Paris, j'ai tout fait. Un jour, je t'ai vu, à la sortie du lycée; et je t'ai vu à la promenade, je t'ai suivi: mais tu ne m'as pas vue… Marcelin, non, je ne t'ai pas abandonné! Et tu ne peux pas comprendre… Un jour, tu comprendras, j'ai écrit ma vie, pour toi. Lorsque tu seras en âge de savoir… et de douter, tu liras. Alors tu comprendras, et tu pardonneras.
– Maman!
Il l'embrassa d'une étreinte passionnée, et ajouta:
– Ne parle pas ainsi. La voix avec laquelle tu dis cela fait mal.
– Que pensais-tu de moi?
– Je ne pensais rien, j'étais triste. Et dès que j'ai su où tu étais, je suis parti. Je ne veux plus être séparé de toi.
Pauline tressaillit:
– Sait-il où tu es? Il te suit peut-être. Il va venir te reprendre.
– Non, dit Marcelin. Personne ne peut savoir où je suis, à moins de le deviner.
Il raconta à sa mère la manière dont il s'était enfui. Celle-ci se rassura:
– Il ne devinera pas, dit-elle. Il ne t'aime pas assez.
– Lui, mais elle!
– Julienne? murmura Pauline d'une voix blanche.
Le jeune garçon fit signe que oui.
– Elle n'a pas de cœur.
– Ce n'est pas seulement le cœur qui fait deviner. Elle a vu que je t'aimais mieux qu'elle. Et puis la lettre… Elle sait des choses que mon père ne sait pas. Elle doit avoir deviné.
La mère se dressa, l'éclair aux prunelles:
– Jamais. Je suis là. Qu'ils viennent! Je défendrai mon bien jusqu'à la mort. Ils avaient la force; ils pouvaient m'empêcher de parvenir à toi; ils te gardaient. Mais, maintenant, nous sommes réunis… Ils n'oseront pas! Comment oseraient-ils?
Elle se sentait tigresse à cette heure; il lui semblait qu'elle avait de puissantes griffes au bout des membres, et que, d'un coup, elle aurait dispersé l'engeance hostile. La possession de son petit, contre elle, sous elle, lui donnait la fauve sollicitude de la bête pour ce qui est né de sa chair. Son sang roulait dans ses veines avec de cruels besoins de mordre et de déchirer.
Elle eut peur de l'état violent de ses sensations, et cria, en serrant son enfant:
– Il ne faut pas qu'il y ait de lutte: je tuerais!
Mais aussitôt, elle reprit:
– Folle que je suis! Nous n'attendrons pas qu'ils viennent. La frontière italienne est tout près. A l'étranger, ils ne peuvent plus rien. Oh! enfin et vraiment, voici la clémence, la félicité! J'ai tellement souffert, que la perspective subite, presque foudroyante du bonheur accable ma raison. Je puis à peine croire, tant la vie m'a remplie de terreur et de doute. Mes paupières cillent à l'éclat du ciel.
Pauline contemplait avidement l'enfant retrouvé. Elle ne pouvait assez le voir, s'en imprégner, s'assurer que c'était lui. Elle ne songeait pas à remarquer les changements qui s'étaient opérés chez le jeune garçon; il avait grandi, ses traits s'étaient complétés; elle ne s'apercevait pas de cela; elle ne constatait que sa présence, sa merveilleuse présence, son irradiation chargée de fluide et de lumière. Un chant de gloire naissait de ses entrailles, montait, montait, enveloppait son cerveau, projetait jusqu'à Dieu ses ondes triomphales.
– Je suis ivre, je ne sais plus ni ce que je pense, ni ce qui m'arrive, balbutiait-elle.
Puis, ce fut une réaction de maternité vigilante et tendre. Elle entraîna Marcelin dans la maison, le fit manger, le servit elle-même. Elle voulut savoir comment il avait voyagé, s'il avait dormi, s'il n'était pas fatigué, lui posant mille questions sur sa santé, goûtant à se retrouver au milieu de ces chers détails un incroyable plaisir.
– Ainsi, mère, je ne te quitterai plus?
– Oh! plus. L'heure de la miséricorde a sonné.
– Et nous vivrons toujours ensemble?
– Toujours.
– Tous les deux?
Pauline jeta un long regard sur son fils, un regard solennel et profond. Elle prononça lentement, mais d'une voix qui tremblait un peu:
– Tous les trois.
L'enfant resta longtemps silencieux, sans s'étonner. Puis il murmura:
– Tu l'aimes donc beaucoup?
Et à ce moment, Odon survint.
Il eut un tressaut de surprise à la vue du jeune garçon.
Mais déjà, Marcelin s'avançait vers lui et disait:
– Je sais qui vous êtes: vous êtes celui que ma mère aime comme je l'aime.
– O mon enfant! s'écria Odon, en lui ouvrant ses bras.
Et lui aussi avait les larmes aux yeux.
Lorsqu'on lui eut expliqué les événements:
– Il faut partir, dit-il, il faut que nous soyons loin demain matin. Une fois en sûreté, à l'étranger, nous pourrons engager des pourparlers avec M. Facial et obtenir qu'il renonce à ses droits.
– Le prochain rapide de Paris n'arrive que demain soir, dit Pauline; nous avons donc beaucoup d'avance, à supposer même que l'on soit déjà sur la bonne piste.
– Et le télégraphe! fit Odon. Qui sait si en arrivant à la frontière nous ne trouverons pas la police prévenue! Nous courrions peut-être moins de risque en partant par Marseille, où nous nous embarquerions pour Gênes ou Naples.
– Cela exigerait plus de temps; et si la police est prévenue, elle le sera aussi bien à Marseille qu'à Menton.
On s'arrêta au projet suivant: on déguiserait Marcelin en petite fille; lui et Odon prendraient le premier train pour Vintimille; Pauline les rejoindrait quelques heures après. De cette façon, il y avait toute chance, en cas que la police eût des ordres, pour que les voyageurs ne fussent pas reconnus.
Ils allaient se sauver comme des malfaiteurs.
Marcelin, cette fois, se déconcerta:
– Mais quel mal est-ce que j'ai commis? Ne suis-je pas libre de rejoindre ma mère, puisque c'est avec elle que je veux vivre? Et si elle veut me garder, n'est-elle pas libre de le faire?
– Tu ne connais pas la société, dit Odon: elle a fait des lois qui donnent à M. Facial le droit de te priver de ta mère.
– Pourquoi use-t-il de ce droit? Il n'est pas méchant.
– Il n'est pas méchant, j'en suis sûr; c'est la société qui est mauvaise. Tu arrives ici, mon enfant, dans une maison qui ne vit pas suivant les lois de la société, mais où l'on aime et où l'on cherche à être heureux. Tu es assez grand pour comprendre, et tu as mérité de savoir. Ta mère doit désirer elle-même que je parle, elle doit sentir qu'il le faut.
Pauline fit un grave signe de tête affirmatif.
– Eh bien, reprit Odon, si tu es venu ici pour être notre fils, sache à quoi tu t'engages, ou plutôt de quoi tu te dégages. Tu romps avec les lois, tu te mets en révolte contre celui qui les représente, M. Facial, qui seul a des droits sur toi, seul est ton légitime éducateur, ton légitime protecteur. Ici, tu as ta mère: mais ta mère n'est plus ta mère au point de vue de la loi. Elle a eu le malheur de faire acte de personne libre, comme toi-même l'as fait hier; or, il n'est pas permis d'obéir franchement à son cœur. Quelque beaux que soient les sentiments qui te poussent, on ne t'en saura aucun gré. On pouvait te plaindre, on disait certainement, on pensait probablement: «Le pauvre enfant, qui n'a plus sa mère!» Mais on ne t'excusera pas d'avoir voulu la retrouver. Ce qu'il fallait pour rester dans ton rôle – car chacun a un rôle fixé d'avance et dont il ne doit pas sortir – ce qu'il fallait, je vais te le dire: il fallait supporter héroïquement ton sort, te résigner. Tel était aussi le rôle de ta mère: elle devait se résigner, se résigner à être la femme d'un homme qu'elle n'aimait pas. Le monde ne pardonne pas qu'on tende au bonheur par la voix directe du cœur. C'est une terrible leçon que je te donne là; mais tu étais digne de la recevoir, et la vie te l'inflige déjà.
Marcelin se dressa avec orgueil:
– Je veux être le fils de ma mère, dit-il.
– Tu es un noble garçon, dit Odon. Partage donc notre ostracisme. Et c'est un véritable ostracisme, puisque nous sommes obligés de fuir à l'étranger.
– Nous n'habiterons plus la France?
– Cela nous sera défendu.
– Je n'irai plus au lycée?
– Ce sera un grand changement dans ton éducation.
– Papa m'avait donné le choix entre trois écoles: l'École polytechnique, Saint-Cyr ou l'École de droit. Il dit qu'un jeune garçon de ma position doit avoir l'ambition de devenir quelqu'un.
– J'espère que M. Facial ne se montrera pas intraitable. Nous ferons tout pour essayer d'obtenir de lui la permission de revenir à Paris, afin que nous puissions te donner l'instruction qu'il convient.
– Et s'il refuse?
– Il faudra alors renoncer aux carrières auxquelles donnent accès les écoles de l'État.
– Je ne sais pas si ce sera jamais pour moi un sacrifice; en tous cas, il sera bien minime au prix du bonheur de conserver ma mère.
– Et il n'y a pas besoin de diplômes pour devenir un homme.
Mais Pauline avait changé de visage. Elle venait seulement de se rendre compte des conséquences illimitées qu'aurait pour son fils la révolte contre l'autorité paternelle. C'était briser l'avenir de Marcelin. Facial maintiendrait ses droits jusqu'au bout. Et par une vision rapide, elle pensa au moment où, quelques années plus tard, l'enfant devenu jeune homme, saisi par la puissance d'une vocation – laquelle? savait-elle? savait-il? – regretterait amèrement ce qu'il appellerait peut-être son coup de tête. Son existence perdue, ses rêves irréalisables, voilà ce qu'il lui reprocherait. Et elle seule serait coupable. Et il aurait raison de l'accuser. Et il l'accuserait peut-être avec désespoir. Il pourrait lui dire: «Ma mère, vous avez été égoïste et lâche. Vous avez abusé de mon amour pour vous. Étais-je capable alors de décider de ma vie? Toute ma vie, songez-y, pour m'épargner quelques larmes sentimentales d'enfant! Et maintenant, voyez, je ne suis bon à rien, je n'ai rien, je ne suis rien. Croyez-vous que mon amour filial même ne soit pas irrémédiablement empoisonné par la pensée amère de ma stérilité? Cruelle ironie vraiment! Je vous aimais, j'étais innocent: et vous, qui aviez le devoir d'être prudente à ma place, vous avez manqué de courage, vous m'avez trahi.» Voilà ce qu'il lui dirait, sans doute. Que répondrait-elle à ces paroles affreuses? Et à supposer l'improbable, Facial leur permettant le séjour de Paris, l'avenir de l'enfant n'en resterait-il pas moins compromis? Que pourrait-elle? Elle n'aurait plus de relations. Marcelin ferait ses études, puis il serait lancé dans la vie, sans protection, sans base. Il n'aurait qu'à rougir de sa mère. Fils de Facial, au contraire, il aurait un nom, un monde, des amis, des patronages nombreux et puissants; tout lui serait facilité, il n'aurait qu'à se laisser porter. Ruinerait-elle tout cela? La mère ferait-elle encourir à son enfant sa propre réprobation?
Un gémissement sortit de ses lèvres:
– Oh! je n'ai pas le droit… je n'ai pas le droit…
Odon comprit. Il se tut. Il venait de se faire les mêmes réflexions.
Mais le jeune garçon, auquel leur consternation n'échappa pas, s'accrocha fébrilement à Pauline en criant:
– Maman, je ne veux pas te quitter!
La nuit se passa dans ces horribles alternatives. Marcelin avait fini par s'endormir de fatigue. Pauline le regardait respirer, tout en causant à voix basse avec Odon.
Le lendemain matin, ils ne partirent pas.
Dans la journée une dépêche de Réderic arriva:
«Vous n'avez que le temps. On est sur trace.»
Alors, Pauline dit:
– Mon Dieu, donnez-moi la force d'aller jusqu'au bout.
Le soir même, elle partit pour Paris avec son fils.
Elle allait le rendre à Facial.
Facial ne manifesta pas, à les voir, un étonnement extrême. Il reçut Pauline avec une dignité froide dont il ne se départit pas. Dans son accueil transparaissait plus le dépit que lui avait causé l'escapade de Marcelin, que la joie de retrouver son héritier.
– Je vous félicite, Madame, d'avoir compris votre devoir. Je ne vous en veux pas: je sais qu'il n'y a pas là de votre faute et qu'il vous a été impossible de monter l'esprit de mon fils et de combiner avec lui cette malheureuse frasque. Vous me le ramenez, c'est bien. La police venait d'ailleurs de recevoir des renseignements précis sur son départ par la gare de Lyon et sur son arrivée à Grasse; de là à conclure quel était le but de sa fuite, il n'y avait qu'un pas. Aujourd'hui même, on doit avoir fait une perquisition chez vous. Vous n'auriez pas bénéficié de cette petite aventure. Mais puisque vous me paraissez avoir acquis de sages idées sur la manière dont il convient que mon fils soit élevé, je vous témoignerai ma satisfaction en vous autorisant à le voir une fois par an. Ces entrevues auront lieu à Paris, dans ma maison et en ma présence.
Pauline se sentait glacée. De funestes pressentiments la terrorisaient. C'était bien la fin, le deuil.
Facial tira de sa poche un carnet à souche. Il inscrivit quelques mots sur la première feuille, la détacha et la tendit à Pauline en disant:
– Mon fils vous a occasionné quelques dépenses; je tiens à vous les régler.
C'était un chèque de mille francs.
Pauline eut un geste d'indignation.
– Je n'insiste pas, fit Facial poliment.
Les choses se passèrent d'une façon moins affectée avec Julienne Chandivier, qui, sur ces entrefaites, arriva chez Facial, comme elle le faisait plusieurs fois par jour, pour savoir si l'on avait des nouvelles de Marcelin.
Lorsqu'elle le vit, son mot fut, en l'embrassant avec exagération:
– Le monstre d'enfant!
Et peu s'en fallut qu'elle n'embrassât aussi Pauline.
Le pédantisme en morale ne l'étouffait pas. Elle ne manqua pas de prendre à part son ancienne amie et de lui assurer que ses sentiments pour elle n'avaient jamais varié.
– Mais que voulez-vous! Vous avez été peu adroite. Il vous était si facile de tout ménager. Personne n'exigeait de vous une vertu cornélienne: on vous demandait seulement de vous conduire comme tout le monde. Vous avez préféré vous mettre tout le monde à dos. Avec la meilleure volonté, il était impossible de vous défendre; et moi qui, je vous le jure, ai trouvé parfaitement ridicule le bruit qu'on a fait autour de votre histoire, je n'ai pu me dispenser de vous brûler aussi en effigie. Vous aviez jadis d'étincelantes théories sur l'amour: vous voyez où elles vous ont conduite. En ce monde, on fait ce qu'on veut, mais il ne faut jamais vouloir ce qu'on fait. Les théories, c'est inutile en théorie, et c'est désastreux en pratique. Je suis superficielle, je suis hypocrite, je suis vicieuse, je suis incapable de penser, je suis femme, très femme, mais c'est encore moi qui ai raison: je me conduis avec mon instinct, ne m'occupant nullement de ce qui est bien et de ce qui est mal, ayant seulement le sens de ce qui est faisable et de ce qui n'est pas faisable; et je n'ai point même conscience des défauts que je viens de dire, tellement ils sont à moi-même et tellement j'y réfléchis peu. Vous, c'est le contraire, et cela ne vous a pas servie. Êtes-vous heureuse, au moins, j'entends heureuse… personnellement? Vous n'en avez pas l'air. Ma pauvre amie, je vous plains avec une sincère sympathie. Dites-moi si je puis faire quelque chose pour vous.
Pauline était peu en état d'entendre et de répondre quoi que ce soit. Elle dit seulement, immensément lasse de corps et d'esprit:
– Rien, rien… Je ne suis pas venue ici pour moi…
– Et Marcelin?
La mère eut une seconde d'hésitation. Puis, elle prit la main de Julienne et supplia:
– Vous qui serez avec lui… oh! qu'il ne m'oublie pas!
– Je lui parlerai de vous, je l'ai déjà fait.
– Oui, je sais… merci…
– Je lui transmettrai vos lettres.
– Vous êtes bonne.
– Je suis meilleure que vous ne croyez.
Une sensation d'épouvantable fatalisme broyait l'âme de Pauline. Sa voix sortait difficile et monotone de sa gorge étranglée; ses yeux restaient secs.
Et le moment de la séparation ne fut pas déchirant comme elle l'eût pensé. Il semblait que le chemin de douleur étant achevé, un mur se dressât pour empêcher d'aller plus loin, un mur au pied duquel il n'y avait plus qu'à se laisser tomber d'épuisement. Pauline prit son enfant dans ses bras – pour la dernière fois – posa sur son front ses lèvres décolorées, sans dire un mot. Sa tête était un lieu vide, où tous les bruits résonnaient étrangement, et n'éveillaient pas d'écho.
Ce fut l'adieu…