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Kitabı oku: «Le Suicide: Etude de Sociologie», sayfa 26

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II

Mais auparavant, afin de mieux déterminer quel est le degré d'immoralité du suicide, recherchons quels rapports il soutient avec les autres actes immoraux, notamment avec les crimes et les délits.

D'après M. Lacassagne, il y aurait une relation régulièrement inverse entre le mouvement des suicides et celui des crimes contre la propriété (vols qualifiés, incendies, banqueroutes frauduleuses, etc.). Cette thèse a été soutenue en son nom par un de ses élèves, le docteur Chaussinand, dans sa Contribution à l'étude de la statistique criminelle[339]. Mais les preuves pour la démontrer font totalement défaut. D'après cet auteur, il suffirait de comparer les deux courbes pour constater qu'elles varient en sens contraire l'une de l'autre. En réalité, il est impossible d'apercevoir entre elles aucune espèce de rapport ni direct ni inverse. Sans doute, à partir de 1854, on voit les crimes-propriété diminuer tandis que les suicides augmentent. Mais cette baisse est, en partie, fictive; elle vient simplement de ce que, vers cette date, les tribunaux ont pris l'habitude de correctionnaliser certains crimes afin de les soustraire à la juridiction des cours d'assises, dont ils étaient jusqu'alors justiciables, pour les déférer aux tribunaux correctionnels. Un certain nombre de méfaits ont donc, à partir de ce moment, disparu de la colonne des crimes, mais c'est pour reparaître à celle des délits; et ce sont les crimes contre la propriété qui ont le plus bénéficié de cette jurisprudence qui est aujourd'hui consacrée. Si donc la statistique en accuse un moindre nombre, il est à craindre que cette diminution soit exclusivement due à un artifice de comptabilité.

Mais cette baisse fût-elle réelle, on n'en pourrait rien conclure; car si, à partir de 1854, les deux courbes vont en sens inverse, de 1826 à 1854 celle des crimes-propriété ou monte en même temps que celle des suicides, quoique moins vite, ou reste stationnaire. De 1831 à 1835, on comptait annuellement, en moyenne, 5.095 accusés; ce nombre s'élevait à 5.732 pendant la période suivante, il était encore de 4.918 en 1841-45, de 4.992 de 1846 à 1850, en baisse seulement de 2 % sur 1830. D'ailleurs, la configuration générale des deux courbes exclut toute idée de rapprochement. Celle des crimes-propriété est très accidentée; on la voit, d'une année à l'autre, faire de brusques sauts; son évolution, capricieuse en apparence, dépend évidemment d'une multitude de circonstances accidentelles. Au contraire, celle des suicides monte régulièrement d'un mouvement uniforme; il n'y a, sauf de rares exceptions, ni poussées brusques ni chutes soudaines. L'ascension est continue et progressive. Entre deux phénomènes dont le développement est aussi peu comparable il ne saurait exister de lien d'aucune sorte.

M. Lacassagne paraît, du reste, être resté isolé dans son opinion. Mais il n'en est pas de même d'une autre théorie d'après laquelle ce serait avec les crimes contre les personnes et, plus spécialement avec l'homicide, que le suicide serait en rapport. Elle compte de nombreux défenseurs et mérite un sérieux examen[340].

Dès 1833, Guerry faisait remarquer que les crimes contre les personnes sont deux fois plus nombreux dans les départements du Sud que dans ceux du Nord, alors que c'est l'inverse pour le suicide. Plus tard, Despine calcula que, dans les 14 départements où les crimes de sang sont le plus fréquents, il y avait 30 suicides seulement pour un million d'habitants, tandis qu'on en trouvait 82 dans 14 autres départements où ces mêmes crimes étaient beaucoup plus rares. Le même auteur ajoute que, dans la Seine, sur 100 accusations, on compte seulement 17 crimes-personnes et une moyenne de 427 suicides pour un million, tandis qu'en Corse la proportion des premiers est de 83 %, celle des seconds de 18 seulement pour un million d'habitants.

Cependant, ces remarques étaient restées isolées, quand l'école italienne de criminologie s'en empara. Ferri et Morselli, en particulier, en firent la base de toute une doctrine.

D'après eux, l'antagonisme du suicide et de l'homicide serait une loi absolument générale. Qu'il s'agisse de leur distribution géographique ou de leur évolution dans le temps, partout on les verrait se développer en sens inverse l'un de l'autre. Mais cet antagonisme, une fois admis, peut s'expliquer de deux manières. Ou bien l'homicide et le suicide forment deux courants contraires et tellement opposés que l'un ne peut gagner du terrain sans que l'autre en perde; ou bien ce sont deux canaux différents d'un seul et même courant alimenté par une même source et qui, par conséquent, ne peut pas se porter dans une direction sans se retirer de l'autre dans la même mesure. De ces deux explications, les criminologistes italiens adoptent la seconde. Ils voient dans le suicide et l'homicide deux manifestations d'un même état, deux effets d'une même cause qui s'exprimerait tantôt sous une forme et tantôt sous l'autre, sans pouvoir revêtir l'une et l'autre à la fois.

Ce qui les a déterminés à choisir cette interprétation, c'est que, suivant eux, l'inversion que présentent à certains égards ces deux phénomènes n'exclut pas tout parallélisme. S'il est des conditions en fonction desquelles ils varient inversement, il en est d'autres qui les affectent de la même manière. Ainsi, dit Morselli, la température a la même action sur tous les deux; ils arrivent à leur maximum au même moment de l'année, à l'approche de la saison chaude; tous deux sont plus fréquents chez l'homme que chez la femme; tous deux enfin, d'après Ferri, s'accroissent avec l'âge. C'est donc que, tout en s'opposant par certains côtés, ils sont en partie de même nature. Or, les facteurs, sous l'influence desquels ils réagissent semblablement, sont tous individuels; car ou ils consistent directement en certains états organiques (âge, sexe), ou ils appartiennent au milieu cosmique, qui ne peut agir sur l'individu moral que par l'intermédiaire de l'individu physique. Ce serait donc parleurs conditions individuelles que le suicide et l'homicide se confondraient. La constitution psychologique qui prédisposerait à l'un et à l'autre serait la même: les deux penchants ne feraient qu'un. Ferri et Morselli, à la suite de Lombroso, ont même essayé de définir ce tempérament. Il serait caractérisé par une déchéance de l'organisme qui mettrait l'homme dans des conditions défavorables pour soutenir la lutte. Le meurtrier et le suicidé seraient tous deux des dégénérés et des impuissants. Également incapables de jouer un rôle utile dans la société, ils seraient, par suite, destinés à être vaincus.

Seulement, cette prédisposition unique qui, par elle-même, n'incline pas dans un sens plutôt que dans l'autre, prendrait de préférence, selon la nature du milieu social, ou la forme de l'homicide ou celle du suicide; et ainsi se produiraient ces phénomènes de contraste qui, tout en étant réels, ne laisseraient pas de masquer une identité fondamentale. Là où les mœurs générales sont douces et pacifiques, où l'on a horreur de verser le sang humain, le vaincu se résignera, il confessera son impuissance, et, devançant les effets de la sélection naturelle, il se retirera de la lutte en se retirant de la vie. Là, au contraire, où la morale moyenne a un caractère plus rude, où l'existence humaine est moins respectée, il se révoltera, déclarera la guerre à la société, tuera au lieu de se tuer. En un mot, le meurtre de soi et le meurtre d'autrui sont deux actes violents. Mais tantôt la violence d'où ils dérivent, ne rencontrant pas de résistance dans le milieu social, s'y répand, et alors, elle devient homicide; tantôt, empêchée de se produire au dehors par la pression qu'exerce sur elle la conscience publique, elle remonte vers sa source, et c'est le sujet même d'où elle provient qui en est la victime.

Le suicide serait donc un homicide transformé et atténué. À ce titre, il apparaît presque comme bienfaisant; car, si ce n'est pas un bien, c'est, du moins, un moindre mal et qui nous en épargne un pire. Il semble même qu'on ne doive pas chercher à en contenir l'essor par des mesures prohibitives; car, du même coup, on lâcherait la bride à l'homicide. C'est une soupape de sûreté qu'il est utile de laisser ouverte. En définitive, le suicide aurait ce très grand avantage de nous débarrasser, sans intervention sociale et, par suite, le plus simplement et le plus économiquement possible, d'un certain nombre de sujets inutiles ou nuisibles. Ne vaut-il pas mieux les laisser s'éliminer d'eux-mêmes et en douceur que d'obliger la société à les rejeter violemment de son sein?

Cette thèse ingénieuse est-elle fondée? La question est double et chaque partie en doit être examinée à part. Les conditions psychologiques du crime et du suicide sont-elles identiques? Y a-t-il antagonisme entre les conditions sociales dont ils dépendent?

III

Trois faits ont été allégués pour établir l'unité psychologique des deux phénomènes.

Il y a d'abord l'influence semblable que le sexe exercerait sur le suicide et sur l'homicide. À parler exactement, cette influence du sexe est beaucoup plus un effet de causes sociales que de causes organiques. Ce n'est pas parce que la femme diffère physiologiquement de l'homme qu'elle se tue moins ou qu'elle tue moins; c'est qu'elle ne participe pas de la même manière à la vie collective. Mais de plus, il s'en faut que la femme ait le même éloignement pour ces deux formes de l'immoralité. On oublie, en effet, qu'il y a des meurtres dont elle a le monopole; ce sont les infanticides, les avortements et les empoisonnements. Toutes les fois que l'homicide est à sa portée, elle le commet aussi ou plus fréquemment que l'homme. D'après Oettingen[341], la moitié des meurtres domestiques lui serait imputable. Rien n'autorise donc à supposer qu'elle ait, en vertu de sa constitution congénitale, un plus grand respect pour la vie d'autrui; ce sont seulement les occasions qui lui manquent, parce qu'elle est moins fortement engagée dans la mêlée de la vie. Les causes qui poussent aux crimes de sang agissent moins sur elle que sur l'homme, parce qu'elle se tient davantage en dehors de leur sphère d'influence. C'est pour la même raison qu'elle est moins exposée aux morts accidentelles; sur 100 décès de ce genre, 20 seulement sont féminins.

D'ailleurs, même si l'on réunit sous une seule rubrique tous les homicides intentionnels, meurtres, assassinats, parricides, infanticides, empoisonnements, la part de la femme dans l'ensemble est encore très élevée. En France, sur 100 de ces crimes, il y en a 38 ou 39 qui sont commis par des femmes, et même 42 si l'on tient compte des avortements. La proportion est de 51 % en Allemagne, de 52 % en Autriche. Il est vrai qu'on laisse alors de côté les homicides involontaires; mais c'est seulement quand il est voulu que l'homicide est vraiment lui-même. D'autre part, les meurtres spéciaux à la femme, infanticides, avortements, meurtres domestiques, sont, par leur nature, difficiles à découvrir. Il s'en commet donc un grand nombre qui échappent à la justice et, par conséquent, à la statistique. Si l'on songe que, très vraisemblablement, la femme doit déjà profiter à l'instruction de la même indulgence dont elle bénéficie certainement au jugement, où elle est bien plus souvent acquittée que l'homme, on verra qu'en définitive l'aptitude à l'homicide ne doit pas être très différente dans les deux sexes. On sait, au contraire, combien est grande l'immunité de la femme contre le suicide.

L'influence de l'âge sur l'un et l'autre phénomène ne révèle pas de moindres différences. Suivant Ferri, l'homicide comme le suicide deviendrait plus fréquent à mesure que l'homme avance dans la vie. Il est vrai que Morselli a exprimé le sentiment contraire[342]. La vérité est qu'il n'y a ni inversion ni concordance. Tandis que le suicide croît régulièrement jusqu'à la vieillesse, le meurtre et l'assassinat arrivent à leur apogée dès la maturité, vers 30 ou 35 ans, pour décroître ensuite. C'est ce que montre le tableau XXXI. Il est impossible d'y apercevoir la moindre preuve ni d'une identité de nature ni d'un antagonisme entre le suicide et les crimes de sang.

Tableau XXXI

Évolution comparée des meurtres, des assassinats et des suicides aux différents âges, en France (1887).


Reste l'action de la température. Si l'on réunit ensemble tous les crimes contre les personnes, la courbe que l'on obtient ainsi semble confirmer la théorie de l'école italienne. Elle monte jusqu'en juin et descend régulièrement jusqu'en décembre, comme celle des suicides. Mais ce résultat vient simplement de ce que, sous cette expression commune de crimes contre la personne, on compte, outre les homicides, les attentais à la pudeur et les viols. Comme ces crimes ont leur maximum en juin et qu'ils sont beaucoup plus nombreux que les attentats contre la vie, ce sont eux qui donnent à la courbe sa configuration. Mais ils n'ont aucune parenté avec l'homicide; si donc on veut savoir comment ce dernier varie aux différents moments de l'année, il faut l'isoler des autres. Or, si l'on procède à cette opération et surtout si l'on prend soin de distinguer les unes des autres les différentes formes de la criminalité homicide, on ne découvre plus aucune trace du parallélisme annoncé (V. Tableau XXXII).

En effet, tandis que l'accroissement du suicide est continu et régulier de janvier à juin environ, ainsi que sa décroissance pendant l'autre partie de l'année, le meurtre, l'assassinat, l'infanticide oscillent d'un mois à l'autre de la manière la plus capricieuse. Non seulement la marche générale n'est pas la même, mais ni les maxima ni les minima ne coïncident. Les meurtres ont deux maxima, l'un en février et l'autre en août; les assassinats deux aussi, mais en partie différents, l'un en février et l'autre en novembre. Pour les infanticides, c'est en mai; pour les coups mortels, c'est en août et septembre. Si l'on calcule les variations, non plus mensuelles, mais saisonnières, les divergences ne sont pas moins marquées. L'automne compte à peu près autant de meurtres que l'été (1.968 au lieu de 1.974) et l'hiver en a plus que le printemps. Pour l'assassinat, c'est l'hiver qui tient la tête (2.621), l'automne suit (2.596), puis l'été (2.478) et enfin le printemps (2.287). Pour l'infanticide, c'est le printemps qui dépasse les autres saisons (2.111) et il est suivi de l'hiver (1.939). Pour les coups et blessures, l'été et l'automne sont au même niveau (2.854 pour l'un et 2.845 pour l'autre); puis vient le printemps (2.690) et, à peu de distance, l'hiver (2.653). Tout autre est, nous l'avons vu, la distribution du suicide.


Tableau XXXII

Variations mensuelles des différentes formes de la criminalité homicide[344] (1827-1870).


D'ailleurs, si le penchant au suicide n'était qu'un penchant au meurtre refoulé, on devrait voir les meurtriers et les assassins, une fois qu'ils sont arrêtés et que leurs instincts violents ne peuvent plus se manifester au dehors, en devenir eux-mêmes les victimes. La tendance homicide devrait donc, sous l'influence de l'emprisonnement, se transformer en tendance au suicide. Or, du témoignage de plusieurs observateurs, il résulte au contraire que les grands criminels se tuent rarement. Cazauvieilh a recueilli auprès des médecins de nos différents bagnes des renseignements sur l'intensité du suicide chez les forçats[345]. À Rochefort, en trente ans, on n'avait observé qu'un seul cas; aucun à Toulon, où la population était ordinairement de 3 à 4.000 individus (1818-1834). À Brest, les résultats étaient un peu différents; en dix-sept ans, sur une population moyenne d'environ 3.000 individus, il s'était commis 13 suicides, ce qui fait un taux annuel de 21 pour 100.000; quoique plus élevé que les précédents, ce chiffre n'a rien d'exagéré, puisqu'il se rapporte à une population principalement masculine et adulte. D'après le docteur Lisle, «sur 9.320 décès constatés dans les bagnes de 1816 à 1837 inclusivement, on n'a compté que 6 suicides[346]». D'une enquête faite par le docteur Ferrus il résulte qu'il y a eu seulement 30 suicides en sept ans dans les différentes maisons centrales, sur une population moyenne de 15.111 prisonniers. Mais la proportion a été encore plus faible dans les bagnes où l'on n'a constaté que 5 suicides de 1838 à 1845 sur une population moyenne de 7.041 individus[347]. Brierre de Boismont confirme ce dernier fait et il ajoute: «Les assassins de profession, les grands coupables ont plus rarement recours à ce moyen violent pour se soustraire à l'expiation pénale que les détenus d'une perversité moins profonde[348]». Le docteur Leroy remarque également que «les coquins de profession, les habitués des bagnes» attentent rarement à leurs jours[349].

Deux statistiques, citées l'une par Morselli[350] et l'autre par Lombroso[351], tendent, il est vrai, à établir que les détenus, en général, sont exceptionnellement enclins au suicide. Mais, comme ces documents ne distinguent pas les meurtriers et les assassins des autres criminels, on n'en saurait rien conclure relativement à la question qui nous occupe. Ils paraissent même plutôt confirmer les observations précédentes. En effet, ils prouvent que, par elle-même, la détention développe une très forte inclination au suicide. Même si l'on ne tient pas compte des individus qui se tuent aussitôt arrêtés et avant leur condamnation, il reste un nombre considérable de suicides qui ne peuvent être attribués qu'à l'influence exercée par la vie de la prison[352]. Mais alors, le meurtrier incarcéré devrait avoir pour la mort volontaire un penchant d'une extrême violence, si l'aggravation qui résulte déjà de son incarcération était encore renforcée par les prédispositions congénitales qu'on lui prête. Le fait qu'il est, à ce point de vue, plutôt au-dessous de la moyenne qu'au-dessus n'est donc guère favorable à l'hypothèse d'après laquelle il aurait, par la seule vertu de son tempérament, une affinité naturelle pour le suicide, toute prête à se manifester dès que les circonstances en favorisent le développement. D'ailleurs, nous n'entendons pas soutenir qu'il jouisse d'une véritable immunité; les renseignements dont nous disposons ne sont pas suffisants pour trancher la question. Il est possible que, dans certaines conditions, les grands criminels fassent assez bon marché de leur vie et y renoncent sans trop de peine. Mais, à tout le moins, le fait n'a-t-il pas la généralité et la nécessité qui sont logiquement impliquées dans la thèse italienne. C'est ce qu'il nous suffisait d'établir[353].

IV

Mais la seconde proposition de l'école reste à discuter. Étant donné que l'homicide et le suicide ne dérivent pas d'un même état psychologique, il nous faut rechercher s'il y a un réel antagonisme entre les conditions sociales dont ils dépendent.

La question est plus complexe que ne l'ont cru les auteurs italiens et plusieurs de leurs adversaires. Il est certain que, dans nombre de cas, la loi d'inversion ne se vérifie pas. Assez souvent, les deux phénomènes, au lieu de se repousser et de s'exclure, se développent parallèlement. Ainsi, en France, depuis le lendemain de la guerre de 1870, les meurtres ont manifesté une certaine tendance à croître. On en comptait, par année moyenne, 105 seulement pendant les années 1861-65; ils s'élevaient à 163 de 1871 à 1876 et les assassinats, pendant le même temps, passaient de 175 à 201. Or, au même moment, les suicides augmentaient dans des proportions considérables. Le même phénomène s'était produit pendant les années 1840-50. En Prusse, les suicides qui, de 1865 à 1870, n'avaient pas dépassé 3 658, atteignaient 4 459 en 1876, 5 042 en 1878, en augmentation de 36 %. Les meurtres et les assassinats suivaient la même marche; de 151 en 1869, ils passaient successivement à 166 en 1874, à 221 en 1875, à 253 en 1878, en augmentation de 67 %[354]. Même phénomène en Saxe. Avant 1870, les suicides oscillaient entre 600 et 700; une seule fois, en 1868, il y en eut 800. À partir de 1876, ils montent à 981, puis à 1 114, à 1 126, enfin, en 1880, ils étaient à 1 171[355]. Parallèlement, les attentats contre la vie d'autrui passaient de 637 en 1873 à 2 232 en 1878[356]. En Irlande, de 1865 à 1880, le suicide croît de 29 %, l'homicide croît aussi et presque dans la même mesure (23 %)[357].

En Belgique, de 1841 à 1885, les homicides sont passés de 47 à 139 et les suicides de 240 à 670; ce qui fait un accroissement de 195 % pour les premiers et de 178 % pour les seconds. Ces chiffres sont si peu conformes à la loi que Ferri en est réduit à mettre en doute l'exactitude de la statistique belge. Mais même en s'en tenant aux années les plus récentes et sur lesquelles les données sont le moins suspectes, on arrive au même résultat. De 1874 à 1885, l'augmentation est, pour les homicides de 51 % (139 cas au lieu de 92) et, pour les suicides de 79 % (670 cas au lieu de 374).

La distribution géographique des deux phénomènes donne lieu à des observations analogues. Les départements français où l'on compte le plus de suicides sont: la Seine, la Seine-et-Marne, la Seine-et-Oise, la Marne. Or, s'ils ne tiennent pas également la tête pour l'homicide, ils ne laissent pas d'occuper un rang assez élevé, la Seine est au 26e pour les meurtres et au 17e pour les assassinats, la Seine-et-Marne au 33e et au 14e, la Seine-et-Oise au 15e et au 24e, la Marne au 27e et au 21e. Le Var qui est le 10e pour les suicides, est le 5e pour les assassinats et le 6e pour les meurtres. Dans les Bouches-du-Rhône, où l'on se tue beaucoup, on tue également beaucoup; elles sont au 5e rang pour les meurtres et au 6e pour les assassinats[358]. Sur la carte du suicide, comme sur celle de l'homicide, l'Île-de-France est représentée par une tache sombre, ainsi que la bande formée par les départements méditerranéens, avec cette seule différence que la première région est d'une teinte moins foncée sur la carte de l'homicide que sur celle du suicide et que c'est l'inverse pour la seconde. De même, en Italie, Rome qui est le troisième district judiciaire pour les morts volontaires est encore le quatrième pour les homicides qualifiés. Enfin, nous avons vu que dans les sociétés inférieures, où la vie est peu respectée, les suicides sont souvent très nombreux.

Mais, si incontestables que soient ces faits et quelque intérêt qu'il y ait à ne pas les perdre de vue, il en est de contraires qui ne sont pas moins constants et qui sont même beaucoup plus nombreux. Si, dans certains cas, les deux phénomènes concordent, au moins partiellement, dans d'autres, ils sont manifestement en antagonisme:

1° Si, à de certains moments du siècle, ils progressent dans le même sens, les deux courbes, prises dans leur ensemble, là du moins où on peut les suivre pendant un temps assez long, contrastent très nettement. En France, de 1826 à 1880, le suicide croît régulièrement, ainsi que nous l'avons vu; l'homicide, au contraire, tend à décroître, quoique moins rapidement. En 1826-30, il y avait annuellement 279 accusés de meurtre en moyenne, il n'y en avait plus que 160 en 1876-80 et, dans l'intervalle, leur nombre était même tombé à 121 en 1861-65 et à 119 en 1856-60. À deux époques, vers 1845 et au lendemain de la guerre, il y a eu tendance au relèvement; mais si l'on fait abstraction de ces oscillations secondaires, le mouvement général de décroissance est évident. La diminution est de 43 %, d'autant plus sensible que la population s'est, en même temps, accrue de 16 %.

La régression est moins marquée pour les assassinats. Il y avait 258 accusés en 1826-30, il y en avait encore 239 en 1876-80. Le recul n'est sensible que si l'on tient compte de l'accroissement de la population. Cette différence dans l'évolution de l'assassinat n'a rien qui doive surprendre. C'est, en effet, un crime mixte qui a des caractères communs avec le meurtre, mais en a aussi de différents; il ressortit, en partie, à d'autres causes. Tantôt, ce n'est qu'un meurtre plus réfléchi et plus voulu, tantôt, ce n'est que l'accompagnement d'un crime contre la propriété. À ce dernier titre, il est placé sous la dépendance d'autres facteurs que l'homicide. Ce qui le détermine, ce n'est pas l'ensemble des tendances de toutes sortes qui poussent à l'effusion du sang, mais les mobiles très différents qui sont à la racine du vol. La dualité de ces deux crimes était déjà sensible dans le tableau de leurs variations mensuelles et saisonnières. L'assassinat atteint son point culminant en hiver et plus spécialement en novembre, tout comme les attentats contre les choses. Ce n'est donc pas à travers les variations par lesquelles il passe qu'on peut le mieux observer l'évolution du courant homicide; la courbe du meurtre en traduit mieux l'orientation générale.

Le même phénomène s'observe en Prusse. En 1834, il y avait 368 instructions ouvertes pour meurtres ou coups mortels, soit une pour 29.000 habitants; en 1851, il n'y en avait plus que 257, ou une pour 53.000 habitants. Le mouvement s'est continué ensuite, quoique avec un peu plus de lenteur. En 1852, il y avait encore une instruction pour 76.000 habitants; en 1873, une seulement pour 109.000[359]. En Italie, de 1875 à 1890, la diminution pour les homicides simples et qualifiés a été de 18 % (2.660 au lieu de 3.280) tandis que les suicides augmentaient de 80 %[360]. Là où l'homicide ne perd pas de terrain, il reste tout au moins stationnaire. En Angleterre, de 1860 à 1865, on en comptait annuellement 359 cas, il n'y en a plus que 329 en 1881-85; en Autriche, il y en avait 528 en 1866-70, il n'y en a plus que 510 en 1881-85[361], et il est probable que si, dans ces différents pays, on isolait l'homicide de l'assassinat, la régression serait plus marquée. Pendant le même temps, le suicide augmentait dans tous ces États.

M. Tarde a cependant entrepris de démontrer que cette diminution de l'homicide en France n'était qu'apparente[362]. Elle serait simplement due à ce qu'on a omis de joindre aux affaires jugées par les cours d'assises celles qui ont été classées sans suites par les parquets ou qui ont abouti à des ordonnances de non-lieu. D'après cet auteur, le nombre des meurtres qui restent ainsi impoursuivis et qui, pour cette raison, n'entrent pas en ligne de compte dans les totaux de la statistique judiciaire, n'aurait cessé de grandir; en les ajoutant aux crimes de même espèce qui ont été l'objet d'un jugement, on aurait une progression continue au lieu de la régression annoncée. Malheureusement, la preuve qu'il donne de cette assertion est due à un trop ingénieux arrangement des chiffres. Il se contente de comparer le nombre des meurtres et des assassinats qui n'ont pas été déférés aux cours d'assises pendant le lustre 1861-65 à celui des années 1876-80 et 1880-85, et de montrer que le second et surtout le troisième sont supérieurs au premier. Mais il se trouve que la période 1861-63 est, de tout le siècle, celle où il y a eu, et de beaucoup, le moins d'affaires ainsi arrêtées avant le jugement; le nombre en est exceptionnellement infime, nous ne savons pour quelles causes. Elle constituait donc un terme de comparaison aussi impropre que possible. Ce n'est pas, d'ailleurs, en comparant deux ou trois chiffres que l'on peut induire une loi. Si, au lieu de choisir ainsi son point de repère, M. Tarde avait observé pendant plus longtemps les variations qu'a subies le nombre de ces affaires, il fût arrivé à une tout autre conclusion. Voici, en effet, le résultat que donne ce travail.



Les chiffres ne varient pas d'une manière très régulière; mais, de 1835 à 1885, ils ont sensiblement décru, malgré le relèvement qui s'est produit vers 1876. La diminution est de 37 % pour les meurtres et de 24 % pour les assassinats. Il n'y a donc rien là qui permette de conclure à un accroissement de la criminalité correspondante[364].

2° S'il est des pays qui cumulent le suicide et l'homicide, c'est toujours en proportions inégales; jamais ces deux manifestations n'atteignent leur maximum d'intensité sur le même point. Même c'est une règle générale que, là où l'homicide est très développé, il confère une sorte d'immunité contre le suicide.

L'Espagne, l'Irlande et l'Italie sont les trois pays d'Europe où l'on se tue le moins; le premier compte 17 cas pour un million d'habitants, le second 21 et le troisième 37. Inversement, il n'en est pas où l'on tue autant. Ce sont les seules contrées où le nombre des meurtres dépasse celui des morts volontaires; l'Espagne a trois fois plus des uns que des autres (1.484 homicides en moyenne pendant les années 1883-89 et 514 suicides seulement), l'Irlande le double (225 d'un côté et 116 de l'autre), l'Italie une fois et demi autant (2.322 contre 1.437). Au contraire, la France et la Prusse sont très fécondes en suicides (160 et 260 cas pour un million); les homicides y sont dix fois moins nombreux: la France n'en compte que 734 cas et la Prusse 459, par année moyenne de la période 1882-88.

Les mêmes rapports s'observent à l'intérieur de chaque pays. En Italie, sur la carte des suicides, tout le Nord est foncé, tout le Sud absolument clair; c'est exactement l'inverse sur la carte des homicides. Si, d'ailleurs, on répartit les provinces italiennes en deux classes selon le taux des suicides et si l'on cherche quel est, dans chacune, le taux moyen des homicides, l'antagonisme apparaît de la manière la plus accusée:



La province où l'on tue le plus est la Calabre, 69 homicides qualifiés pour 1 million; il n'en est pas où le suicide soit aussi rare.

En France, les départements où l'on commet le plus de meurtres sont la Corse, les Pyrénées-Orientales, la Lozère et l'Ardèche. Or, sous le rapport des suicides, la Corse tombe du 1er rang au 85e, les Pyrénées-Orientales au 63e, la Lozère au 83e est enfin l'Ardèche au 68e[365].

En Autriche, c'est dans l'Autriche inférieure, en Bohême et en Moravie que le suicide est à son maximum, tandis qu'il est peu développé dans la Carniole et la Dalmatie. Au contraire, la Dalmatie compte 79 homicides pour un million d'habitants et la Carniole 57,4, tandis que l'Autriche inférieure, n'en a que 14, la Bohême 11 et la Moravie 15.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
615 s. 93 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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