Kitabı oku: «Le Suicide: Etude de Sociologie», sayfa 6
Bien des sujets ont, d'ailleurs, le sentiment qu'en faisant comme leurs parents, ils cèdent au prestige de l'exemple. C'est le cas d'une famille observée par Esquirol: «Le plus jeune (frère) âgé de 26 à 27 ans devient mélancolique et se précipite du toit de sa maison; un second frère, qui lui donnait des soins, se reproche sa mort, fait plusieurs tentatives de suicide et meurt un an après des suites d'une abstinence prolongée et répétée… Un quatrième frère, médecin, qui, deux ans avant, m'avait répété avec un désespoir effrayant qu'il n'échapperait pas à son sort, se tue[75]». Moreau cite le fait suivant. Un aliéné, dont le frère et l'oncle paternel s'étaient tués, était affecté de penchant au suicide. Un frère qui venait lui rendre visite à Charenton était désespéré des idées horribles qu'il en rapportait et ne pouvait se défendre de la conviction que lui aussi finirait par succomber[76]. Un malade vient faire à Brierre de Boismont la confession suivante: «Jusqu'à 53 ans, je me suis bien porté; je n'avais aucun chagrin, mon caractère était assez gai lorsque, il y a trois ans, j'ai commencé à avoir des idées noires… Depuis trois mois, elles ne me laissent plus de repos et, à chaque instant, je suis poussé à me donner la mort. Je ne vous cacherai pas que mon frère s'est tué à 60 ans; jamais je ne m'en étais préoccupé d'une manière sérieuse, mais en atteignant ma cinquante-sixième année, ce souvenir s'est présenté avec plus de vivacité à mon esprit et, maintenant, il est toujours présent.» Mais un des faits les plus probants est celui que rapporte Falret. Une jeune fille de 19 ans apprend «qu'un oncle du côté paternel s'était volontairement donné la mort. Cette nouvelle l'affligea beaucoup: elle avait ouï-dire que la folie était héréditaire, l'idée qu'elle pourrait un jour tomber dans ce triste état usurpa bientôt son attention… Elle était dans cette triste position lorsque son père mit volontairement un terme à son existence. Dès lors, (elle) se croit tout à fait vouée à une mort violente. Elle ne s'occupe plus que de sa fin prochaine et mille fois elle répète: «Je dois périr comme mon père et comme mon oncle! mon sang est donc corrompu!» Et elle commet une tentative. Or, l'homme qu'elle croyait être son père ne l'était réellement pas. Pour la débarrasser de ses craintes, sa mère lui avoue la vérité et lui ménage une entrevue avec son père véritable. La ressemblance physique était si grande que la malade vit tous ses doutes se dissiper à l'instant même. Dès lors, elle renonce à toute idée de suicide; sa gaieté revient progressivement et sa santé se rétablit[77].»
Ainsi, d'une part, les cas les plus favorables à l'hérédité du suicide ne suffisent pas à en démontrer l'existence, de l'autre, ils se prêtent sans peine à une autre explication. Mais il y a plus. Certains faits de statistique, dont l'importance semble avoir échappé aux psychologues, sont inconciliables avec l'hypothèse d'une transmission héréditaire proprement dite. Ce sont les suivants:
1° S'il existe un déterminisme organico-psychique, d'origine héréditaire, qui prédestine les hommes à se tuer, il doit sévir à peu près également sur les deux sexes. Car, comme le suicide n'a, par soi-même, rien de sexuel, il n'y a pas de raison pour que la génération grève les garçons plutôt que les filles. Or, en fait, nous savons que les suicides féminins sont en très petit nombre et ne représentent qu'une faible fraction des suicides masculins. Il n'en serait pas ainsi si l'hérédité avait la puissance qu'on lui attribue.
Dira-t-on que les femmes héritent, tout comme les hommes, du penchant au suicide, mais qu'il est neutralisé, la plupart du temps, par les conditions sociales qui sont propres au sexe féminin? Mais que faut-il penser d'une hérédité qui, dans la majeure partie des cas, reste latente, sinon qu'elle consiste en une bien vague virtualité dont rien n'établit l'existence?
2° Parlant de l'hérédité de la phtisie, M. Grancher s'exprime en ces termes: «Que l'on admette l'hérédité dans un cas de ce genre (il s'agit d'une phtisie déclarée chez un enfant de trois mois), tout nous y autorise… Il est déjà moins certain que la tuberculose date de la vie intra-utérine, quand elle éclate quinze ou vingt mois après la naissance, alors que rien ne pouvait faire soupçonner l'existence d'une tuberculose latente… Que dirons-nous maintenant des tuberculoses qui apparaissent quinze, vingt ou trente ans après la naissance? En supposant même qu'une lésion aurait existé au commencement de la vie, cette lésion au bout d'un temps si long, n'aurait-elle pas perdu sa virulence? Est-il naturel d'accuser de tout le mal ces microbes fossiles plutôt que les bacilles bien vivants… que le sujet est exposé à rencontrer sur son chemin[78]». En effet, pour avoir le droit de soutenir qu'une affection est héréditaire, à défaut de la preuve péremptoire qui consiste à en faire voir le germe dans le fœtus ou dans le nouveau-né, à tout le moins faudrait-il établir qu'elle se produit fréquemment chez les jeunes enfants. Voilà pourquoi on a fait de l'hérédité la cause fondamentale de cette folie spéciale qui se manifeste dès la première enfance et que l'on a appelée, pour cette raison, folie héréditaire. Koch a même montré que, dans les cas où la folie, sans être créée de toutes pièces par l'hérédité, ne laisse pas d'en subir l'influence, elle a une tendance beaucoup plus marquée à la précocité que là où il n'y a pas d'antécédents connus[79].
On cite, il est vrai, des caractères qui sont regardés comme héréditaires et qui, pourtant, ne se montrent qu'à un âge plus ou moins avancé: tels la barbe, les cornes, etc. Mais ce retard n'est explicable dans l'hypothèse de l'hérédité que s'ils dépendent d'un état organique qui ne peut lui-même se constituer qu'au cours de l'évolution individuelle; par exemple, pour tout ce qui concerne les fonctions sexuelles, l'hérédité ne peut évidemment produire d'effets ostensibles qu'à la puberté. Mais si la propriété transmise est possible à tout âge, elle devrait se manifester d'emblée. Par conséquent, plus elle met de temps à apparaître, plus aussi on doit admettre qu'elle ne tient de l'hérédité qu'une faible incitation à être. Or, on ne voit pas pourquoi la tendance au suicide serait solidaire de telle phase du développement organique plutôt que de telle autre. Si elle constitue un mécanisme défini, qui peut se transmettre tout organisé, il devrait donc entrer en jeu dès les premières années.
Mais, en fait, c'est le contraire qui se passe. Le suicide est extrêmement rare chez les enfants. En France, d'après Legoyt, sur 1 million d'enfants au-dessous de 16 ans, il y avait, pendant la période 1861-75, 4,3 suicides de garçons, 1,8 suicides de filles. En Italie, d'après Morselli, les chiffres sont encore plus faibles: ils ne s'élèvent pas au-dessus de 1,25 pour un sexe et de 0,33 pour l'autre (période 1866-75), et la proportion est sensiblement la même dans tous les pays. Les suicides les plus jeunes se commettent à cinq ans et ils sont tout à fait exceptionnels. Encore n'est-il pas prouvé que ces faits extraordinaires doivent être attribués à l'hérédité. Il ne faut pas oublier, en effet, que l'enfant, lui aussi, est placé sous l'action des causes sociales et qu'elles peuvent suffire à le déterminer au suicide. Ce qui démontre leur influence même dans ce cas, c'est que les suicides d'enfants varient selon le milieu social. Ils ne sont nulle part aussi nombreux que dans les grandes villes[80]. C'est que, nulle part aussi, la vie sociale ne commence aussitôt pour l'enfant, comme le prouve la précocité qui distingue le petit citadin. Initié plus tôt et plus complètement au mouvement de la civilisation, il en subit plus tôt et plus complètement les effets. C'est aussi ce qui fait que, dans les pays cultivés, le nombre des suicides infantiles s'accroît avec une déplorable régularité[81].
Il y a plus. Non seulement le suicide est très rare pendant l'enfance, mais c'est seulement avec la vieillesse qu'il arrive à son apogée et, dans l'intervalle, il croît régulièrement d'âge en âge.
TABLEAU IX[82]
Suicides aux différents âges (pour un million de sujets de chaque âge).
Avec quelques nuances, ces rapports sont les mêmes dans tous les pays. La Suède est la seule société où le maximum tombe entre 40 et 50 ans. Partout ailleurs, il ne se produit qu'à la dernière ou à l'avant-dernière période de la vie et, partout également, à de très légères exceptions près qui sont peut-être dues à des erreurs de recensement[83], l'accroissement jusqu'à cette limite extrême est continu. La décroissance que l'on observe au delà de 80 ans n'est pas absolument générale et, en tout cas, elle est très faible. Le contingent de cet âge est un peu au-dessous de celui que fournissent les septuagénaires, mais il reste supérieur aux autres ou, tout au moins, à la plupart des autres. Comment, dès lors, attribuer à l'hérédité une tendance qui n'apparaît que chez l'adulte et qui, à partir de ce moment, prend toujours plus de force à mesure que l'homme avance dans l'existence? Comment qualifier de congénitale une affection qui, nulle ou très faible pendant l'enfance, va de plus en plus en se développant et n'atteint son maximum d'intensité que chez les vieillards?
La loi de l'hérédité homochrone ne saurait être invoquée en l'espèce. Elle énonce, en effet, que, dans certaines circonstances, le caractère hérité apparaît chez les descendants à peu près au même âge que chez les parents. Mais ce n'est pas le cas du suicide qui, au delà de 10 ou de 15 ans, est de tous les âges sans distinction. Ce qu'il a de caractéristique, ce n'est pas qu'il se manifeste à un moment déterminé de la vie, c'est qu'il progresse sans interruption d'âge en âge. Cette progression ininterrompue démontre que la cause dont il dépend se développe elle-même à mesure que l'homme vieillit. Or l'hérédité ne remplit pas cette condition; car elle est, par définition, tout ce qu'elle doit et peut être dès que la fécondation est accomplie. Dira-t-on que le penchant au suicide existe à l'état latent dès la naissance, mais qu'il ne devient apparent que sous l'action d'autres forces dont l'apparition est tardive et le développement progressif? Mais c'est reconnaître que l'influence héréditaire se réduit tout au plus à une prédisposition très générale et indéterminée; car, si le concours d'un autre facteur lui est tellement indispensable qu'elle fait seulement sentir son action quand il est donné et dans la mesure où il est donné, c'est lui qui doit être regardé comme la cause véritable.
Enfin, la façon dont le suicide varie selon les âges prouve que, de toute manière, un état organico-psychique n'en saurait être la cause déterminante. Car tout ce qui tient à l'organisme, étant soumis au rythme de la vie, passe successivement par une phase de croissance, puis de stationnement et, enfin, de régression. Il n'y a pas de caractère biologique ou psychologique qui progresse sans terme; mais tous, après être arrivés à un moment d'apogée, entrent en décadence. Au contraire, le suicide ne parvient à son point culminant qu'aux dernières limites de la carrière humaine. Même le recul que l'on constate assez souvent vers 80 ans, outre qu'il est léger et n'est pas absolument général, n'est que relatif, puisque les nonagénaires se tuent encore autant ou plus que les sexagénaires, plus surtout que les hommes en pleine maturité. Ne reconnaît-on pas à ce signe que la cause qui fait varier le suicide ne saurait consister en une impulsion congénitale et immuable, mais dans l'action progressive de la vie sociale? De même qu'il apparaît plus ou moins tôt, selon l'âge auquel les hommes débutent dans la société, il croît à mesure qu'ils y sont plus complètement engagés.
Nous voici donc ramenés à la conclusion du chapitre précédent. Sans doute, le suicide n'est possible que si la constitution des individus ne s'y refuse pas. Mais l'état individuel qui lui est le plus favorable consiste, non en une tendance définie et automatique (sauf le cas des aliénés), mais en une aptitude générale et vague, susceptible de prendre des formes diverses selon les circonstances, qui permet le suicide, mais ne l'implique pas nécessairement et, par conséquent, n'en donne pas l'explication.
CHAPITRE III
Le suicide et les facteurs cosmiques[84].
Mais si, à elles seules, les prédispositions individuelles ne sont pas des causes déterminantes du suicide, elles ont peut-être plus d'action quand elles se combinent avec certains facteurs cosmiques. De même que le milieu matériel fait parfois éclore des maladies qui, sans lui, resteraient à l'état de germe, il pourrait se faire qu'il eût le pouvoir de faire passer à l'acte les aptitudes générales et purement virtuelles dont certains individus seraient naturellement doués pour le suicide. Dans ce cas, il n'y aurait pas lieu de voir dans le taux des suicides un phénomène social; dû au concours de certaines causes physiques et d'un état organico-psychique, il relèverait tout entier ou principalement de la psychologie morbide. Peut-être, il est vrai, aurait-on du mal à expliquer comment, dans ces conditions, il peut être si étroitement personnel à chaque groupe social: car, d'un pays à l'autre, le milieu cosmique ne diffère pas très sensiblement. Pourtant, un fait important ne laisserait pas d'être acquis: c'est qu'on pourrait rendre compte de certaines, tout au moins, des variations que présente ce phénomène, sans faire intervenir de causes sociales.
Parmi les facteurs de cette espèce, il en est deux seulement auxquels on a attribué une influence suicidogène; c'est le climat et la température saisonnière.
I
Voici comment les suicides se distribuent sur la carte d'Europe, selon les différents degrés de latitude:
C'est donc dans le sud et au nord de l'Europe que le suicide est minimum; c'est au centre qu'il est le plus développé: avec plus de précision, Morselli a pu dire que l'espace compris entre le 47e et le 57e degré de latitude, d'une part, et le 20e et le 40e degré de longitude, de l'autre, était le lieu de prédilection du suicide. Cette zone coïncide assez bien avec la région la plus tempérée de l'Europe. Faut-il voir dans cette coïncidence un effet des influences climatériques?
C'est la thèse qu'a soutenue Morselli, non toutefois sans quelque hésitation. On ne voit pas bien, en effet, quel rapport il peut y avoir entre le climat tempéré et la tendance au suicide; il faudrait donc que les faits fussent singulièrement concordants pour imposer une telle hypothèse. Or, bien loin qu'il y ait un rapport entre le suicide et tel ou tel climat, il est constant qu'il a fleuri sous tous les climats. Aujourd'hui, l'Italie en est relativement exempte; mais il y fut très fréquent au temps de l'Empire, alors que Rome était la capitale de l'Europe civilisée. De même, sous le ciel brûlant de l'Inde, il a été, à certaines époques, très développé[85].
La configuration même de cette zone montre bien que le climat n'est pas la cause des nombreux suicides qui s'y commettent. La tache qu'elle forme sur la carte n'est pas constituée par une seule bande, à peu près égale et homogène, qui comprendrait tous les pays soumis au même climat, mais par deux taches distinctes: l'une qui a pour centre l'Île-de-France et les départements circonvoisins, l'autre la Saxe et la Prusse. Elles coïncident donc, non avec une région climatérique nettement définie, mais avec les deux principaux foyers de la civilisation européenne. C'est, par conséquent dans la nature de cette civilisation, dans la manière dont elle se distribue entre les différents pays, et non dans les vertus mystérieuses du climat, qu'il faut aller chercher la cause qui fait l'inégal penchant des peuples pour le suicide.
On peut expliquer de même un autre fait que Guerry avait déjà signalé, que Morselli confirme par des observations nouvelles et qui, s'il n'est pas sans exceptions, est pourtant assez général. Dans les pays qui ne font pas partie de la zone centrale, les régions qui en sont le plus rapprochées, soit au Nord soit au Sud, sont aussi les plus éprouvées par le suicide. C'est ainsi qu'en Italie il est surtout développé au Nord, tandis qu'en Angleterre et en Belgique il l'est davantage au Midi. Mais on n'a aucune raison d'imputer ces faits à la proximité du climat tempéré. N'est-il pas plus naturel d'admettre que les idées, les sentiments, en un mot, les courants sociaux qui poussent avec tant de force au suicide les habitants de la France septentrionale et de l'Allemagne du Nord, se retrouvent dans les pays voisins qui vivent un peu de la même vie, mais avec une moindre intensité? Voici, d'ailleurs, qui montre combien est grande l'influence des causes sociales sur cette répartition du suicide. En Italie, jusqu'en 1870, ce sont les provinces du Nord qui comptaient le plus de suicides, le Centre venait ensuite et le Sud en troisième lieu. Mais peu à peu, la distance entre le Nord et le Centre a diminué et les rangs respectifs ont fini par être intervertis (Voir tableau X, ci-dessus). Le climat des différentes régions est cependant resté le même. Ce qu'il y a eu de changé, c'est que, par suite de la conquête de Rome en 1870, la capitale de l'Italie a été transportée au centre du pays. Le mouvement scientifique, artistique, économique s'est déplacé dans le même sens. Les suicides ont suivi.
Tableau X
Distribution régionale du suicide en Italie.
Il n'y a donc pas lieu d'insister davantage sur une hypothèse que rien ne prouve et que tant de faits infirment.
II
L'influence de la température saisonnière paraît mieux établie. Les faits peuvent être diversement interprétés, mais ils sont constants.
Si, au lieu de les observer, on essayait de prévoir par le raisonnement quelle doit être la saison la plus favorable au suicide, on croirait volontiers que c'est celle où le ciel est le plus sombre, où la température est la plus basse ou la plus humide. L'aspect désolé que prend alors la nature n'a-t-il pas pour effet de disposer à la rêverie, d'éveiller les passions tristes, de provoquer à la mélancolie? D'ailleurs, c'est aussi l'époque où la vie est le plus rude, parce qu'il nous faut une alimentation plus riche pour suppléer à l'insuffisance de la chaleur naturelle et qu'il est plus difficile de se la procurer. C'est déjà pour cette raison que Montesquieu considérait les pays brumeux et froids comme particulièrement favorables au développement du suicide et, pendant longtemps, cette opinion fit loi. En l'appliquant aux saisons, on en arriva à croire que c'est à l'automne que devait se trouver l'apogée du suicide. Quoique Esquirol eût déjà émis des doutes sur l'exactitude de cette théorie, Falret en acceptait encore le principe[86]. La statistique l'a aujourd'hui définitivement réfutée. Ce n'est ni en hiver, ni en automne que le suicide atteint son maximum;, mais pendant la belle saison, alors que la nature est le plus riante et la température le plus douce. L'homme quitte de préférence la vie au moment où elle est le plus facile. Si, en effet, on divise l'année en deux semestres, l'un qui comprend les six mois les plus chauds (de mars à août inclusivement), l'autre les six mois les plus froids, c'est toujours le premier qui compte le plus de suicides. Il n'est pas un pays qui fasse exception à cette loi. La proportion, à quelques unités près, est la même partout. Sur 1.000 suicides annuels, il y en a de 590 à 600 qui sont commis pendant la belle saison et 400 seulement pendant le reste de l'année.
Le rapport entre le suicide et les variations de la température peut même être déterminé avec plus de précision.
Si l'on convient d'appeler hiver le trimestre qui va de décembre à février inclus, printemps celui qui s'étend de mars à mai, été celui qui commence en juin pour finir en août, et automne les trois mois suivants, et si l'on classe ces quatre saisons suivant l'importance de leur mortalité-suicide, on trouve que presque partout l'été tient la première place. Morselli a pu comparer à ce point de vue 34 périodes différentes appartenant à 18 États européens, et il a constaté que dans 30 cas, c'est-à-dire 88 fois sur cent, le maximum des suicides tombait pendant la période estivale, trois fois seulement au printemps, une seule fois en automne. Cette dernière irrégularité que l'on a observée dans le seul grand-duché de Bade et à un seul moment de son histoire est sans valeur, car elle résulte d'un calcul qui porte sur une période de temps trop courte; d'ailleurs, elle ne s'est pas reproduite aux périodes ultérieures. Les trois autres exceptions ne sont guère plus significatives. Elles se rapportent à la Hollande, à l'Irlande, à la Suède. Pour ce qui est des deux premiers pays, les chiffres effectifs qui ont servi de base à l'établissement des moyennes saisonnières sont trop faibles pour qu'on en puisse rien conclure avec certitude; il n'y a que 387 cas pour la Hollande et 755 pour l'Irlande. Du reste, la statistique de ces deux peuples n'a pas toute l'autorité désirable. Enfin, pour la Suède, c'est seulement pendant la période 1835-51 que le fait a été constaté. Si donc on s'en tient aux États sur lesquels nous sommes authentiquement renseignés, on peut dire que la loi est absolue et universelle.
L'époque où a lieu le minimum n'est pas moins régulière: 30 fois sur 34, c'est-à-dire 88 fois sur cent, il arrive en hiver; les quatre autres fois en automne. Les quatre pays qui s'écartent de la règle sont l'Irlande et la Hollande (comme dans le cas précédent) le canton de Berne et la Norwège. Nous savons quelle est la portée des deux premières anomalies; la troisième en a moins encore, car elle n'a été observée que sur un ensemble de 97 suicides. En résumé 26 fois sur 34, soit 76 fois sur cent, les saisons se rangent dans l'ordre suivant: été, printemps, automne, hiver. Ce rapport est vrai sans aucune exception du Danemark, de la Belgique, de la France, de la Prusse, de la Saxe, de la Bavière, du Wurtemberg, de l'Autriche, de la Suisse, de l'Italie et de l'Espagne.
Non seulement les saisons se classent de la même manière, mais la part proportionnelle de chacune diffère à peine d'un pays à l'autre. Pour rendre cette invariabilité plus sensible, nous avons, dans le tableau XI (V. ci-dessous), exprimé le contingent de chaque saison dans les principaux États européens en fonction du total annuel ramené à mille. On voit que les mêmes séries de nombres reviennent presque identiquement dans chaque colonne.
Tableau XI
Part proportionnelle de chaque saison dans le total annuel des suicides de chaque pays.
De ces faits incontestables Ferri et Morselli ont conclu que la température avait sur la tendance au suicide une influence directe; que la chaleur, par l'action mécanique qu'elle exerce sur les fonctions cérébrales, entraînait l'homme à se tuer. Ferri a même essayé d'expliquer de quelle manière elle produisait cet effet. D'une part, dit-il, la chaleur augmente l'excitabilité du système nerveux; de l'autre, comme, avec la saison chaude, l'organisme n'a pas besoin de consommer autant de matériaux pour entretenir sa propre température au degré voulu, il en résulte une accumulation de forces disponibles qui tendent naturellement à trouver leur emploi. Pour cette double raison, il y a, pendant l'été, un surcroît d'activité, une pléthore de vie qui demande à se dépenser et ne peut guère se manifester que sous forme d'actes violents. Le suicide est une de ces manifestations, l'homicide en est une autre, et voilà pourquoi les morts volontaires se multiplient pendant cette saison en même temps que les crimes de sang. D'ailleurs, l'aliénation mentale, sous toutes ses formes, passe pour se développer à cette époque; il est donc naturel, a-t-on dit, que le suicide, par suite des rapports qu'il soutient avec la folie, évolue de la même manière.
Cette théorie, séduisante par sa simplicité, paraît, au premier abord, concorder avec les faits. Il semble même qu'elle n'en soit que l'expression immédiate. En réalité, elle est loin d'en rendre compte.