Kitabı oku: «Cyrano de Bergerac», sayfa 7
Scène XIV
Les mêmes, Roxane, Christian, le capucin, Ragueneau, laquais, la duègne.
DE GUICHE, à Roxane.
Vous !
(Reconnaissant Christian avec stupeur.)
Lui ?
(Saluant Roxane avec admiration.)
Vous êtes des plus fines !
(À Cyrano.)
Mes compliments, Monsieur l’inventeur des machines.
Votre récit eût fait s’arrêter au portail
Du paradis, un saint ! Notez-en le détail,
Car vraiment cela peut resservir dans un livre !
CYRANO, s’inclinant.
Monsieur, c’est un conseil que je m’engage à suivre.
LE CAPUCIN, montrant les amants à De Guiche et hochant avec satisfaction sa grande barbe blanche.
Un beau couple, mon fils, réuni là par vous !
DE GUICHE, le regardant d’un œil glacé.
Oui.
(À Roxane.)
Veuillez dire adieu, Madame, à votre époux.
ROXANE.
Comment ?
DE GUICHE, à Christian.
Le régiment déjà se met en route.
Joignez-le !
ROXANE.
Pour aller à la guerre ?
DE GUICHE.
Sans doute !
ROXANE.
Mais, Monsieur, les cadets n’y vont pas !
DE GUICHE.
Ils iront.
(Tirant le papier qu’il avait mis dans sa poche.)
Voici l’ordre.
(À Christian.)
Courez le porter, vous, baron.
ROXANE, se jetant dans les bras de Christian.
Christian !
DE GUICHE, ricanant, à Cyrano.
La nuit de noce est encore lointaine !
CYRANO, à part.
Dire qu’il croit me faire énormément de peine !
CHRISTIAN, à Roxane.
Oh ! tes lèvres encor !
CYRANO.
Allons, voyons, assez !
CHRISTIAN, continuant à embrasser Roxane.
C’est dur de la quitter… Tu ne sais pas…
CYRANO, cherchant à l’entraîner.
Je sais.
(On entend au loin des tambours qui battent une marche.)
DE GUICHE, qui est remonté au fond.
Le régiment qui part !
ROXANE, à Cyrano, en retenant Christian qu’il essaye toujours d’entraîner.
Oh !… je vous le confie !
Promettez-moi que rien ne va mettre sa vie
En danger !
CYRANO.
J’essaierai… mais ne peux cependant
Promettre…
ROXANE, même jeu.
Promettez qu’il sera très prudent !
CYRANO.
Oui, je tâcherai, mais…
ROXANE, même jeu.
Qu’à ce siège terrible
Il n’aura jamais froid !
CYRANO.
Je ferai mon possible.
Mais…
ROXANE, même jeu.
Qu’il sera fidèle !
CYRANO.
Eh oui ! sans doute, mais…
ROXANE, même jeu.
Qu’il m’écrira souvent !
CYRANO, s’arrêtant.
Ça, – je vous le promets !
RIDEAU.
Acte IV – Les Cadets de Gascogne
Le poste qu’occupe la compagnie de Carbon de Castel-Jaloux au siège d’Arras.
Au fond, talus traversant toute la scène. Au delà s’aperçoit un horizon de plaine : le pays couvert de travaux de siège. Les murs d’Arras et la silhouette de ses toits sur le ciel, très loin.
Tentes ; armes éparses ; tambours, etc. – Le jour va se lever. Jaune Orient. – Sentinelles espacées. Feux.
Roulés dans leurs manteaux, les Cadets de Gascogne dorment. Carbon de Castel-Jaloux et Le Bret veillent. Ils sont très pâles et très maigris. Christian dort, parmi les autres, dans sa cape, au premier plan, le visage éclairé par un feu. Silence.
Scène I
Christian, Carbon de Castel-Jaloux, Le Bret, les cadets, puis Cyrano.
LE BRET.
C’est affreux !
CARBON.
Oui. Plus rien.
LE BRET.
Mordious !
CARBON, lui faisant signe de parler plus bas.
Jure en sourdine !
Tu vas les réveiller.
(Aux cadets.)
Chut ! Dormez !
(À Le Bret.)
Qui dort dîne !
LE BRET.
Quand on a l’insomnie on trouve que c’est peu !
Quelle famine !
(On entend au loin quelques coups de feu.)
CARBON.
Ah ! maugrébis des coups de feu !…
Ils vont me réveiller mes enfants !
(Aux cadets qui lèvent la tête.)
Dormez !
(On se recouche. Nouveaux coups de feu plus rapprochés.)
UN CADET, s’agitant.
Diantre !
Encore ?
CARBON.
Ce n’est rien ! C’est Cyrano qui rentre !
(Les têtes qui s’étaient relevées se recouchent.)
UNE SENTINELLE, au dehors.
Ventrebieu ! qui va là ?
LA VOIX DE CYRANO.
Bergerac !
LA SENTINELLE, qui est sur le talus.
Ventrebieu !
Qui va là ?
CYRANO, paraissant sur la crête.
Bergerac, imbécile !
(Il descend. Le Bret va au-devant de lui, inquiet.)
LE BRET.
Ah ! grand Dieu !
CYRANO, lui faisant signe de ne réveiller personne.
Chut !
LE BRET.
Blessé ?
CYRANO.
Tu sais bien qu’ils ont pris l’habitude
De me manquer tous les matins !
LE BRET.
C’est un peu rude,
Pour porter une lettre, à chaque jour levant,
De risquer !
CYRANO, s’arrêtant devant Christian.
J’ai promis qu’il écrirait souvent !
(Il le regarde.)
Il dort. Il est pâli. Si la pauvre petite
Savait qu’il meurt de faim… Mais toujours beau !
LE BRET.
Va vite
Dormir !
CYRANO.
Ne grogne pas, Le Bret !… Sache ceci.
Pour traverser les rangs espagnols, j’ai choisi
Un endroit où je sais, chaque nuit, qu’ils sont ivres.
LE BRET.
Tu devrais bien un jour nous rapporter des vivres.
CYRANO.
Il faut être léger pour passer ! – Mais je sais
Qu’il y aura ce soir du nouveau. Les Français
Mangeront ou mourront, – si j’ai bien vu…
LE BRET.
Raconte !
CYRANO.
Non. Je ne suis pas sûr… vous verrez !…
CARBON.
Quelle honte,
Lorsqu’on est assiégeant, d’être affamé !
LE BRET.
Hélas !
Rien de plus compliqué que ce siège d’Arras.
Nous assiégeons Arras, – nous-mêmes, pris au piège,
Le cardinal infant d’Espagne nous assiège…
CYRANO.
Quelqu’un devrait venir l’assiéger à son tour.
LE BRET.
Je ne ris pas.
CYRANO.
Oh ! oh !
LE BRET.
Penser que chaque jour
Vous risquez une vie, ingrat, comme la vôtre,
Pour porter…
(Le voyant qui se dirige vers une tente.)
Où vas-tu ?
CYRANO.
J’en vais écrire une autre.
(Il soulève la toile et disparaît.)
Scène II
Les mêmes, moins Cyrano.
(Le jour s’est un peu levé. Lueurs roses. La ville d’Arras se dore à l’horizon. On entend un coup de canon immédiatement suivi d’une batterie de tambours, très au loin, vers la gauche. D’autres tambours battent plus près. Les batteries vont se répondant, et se rapprochant, éclatent presque en scène et s’éloignent vers la droite, parcourant le camp. Rumeurs de réveil. Voix lointaines d’officiers.)
CARBON, avec un soupir.
La diane !… Hélas !
(Les cadets s’agitent dans leurs manteaux, s’étirent.)
Sommeil succulent, tu prends fin !…
Je sais trop quel sera leur premier cri !
UN CADET, se mettant sur son séant.
J’ai faim !
UN AUTRE.
Je meurs !
TOUS.
Oh !
CARBON.
Levez-vous !
TROISIÈME CADET.
Plus un pas !
QUATRIÈME CADET.
Plus un geste !
LE PREMIER, se regardant dans un morceau de cuirasse.
Ma langue est jaune : l’air du temps est indigeste !
UN AUTRE.
Mon tortil de baron pour un peu de Chester !
UN AUTRE.
Moi, si l’on ne veut pas fournir à mon gaster
De quoi m’élaborer une pinte de chyle,
Je me retire sous ma tente, – comme Achille !
UN AUTRE.
Oui, du pain !
CARBON, allant à la tente où est entré Cyrano, à mi-voix.
Cyrano !
D’AUTRES.
Nous mourons !
CARBON, toujours à mi-voix, à la porte de la tente.
Au secours !
Toi qui sais si gaiement leur répliquer toujours,
Viens les ragaillardir !
DEUXIÈME CADET, se précipitant vers le premier qui mâchonne quelque chose.
Qu’est-ce que tu grignotes !
LE PREMIER.
De l’étoupe à canon que dans les bourguignotes
On fait frire en la graisse à graisser les moyeux.
Les environs d’Arras sont très peu giboyeux !
UN AUTRE, entrant.
Moi, je viens de chasser !
UN AUTRE, même jeu.
J’ai pêché, dans la Scarpe !
TOUS, debout, se ruant sur les deux nouveaux venus.
Quoi ? – Que rapportez-vous ? – Un faisan ? – Une carpe ? –
Vite, vite, montrez !
LE PÊCHEUR.
Un goujon !
LE CHASSEUR.
Un moineau !
TOUS, exaspérés.
Assez ! – Révoltons-nous !
CARBON.
Au secours, Cyrano !
(Il fait maintenant tout à fait jour.)
Scène III
Les mêmes, Cyrano.
CYRANO, sortant de sa tente, tranquille, une plume à l’oreille, un livre à la main.
Hein ?
(Silence. Au premier cadet.)
Pourquoi t’en vas-tu, toi, de ce pas qui traîne ?
LE CADET.
J’ai quelque chose, dans les talons, qui me gêne !…
CYRANO.
Et quoi donc ?
LE CADET.
L’estomac !
CYRANO.
Moi de même, pardi !
LE CADET.
Cela doit te gêner ?
CYRANO.
Non, cela me grandit.
DEUXIÈME CADET.
J’ai les dents longues !
CYRANO.
Tu n’en mordras que plus large.
UN TROISIÈME.
Mon ventre sonne creux !
CYRANO.
Nous y battrons la charge.
UN AUTRE.
Dans les oreilles, moi, j’ai des bourdonnements.
CYRANO.
Non, non ; ventre affamé, pas d’oreilles : tu mens !
UN AUTRE.
Oh ! manger quelque chose, – à l’huile !
CYRANO, le décoiffant et lui mettant son casque dans la main.
Ta salade.
UN AUTRE.
Qu’est-ce qu’on pourrait bien dévorer ?
CYRANO, lui jetant le livre qu’il tient à la main.
L’Iliade.
UN AUTRE.
Le ministre, à Paris, fait ses quatre repas !
CYRANO.
Il devrait t’envoyer du perdreau ?
LE MÊME.
Pourquoi pas ?
Et du vin !
CYRANO.
Richelieu, du bourgogne, if you please ?
LE MÊME.
Par quelque capucin !
CYRANO.
L’éminence qui grise ?
UN AUTRE.
J’ai des faims d’ogre !
CYRANO.
Eh ! bien !… tu croques le marmot !
LE PREMIER CADET, haussant les épaules.
Toujours le mot, la pointe !
CYRANO.
Oui, la pointe, le mot !
Et je voudrais mourir, un soir, sous un ciel rose,
En faisant un bon mot, pour une belle cause !
– Oh ! frappé par la seule arme noble qui soit,
Et par un ennemi qu’on sait digne de soi,
Sur un gazon de gloire et loin d’un lit de fièvres,
Tomber la pointe au cœur en même temps qu’aux lèvres !
CRIS DE TOUS.
J’ai faim !
CYRANO, se croisant les bras.
Ah çà ! mais vous ne pensez qu’à manger ?…
– Approche, Bertrandou le fifre, ancien berger ;
Du double étui de cuir tire l’un de tes fifres,
Souffle, et joue à ce tas de goinfres et de piffres
Ces vieux airs du pays, au doux rythme obsesseur,
Dont chaque note est comme une petite sœur,
Dans lesquels restent pris des sons de voix aimées,
Ces airs dont la lenteur est celle des fumées
Que le hameau natal exhale de ses toits,
Ces airs dont la musique a l’air d’être en patois !…
(Le vieux s’assied et prépare son fifre.)
Que la flûte, aujourd’hui, guerrière qui s’afflige,
Se souvienne un moment, pendant que sur sa tige
Tes doigts semblent danser un menuet d’oiseau,
Qu’avant d’être d’ébène, elle fut de roseau ;
Que sa chanson l’étonne, et qu’elle y reconnaisse
L’âme de sa rustique et paisible jeunesse !…
(Le vieux commence à jouer des airs languedociens.)
Écoutez, les Gascons… Ce n’est plus, sous ses doigts,
Le fifre aigu des camps, c’est la flûte des bois !
Ce n’est plus le sifflet du combat, sous ses lèvres,
C’est le lent galoubet de nos meneurs de chèvres !…
Écoutez… C’est le val, la lande, la forêt,
Le petit pâtre brun sous son rouge béret,
C’est la verte douceur des soirs sur la Dordogne,
Écoutez, les Gascons : c’est toute la Gascogne !
(Toutes les têtes se sont inclinées ; – tous les yeux rêvent ; – et des larmes sont furtivement essuyées, avec un revers de manche, un coin de manteau.)
CARBON, à Cyrano, bas.
Mais tu les fais pleurer !
CYRANO.
De nostalgie !… Un mal
Plus noble que la faim !… pas physique : moral !
J’aime que leur souffrance ait changé de viscère,
Et que ce soit leur cœur, maintenant, qui se serre !
CARBON.
Tu vas les affaiblir en les attendrissant !
CYRANO, qui a fait signe au tambour d’approcher.
Laisse donc ! Les héros qu’ils portent dans leur sang
Sont vite réveillés ! Il suffit…
(Il fait un geste. Le tambour roule.)
TOUS, se levant et se précipitant sur leurs armes.
Hein ?… Quoi ?… Qu’est-ce ?
CYRANO, souriant.
Tu vois, il a suffi d’un roulement de caisse !
Adieu, rêves, regrets, vieille province, amour…
Ce qui du fifre vient s’en va par le tambour !
UN CADET, qui regarde au fond.
Ah ! Ah ! Voici monsieur de Guiche !
TOUS LES CADETS, murmurant.
Hou…
CYRANO, souriant.
Murmure
Flatteur !
UN CADET.
Il nous ennuie !
UN AUTRE.
Avec, sur son armure,
Son grand col de dentelle, il vient faire le fier !
UN AUTRE.
Comme si l’on portait du linge sur du fer !
LE PREMIER.
C’est bon lorsque à son cou l’on a quelque furoncle !
LE DEUXIÈME.
Encore un courtisan !
UN AUTRE.
Le neveu de son oncle !
CARBON.
C’est un Gascon pourtant !
LE PREMIER.
Un faux !… Méfiez-vous !
Parce que, les Gascons… ils doivent être fous.
Rien de plus dangereux qu’un Gascon raisonnable.
LE BRET.
Il est pâle !
UN AUTRE.
Il a faim… autant qu’un pauvre diable !
Mais comme sa cuirasse a des clous de vermeil,
Sa crampe d’estomac étincelle au soleil !
CYRANO, vivement.
N’ayons pas l’air non plus de souffrir ! Vous, vos cartes,
Vos pipes et vos dés…
(Tous rapidement se mettent à jouer sur des tambours, sur des escabeaux et par terre, sur leurs manteaux, et ils allument de longues pipes de pétun.)
Et moi, je lis Descartes.
(Il se promène de long en large et lit dans un petit livre qu’il a tiré de sa poche. – Tableau. – De Guiche entre. Tout le monde a l’air absorbé et content. Il est très pâle. Il va vers Carbon.)
Scène IV
Les mêmes, de Guiche.
DE GUICHE, à Carbon.
Ah ! – Bonjour !
(Ils s’observent tous les deux. À part, avec satisfaction.)
Il est vert.
CARBON, de même.
Il n’a plus que les yeux.
DE GUICHE, regardant les cadets.
Voici donc les mauvaises têtes ?… Oui, messieurs,
Il me revient de tous côtés qu’on me brocarde
Chez vous, que les cadets, noblesse montagnarde,
Hobereaux béarnais, barons périgourdins,
N’ont pour leur colonel pas assez de dédains,
M’appellent intrigant, courtisan, – qu’il les gêne
De voir sur ma cuirasse un col en point de Gêne, –
Et qu’ils ne cessent pas de s’indigner entre eux
Qu’on puisse être Gascon et ne pas être gueux !
(Silence. On joue. On fume.)
Vous ferai-je punir par votre capitaine ?
Non.
CARBON.
D’ailleurs, je suis libre et n’inflige de peine…
DE GUICHE.
Ah ?
CARBON.
J’ai payé ma compagnie, elle est à moi.
Je n’obéis qu’aux ordres de guerre.
DE GUICHE.
Ah ?… Ma foi !
Cela suffit.
(S’adressant aux cadets.)
Je peux mépriser vos bravades.
On connaît ma façon d’aller aux mousquetades ;
Hier, à Bapaume, on vit la furie avec quoi
J’ai fait lâcher le pied au comte de Bucquoi ;
Ramenant sur ses gens les miens en avalanche,
J’ai chargé par trois fois !
CYRANO, sans lever le nez de son livre.
Et votre écharpe blanche ?
DE GUICHE, surpris et satisfait.
Vous savez ce détail ?… En effet, il advint,
Durant que je faisais ma caracole afin
De rassembler mes gens pour la troisième charge,
Qu’un remous de fuyards m’entraîna sur la marge
Des ennemis ; j’étais en danger qu’on me prît
Et qu’on m’arquebusât, quand j’eus le bon esprit
De dénouer et de laisser couler à terre
L’écharpe qui disait mon grade militaire ;
En sorte que je pus, sans attirer les yeux,
Quitter les Espagnols, et revenant sur eux,
Suivi de tous les miens réconfortés, les battre !
– Eh bien ! que dites-vous de ce trait ?
(Les cadets n’ont pas l’air d’écouter ; mais ici les cartes et les cornets à dés restent en l’air, la fumée des pipes demeure dans les joues : attente.)
CYRANO.
Qu’Henri quatre
N’eût jamais consenti, le nombre l’accablant,
À se diminuer de son panache blanc.
(Joie silencieuse. Les cartes s’abattent. Les dés tombent. La fumée s’échappe.)
DE GUICHE.
L’adresse a réussi, cependant !
(Même attente suspendant les jeux et les pipes.)
CYRANO.
C’est possible.
Mais on n’abdique pas l’honneur d’être une cible.
(Cartes, dés, fumées, s’abattent, tombent, s’envolent avec une satisfaction croissante.)
Si j’eusse été présent quand l’écharpe coula
– Nos courages, monsieur, diffèrent en cela –
Je l’aurais ramassée et me la serais mise.
DE GUICHE.
Oui, vantardise, encor, de gascon !
CYRANO.
Vantardise ?…
Prêtez-la moi. Je m’offre à monter, dès ce soir,
À l’assaut, le premier, avec elle en sautoir.
DE GUICHE.
Offre encor de gascon ! Vous savez que l’écharpe
Resta chez l’ennemi, sur les bords de la Scarpe,
En un lieu que depuis la mitraille cribla, –
Où nul ne peut aller la chercher !
CYRANO, tirant de sa poche l’écharpe blanche et la lui tendant.
La voilà.
(Silence. Les cadets étouffent leurs rires dans les cartes et dans les cornets à dés. De Guiche se retourne, les regarde : immédiatement ils reprennent leur gravité, leurs jeux ; l’un d’eux sifflote avec indifférence l’air montagnard joué par le fifre.)
DE GUICHE, prenant l’écharpe.
Merci. Je vais, avec ce bout d’étoffe claire,
Pouvoir faire un signal, – que j’hésitais à faire.
(Il va au talus, y grimpe, et agite plusieurs fois l’écharpe en l’air.)
TOUS.
Hein !
LA SENTINELLE, en haut du talus.
Cet homme, là-bas qui se sauve en courant !…
DE GUICHE, redescendant.
C’est un faux espion espagnol. Il nous rend
De grands services. Les renseignements qu’il porte
Aux ennemis sont ceux que je lui donne, en sorte
Que l’on peut influer sur leurs décisions.
CYRANO.
C’est un gredin !
DE GUICHE, se nouant nonchalamment son écharpe.
C’est très commode. Nous disions ?…
– Ah ! J’allais vous apprendre un fait. Cette nuit même,
Pour nous ravitailler tentant un coup suprême,
Le maréchal s’en fut vers Dourlens, sans tambours ;
Les vivandiers du Roi sont là ; par les labours
Il les joindra ; mais pour revenir sans encombre,
Il a pris avec lui des troupes en tel nombre
Que l’on aurait beau jeu, certe, en nous attaquant :
La moitié de l’armée est absente du camp !
CARBON.
Oui, si les Espagnols savaient, ce serait grave.
Mais ils ne savent pas ce départ ?
DE GUICHE.
Ils le savent.
Ils vont nous attaquer.
CARBON.
Ah !
DE GUICHE.
Mon faux espion
M’est venu prévenir de leur agression.
Il ajouta : « J’en peux déterminer la place ;
Sur quel point voulez-vous que l’attaque se fasse ?
Je dirai que de tous c’est le moins défendu,
Et l’effort portera sur lui. » – J’ai répondu.
« C’est bon. Sortez du camp. Suivez des yeux la ligne.
Ce sera sur le point d’où je vous ferai signe. »
CARBON, aux cadets.
Messieurs, préparez-vous !
(Tous se lèvent. Bruit d’épées et de ceinturons qu’on boucle.)
DE GUICHE.
C’est dans une heure.
PREMIER CADET.
Ah !… bien !…
(Ils se rasseyent tous. On reprend la partie interrompue.)
DE GUICHE, à Carbon.
Il faut gagner du temps. Le maréchal revient.
CARBON.
Et pour gagner du temps ?
DE GUICHE.
Vous aurez l’obligeance
De vous faire tuer.
CYRANO.
Ah ! voilà la vengeance ?
DE GUICHE.
Je ne prétendrai pas que si je vous aimais
Je vous eusse choisis vous et les vôtres, mais,
Comme à votre bravoure on n’en compare aucune,
C’est mon Roi que je sers en servant ma rancune.
CYRANO, saluant.
Souffrez que je vous sois, monsieur, reconnaissant.
DE GUICHE, saluant.
Je sais que vous aimez vous battre un contre cent.
Vous ne vous plaindrez pas de manquer de besogne.
(Il remonte, avec Carbon.)
CYRANO, aux cadets.
Eh bien donc ! nous allons au blason de Gascogne,
Qui porte six chevrons, messieurs, d’azur et d’or,
Joindre un chevron de sang qui lui manquait encor !
(De Guiche cause bas avec Carbon de Castel-Jaloux, au fond. On donne des ordres. La résistance se prépare. Cyrano va vers Christian qui est resté immobile, les bras croisés.)
CYRANO, lui mettant la main sur l’épaule.
Christian ?
CHRISTIAN, secouant la tête.
Roxane !
CYRANO.
Hélas !
CHRISTIAN.
Au moins, je voudrais mettre
Tout l’adieu de mon cœur dans une belle lettre !…
CYRANO.
Je me doutais que ce serait pour aujourd’hui.
(Il tire un billet de son pourpoint.)
Et j’ai fait tes adieux.
CHRISTIAN.
Montre !…
CYRANO.
Tu veux ?…
CHRISTIAN, lui prenant la lettre.
Mais oui !
(Il l’ouvre, lit et s’arrête.)
Tiens !…
CYRANO.
Quoi ?
CHRISTIAN.
Ce petit rond ?…
CYRANO, reprenant la lettre vivement, et regardant d’un air naïf.
Un rond ?…
CHRISTIAN.
C’est une larme !
CYRANO.
Oui… Poète, on se prend à son jeu, c’est le charme !…
Tu comprends… ce billet, – c’était très émouvant.
Je me suis fait pleurer moi-même en l’écrivant.
CHRISTIAN.
Pleurer ?…
CYRANO.
Oui… parce que… mourir n’est pas terrible.
Mais… ne plus la revoir jamais… voilà l’horrible !
Car enfin je ne la…
(Christian le regarde.)
nous ne la…
(Vivement.)
tu ne la…
CHRISTIAN, lui arrachant la lettre.
Donne-moi ce billet !
(On entend une rumeur, au loin, dans le camp.)
LA VOIX D’UNE SENTINELLE.
Ventrebieu, qui va là ?
(Coups de feu. Bruits de voix. Grelots.)
CARBON.
Qu’est-ce ?…
LA SENTINELLE, qui est sur le talus.
Un carrosse !
(On se précipite pour voir.)
CRIS.
Quoi ! Dans le camp ? – Il y entre !
– Il a l’air de venir de chez l’ennemi ! – Diantre !
Tirez ! – Non ! Le cocher a crié ! – Crié quoi ? –
Il a crié : Service du Roi !
(Tout le monde est sur le talus et regarde au dehors. Les grelots se rapprochent.)
DE GUICHE.
Hein ? Du Roi !…
(On redescend, on s’aligne.)
CARBON.
Chapeau bas, tous !
DE GUICHE, à la cantonade.
Du Roi ! – Rangez-vous, vile tourbe,
Pour qu’il puisse décrire avec pompe sa courbe !
(Le carrosse entre au grand trot. Il est couvert de boue et de poussière. Les rideaux sont tirés. Deux laquais derrière. Il s’arrête net.)
CARBON, criant.
Battez aux champs !
(Roulement de tambours. Tous les cadets se découvrent.)
DE GUICHE.
Baissez le marchepied !
(Deux hommes se précipitent. La portière s’ouvre.)
ROXANE, sautant du carrosse.
Bonjour !
(Le son d’une voix de femme relève d’un seul coup tout ce monde profondément incliné. – Stupeur.)
Scène V
Les mêmes, Roxane.
DE GUICHE.
Service du Roi ! Vous ?
ROXANE.
Mais du seul roi, l’Amour !
CYRANO.
Ah ! grand Dieu !
CHRISTIAN, s’élançant.
Vous ! Pourquoi ?
ROXANE.
C’était trop long, ce siège !
CHRISTIAN.
Pourquoi ?…
ROXANE.
Je te dirai !
CYRANO, qui, au son de sa voix, est resté cloué immobile, sans oser tourner les yeux vers elle.
Dieu ! La regarderai-je ?
DE GUICHE.
Vous ne pouvez rester ici !
ROXANE, gaiement.
Mais si ! mais si !
Voulez-vous m’avancer un tambour ?…
(Elle s’assied sur un tambour qu’on avance.)
Là, merci !
(Elle rit.)
On a tiré sur mon carrosse !
(Fièrement.)
Une patrouille !
– Il a l’air d’être fait avec une citrouille,
N’est-ce pas ? comme dans le conte, et les laquais
Avec des rats.
(Envoyant des lèvres un baiser à Christian.)
Bonjour !
(Les regardant tous.)
Vous n’avez pas l’air gais !
– Savez-vous que c’est loin, Arras ?
(Apercevant Cyrano.)
Cousin, charmée !
CYRANO, s’avançant.
Ah çà ! comment ?…
ROXANE.
Comment j’ai retrouvé l’armée ?
Oh ! mon Dieu, mon ami, mais c’est tout simple : j’ai
Marché tant que j’ai vu le pays ravagé.
Ah ! ces horreurs, il a fallu que je les visse
Pour y croire ! Messieurs, si c’est là le service
De votre Roi, le mien vaut mieux !
CYRANO.
Voyons, c’est fou !
Par où diable avez-vous bien pu passer ?
ROXANE.
Par où ?
Par chez les Espagnols.
PREMIER CADET.
Ah ! qu’Elles sont malignes !
DE GUICHE.
Comment avez-vous fait pour traverser leurs lignes ?
LE BRET.
Cela dut être très difficile !…
ROXANE.
Pas trop.
J’ai simplement passé dans mon carrosse, au trot.
Si quelque hidalgo montrait sa mine altière,
Je mettais mon plus beau sourire à la portière,
Et ces messieurs étant, n’en déplaise aux Français,
Les plus galantes gens du monde, – je passais !
CARBON.
Oui, c’est un passeport, certes, que ce sourire !
Mais on a fréquemment dû vous sommer de dire
Où vous alliez ainsi, madame ?
ROXANE.
Fréquemment.
Alors je répondais : « Je vais voir mon amant. »
– Aussitôt l’Espagnol à l’air le plus féroce
Refermait gravement la porte du carrosse,
D’un geste de la main à faire envie au Roi
Relevait les mousquets déjà braqués sur moi,
Et superbe de grâce, à la fois, et de morgue,
L’ergot tendu sous la dentelle en tuyau d’orgue,
Le feutre au vent pour que la plume palpitât,
S’inclinait en disant : « Passez, señorita ! »
CHRISTIAN.
Mais, Roxane…
ROXANE.
J’ai dit : mon amant, oui… pardonne !
Tu comprends, si j’avais dit : mon mari, personne
Ne m’eût laissé passer !
CHRISTIAN.
Mais…
ROXANE.
Qu’avez-vous ?
DE GUICHE.
Il faut
Vous en aller d’ici !
ROXANE.
Moi ?
CYRANO.
Bien vite !
LE BRET.
Au plus tôt !
CHRISTIAN.
Oui !
ROXANE.
Mais comment ?
CHRISTIAN, embarrassé.
C’est que…
CYRANO, de même.
Dans trois quarts d’heure…
DE GUICHE, de même.
… ou quatre…
CARBON, de même.
Il vaut mieux…
LE BRET, de même.
Vous pourriez…
ROXANE.
Je reste. On va se battre.
TOUS.
Oh ! non !
ROXANE.
C’est mon mari !
(Elle se jette dans les bras de Christian.)
Qu’on me tue avec toi !
CHRISTIAN.
Mais quels yeux vous avez !
ROXANE.
Je te dirai pourquoi !
DE GUICHE, désespéré.
C’est un poste terrible !
ROXANE, se retournant.
Hein ! terrible ?
CYRANO.
Et la preuve
C’est qu’il nous l’a donné !
ROXANE, à De Guiche.
Ah ! vous me vouliez veuve ?
DE GUICHE.
Oh ! je vous jure !…
ROXANE.
Non ! Je suis folle à présent !
Et je ne m’en vais plus ! – D’ailleurs, c’est amusant.
CYRANO.
Eh quoi ! la précieuse était une héroïne ?
ROXANE.
Monsieur de Bergerac, je suis votre cousine.
UN CADET.
Nous vous défendrons bien !
ROXANE, enfiévrée de plus en plus.
Je le crois, mes amis !
UN AUTRE, avec enivrement.
Tout le camp sent l’iris !
ROXANE.
Et j’ai justement mis
Un chapeau qui fera très bien dans la bataille !…
(Regardant de Guiche.)
Mais peut-être est-il temps que le comte s’en aille.
On pourrait commencer.
DE GUICHE.
Ah ! c’en est trop ! Je vais
Inspecter mes canons, et reviens… Vous avez
Le temps encor : changez d’avis !
ROXANE.
Jamais !
(De Guiche sort.)