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Kitabı oku: «Cyrano de Bergerac», sayfa 9

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Acte V – La Gazette de Cyrano

Quinze ans après, en 1655. Le parc du couvent que les Dames de la Croix occupaient à Paris.

Superbes ombrages. À gauche, la maison ; vaste perron sur lequel ouvrent plusieurs portes. Un arbre énorme au milieu de la scène, isolé au milieu d’une petite place ovale. À droite, premier plan, parmi de grands buis, un banc de pierre demi-circulaire.

Tout le fond du théâtre est traversé par une allée de marronniers qui aboutit à droite, quatrième plan, à la porte d’une chapelle entrevue parmi les branches. À travers le double rideau d’arbres de cette allée, on aperçoit des fuites de pelouses, d’autres allées, des bosquets, les profondeurs du parc, le ciel.

La chapelle ouvre une porte latérale sur une colonnade enguirlandée de vigne rougie, qui vient se perdre à droite, au premier plan, derrière les buis.

C’est l’automne. Toute la frondaison est rousse au-dessus des pelouses fraîches. Taches sombres des buis et des ifs restés verts. Une plaque de feuilles jaunes sous chaque arbre. Les feuilles jonchent toute la scène, craquent sous les pas dans les allées, couvrent à demi le perron et les bancs.

Entre le banc de droite et l’arbre, un grand métier à broder devant lequel une petite chaise a été apportée. Paniers pleins d’écheveaux et de pelotons. Tapisserie commencée.

Au lever du rideau, des sœurs vont et viennent dans le parc ; quelques-unes sont assises sur le banc autour d’une religieuse plus âgée. Des feuilles tombent.

Scène I

Mère Marguerite, sœur Marthe, sœur Claire, les Sœurs.

SŒUR MARTHE, à Mère Marguerite.

 
Sœur Claire a regardé deux fois comment allait
Sa cornette, devant la glace.
 

MÈRE MARGUERITE, à sœur Claire.

 
C’est très laid.
 

SŒUR CLAIRE.

 
Mais sœur Marthe a repris un pruneau de la tarte,
Ce matin : je l’ai vu.
 

MÈRE MARGUERITE, à sœur Marthe.

 
C’est très vilain, sœur Marthe.
 

SŒUR CLAIRE.

 
Un tout petit regard !
 

SŒUR MARTHE.

 
Un tout petit pruneau !
 

MÈRE MARGUERITE, sévèrement.

 
Je le dirai, ce soir, à monsieur Cyrano.
 

SŒUR CLAIRE, épouvantée.

 
Non ! il va se moquer !
 

SŒUR MARTHE.

 
Il dira que les nonnes
Sont très coquettes !
 

SŒUR CLAIRE.

 
Très gourmandes !
 

MÈRE MARGUERITE, souriant.

 
Et très bonnes.
 

SŒUR CLAIRE.

 
N’est-ce pas, Mère Marguerite de Jésus,
Qu’il vient, le samedi, depuis dix ans !
 

MÈRE MARGUERITE.

 
Et plus !
Depuis que sa cousine à nos béguins de toile
Mêla le deuil mondain de sa coiffe de voile,
Qui chez nous vint s’abattre, il y a quatorze ans,
Comme un grand oiseau noir parmi les oiseaux blancs !
 

SŒUR MARTHE.

 
Lui seul, depuis qu’elle a pris chambre dans ce cloître,
Sait distraire un chagrin qui ne veut pas décroître.
 

TOUTES LES SŒURS.

 
Il est si drôle ! – C’est amusant quand il vient !
– Il nous taquine ! – Il est gentil ! – Nous l’aimons bien !
– Nous fabriquons pour lui des pâtes d’angélique !
 

SŒUR MARTHE.

 
Mais enfin, ce n’est pas un très bon catholique !
 

SŒUR CLAIRE.

 
Nous le convertirons.
 

LES SŒURS.

 
Oui ! oui !
 

MÈRE MARGUERITE.

 
Je vous défends
De l’entreprendre encor sur ce point, mes enfants.
Ne le tourmentez pas : il viendrait moins peut-être !
 

SŒUR MARTHE.

 
Mais… Dieu !…
 

MÈRE MARGUERITE.

 
Rassurez-vous : Dieu doit bien le connaître.
 

SŒUR MARTHE.

 
Mais chaque samedi, quand il vient d’un air fier,
Il me dit en entrant : « Ma sœur, j’ai fait gras, hier ! »
 

MÈRE MARGUERITE.

 
Ah ! il vous dit cela ?… Eh bien ! la fois dernière
Il n’avait pas mangé depuis deux jours.
 

SŒUR MARTHE.

 
Ma Mère !
 

MÈRE MARGUERITE.

 
Il est pauvre.
 

SŒUR MARTHE.

 
Qui vous l’a dit ?
 

MÈRE MARGUERITE.

 
Monsieur Le Bret.
 

SŒUR MARTHE.

 
On ne le secourt pas ?
 

MÈRE MARGUERITE.

 
Non, il se fâcherait.
 

(Dans une allée du fond, on voit apparaître Roxane, vêtue de noir, avec la coiffe des veuves et de longs voiles ; de Guiche, magnifique et vieillissant, marche auprès d’elle. Ils vont à pas lents. Mère Marguerite se lève.)

 
– Allons, il faut rentrer… Madame Madeleine,
Avec un visiteur, dans le parc se promène.
 

SŒUR MARTHE, bas à sœur Claire.

 
C’est le duc-maréchal de Grammont ?
 

SŒUR CLAIRE, regardant.

 
Oui, je crois.
 

SŒUR MARTHE.

 
Il n’était plus venu la voir depuis des mois !
 

LES SŒURS.

 
Il est très pris ! – La cour ! – Les camps !
 

SŒUR CLAIRE.

 
Les soins du monde !
 

(Elles sortent. De Guiche et Roxane descendent en silence et s’arrêtent près du métier. Un temps.)

Scène II

Roxane, le duc de Grammont, ancien comte de Guiche, puis Le Bret et Ragueneau.

LE DUC.

 
Et vous demeurerez ici, vainement blonde,
Toujours en deuil ?
 

ROXANE.

 
Toujours.
 

LE DUC.

 
Aussi fidèle ?
 

ROXANE.

 
Aussi.
 

LE DUC, après un temps.

 
Vous m’avez pardonné ?
 

ROXANE, simplement, regardant la croix du couvent.

 
Puisque je suis ici.
 

(Nouveau silence.)

LE DUC.

 
Vraiment c’était un être ?…
 

ROXANE.

 
Il fallait le connaître !
 

LE DUC.

 
Ah ! Il fallait ?… Je l’ai trop peu connu, peut-être !
… Et son dernier billet, sur votre cœur, toujours ?
 

ROXANE.

 
Comme un doux scapulaire, il pend à ce velours.
 

LE DUC.

 
Même mort, vous l’aimez ?
 

ROXANE.

 
Quelquefois il me semble
Qu’il n’est mort qu’à demi, que nos cœurs sont ensemble,
Et que son amour flotte, autour de moi, vivant !
 

LE DUC, après un silence encore.

 
Est-ce que Cyrano vient vous voir ?
 

ROXANE.

 
Oui, souvent.
– Ce vieil ami, pour moi, remplace les gazettes.
Il vient ; c’est régulier ; sous cet arbre où vous êtes
On place son fauteuil, s’il fait beau ; je l’attends
En brodant ; l’heure sonne ; au dernier coup, j’entends
– Car je ne tourne plus même le front ! – sa canne
Descendre le perron ; il s’assied ; il ricane
De ma tapisserie éternelle ; il me fait
La chronique de la semaine, et…
 

(Le Bret paraît sur le perron.)

 
Tiens, Le Bret !
 

(Le Bret descend.)

 
Comment va notre ami ?
 

LE BRET.

 
Mal.
 

LE DUC.

 
Oh !
 

ROXANE, au duc.

 
Il exagère !
 

LE BRET.

 
Tout ce que j’ai prédit : l’abandon, la misère !…
Ses épîtres lui font des ennemis nouveaux !
Il attaque les faux nobles, les faux dévots,
Les faux braves, les plagiaires, – tout le monde.
 

ROXANE.

 
Mais son épée inspire une terreur profonde.
On ne viendra jamais à bout de lui.
 

LE DUC, hochant la tête.

 
Qui sait ?
 

LE BRET.

 
Ce que je crains, ce n’est pas les attaques, c’est
La solitude, la famine, c’est Décembre
Entrant à pas de loup dans son obscure chambre.
Voilà les spadassins qui plutôt le tueront !
– Il serre chaque jour, d’un cran, son ceinturon.
Son pauvre nez a pris des tons de vieil ivoire.
Il n’a plus qu’un petit habit de serge noire.
 

LE DUC.

 
Ah ! celui-là n’est pas parvenu ! – C’est égal,
Ne le plaignez pas trop.
 

LE BRET, avec un sourire amer.

 
Monsieur le maréchal !…
 

LE DUC.

 
Ne le plaignez pas trop : il a vécu sans pactes,
Libre dans sa pensée autant que dans ses actes.
 

LE BRET, de même.

 
Monsieur le duc !…
 

LE DUC, hautainement.

 
Je sais, oui : j’ai tout ; il n’a rien…
Mais je lui serrerais bien volontiers la main.
 

(Saluant Roxane.)

 
Adieu.
 

ROXANE.

Je vous conduis.

(Le duc salue Le Bret et se dirige avec Roxane vers le perron.)

LE DUC, s’arrêtant, tandis qu’elle monte.

 
Oui, parfois, je l’envie.
– Voyez-vous, lorsqu’on a trop réussi sa vie,
On sent, – n’ayant rien fait, mon Dieu, de vraiment mal ! –
Mille petits dégoûts de soi, dont le total
Ne fait pas un remords, mais une gêne obscure ;
Et les manteaux de duc traînent dans leur fourrure,
Pendant que des grandeurs on monte les degrés,
Un bruit d’illusions sèches et de regrets,
Comme, quand vous montez lentement vers ces portes,
Votre robe de deuil traîne des feuilles mortes.
 

ROXANE, ironique.

 
Vous voilà bien rêveur ?…
 

LE DUC.

 
Eh ! oui !
 

(Au moment de sortir, brusquement.)

 
Monsieur Le Bret !
 

(À Roxane.)

 
Vous permettez ? Un mot.
 

(Il va à Le Bret, et à mi-voix.)

 
C’est vrai : nul n’oserait
Attaquer votre ami ; mais beaucoup l’ont en haine ;
Et quelqu’un me disait, hier, au jeu, chez la Reine.
« Ce Cyrano pourrait mourir d’un accident. »
 

LE BRET.

 
Ah ?
 

LE DUC.

 
Oui. Qu’il sorte peu. Qu’il soit prudent.
 

LE BRET, levant les bras au ciel.

 
Prudent !
Il va venir. Je vais l’avertir. Oui, mais !…
 

ROXANE, qui est restée sur le perron, à une sœur qui s’avance vers elle.

 
Qu’est-ce ?
 

LA SŒUR.

 
Ragueneau veut vous voir, Madame.
 

ROXANE.

 
Qu’on le laisse
Entrer.
 

(Au duc et à Le Bret.)

 
Il vient crier misère. Étant un jour
Parti pour être auteur, il devint tour à tour
Chantre…
 

LE BRET.

 
Étuviste…
 

ROXANE.

 
Acteur…
 

LE BRET.

 
Bedeau…
 

ROXANE.

 
Perruquier…
 

LE BRET.

 
Maître
De théorbe…
 

ROXANE.

 
Aujourd’hui, que pourrait-il bien être ?
 

RAGUENEAU, entrant précipitamment.

 
Ah ! Madame !
 

(Il aperçoit Le Bret.)

 
Monsieur !
 

ROXANE, souriant.

 
Racontez vos malheurs
À Le Bret. Je reviens.
 

RAGUENEAU.

 
Mais, Madame…
 

(Roxane sort sans l’écouter, avec le duc. Il redescend vers Le Bret.)

Scène III

Le Bret, Ragueneau.

RAGUENEAU.

 
D’ailleurs,
Puisque vous êtes là, j’aime mieux qu’elle ignore !
– J’allais voir votre ami tantôt. J’étais encore
À vingt pas de chez lui… quand je le vois de loin,
Qui sort. Je veux le joindre. Il va tourner le coin
De la rue… et je cours… lorsque d’une fenêtre
Sous laquelle il passait – est-ce un hasard ?… peut-être ! –
Un laquais laisse choir une pièce de bois.
 

LE BRET.

 
Les lâches !… Cyrano !
 

RAGUENEAU.

 
J’arrive et je le vois…
 

LE BRET.

 
C’est affreux !
 

RAGUENEAU.

 
Notre ami, Monsieur, notre poète,
Je le vois, là, par terre, un grand trou dans la tête !
 

LE BRET.

 
Il est mort ?
 

RAGUENEAU.

 
Non ! mais… Dieu ! je l’ai porté chez lui.
Dans sa chambre… Ah ! sa chambre ! il faut voir ce réduit !
 

LE BRET.

 
Il souffre ?
 

RAGUENEAU.

 
Non, Monsieur, il est sans connaissance.
 

LE BRET.

 
Un médecin ?
 

RAGUENEAU.

 
Il en vint un par complaisance.
 

LE BRET.

 
Mon pauvre Cyrano ! – Ne disons pas cela
Tout d’un coup à Roxane ! – Et ce docteur ?
 

RAGUENEAU.

 
Il a
Parlé, – je ne sais plus, – de fièvre, de méninges !…
Ah ! si vous le voyiez – la tête dans des linges !…
Courons vite ! – Il n’y a personne à son chevet ! –
C’est qu’il pourrait mourir, Monsieur, s’il se levait !
 

LE BRET, l’entraînant vers la droite.

 
Passons par là ! Viens, c’est plus court ! Par la chapelle !
 

ROXANE, paraissant sur le perron et voyant Le Bret s’éloigner par la colonnade qui mène à la petite porte de la chapelle.

 
Monsieur Le Bret !
 

(Le Bret et Ragueneau se sauvent sans répondre.)

 
Le Bret s’en va quand on l’appelle ?
C’est quelque histoire encor de ce bon Ragueneau !
 

(Elle descend le perron.)

Scène IV

Roxane seule, puis deux Sœurs, un instant.

ROXANE.

 
Ah ! que ce dernier jour de septembre est donc beau !
Ma tristesse sourit. Elle qu’Avril offusque,
Se laisse décider par l’automne, moins brusque.
 

(Elle s’assied à son métier. Deux sœurs sortent de la maison et apportent un grand fauteuil sous l’arbre.)

 
Ah ! voici le fauteuil classique où vient s’asseoir
Mon vieil ami !
 

SŒUR MARTHE.

 
Mais c’est le meilleur du parloir !
 

ROXANE.

 
Merci, ma sœur.
 

(Les sœurs s’éloignent.)

 
Il va venir.
 

(Elle s’installe. On entend sonner l’heure.)

 
Là… l’heure sonne.
– Mes écheveaux ! – L’heure a sonné ? Ceci m’étonne !
Serait-il en retard pour la première fois ?
La sœur tourière doit – mon dé ?… là, je le vois ! –
L’exhorter à la pénitence.
 

(Un temps.)

 
Elle l’exhorte !
– Il ne peut plus tarder. – Tiens ! une feuille morte ! –
 

(Elle repousse du doigt la feuille tombée sur son métier.)

 
D’ailleurs, rien ne pourrait. – Mes ciseaux ?… dans mon sac ! –
L’empêcher de venir !
 

UNE SŒUR, paraissant sur le perron.

 
Monsieur de Bergerac.
 

Scène V

Roxane, Cyrano et, un moment, sœur Marthe.

ROXANE, sans se retourner.

 
Qu’est-ce que je disais ?…
 

(Et elle brode. Cyrano, très pâle, le feutre enfoncé sur les yeux, paraît. La sœur qui l’a introduit rentre. Il se met à descendre le perron lentement, avec un effort visible pour se tenir debout, et en s’appuyant sur sa canne. Roxane travaille à sa tapisserie.)

 
Ah ! ces teintes fanées…
Comment les rassortir ?
 

(À Cyrano, sur un ton d’amicale gronderie.)

 
Depuis quatorze années,
Pour la première fois, en retard !
 

CYRANO, qui est parvenu au fauteuil et s’est assis, d’une voix gaie contrastant avec son visage.

 
Oui, c’est fou !
J’enrage. Je fus mis en retard, vertuchou !…
 

ROXANE.

 
Par ?…
 

CYRANO.

 
Par une visite assez inopportune.
 

ROXANE, distraite, travaillant.

 
Ah ! oui ! quelque fâcheux ?
 

CYRANO.

 
Cousine, c’était une
Fâcheuse.
 

ROXANE.

 
Vous l’avez renvoyée ?
 

CYRANO.

 
Oui, j’ai dit.
Excusez-moi, mais c’est aujourd’hui samedi,
Jour où je dois me rendre en certaine demeure ;
Rien ne m’y fait manquer : repassez dans une heure !
 

ROXANE, légèrement.

 
Eh bien ! cette personne attendra pour vous voir.
Je ne vous laisse pas partir avant ce soir.
 

CYRANO, avec douceur.

 
Peut-être un peu plus tôt faudra-t-il que je parte.
 

(Il ferme les yeux et se tait un instant. Sœur Marthe traverse le parc de la chapelle au perron. Roxane l’aperçoit, lui fait un petit signe de tête.)

ROXANE, à Cyrano.

 
Vous ne taquinez pas sœur Marthe ?
 

CYRANO, vivement, ouvrant les yeux.

 
Si !
 

(Avec une grosse voix comique.)

 
Sœur Marthe !
Approchez !
 

(La sœur glisse vers lui.)

 
Ha ! ha ! ha ! Beaux yeux toujours baissés !
 

SŒUR MARTHE, levant les yeux en souriant.

 
Mais…
 

(Elle voit sa figure et fait un geste d’étonnement.)

 
Oh !
 

CYRANO, bas, lui montrant Roxane.

 
Chut ! Ce n’est rien ! –
 

(D’une voix fanfaronne. Haut.)

 
Hier, j’ai fait gras.
 

SŒUR MARTHE.

 
Je sais.
 

(À part.)

 
C’est pour cela qu’il est si pâle !
 

(Vite et bas.)

 
Au réfectoire
Vous viendrez tout à l’heure, et je vous ferai boire
Un grand bol de bouillon… Vous viendrez ?
 

CYRANO.

 
Oui, oui, oui.
 

SŒUR MARTHE.

 
Ah ! vous êtes un peu raisonnable, aujourd’hui !
 

ROXANE, qui les entend chuchoter.

 
Elle essaye de vous convertir ?
 

SŒUR MARTHE.

 
Je m’en garde !
 

CYRANO.

 
Tiens, c’est vrai ! Vous toujours si saintement bavarde,
Vous ne me prêchez pas ? c’est étonnant, ceci !…
 

(Avec une fureur bouffonne.)

 
Sabre de bois ! Je veux vous étonner aussi !
Tenez, je vous permets…
 

(Il a l’air de chercher une bonne taquinerie, et de la trouver.)

 
Ah ! la chose est nouvelle ?…
De… de prier pour moi, ce soir, à la chapelle.
 

ROXANE.

 
Oh ! oh !
 

CYRANO, riant.

 
Sœur Marthe est dans la stupéfaction !
 

SŒUR MARTHE, doucement.

 
Je n’ai pas attendu votre permission.
 

(Elle rentre.)

CYRANO, revenant à Roxane, penchée sur son métier.

 
Du diable si je peux jamais, tapisserie,
Voir ta fin !
 

ROXANE.

 
J’attendais cette plaisanterie.
 

(À ce moment, un peu de brise fait tomber les feuilles.)

CYRANO.

 
Les feuilles !
 

ROXANE, levant la tête, et regardant au loin, dans les allées.

 
Elles sont d’un blond vénitien.
Regardez-les tomber.
 

CYRANO.

 
Comme elles tombent bien !
Dans ce trajet si court de la branche à la terre,
Comme elles savent mettre une beauté dernière,
Et malgré leur terreur de pourrir sur le sol,
Veulent que cette chute ait la grâce d’un vol !
 

ROXANE.

 
Mélancolique, vous ?
 

CYRANO, se reprenant.

 
Mais pas du tout, Roxane !
 

ROXANE.

 
Allons, laissez tomber les feuilles de platane…
Et racontez un peu ce qu’il y a de neuf.
Ma gazette ?
 

CYRANO.

 
Voici !
 

ROXANE.

 
Ah !
 

CYRANO, de plus en plus pâle, et luttant contre la douleur.

 
Samedi, dix-neuf.
Ayant mangé huit fois du raisiné de Cette,
Le Roi fut pris de fièvre ; à deux coups de lancette
Son mal fut condamné pour lèse-majesté,
Et cet auguste pouls n’a plus fébricité !
Au grand bal, chez la reine, on a brûlé, dimanche,
Sept cent soixante-trois flambeaux de cire blanche ;
Nos troupes ont battu, dit-on, Jean l’Autrichien ;
On a pendu quatre sorciers ; le petit chien
De madame d’Athis a dû prendre un clystère…
 

ROXANE.

 
Monsieur de Bergerac, voulez-vous bien vous taire !
 

CYRANO.

 
Lundi… rien. Lygdamire a changé d’amant.
 

ROXANE.

 
Oh !
 

CYRANO, dont le visage s’altère de plus en plus.

 
Mardi, toute la cour est à Fontainebleau.
Mercredi, la Montglat dit au comte de Fiesque.
Non ! Jeudi : Mancini, reine de France, – ou presque !
Le vingt-cinq, la Montglat à de Fiesque dit : Oui ;
Et samedi, vingt-six…
 

(Il ferme les yeux. Sa tête tombe. Silence.)

ROXANE, surprise de ne plus rien entendre, se retourne, le regarde, et se levant effrayée.

 
Il est évanoui ?
 

(Elle court vers lui en criant.)

 
Cyrano !
 

CYRANO, rouvrant les yeux, d’une voix vague.

 
Qu’est-ce ?… Quoi ?…
 

(Il voit Roxane penchée sur lui et, vivement, assurant son chapeau sur sa tête et reculant avec effroi dans son fauteuil.)

 
Non ! non ! je vous assure,
Ce n’est rien. Laissez-moi !
 

ROXANE.

 
Pourtant…
 

CYRANO.

 
C’est ma blessure
D’Arras… qui… quelquefois… vous savez…
 

ROXANE.

 
Pauvre ami !
 

CYRANO.

 
Mais ce n’est rien. Cela va finir.
 

(Il sourit avec effort.)

 
C’est fini.
 

ROXANE, debout près de lui.

 
Chacun de nous a sa blessure : j’ai la mienne.
Toujours vive, elle est là, cette blessure ancienne,
 

(Elle met la main sur sa poitrine.)

 
Elle est là, sous la lettre au papier jaunissant
 
 
Où l’on peut voir encor des larmes et du sang !
 

(Le crépuscule commence à venir.)

CYRANO.

 
Sa lettre !… N’aviez-vous pas dit qu’un jour, peut-être,
Vous me la feriez lire ?
 

ROXANE.

 
Ah ! vous voulez ?… Sa lettre ?
 

CYRANO.

 
Oui… Je veux… Aujourd’hui…
 

ROXANE, lui donnant le sachet pendu à son cou.

 
Tenez !
 

CYRANO, le prenant.

 
Je peux ouvrir ?
 

ROXANE.

 
Ouvrez… lisez !…
 

(Elle revient à son métier, le replie, range ses laines.)

CYRANO, lisant.

« Roxane, adieu, je vais mourir !… »

ROXANE, s’arrêtant, étonnée.

 
Tout haut ?
 

CYRANO, lisant.

 
« C’est pour ce soir, je crois, ma bien-aimée !
« J’ai l’âme lourde encor d’amour inexprimée,
« Et je meurs ! jamais plus, jamais mes yeux grisés,
« Mes regards dont c’était… »
 

ROXANE.

 
Comme vous la lisez,
Sa lettre !
 

CYRANO, continuant.

 
« … dont c’était les frémissantes fêtes,
« Ne baiseront au vol les gestes que vous faites ;
« J’en revois un petit qui vous est familier
« Pour toucher votre front, et je voudrais crier… »
 

ROXANE, troublée.

 
Comme vous la lisez, – cette lettre !
 

(La nuit vient insensiblement.)

CYRANO.

 
« Et je crie.
« Adieu !… »
 

ROXANE.

 
Vous la lisez…
 

CYRANO.

 
« Ma chère, ma chérie,
« Mon trésor… »
 

ROXANE, rêveuse.

 
D’une voix…
 

CYRANO.

 
« Mon amour !… »
 

ROXANE.

 
D’une voix…
 

(Elle tressaille.)

 
Mais… que je n’entends pas pour la première fois !
 

(Elle s’approche tout doucement, sans qu’il s’en aperçoive, passe derrière le fauteuil, se penche sans bruit, regarde la lettre. – L’ombre augmente.)

CYRANO.

 
« Mon cœur ne vous quitta jamais une seconde,
« Et je suis et serai jusque dans l’autre monde
« Celui qui vous aima sans mesure, celui… »
 

ROXANE, lui posant la main sur l’épaule.

 
Comment pouvez-vous lire à présent ? Il fait nuit.
 

(Il tressaille, se retourne, la voit là tout près, fait un geste d’effroi, baisse la tête. Un long silence. Puis, dans l’ombre complètement venue, elle dit avec lenteur, joignant les mains.)

 
Et pendant quatorze ans, il a joué ce rôle
D’être le vieil ami qui vient pour être drôle !
 

CYRANO.

 
Roxane !
 

ROXANE.

 
C’était vous.
 

CYRANO.

 
Non, non, Roxane, non !
 

ROXANE.

 
J’aurais dû deviner quand il disait mon nom !
 

CYRANO.

 
Non ! ce n’était pas moi !
 

ROXANE.

 
C’était vous !
 

CYRANO.

 
Je vous jure…
 

ROXANE.

 
J’aperçois toute la généreuse imposture.
Les lettres, c’était vous…
 

CYRANO.

 
Non !
 

ROXANE.

 
Les mots chers et fous,
C’était vous…
 

CYRANO.

 
Non !
 

ROXANE.

 
La voix dans la nuit, c’était vous !
 

CYRANO.

 
Je vous jure que non !
 

ROXANE.

 
L’âme, c’était la vôtre !
 

CYRANO.

 
Je ne vous aimais pas.
 

ROXANE.

 
Vous m’aimiez !
 

CYRANO, se débattant.

 
C’était l’autre !
 

ROXANE.

 
Vous m’aimiez !
 

CYRANO, d’une voix qui faiblit.

 
Non !
 

ROXANE.

 
Déjà vous le dites plus bas !
 

CYRANO.

 
Non, non, mon cher amour, je ne vous aimais pas !
 

ROXANE.

 
Ah ! que de choses qui sont mortes… qui sont nées !
– Pourquoi vous être tu pendant quatorze années,
Puisque sur cette lettre où, lui, n’était pour rien,
Ces pleurs étaient de vous ?
 

CYRANO, lui tendant la lettre.

 
Ce sang était le sien.
 

ROXANE.

 
Alors pourquoi laisser ce sublime silence
Se briser aujourd’hui ?
 

CYRANO.

 
Pourquoi ?…
 

(Le Bret et Ragueneau entrent en courant.)

Scène VI

Les mêmes, Le Bret et Ragueneau.

LE BRET.

 
Quelle imprudence !
Ah ! j’en étais bien sûr ! il est là !
 

CYRANO, souriant et se redressant.

 
Tiens, parbleu !
 

LE BRET.

 
Il s’est tué, Madame, en se levant !
 

ROXANE.

 
Grand Dieu !
Mais tout à l’heure alors… cette faiblesse ?… cette ?…
 

CYRANO.

 
C’est vrai ! je n’avais pas terminé ma gazette.
… Et samedi, vingt-six, une heure avant dîné,
Monsieur de Bergerac est mort assassiné.
 

(Il se découvre ; on voit sa tête entourée de linges.)

ROXANE.

 
Que dit-il ? – Cyrano ! – Sa tête enveloppée !…
Ah ! que vous a-t-on fait ? Pourquoi ?
 

CYRANO.

 
« D’un coup d’épée,
Frappé par un héros, tomber la pointe au cœur ! »…
– Oui, je disais cela !… Le destin est railleur !…
Et voilà que je suis tué dans une embûche,
Par derrière, par un laquais, d’un coup de bûche !
C’est très bien. J’aurai tout manqué, même ma mort.
 

RAGUENEAU.

 
Ah ! Monsieur !…
 

CYRANO.

 
Ragueneau, ne pleure pas si fort !…
 

(Il lui tend la main.)

 
Qu’est-ce que tu deviens, maintenant, mon confrère ?
 

RAGUENEAU, à travers ses larmes.

 
Je suis moucheur de… de… chandelles, chez Molière.
 

CYRANO.

 
Molière !
 

RAGUENEAU.

 
Mais je veux le quitter, dès demain ;
Oui, je suis indigné !… Hier, on jouait Scapin,
Et j’ai vu qu’il vous a pris une scène !
 

LE BRET.

 
Entière !
 

RAGUENEAU.

 
Oui, Monsieur, le fameux : « Que Diable allait-il faire ?… »
 

LE BRET, furieux.

 
Molière te l’a pris !
 

CYRANO.

 
Chut ! chut ! Il a bien fait !…
 

(À Ragueneau.)

 
La scène, n’est-ce pas, produit beaucoup d’effet ?
 

RAGUENEAU, sanglotant.

 
Ah ! Monsieur, on riait ! on riait !
 

CYRANO.

 
Oui, ma vie
Ce fut d’être celui qui souffle – et qu’on oublie !
 

(À Roxane.)

 
Vous souvient-il du soir où Christian vous parla
Sous le balcon ? Eh bien ! toute ma vie est là.
Pendant que je restais en bas, dans l’ombre noire,
D’autres montaient cueillir le baiser de la gloire !
C’est justice, et j’approuve au seuil de mon tombeau.
Molière a du génie et Christian était beau !
 

(À ce moment, la cloche de la chapelle ayant tinté, on voit tout au fond, dans l’allée, les religieuses se rendant à l’office.)

 
Qu’elles aillent prier puisque leur cloche sonne !
 

ROXANE, se relevant pour appeler.

 
Ma sœur ! ma sœur !
 

CYRANO, la retenant.

 
Non ! non ! n’allez chercher personne :
Quand vous reviendriez, je ne serais plus là.
 

(Les religieuses sont entrées dans la chapelle, on entend l’orgue.)

 
Il me manquait un peu d’harmonie… en voilà.
 

ROXANE.

 
Je vous aime, vivez !
 

CYRANO.

 
Non ! car c’est dans le conte
Que lorsqu’on dit : Je t’aime ! au prince plein de honte,
Il sent sa laideur fondre à ces mots de soleil…
Mais tu t’apercevrais que je reste pareil.
 

ROXANE.

 
J’ai fait votre malheur ! moi ! moi !
 

CYRANO.

 
Vous ?… au contraire !
J’ignorais la douceur féminine. Ma mère
Ne m’a pas trouvé beau. Je n’ai pas eu de sœur.
Plus tard, j’ai redouté l’amante à l’œil moqueur.
Je vous dois d’avoir eu, tout au moins, une amie.
Grâce à vous une robe a passé dans ma vie.
 

LE BRET, lui montrant le clair de lune qui descend à travers les branches.

 
Ton autre amie est là, qui vient te voir !
 

CYRANO, souriant à la lune.

 
Je vois.
 

ROXANE.

 
Je n’aimais qu’un seul être et je le perds deux fois !
 

CYRANO.

 
Le Bret, je vais monter dans la lune opaline,
Sans qu’il faille inventer, aujourd’hui, de machine…
 

ROXANE.

 
Que dites-vous ?
 

CYRANO.

 
Mais oui, c’est là, je vous le dis,
Que l’on va m’envoyer faire mon paradis
Plus d’une âme que j’aime y doit être exilée,
Et je retrouverai Socrate et Galilée !
 

LE BRET, se révoltant.

 
Non ! non ! C’est trop stupide à la fin, et c’est trop
Injuste ! Un tel poète ! Un cœur si grand, si haut !
Mourir ainsi !… Mourir !…
 

CYRANO.

 
Voilà Le Bret qui grogne !
 

LE BRET, fondant en larmes.

 
Mon cher ami…
 

CYRANO, se soulevant, l’œil égaré.

 
Ce sont les cadets de Gascogne…
– La masse élémentaire… Eh oui !… voilà le hic
 

LE BRET.

 
Sa science… dans son délire !
 

CYRANO.

 
Copernic
A dit…
 

ROXANE.

 
Oh !
 

CYRANO.

 
Mais aussi que diable allait-il faire,
Mais que diable allait-il faire en cette galère ?…
Philosophe, physicien,
Rimeur, bretteur, musicien,
Et voyageur aérien,
Grand riposteur du tac au tac,
Amant aussi – pas pour son bien ! –
Ci-gît Hercule-Savinien
De Cyrano de Bergerac
Qui fut tout, et qui ne fut rien.
… Mais je m’en vais, pardon, je ne peux faire attendre.
Vous voyez, le rayon de lune vient me prendre !
 

(Il est retombé assis, les pleurs de Roxane le rappellent à la réalité, il la regarde, et caressant ses voiles.)

 
Je ne veux pas que vous pleuriez moins ce charmant,
Ce bon, ce beau Christian ; mais je veux seulement
Que lorsque le grand froid aura pris mes vertèbres,
Vous donniez un sens double à ces voiles funèbres,
Et que son deuil sur vous devienne un peu mon deuil.
 

ROXANE.

 
Je vous jure !…
 

CYRANO, est secoué d’un grand frisson et se lève brusquement.

 
Pas là ! non ! pas dans ce fauteuil !
 

(On veut s’élancer vers lui.)

 
– Ne me soutenez pas ! – Personne !
 

(Il va s’adosser à l’arbre.)

 
Rien que l’arbre !
 

(Silence.)

 
Elle vient. Je me sens déjà botté de marbre,
 

– Ganté de plomb !

(Il se raidit.)

 
Oh ! mais !… puisqu’elle est en chemin,
Je l’attendrai debout,
 

(Il tire l’épée.)

 
et l’épée à la main !
 

LE BRET.

 
Cyrano !
 

ROXANE, défaillante.

 
Cyrano !
 

(Tous reculent épouvantés.)

CYRANO.

 
Je crois qu’elle regarde…
Qu’elle ose regarder mon nez, cette camarde !
 

(Il lève son épée.)

 
Que dites-vous ?… C’est inutile ?… Je le sais !
Mais on ne se bat pas dans l’espoir du succès !
Non ! non ! c’est bien plus beau lorsque c’est inutile !
– Qu’est-ce que c’est que tous ceux-là ? – Vous êtes mille ?
Ah ! je vous reconnais, tous mes vieux ennemis !
Le Mensonge ?
 

(Il frappe de son épée le vide.)

 
Tiens, tiens ! – Ha ! ha ! les Compromis,
Les Préjugés, les Lâchetés !…
 

(Il frappe.)

 
Que je pactise ?
Jamais, jamais ! – Ah ! te voilà, toi, la Sottise !
– Je sais bien qu’à la fin vous me mettrez à bas ;
N’importe : je me bats ! je me bats ! je me bats !
 

(Il fait des moulinets immenses et s’arrête haletant.)

 
Oui, vous m’arrachez tout, le laurier et la rose !
Arrachez ! Il y a malgré vous quelque chose
Que j’emporte, et ce soir, quand j’entrerai chez Dieu,
Mon salut balaiera largement le seuil bleu,
Quelque chose que sans un pli, sans une tache,
J’emporte malgré vous,
 

(Il s’élance l’épée haute.)

 
et c’est…
 

(L’épée s’échappe de ses mains, il chancelle, tombe dans les bras de Le Bret et de Ragueneau.)

ROXANE, se penchant sur lui et lui baisant le front.

 
C’est ?…
 

CYRANO, rouvre les yeux, la reconnaît et dit en souriant.

 
Mon panache.
 
RIDEAU.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 ağustos 2016
Hacim:
150 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain

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