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Kitabı oku: «La capitaine», sayfa 3

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Tout le monde se leva de table.

La plupart des convives descendirent, deux à deux, dans les jardins. Mais quelques-uns, parmi lesquels se trouvait Bertrand du Sault, qui n’était pas encore assez bien rétabli pour s’exposer au serein, restèrent dans les salons de jeu.

Ces salons ouvraient sur des bosquets illuminés avec des verres de couleurs, somptuosité nouvelle dans la colonie.

Le bal devait avoir lieu sous les bosquets.

Vers dix heures, il commença au son de la musique militaire. Le comte Arthur Lancelot dansa le premier quadrille avec Emmeline, et l’un et l’autre dansaient dans la perfection. Aussi un cercle de curieux s’était-il formé autour d’eux. Mais le jeune homme paraissait insensible à leurs murmures admiratifs; ses regards étaient attachés sur Bertrand qui faisait une partie de bluff avec le capitaine Irving.

– Vous trichez, dit tout à coup l’enseigne à son adversaire, qui venait de glisser furtivement une carte dans le jeu.

– Vous en avez menti, répondit la capitaine d’une voix sifflante.

Bertrand lui jeta ses cartes à la face.

Cette scène avait été rapide. Personne n’y avait pris garde. Seul, Arthur Lancelot l’avait vue.

IV. Au cottage de Bellevue

Les deux antagonistes s’étaient levés en échangeant ces mots:

– Vous m’en rendrez raison, monsieur!

– Demain toute la journée, je me tiendrai à votre disposition.

Puis ils s’étaient éloignés, chacun d’un côté.

Sans le vouloir, sans y penser, Arthur Lancelot serra la main de sa partenaire, mais il faillit manquer la figure qu’il dansait.

– Vous êtes distrait, monsieur; soyez plus attentif, je vous prie, on nous observe! lui dit tendrement Emmeline, qui s’attribuait bien gratuitement la cause de cette distraction.

– Ah! ma chère… commença le comte.

Mais s’apercevant que son qualificatif était un peu bien familier, il reprit, quoique la jeune fille, charmée, l’encourageât à continuer par un regard souriant:

– Ah! mademoiselle… pourrais-je n’être pas distrait! … en votre présence adorable, ajouta-t-il au bout d’un instant.

Emmeline ne tint pas compte de l’intervalle dont il avait séparé chaque membre de phrase, surtout le dernier. Elle fut convaincue que le cœur rebelle d’Arthur était enfin vaincu, subjugué, car jamais elle ne l’avait vu si ému.

C’est qu’elle aimait Lancelot depuis la première fois qu’elle l’avait rencontré à un bal, chez l’intendant maritime de la station, il y avait plus de huit mois déjà! Et huit mois, comme c’est long pour une personne qui n’a d’autre occupation que le travail fantaisiste d’une imagination fougueuse.

Ce soir-là fixa son avenir. Le comte fit, il est vrai, peu attention à elle; mais l’amour a du goût pour les oppositions. On sait qu’il trouve à butiner son miel là où un indifférent ne voit que des épines ou du sable, et que, comme certains êtres animés, il (je parle toujours de l’amour) se nourrit au besoin de sa propre chair.

Éprise du comte, Emmeline déploya toutes ses éloquentes finesses de femme pour l’attirer chez son père. Elle jouissait naturellement de la grande et excellente liberté que les mœurs anglaises accordent aux demoiselles; aussi pouvait-elle faire des invitations en son nom; et se conduire dans le monde comme chez nous une jeune dame de bon ton.

Mais la réussite de son projet ne présentait pas autant de difficultés qu’elle l’avait supposé, en entendant dire que le comte Lancelot était hautain, d’une politesse exquise, mais froide, d’une humeur épigrammatique, surtout avec les femmes; un dandy de haute saveur qui affectait d’être blasé sur tous les plaisirs.

Certes, ces rumeurs n’avaient rien d’agréable pour Emmeline. Cependant, elles irritèrent sa passion naissante plutôt qu’elles ne la refroidirent, et elle fut enchantée de voir que, dans cette soirée même, Arthur témoignait à son frère Bertrand une préférence marquée sur tous les autres jeunes gens.

La liaison entre eux fut très prompte; elle fut bientôt très étroite.

Emmeline s’en applaudit, quoique, parfois, elle se sentit piquée de la tiédeur que Lancelot avait pour elle, tandis qu’il manifestait pour Bertrand l’empressement le plus chaleureux.

Cette tiédeur à son endroit, il n’était guère possible de la considérer comme un fruit de la timidité, car avec un grand air de distinction et une conversation toujours raffinée, le comte était souvent hardi, provocant dans ses expressions. Mais l’amour est si ingénieux pour s’abuser, qu’Emmeline portait au compte de ce sentiment la réserve d’Arthur.

Myope et bavard, à son habitude, le public les disait enflammés l’un pour l’autre, et les mariait obligeamment chaque semaine.

Par ces courtes explications, on comprendra combien étaient précieuses à mademoiselle du Sault les plus légères prévenances du comte Arthur Lancelot.

Aussi, comme un lis s’incline sous la rosée bienfaisante du matin, courba-t-elle la tête, en rougissant, sous la caresse de sa dernière réponse.

– Vous êtes un flatteur, monsieur Arthur, murmura Emmeline pour dire quelque chose.

– On n’est pas flatteur avec ceux que l’on aime; mais toute flatterie pâlirait devant vous, reprit Lancelot de sa voix harmonieuse, dont on ne pouvait entendre le timbre musical sans en rêver.

Emmeline rougit de plus en plus fort; un pas encore et le comte lui faisait une déclaration. Il fallait l’y pousser. Et, tout en tournant dans la ronde, elle lui décocha cette réflexion d’une dangereuse naïveté:

– Oh! mais c’est qu’il y a aimer et aimer!

– Oui, répliqua Lancelot, par un bond qui plaçait subitement un abîme entre le cœur de la jeune fille et le sien, oui, on a de l’amitié pour ses amis, de l’amour pour ses ennemis!

Ce trait était acéré. Emmeline en frissonna. Il se pouvait néanmoins que ce fût une de ces flèches sans portée sérieuse, comme le comte se plaisait à en lancer dans le monde, et qui lui avaient valu dans certaines coteries la réputation d’homme cynique. Emmeline essaya donc de prendre gaiement cette réplique, et elle repartit en souriant:

– Il ne s’agit plus que de savoir, monsieur, dans quelle catégorie vous me rangez?

La question était directe. Une réponse maladroite engagerait le cœur du jeune homme ou briserait celui de la jeune fille.

Mais Lancelot n’était pas un écolier. Il s’en tira par un mot à double entente.

– Oh! dit-il, le sourire aux lèvres, je range assurément mademoiselle du Sault parmi les personnes aimées. Mais voici le rill terminé, daignez m’excuser un instant, mademoiselle!

Il avait conduit Emmeline à un siège. Il la salua rapidement et rentra dans les salons.

Ses regards cherchèrent Bertrand; ils ne rencontrèrent que le capitaine Irving, qui se disposait à partir.

– Pardon, lui dit Arthur Lancelot en s’approchant.

– Que me voulez-vous? fit l’officier avec hauteur.

– Vous dire un mot.

– Parlez.

– Pas ici, dans les jardins. Ce que j’ai à vous dire est entre nous.

– Il me semble que nous sommes seuls, dit sèchement le militaire.

– Eh bien, soit! puisque vous le voulez, causons ici.

– On y est aussi bien qu’ailleurs! reprit l’autre d’un ton bref.

– Vous savez que nous avons un compte à régler?

– Quel compte?

– Mais, dit Arthur d’un air dédaigneux, vous vous êtes permis d’être grossier…

L’officier devint cramoisi comme son uniforme.

– Grossier! répéta-t-il en grinçant des dents.

– Je vous ai fait l’honneur de vous le dire, capitaine, reprit impertinemment Arthur.

– L’honneur! paltoquet! mâchonna Irving.

– Eh! oui, l’honneur! dit Lancelot sans s’émouvoir de l’irritation du militaire; donc vous vous êtes permis d’être grossier à mon égard, et j’espère que vous voudrez bien…

– Je vous tuerai comme un chien! hurla l’officier.

Plusieurs personnes, qui jouaient ou causaient à quelque distance, levèrent la tête.

– Pas si haut! dit Arthur; vous parlez à un homme qui n’est ni sourd, ni de mauvaise compagnie!

– Oh! oh! c’est trop fort! maugréa Irving, vous me donnerez satisfaction…

– Je l’entends bien ainsi!

– Fat!

– Les injures sont superflues, capitaine. À demain!

– À demain, monsieur! dit l’officier.

– Votre heure?

– Le plus tôt possible.

– Cela m’arrange parfaitement. Quatre heures du matin donc!

– Plus tôt si vous voulez! j’ai hâte de vous faire la leçon, monsieur le dandy!

Et le capitaine Irving appuya sur ces mots avec l’emphase méprisante qu’un de nos troupiers, courroucé par un civil, mettrait à lui dire monsieur le pékin!

– Vos armes? demanda Arthur.

– Les vôtres?

– Oh! cela m’est égal.

– Alors, dit l’officier, nous prendrons le sabre.

– Le sabre, c’est un peu brutal, dit Lancelot en souriant.

– Vous refusez, blanc-bec? fit l’autre avec un haussement d’épaules.

– Du tout, du tout, capitaine. Le sabre m’accommode parfaitement. C’est une arme que j’affectionne. Et maintenant, convenons du lieu de la rencontre, s’il vous plaît, car demain nous n’aurons pas le temps de prendre ces petits arrangements.

– Au Creux-d’Enfer, il y a une pelouse…

– Va pour le Creux-d’Enfer.

– À quatre heures, monsieur; je vous engage à faire vos dispositions testamentaires, car je dois vous dire que je suis de première force au sabre, reprit le capitaine en tortillant ses longs favoris roux.

– À quatre heures j’y serai, répondit tranquillement le comte Lancelot.

Et, saluant le militaire, il sortit du salon pour retourner à la danse, sans remarquer que mademoiselle du Sault quittait vivement une fenêtre ouverte de ce salon, à laquelle elle s’était tenue appuyée, derrière une treille, pendant la plus grande partie de l’entretien du comte et du capitaine.

Quand Arthur la rejoignit, elle causait avec son frère.

– Mon cher ami, lui dit Bertrand, je pars… vous m’excuserez; je ne suis pas encore très solide… Mais restez avec Emmeline… je vous renverrai la voiture.

– C’est cela, dit la jeune fille. Il vaut mieux que tu rentres, mon bon frère… Monsieur le comte me ramènera… je l’espère.

Et son regard interrogateur demanda une réponse affirmative à Lancelot.

– Vous sentiriez-vous indisposé? dit celui-ci avec inquiétude.

– Nullement, nullement, mon cher.

– Mais le médecin lui a défendu les longues veillées, intervint Emmeline.

– Oui, et bonsoir… Amusez-vous bien, dit Bertrand.

– Attendez encore un instant, fit Arthur.

– Oh! pour moi, je veux rester au bal jusqu’à la fin, s’écria la jeune fille en prenant le bras de Lancelot.

Celui-ci toussa d’un ton très naturel en apparence, et il dit:

– Eh bien, c’est cela… oui… je ramènerai mademoiselle du Sault lorsqu’elle…

Il avait traîné et prolongé sa phrase à dessein.

On vit tout à coup paraître Samson, dont la tête énorme dominait de plus d’un pied les spectateurs.

– Ah! mon domestique! il y a quelque chose d’extraordinaire, dit Arthur avec un air de contrariété fort bien joué.

– Quelle figure de requin! s’écria Bertrand.

– Il mériterait certainement une place distinguée parmi les fameux Requins de l’Atlantique, n’est-ce pas? reprit le comte en riant.

– Oui, maître, dit Samson, avec son salut militaire.

– Tu m’apportes une nouvelle?

– Oui, maître.

Et levant la main à la hauteur des yeux, il fit deux ou trois signes.

– Oh! mon Dieu, est-ce désolant! murmura le comte; voilà qu’une affaire…

Et s’adressant à Samson:

– Est-ce pressé?

– Oui, maître.

– Allons, va devant!

– Oui, maître, répondit le serviteur impassible, en se retournant tout d’une pièce, après avoir renouvelé son salut.

– Mademoiselle, dit alors Lancelot à Emmeline, je suis on ne peut plus affligé du contretemps…

– C’est bon, c’est bon, dit Bertrand, un mystère de plus sur votre bilan, mon cher. Nous vous en tiendrons compte, ma sœur et moi!

Puis à Emmeline, qui rayait avec dépit, du bout de son ombrelle, le sable de l’allée où ils devisaient:

– Pardonne-lui encore, petite sœur, mais à une condition.

– Et laquelle? s’enquit Lancelot.

– C’est que vous nous sacrifierez toute votre journée de demain.

– Oh! avec joie, si mademoiselle…

– Pouvez-vous douter que j’en sois heureuse! dit Emmeline avec un accent de reproche.

– Désirez-vous partir seul? demanda Bertrand.

– Non, non, mon cher; si vous ne le trouvez pas mauvais, je vous ramènerai.

– Quel bonheur! s’écria étourdiment Emmeline.

– Alors, je vais faire atteler.

– Allez, nous vous suivons.

Bertrand s’élança vers les communs, où les voitures avaient été remisées. Mais en courant, un papier tomba de sa poche.

Arthur aperçut ce papier, qui échappa à l’attention d’Emmeline, trop absorbée par ses pensées pour regarder ce qui l’entourait.

Le comte l’entraîna du côté où était tombé l’objet, se baissa comme pour cueillir une fleur, le ramassa et le serra dans son gousset de montre.

– Quelle délicieuse soirée, et comme il m’eût été bon de la passer tout entière avec vous, mademoiselle! disait-il, en même temps à Emmeline. Vous offrirais-je cet œillet?

La jeune fille prit la fleur et la fixa à son corsage.

– Où êtes-vous? cria bientôt la voix de Bertrand.

– Ici, derrière le massif de rosiers, répondit Lancelot.

En entendant son frère, Emmeline avait tressailli. Elle arrêta son cavalier par un mouvement brusque et subit.

– Monsieur Arthur, lui dit-elle avec une vivacité fébrile, il faut que je vous parle… cette nuit… en secret… dans deux heures… à la petite porte du parc… elle sera ouverte!

Avant que le comte, extrêmement surpris de cette impérieuse déclaration eût eu le temps d’y répondre, Bertrand arriva.

– La voiture est prête, dit-il.

– Nous sommes à vous, répondit Arthur.

Montant dans la calèche de M. du Sault, ils revinrent promptement à la ville.

Le voyage fut assez triste, chacun d’eux étant diversement, mais profondément préoccupé.

– Nous vous descendrons chez vous, dit Bertrand au comte, en traversant la rue de la Douane.

– Oh! je vous accompagnerai…

– Inutile, mon cher! … Voici votre porte! Bonne nuit!

– Bonne nuit à tous deux! dit Arthur en sautant à terre, après avoir pressé la main des jeunes gens.

La calèche reprit le grand trot. Et le comte siffla.

Samson, qui avait suivi par derrière, accourut au galop.

– Va seller Betzy et attends, lui dit Lancelot.

– Oui, maître.

– Seulement, fais en sorte qu’on ne te voie pas.

– Oui, maître.

– Dans une heure, tu conduiras Betzy sur le chemin de la villa du Sault, en dehors de la ville.

– Oui, maître.

Le comte, alors, ouvrit la porte de la maison et monta à son appartement privé.

V. Les deux rendez-vous

Le comte Arthur Lancelot occupait une maison entière, dans la rue de la Douane (Duane-Street).

Cette maison n’avait que deux étages et un sous-sol.

Elle était construite à l’anglaise. On y arrivait par un escalier de cinq ou six marches, défendu, comme la façade de la maison, par une grille en fer, à hauteur d’appui, distante de deux mètres environ du mur, et derrière laquelle végétaient quelques arbrisseaux.

Le premier étage comprenait les salons de réception; le second, l’appartement privé du comte.

Seul, Samson avait accès dans cet appartement.

On y comptait quatre pièces: une salle à manger un cabinet de travail, un boudoir et une chambre à coucher, où jamais profane n’avait pénétré, pas même le fidèle serviteur.

Toutes les fenêtres étaient munies de barreaux en fer et les volets intérieurement doublés avec de fortes plaques de tôle.

L’habitation se trouvait ainsi à l’abri des voleurs et des curieux; elle pouvait, au besoin, soutenir un siège de quelques heures… En entrant, Lancelot battit du briquet, alluma une bougie placée dans le vestibule sur une console, et après avoir soigneusement refermé la porte extérieure, monta à son appartement.

Il s’arrêta dans le cabinet de travail.

C’était une petite pièce, tendue en cuir de Cordoue et meublée avec un goût sévère: le secrétaire, la bibliothèque, le fauteuil étaient en ébène, sans sculpture.

Des armes du plus grand prix, recueillies dans toutes les parties du monde, pendaient aux parois de la muraille et y tenaient lieu de peintures.

Arthur ouvrit le secrétaire, déposa son bougeoir sur la tablette, s’assit, et tira de sa poche l’objet qu’il avait ramassé dans le jardin de Bellevue.

Cet objet, roulé, de la grosseur d’un tuyau de plume, n’était autre chose qu’un papier.

Le jeune homme le déplia, d’une main frémissante. Une écriture fine et tourmentée le couvrait tout entier.

Lancelot en lut et relut les lignes, avec une émotion profonde.

– Ah! mon Dieu, s’écria-t-il en renversant ensuite sa tête sur le dossier du fauteuil, mon Dieu! Je ne l’aurais jamais cru! lui, amoureux! lui aimé de madame Stevenson! Malheur! malheur sur moi qui n’ai pas prévu cette liaison! Mais peut-être est-il temps encore; peut-être puis-je mettre des entraves à leur passion! car il ne faut pas qu’ils s’aiment… S’aimer, eux! j’en mourrais de jalousie!

Il parcourut une troisième fois le billet et le froissa dans ses doigts.

– Non, cela ne sera pas! s’écria-t-il en se frappant le front. Dussé-je enlever cette femme, cela ne sera pas; je les séparerai! … Voyons… leur rendez-vous est à minuit! Quelle heure est-il?

Il jeta un coup d’œil sur sa montre.

– Onze heures trois quarts, dit-il; j’y puis être… Mon entrevue avec Emmeline est fixée à une heure du matin… Ce n’est pas loin; Betzy va comme le vent; pourvu que je parte à une heure moins cinq minutes, je serai exact. Mais que me veut cette pauvre fille! … Chère et malheureuse Emmeline, elle est amoureuse de moi…

Un sourire triste passa sur son visage, et il poursuivit, comme s’il répondait à une réflexion intime:

– Si elle savait… Étrange destinée que la mienne! Jeune, je désirais la lutte… la lutte grande, terrible, celle qui s’enivre à la coupe des chaudes amours et se baigne les mains dans le sang… Ai-je été traité en enfant gâté par le Hasard ou la Providence, qu’on l’appelle comme on voudra! parbleu! il ne m’importe guère! … Mais, il faut se hâter.

En prononçant ces paroles, le comte Lancelot se leva, alla à une panoplie, en décrocha deux petits pistolets, qu’il mit dans sa poche après les avoir chargés, et, s’enveloppant dans un manteau de drap foncé, il échangea son chapeau de paille contre un feutre noir, et ressortit.

La nuit était assez claire, quoique la lune ne brillât point.

Arthur se glissa silencieusement le long des maisons, enfila plusieurs rues qu’il longea ou traversa sans rencontrer personne, et arriva enfin devant une habitation isolée, bâtie au milieu d’un jardin de quelque étendue.

Une haie l’entourait.

Le jeune homme franchit cette haie avec une agilité qui eût fait honneur à un gymnasiarque consommé.

Des avenues ombreuses s’étendaient de tous côtés.

Lancelot en prit une, rangea les arbres d’aussi près qu’il put, et en marchant sur la pointe du pied.

Un mouvement de voix ne tarda point à frapper son oreille.

Il redoubla de précautions, se plia en deux et continua d’avancer, mais dans la direction du son.

Bientôt, le bruit d’un baiser arriva à lui. Il frémit, s’appuya contre un arbre, mit sa main sur sa bouche et la mordit pour s’empêcher de crier.

La maison n’était plus qu’à quelques pas de lui.

Au balcon d’une fenêtre inférieure, on apercevait deux silhouettes: la silhouette d’une femme et celle d’un homme.

La femme se tenait dans la baie de la fenêtre, l’homme au dehors, penché par-dessus la balustrade du balcon, et à demi caché par un bouquet de lilas.

– Oh! Bertrand! Bertrand! murmura Arthur en se rapprochant davantage encore du couple.

– Que vous êtes bonne et qu’il m’est doux de vous le répéter, Harriet! disait le jeune homme, passant son bras autour de la taille de la jeune femme et l’attirant à lui.

– Oui, répondit-elle, oui, je suis trop bonne! et vous un ingrat, car vous n’imaginez pas combien je m’expose, en vous recevant ici à pareille heure!

– Le temps m’a semblé bien long, allez, depuis le moment où vous m’avez remis le billet…

– À propos, ce billet, rendez-le-moi, monsieur.

– Quoi! vous ne me le laisserez pas, câlina le jeune homme! Il y a tant d’amour! tant de bonheur pour moi dans ces lignes!

– Que ne les gravez-vous dans votre cœur! dit-elle en souriant; mais, mon bon ami, l’écriture laisse des traces. Je ne serai tranquille que quand ce papier n’existera plus.

– Vraiment! vous me le refusez, dit Bertrand d’un ton chagrin en fouillant dans sa poche.

– Vraiment oui! une imprudence est si vite commise! Si mon mari…

– Oh! ne parlez pas de lui! ne parlez pas de lui! s’écria-t-il.

– Ma lettre! ma lettre! monsieur!

– Je ne la trouve pas, je l’aurai oubliée…

Ces mots furent dits d’un ton inquiet.

– Voyez! déjà! Oh! l’on ne devrait jamais confier ses pensées au papier? fit la jeune femme, mais vous me la rapporterez demain, n’est-ce pas?

– Je vous le jure, Harriet, ma chérie! ma douce colombe, dit Bertrand en imprimant ses lèvres sur le cou de sa maîtresse.

Une douleur aiguë traversa le cœur d’Arthur Lancelot comme un fer rouge.

– Mais, demanda la jeune femme, après un moment de silence, comment avez-vous pu venir sitôt?

– Oh! dit-il, dès que j’eus déposé chez lui le comte…

– Un fat! je ne l’aime guère, observa Harriet.

– Fat! lui! ne dites pas cela; c’est un noble et excellent ami, repartit vivement Bertrand.

– Continuez, je vous prie, reprit la jeune femme en étouffant un bâillement.

– La coquette! l’indigne coquette! pensa Lancelot.

– Donc, poursuivit Bertrand, après l’avoir descendu à sa maison, j’ai prétexté que j’avais oublié de lui faire une communication importante pour quitter ma sœur…

– Et personne ne nous a vu?

– Personne! Mais, Harriet, ma bien-aimée, ne me permettez-vous pas…

– Non, monsieur, non, minauda la jeune femme.

– Vous doutez donc de mon amour?

– Les hommes sont si trompeurs!

– Pouvez-vous me tenir un pareil langage, à moi qui n’ai jamais aimé et n’aimerai jamais que vous!

– Petit menteur! murmura-t-elle en approchant ses lèvres des siennes.

Des larmes brûlantes s’amassaient sous les paupières du comte.

– Oh! laisse-moi, laisse-moi entrer dans ta chambre! supplia Bertrand.

– Mais si l’on venait? répondit-elle tendrement, en lui formant un collier de ses bras.

Un souffle de la brise écarta le cachemire qui lui servait de peignoir et découvrit sa gorge blanche et ferme comme du marbre.

Bertrand frissonna de la tête aux pieds en y collant ses lèvres.

– Finissez! finis…! bégayait-elle.

– J’entre, n’est-ce pas?

– Mais mon mari!

– Puisqu’il est à son bord.

– Mais si par hasard! …

– Harriet, ne me l’avez-vous pas promis? Est-ce que je ne vous aime pas? est-ce que pour vous plaire…

Tout en articulant ces paroles d’une voix palpitante Bertrand enjambait la balustrade, sans que la jeune femme lui opposât une résistance sérieuse; mais, à ce moment, le sable grinça sous des pas précipités.

– Quelqu’un! sauvez-vous! s’écria Harriet.

Et elle se précipita dans sa chambre, dont elle referma la croisée, pendant que son amant s’enfuyait à travers les jardins, et pendant qu’Arthur, auteur de leur épouvante, sautait par dessus la haie et regagnait la ville, en se disant:

– Comme ils m’ont fait souffrir! je ne me croyais pas autant de patience… Enfin, je les ai séparés! Il n’est pas probable qu’ils se revoient cette nuit… ni de longtemps… car j’aviserai au moyen de jeter entre eux un obstacle insurmontable!

Une heure sonna à l’église métropolitaine.

– Ah! mon Dieu, je serai en retard! vite, courons, pensa-t-il.

Sur la route de la villa du Sault, il trouva Samson, qui l’attendait flegmatiquement, près de deux chevaux de selle.

Ils les enfourchèrent en un clin d’œil.

Arthur lança le sien au galop et Samson prit la même allure, après avoir laissé entre le comte et lui la distance d’une centaine de mètres.

Au bout de cinq minutes, Lancelot était à la petite porte du parc.

Il appela son domestique.

– Tu conduiras, lui dit-il, les chevaux dans le bois, et tu tâcheras qu’on ne vous découvre pas. Si j’ai besoin de toi, je sifflerai.

– Oui, maître, répondit Samson en portant la main à la visière de sa casquette.

Lancelot poussa la porte, qui s’ouvrit aussitôt, et il vit Emmeline adossée au mur, sous un berceau de chèvrefeuille. Un gros chien de terre-neuve était couché près d’elle.

L’animal se dressa sur ses pattes en grondant.

– La paix, Médor, la paix! dit-elle en faisant signe au chien de se taire.

– Mademoiselle, dit Arthur, en s’avançant vers elle…

– Monsieur, l’interrompit-elle, je vous dois l’explication d’une conduite qui sans doute vous paraît étrange. Voulez-vous m’offrir votre bras, car la matinée est fraîche et je sens que je grelotte!

Le comte s’empressa de lui obéir.

Emmeline reprit d’un ton décidé.

– Monsieur Lancelot, vous devez vous battre…

– Mademoiselle…

– N’essayez pas de nier, je sais tout. Du reste, je serai franche avec vous; je sens que la franchise est la seule excuse de ma manière d’agir. Je vous ai épié et j’ai surpris votre conversation avec le capitaine Irving; si, à présent vous voulez savoir pourquoi je vous ai épié, je vous dirai…

Sa voix s’attendrit; un déluge de larmes lui coupa la parole.

Ce qu’elle n’acheva point, le comte le devina, et avec un tact, dont elle le remercia aussitôt par un regard, il lui dit:

– Je ne vous demande point, mademoiselle, pourquoi vous m’avez surveillé. Quelles que soient vos raisons, elles sont d’un noble cœur, je voudrais… mais ne parlons plus de cela. J’imiterai votre franchise; oui, je dois me battre, à la pointe du jour!

Emmeline se prit à trembler au bras du jeune homme.

– Rassurez-vous, cependant, reprit-il, en souriant. Le combat aura lieu au sabre. C’est une arme qui m’est familière. Je puis dire, sans vanité, que je n’y ai point encore trouvé mon égal, par conséquent…

– Mais un hasard, monsieur!

– Oh! dit-il gaiement, le hasard est une divinité à laquelle je rends un culte trop absolu, pour qu’elle me fasse défaut à l’heure du péril. Plaignez plutôt mon adversaire, chère Emmeline.

– J’avais espéré, balbutia-t-elle, que pour m’être agréable, pour m’obliger, – et elle souligna le terme, – vous renonceriez à ce duel, dont la pensée seule me glace d’épouvante. Je voulais vous en parler, vous conjurer de m’accorder cette faveur… avant de rentrer à la maison; je l’aurais fait sans mon frère; mais, craignant que votre amour-propre ne fût froissé, si j’abordais ce sujet en sa présence… je vous ai prié…

– Croyez, mademoiselle, que je n’ai pas suspecté un seul instant la pureté de vos intentions, répliqua Lancelot avec une affectueuse sincérité.

– Vous ne vous battrez point, dit Emmeline.

– Je ne puis vous le promettre.

– Oh! si! fit-elle d’un ton suppliant, enfournant sur lui ses beaux yeux noyés de pleurs.

– Je voudrais…

– Vous pouvez tout ce que vous voulez, vous!

Cette affirmation enthousiaste amena un sourire sur le visage du comte.

– Il serait à souhaiter, mademoiselle, dit-il en prenant la main d’Emmeline.

– Mais, dit celle-ci, il n’est donc personne qui vous soit chère?

Lancelot soupira.

– Bien des personnes me sont chères, répondit-il ensuite; vous la première, ma bonne Emmeline.

– Oh! si cela était! prononça-t-elle avec un accent du cœur, en pressant la main du jeune homme.

– Oui, vous m’êtes chère, bien chère, vous et votre frère… vous êtes l’un et l’autre ce que j’aime le plus au monde.

À ces mots, Emmeline se serra contre lui, ralentit sa marche, et laissa nonchalamment tomber sa tête sur le bras de Lancelot.

Ce mouvement avait été si spontané; il témoignait de tant de confiance, d’une tendresse si dévouée; la pose d’Emmeline était si séduisante, que le comte se pencha légèrement et lui effleura le front avec ses lèvres.

– Oh! vous m’aimez, n’est-ce pas, Arthur? dit la jeune fille d’une voix mourante, en fléchissant sous la violence de son émotion.

– Eh bien! eh bien! qu’est-ce que je vois? cria-t-on tout à coup à quelques pas d’eux.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 ağustos 2016
Hacim:
180 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain

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