Kitabı oku: «La corde au cou», sayfa 25
– J'arrive, maintenant, reprit-il, à une circonstance capitale, et dont je ferais, si elle nousétait favorable, un incident d'audience décisif… Votre valet de chambre, mon cher client, votre vieil Antoine, m'a déclaré que l'avant-veille du crime, il a lavé et nettoyé à fond votre fusil Klebb…
– Mon Dieu! s'exclama Jacques.
– Bien. Je vois que vous mesurez la portée de ce fait. Depuis ce nettoyage jusqu'au moment où vous avez enflammé une cartouche pour brûler les lettres de madame de Claudieuse, avez-vous fait feu? Si oui, n'en parlons plus. Si non, il est clair qu'un des canons de votre Klebb est resté propre, et alors, c'est le salut…
Durant près d'une minute, Jacques garda le silence, réfléchissant.
– Il me semble, répondit-il enfin, je répondrais presque que, le matin du crime, j'ai tiré un lapin…
Maître Magloire eut un geste de découragement.
– Fatalité! dit-il.
– Oh! attendez, reprit Jacques. Ce dont je suis sûr, en tout cas, c'est que j'ai tué ce lapin d'un seul coup. Donc, je n'ai encrassé qu'un des canons de mon fusil. Si, au Valpinson, je me suis servi du même canon pour enflammer une cartouche, je suis sauvé. Et notez que c'est probable. Quand on a une arme double, machinalement, on presse toujours en premier la détente de droite…
Maître Magloire fronçait les sourcils.
– N'importe, dit-il, ce n'est pas sur une donnée aussi incertaine que nous pouvons avancer un argument qui, en cas d'erreur, se retournerait contre nous. Mais à l'audience, quand on vous représentera votre fusil, examinez-le de façon à pouvoir me dire ce qu'il en est.
Ainsi se trouvaient esquissées les lignes générales du plan de défense. Il ne restait plus qu'à perfectionner les détails, et c'est à quoi s'appliquaient les deux avocats, lorsque, à travers le guichet, Blangin, le geôlier, vint leur crier que les portes de la prison allaient fermer.
– Encore cinq minutes, mon brave Blangin! cria Jacques. (Et, attirant le plus loin possible du guichet ses deux défenseurs, d'une voix basse et troublée): Une idée m'est venue, messieurs, dit-il, que je dois vous soumettre… Il est impossible que depuis mon arrestation la comtesse de Claudieuse ne soit pas au supplice… Si sûre qu'elle puisseêtre de n'avoir laissé traîner aucun indice qui la dénonce, elle doit trembler que je ne me défende en disant la vérité… Elle nierait, je le sais bien, et elle est assez sûre de son prestige pour savoir que mes accusations n'entameront pas son admirable réputation. N'importe! Il est impossible qu'elle ne s'épouvante pas du scandale. Qui sait si, pour l'éviter, elle ne nous donnerait pas un moyen de salut… Pourquoi l'un de vous, messieurs, ne tenterait-il pas près d'elle une démarche?
Maître Folgatétait l'homme des décisions rapides.
– Je la tenterai, dit-il, si vous me donnez un mot d'introduction.
Pour toute réponse, Jacques prit une plume etécrivit:
J'ai tout dit à mon défenseur, maître Folgat. Sauvez-moi, et je vous jure un secretéternel. Me laisserez-vous périr, Geneviève, vous qui savez si bien que je suis innocent?
Jacques.
– Est-ce suffisant? demanda-t-il en tendant ce billet au jeune avocat.
– Oui, et je vous promets qu'avant quarante-huit heures j'aurai vu madame de Claudieuse…
Blangin s'impatientait cependant, les défenseurs durent se retirer et, sortis de la prison, ils traversaient la place du Marché-Neuf, quand, à quelques pas, ils aperçurent un musicien ambulant que suivaient quelques galopins.
C'était une espèce de ménétrier de campagne, vêtu d'un de ces habits d'ordre composite qui ne sont pas encore une redingote, mais qui ne sont déjà plus une veste. Raclant d'un mauvais violon, il chantait avec le plus pur accent du terroir une chanson saintongeoise.
Au printemps,
La mère ageace,
Fit son nid dans les popillons,
La pibôle!…
Fit son nid dans les popillons,
Pibolon!…
Machinalement, maître Folgat cherchait quelques sous dans son gousset, lorsque le chanteur, s'approchant de lui et tendant son chapeau comme pour recevoir l'aumône, lui dit:
– Vous ne me reconnaissez pas, cher maître. L'avocat tressauta.
– Vous ici!… fit-il.
– Moi-même, à Sauveterre depuis ce matin. Je vous guettais, car il faut que je vous parle. Ce soir, à neuf heures, venez m'ouvrir la petite porte du jardin de monsieur de Chandoré…
Et reprenant son violon, il s'éloigna en continuant d'une voix traînante:
Au bout de cinq à six semaines,
Elle oyut un petit ageasson.
24. Bien autrement encore que maître Folgat
Bien autrement encore que maître Folgat, le célèbre avocat de Sauveterre avaitété surpris de l'imprévu de la rencontre et de l'étrangeté du personnage. Et dès que le ménétrier ambulant se futéloigné:
– Vous connaissez cet individu? demanda-t-ilà son jeune confrère.
– Cet individu, répondit maître Folgat, n'est autre que cet agent dont je vous ai parlé, et dont j'ai acheté les services.
– Goudar!
– Oui, Goudar.
– Et vous ne le reconnaissiez pas! Le jeune avocat souriait.
– Avant qu'il eût parlé, non, dit-il. Le Goudar que je connais est assez grand, maigre, imberbe, et porte les cheveux taillés en brosse. Ce musicien des rues est petit, replet, barbu, et ses longs cheveux plats lui tombent jusqu'au milieu du dos. Comment deviner mon homme, sous son costume de vagabond, un violon à la main et patoisant une ronde saintongeoise?
Maître Magloire souriait lui aussi.
– Que sont les comédiens de profession comparés à ces gens-là! dit-il. En voici un qui se prétend arrivé de ce matin et qui, déjà, semble du pays autant que Cheminot lui-même. Il n'y a pas douze heures qu'il est à Sauveterre, et il sait l'existence de la petite porte du jardin de monsieur de Chandoré.
– Oh! je m'explique maintenant cette circonstance, qui d'abord m'avaitétonné. Ayant tout raconté en détailà Goudar, j'ai dû nécessairement lui parler de cette porte, à propos de Méchinet.
Causant ainsi, ils avaient atteint l'extrémité de la rue Nationale. Ils s'arrêtèrent.
– Un mot encore avant de nous séparer, reprit maître Magloire. Vousêtes bien décidé à voir madame de Claudieuse?
– Je l'ai promis.
– Que lui direz-vous?
– Je ne sais. Cela dépendra de son accueil.
– Du caractère dont je la connais, à la seule vue du billet de Jacques, elle va vous commander de sortir.
– Qui sait!… Je n'aurai pas, en tout cas, à me reprocher d'avoir reculé devant une démarche qu'en monâme et conscience je juge nécessaire.
– Quoi qu'il arrive, soyez prudent, ne vous laissez pas emporter… Songez qu'unéclat nous obligerait à changer notre système de défense, le seul qui présente quelques chances.
– Oh! soyez sans inquiétudes…
Sur quoi, échangeant une dernière poignée de main, ils se séparèrent. Maître Magloire regagnant son logis, maître Folgat remontant la rue de la Rampe.
La demie de six heures venait de sonner; aussi le jeune avocat se hâtait-il, craignant de faire attendre. On l'attendait, en effet, pour se mettre à table, mais en entrant au salon, il ne songea plus à s'excuser, tant il fut frappé de l'accablement et de la morne tristesse des amis et des parents du prisonnier.
– Avons-nous donc quelque fâcheuse nouvelle? interrogea-t-il d'une voix hésitante.
– La plus fâcheuse que nous eussions à redouter, oui, monsieur, répondit le marquis de Boiscoran. Elle n'était que trop prévue de nous tous, et, cependant, vous le voyez, elle nous surprend comme un coup de foudre…
Le jeune avocat se frappa le front.
– La chambre des mises en accusation a rendu son arrêt! s'écria-t-il.
De la tête, comme si la voix lui eût manqué, le marquis répondit:
– Oui!
– C'est encore un grand secret, ajouta Mlle Denise, et si nous le savons, c'est grâce à une indiscrétion de notre bon, de notre dévoué Méchinet. Jacques est renvoyé devant la cour d'assises…
Elle fut interrompue par un domestique qui entrait annoncer que mademoiselleétait servie.
On passa dans la salle à manger; mais, sous l'empire de ce dernierévénement, le dîner fut lugubre. Seule, Mlle Denise, qui devait à la fièvre sonétonnanteénergie, aida maître Folgat à maintenir la conversation vivante. Par elle, le jeune avocat apprit que, décidément, le comte de Claudieuseétait au plus mal, et qu'on lui eût administré, dans la journée, les derniers sacrements, sans le docteur Seignebos qui s'yétait opposé en déclarant que la plus légèreémotion pouvait tuer son malade.
– Et s'il meurt, prononça M. de Chandoré, ce sera notre dernier coup. L'opinion, déjà si montée contre Jacques, deviendra implacable.
Cependant le repas finissait, maître Folgat s'approcha de Mlle Denise.
– J'ai à vous prier, mademoiselle, lui dit-il, de me confier la clef de la petite porte du jardin…
Elle le regardait d'un airétonné.
– J'ai à recevoir secrètement, ajouta-t-il, l'homme de la police qui m'a promis son concours.
– Il est ici?
– De ce matin…
Mlle Denise lui ayant remis la clef, maître Folgat se hâta de gagner le fond du jardin, et au troisième coup de neuf heures, le ménétrier de la place du Marché-Neuf, Goudar, poussa la petite porte et entra, son violon sous le bras.
– Un jour de perdu! commença-t-il, sans même songer à saluer, tout un jour, car je ne pouvais rien tenter avant de vous avoir vu…
Il semblait si furieux que maître Folgat entreprit de le calmer.
– Laissez-moi d'abord, dit-il, vous complimenter de votre travestissement…
Mais Goudar n'était point sensible auxéloges.
– Que serait un policier qui ne saurait pas se travestir! interrompit-il. Beau mérite, ma foi! Et croyez que rien ne me répugne davantage. Mais pouvais-je tomber à Sauveterre avec ma véritable personnalité? Un homme de la police! brrr… tout le monde m'eût fui comme la peste et on n'eût répondu que des mensonges à toutes mes questions… Alors, je me suis affublé de cette défroque honteuse qui m'est familière, et pour laquelle, même, j'ai pris pendant six mois un professeur de violon. Un musicien ambulant fait ce qu'il veut sanséveiller les soupçons; il erre dans les rues ou le long des routes, il entre dans les cours, se glisse dans les maisons, visite les cafés et les cabarets; il peut, sous prétexte de demander l'aumône, accoster les gens, leur parler, les suivre… Et, pour ce qui est de la façon dont je baragouine le saintongeois, sachez que j'ai passé six mois dans les Charentes, à la piste des faux billets de banque du fameux Gâtebourse. Si au bout de six mois on ne tient pas l'accent d'une province, on ne sera jamais un policier. Or, je le suis, moi, je suis condamné à cet exécrable métier, qui fait le désespoir de ma femme…
– Si votre ambition est vraiment ce que vous m'avez dit, mon cher Goudar, interrompit maître Folgat, peut-être pourrez-vous le quitter bientôt, ce métier que vous détestez tant. Si vous réussissez à tirer d'affaire monsieur de Boiscoran…
– Il me donnerait la maison de la rue des Vignes?…
– De grand cœur.
L'homme de la préfecture leva les mains au ciel.
– La maison de la rue des Vignes, répéta-t-il. Le paradis en ce monde. Un jardin immense, une terre d'une qualité supérieure. Et quelle exposition, mon maître! J'y ai lorgné des murs où j'obtiendrais des pêches plus belles que celles de Montreuil et des chasselas plus parfumés que ceux de Fontainebleau.
– Y avez-vous trouvé quelque nouvel indice? demanda maître Folgat.
Brusquement rappelé à la réalité, Goudar s'assombrit.
– Aucun, répondit-il, et c'est inutilement que j'ai interrogé tous les fournisseurs. Je ne suis pas plus avancé que le premier jour.
– Espérons que vous serez plus heureux ici.
– Je l'espère, mais pour commencer mes opérations, il me faut votre assistance. J'ai besoin de voir le docteur Seignebos et le greffier Méchinet. Priez-les de se trouver au rendez-vous qu'un billet de moi leur assignera.
– Ils seront prévenus.
– Maintenant, si je veux que mon incognito soit respecté, il me faut un permis de séjour du maire, au nom de Goudar, musicien ambulant. Je garde mon nom que personne ici ne connaît. Mais il me faut ce permis ce soir même. Où que je me présente pour coucher, on me demandera mes papiers…
– Attendez-moi un quart d'heure, là, sur ce banc, dit maître Folgat, je cours chez le maire…
Un quart d'heure plus tard, en effet, Goudar avait son permis en poche et s'en allait demander un gîte à l'auberge du Mouton-Rouge, la plus malfamée de Sauveterre.
En présence d'une obligation pénible et inévitable, les tempéraments se décèlent. Les uns ajournent tant qu'ils peuvent, tergiversent, lanternent, pareils à ces dévotes qui renvoient leur gros péché à la fin de leur confession; les autres, au contraire, ont hâte de se débarrasser de l'anxiété et en finissent le plus tôt qu'il est possible.
Maître Folgatétait de ces derniers. Réveillé avec le jour, le lendemain de l'arrivée de Goudar: je verrai Mme de Claudieuse ce matin même, se dit-il.
Et en effet, dès huit heures, vêtu avec plus de recherche peut-être que de coutume, il sortit en disant au domestique qu'on ne l'attendît pas s'il n'était pas rentré au moment du déjeuner.
C'est au palais de justice qu'il se rendit tout d'abord, espérant bien y rencontrer le greffier. Et son espoir ne fut pas déçu. La salle des pas perdusétait déserte, mais déjà Méchinetétait à son bureau, grossoyant avec l'activité fiévreuse qu'imprime l'idée constante d'un immeuble à payer.
Il se dressa en voyant entrer maître Folgat, et tout de suite:
– Vous savez l'arrêt de la chambre! fit-il.
– Oui, grâce à votre obligeance, et je dois vous avouer qu'il ne m'a pas surpris. Qu'en pense-t-on au Palais?
– Tout le monde croit à une condamnation.
– Nous le verrons bien! fit le jeune avocat. (Et baissant la voix): Mais je viens encore pour autre chose, continua-t-il. L'agent que j'attendais est arrivé et désirerait vous entretenir. Il vousécrira pour vous assigner un rendez-vous, accordez-le-lui, je vous en prie.
– Certes, de tout mon cœur, répondit le greffier. Et Dieu veuille qu'il réussisse à disculper monsieur de Boiscoran, quand ce ne serait que pour rabaisser un peu le caquet de mon cher patron.
– Ah! monsieur Galpin-Daveline triomphe!
– Sans la moindre pudeur. Il voit déjà son ancien ami au bagne! Il a reçu de monsieur le procureur général une nouvelle lettre de félicitations, et il est venu hier, à l'issue de l'audience, la montrer à qui voulait la lire. Tous ces messieurs l'ont complimenté, sauf monsieur le président, toutefois, qui lui a tourné le dos, et monsieur le procureur de la République, qui lui a dit en latin de ne pas vendre la peau de l'ours avant qu'il fût par terre…
Déjà, depuis un moment, on commençait à entendre des pas dans les corridors.
– Vite une dernière recommandation, fit maître Folgat. Goudar tient à dissimuler sa personnalité, ne parlez de lui àâme qui vive. Et surtout ne vousétonnez pas du costume sous lequel il vous apparaîtra…
Le bruit de la porte qui s'ouvrait lui coupa la parole.
Un juge entra, qui après avoir salué fort civilement se mit à demander au greffier une multitude de renseignements au sujet d'une affaire qui venait au rôle le jour même.
– Au revoir, monsieur Méchinet, dit le jeune avocat.
Et, reprenant sa course, il alla sonner à la porte du docteur Seignebos.
– Monsieur le docteur est sorti, répondit le domestique, mais il va rentrer, et il m'a recommandé de prier monsieur de l'attendre dans son cabinet.
La preuve de confiance que donnait le docteur à maître Folgatétait inouïe, en lui permettant de rester seul dans le sanctuaire de ses méditations.
C'était une pièce immense, tout encombrée d'objets disparates et incohérents, et qui du premier coup révélait les idées, les opinions, les goûts et les aspirations du médecin. Ce qui frappait, dès l'entrée, c'était, sur la cheminée, un admirable buste de Bichat, flanqué des bustes plus petits de Robespierre à droite et de Rousseau à gauche. Une horloge du temps de Louis XIV, dressée entre les deux fenêtres, battait les secondes avec des grincements de vieille ferraille. Tout un des côtésétait occupé par une bibliothèque de bois noir bondée, à défoncer, de livres de toutes sortes, brochés ou habillés de reliures qui auraient bien fait rire M. Daubigeon. Un de ces meubles comme on en fabrique pour classer les herbiers disait la passion passagère du docteur pour la flore de Sauveterre. Une machineélectrique rappelait le temps où le docteur s'était engoué de l'électrothérapie.
Sur la table, placée au milieu de la pièce, des montagnes de bouquins trahissaient les récentesétudes du médecin. Tous les auteurs qui se sont occupés de la folie et de l'idiotieétaient là, depuis Apostolidès jusqu'à Tardieu, en passant par Broussais et Fodéré, par Spurzheim, Guardia, Marc, Esquiros, Blanche et vingt autres encore.
Maître Folgat achevait l'inventaire quand le docteur Seignebos entra, toujours comme une trombe, mais beaucoup plus joyeux que de coutume.
– Je savais bien, parbleu, que je vous trouverais ici! s'écria-t-il dès le seuil. Vous venez me demander un rendez-vous pour Goudar.
Le jeune avocat tressauta.
– Qui a pu vous le dire? fit-il abasourdi.
– Goudar en personne! Il me plaît, à moi, ce garçon. Évidemment on ne saurait me suspecter de tendresse pour tout ce qui, de près ou de loin, tient à la préfecture, moi qui ai traversé la vie avec des mouchards à mes trousses… Mais votre homme me raccommoderait presque avec la police.
– Quand l'avez-vous vu?
– Ce matin, à sept heures. Il s'ennuyait si prodigieusement de perdre son temps dans son galetas du Mouton-Rouge, que l'idée lui est venue de feindre une indisposition et de m'envoyer chercher. J'y suis allé, et j'ai trouvé une manière de ménétrier de campagne qui m'a paru se porter comme un charme. Mais dès que nous avonsété seuls, il m'a dégoisé toute son affaire, en me demandant mon opinion et en me disant ses idées. Maître Folgat, ce Goudar est très fort, c'est moi qui vous le dis, et nous nous sommes parfaitement entendus…
– Vous a-t-il donc expliqué ce qu'il compte faire?
– À peu près… Mais il ne m'a pas autorisé à le divulguer. Patience, laissez faire, attendez, et vous verrez que le vieux Seignebos a encore un certain flair!
Et, ce disant d'un air de fatuité superbe, il retirait, essuyait et replaçait sur son nez ses lunettes d'or.
– J'attendrai donc, dit le jeune avocat, et puisque voici ma commission faite, je vous demanderai la permission de vous entretenir d'une autre affaire… Je suis chargé par monsieur Jacques de Boiscoran de voir la comtesse de Claudieuse.
– Fichtre!
– Et de tâcher d'obtenir d'elle un moyen de nous disculper…
– Va-t'en voir s'ils viennent!
Difficilement, maître Folgat dissimula un mouvement d'impatience.
– J'ai accepté cette mission, fit-il d'un ton sec, je tiens à la remplir.
– Je le comprends, mon cher maître, seulement vous n'arriverez pas jusqu'à madame de Claudieuse. Le comte est très mal, elle ne quitte pas son chevet et ne reçoit même pas les personnes de son intimité.
– Et cependant, il faut que je parvienne jusqu'à elle… Il faut à tout prix que je lui remette en mains propres le billet que m'a confié mon client. Et, tenez, docteur, je vaisêtre franc avec vous. C'est parce que je prévoyais des difficultés que je viens vous demander un moyen de les surmonter ou de les tourner.
– À moi!
– N'êtes-vous pas le médecin du comte de Claudieuse?
– Dix mille diables! s'écria M. Seignebos, vous ne doutez de rien, vous autres avocats! (Et plus bas, répondant plutôt aux objections de son esprit qu'à maître Folgat): Certainement, grommelait-il, je soigne monsieur de Claudieuse, dont, entre parenthèses, la maladie déroute toutes mes conjectures, mais c'est pour cela précisément que je ne puis rien. Notre profession a des règles qu'on ne saurait enfreindre sans compromettre la dignité du corps médical tout entier.
– Mais il y va de l'honneur et de la vie de Jacques, monsieur, d'un ami…
– Et d'un coreligionnaire politique, c'est très vrai. Mais je ne puis vous aider sans abuser de la confiance de madame de Claudieuse…
– Eh! monsieur, cette femme n'a-t-elle pas commis le crime pour lequel monsieur de Boiscoran, innocent, va passer en cour d'assises…
– Je le crois, et cependant… (Il se tut, réfléchissant, jusqu'à ce que soudain, prenant son chapeau à larges bords et l'enfonçant d'un coup sec sur sa tête): Au fait! s'écria-t-il, tant pis! Il est des intérêts sacrés qui priment tout! Venez…