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Kitabı oku: «La corde au cou», sayfa 5

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7. Il était sept heures quand la voiture «qui portait la justice»entra dans la cour de Boiscoran…

Il était sept heures quand la voiture «qui portait la justice»entra dans la cour de Boiscoran – une vaste cour plantée de tilleuls et entourée de bâtiments d'exploitation.

Le châteauétait bienéveillé. Devant la porte de son logis, la métayère récurait le chaudron où elle avait fait cuire la soupe du matin; des filles de ferme allaient et venaient, et, près de l'écurie, un robuste gars brossait à tour de bras un cheval de sang. Debout sur le perron, le valet de chambre de M. de Boiscoran, M. Antoine, surveillait tout en fumant son cigare au soleil.

C'était un homme d'une cinquantaine d'années, fort alerte encore, qui avaitété légué à Jacques de Boiscoran par son oncle, en même temps que sa fortune. Il avaitété marié et il avait perdu sa femme, mais sa filleétait au service de la marquise de Boiscoran. Né dans la famille, ne l'ayant jamais quittée, il se considérait comme en faisant partie et ne voyait aucune différence entre son intérêt à lui et celui de ses maîtres. Et de fait, on le traitait moins en serviteur qu'en ami, et il pensait bien ne rien ignorer des affaires de M. de Boiscoran.

Voyant descendre de voiture le juge d'instruction et le procureur de la République, il jeta son cigare, et s'avançant rapidement vers eux en les saluant de son plus accueillant sourire:

– Ah! messieurs, fit-il, quelle bonne surprise! Monsieur vaêtre bien content!

Avec desétrangers, Antoine ne se fût point permis cette familiarité, car ilétait formaliste, mais il avait déjà vu au château M. Daubigeon, et il savait quels projets avaientété agités entre son maître et M. Galpin-Daveline. Aussi fut-il singulièrementétonné de la raideur embarrassée de ces messieurs, et de l'accent dont le juge d'instruction lui demanda:

– Monsieur de Boiscoran est-il levé?

– Pas encore, répondit-il, et même monsieur m'avait bien recommandé de ne pas le réveiller. Comme il est rentré assez tard, il se proposait de dormir la grasse matinée…

Instinctivement, le juge et le procureur de la République détournèrent la tête, chacun craignant de rencontrer le regard de l'autre.

– Ah! Monsieur de Boiscoran est rentré tard? insista M. Galpin-Daveline.

– Vers minuit; plutôt après qu'avant.

– Et ilétait sorti?…

– Sur les huit heures.

– Commentétait-il vêtu?

– Comme d'ordinaire. Il avait un pantalon gris clair, de velours côtelé, une jaquette de velours marron et un grand chapeau de paille.

– Avait-il son fusil?

– Oui, monsieur.

– Savez-vous où il est allé?

Le respect seul que professait Antoine pour les amis de son maître avait pu le déterminer à répondre à cet interrogatoire, qu'il jugeait à part soi de la plus haute inconvenance. Mais cette dernière question lui parut passer les bornes. Et c'est d'un ton de réserve offensée qu'il répondit:

– Je n'ai pas l'habitude de demander à monsieur où il va quand il sort, ni d'où il vient quand il rentre.

À quels honorables sentiments obéissait l'honnête valet de chambre, M. Daubigeon le comprit. Et c'est d'un air dont la conviction s'imposait que, prenant la parole:

– Ne croyez pas, mon ami, dit-il, qu'une vaine curiosité nous fasse vous poser toutes ces questions. Répondez. Votre franchise peut servir votre maître plus que vous ne l'imaginez.

C'est d'un regard décidément stupéfait qu'Antoine examinait tour à tour le juge d'instruction et le procureur de la République, le greffier Méchinet et enfin Ribot qui, descendu de son siège, avait déroulé la longe de Caraby et l'attachait à un arbre.

– Je vous jure, messieurs, répondit-il, que j'ignore où monsieur de Boiscoran a passé la soirée.

– Vous ne le soupçonnez même pas?

– Non.

– Peut-êtreétait-ilà Bréchy, chez un de ses amis?

– Je ne lui connais pas d'amis à Bréchy.

– Qu'a-t-il fait en rentrant?

L'inquiétude, visiblement, gagnait le digne serviteur.

– Attendez! répondit-il. Monsieur, en rentrant, est monté à sa chambre et y est resté quatre ou cinq minutes. Il est redescendu, ensuite, et a mangé une tranche de pâté et bu un verre de vin. Après, il a allumé un cigare et m'a dit d'aller me coucher, qu'il voulait faire un tour et qu'il se déshabillerait seul.

– Et vousêtes allé vous coucher?

– Naturellement.

– De sorte que vous ignorez ce qu'a pu faire votre maître?

– Pardonnez-moi: je l'ai entendu ouvrir la porte qui donne sur le jardin.

– Il ne vous a pas paru… extraordinaire?

– Non… ilétait comme tous les jours, plus gai, peut-être, il chantait…

– Pouvez-vous me montrer le fusil qu'il avait emporté?

– Non… Monsieur a dû le déposer dans sa chambre.

M. Daubigeon ouvrait la bouche pour présenter une objection, le juge l'arrêta d'un geste, et vivement:

– Y a-t-il longtemps, demanda-t-il au domestique, que monsieur de Boiscoran et monsieur de Claudieuse ne se sont rencontrés?

Antoine tressaillit, comme si un pressentiment eût traversé son esprit.

– Très longtemps, répondit-il. À ce que je crois, du moins.

– Vous n'ignorez pas qu'ils sont au plus mal?

– Oh!…

– Ils ont eu ensemble les altercations les plus violentes…

– Des fâcheries, tout au plus… Ne se fréquentant pas, comment se seraient-ils haïs? Vingt fois, d'ailleurs, j'ai entendu monsieur dire qu'il tenait le comte de Claudieuse pour le meilleur et le plus loyal des hommes, et qu'il le respectait infiniment.

Durant plus d'une minute, M. Galpin-Daveline se tut, cherchant s'il n'oubliait rien. Puis, tout à coup:

– Quelle distance y a-t-il d'ici au Valpinson? interrogea-t-il.

– Six kilomètres, monsieur, répondit Antoine.

– Si vous aviez à vous rendre chez monsieur de Claudieuse, quel chemin prendriez-vous?

– La grande route, celle qui passe par Bréchy.

– Vous ne traverseriez pas les marais?

– Certes, non…

– Pourquoi?

– Parce que la Seille est débordée, monsieur, et que les fossés sont pleins d'eau.

– Est-ce qu'en coupant à travers bois, on ne s'abrégerait pas?…

– On aurait moins de chemin à faire, mais on mettrait plus de temps… les sentiers sont mal tracés et encombrés d'ajoncs.

Le procureur de la République dissimulait mal une réelle douleur. De plus en plus, les réponses d'Antoine lui semblaient fâcheuses.

– Maintenant, reprit le juge, si le feu prenait à Boiscoran, apercevrait-on l'incendie de la cour du Valpinson?

– Je ne le crois pas, monsieur; nous sommes séparés par des collines et des bois…

– D'ici, entendez-vous les cloches de Bréchy?

– Quand le vent est au nord, oui, monsieur.

– Et hier soir? Et cette nuit?

– Le ventétait à l'ouest, comme toujours quand il y a tempête.

– De sorte que vous ne savez rien, vous n'avez pas entendu parler d'un… accidentépouvantable.

– Un accident… Je ne sais pas ce que monsieur veut dire.

C'est dans la cour qu'avait lieu cet interrogatoire, et sur ces derniers mots parurent, à cheval, deux gendarmes à qui M. Galpin-Daveline, avant de quitter le Valpinson, avait commandé de venir le rejoindre. Les apercevant:

– Mon Dieu!… s'écria le vieil Antoine, qu'est-ce que cela signifie!… Je cours réveiller monsieur!…

Le juge l'arrêta.

– Pas un mouvement, lui dit-il durement, pas un mot! (Et montrant Ribot aux gendarmes qui avaient mis pied à terre): Vous allez garder ce garçon à vue, ajouta-t-il, et l'empêcher de communiquer avec qui que ce soit. (Puis, revenant à Antoine): Et maintenant, commanda-t-il, conduisez-nous à la chambre de monsieur de Boiscoran!

8. Avec ses apparences de demeure féodale…

Avec ses apparences de demeure féodale, le château de Boiscoran n'était en réalité qu'un pied- à-terre de garçon – pied-à-terre passablement négligé, même.

Des quatre-vingts ou cent pièces qui s'y trouvaient, c'est tout au plus si huit ou dixétaient meublées, et encore de la façon la plus rudimentaire. Un salon, une salle à manger, quelques chambres d'amis, c'était tout autant qu'il en fallait pour les séjours de M. de Boiscoran.

Lui-même occupait au premierétage un tout petit appartement, dont la porte ouvrait sur le palier du grand escalier.

Lorsqu'arrivèrent devant cette porte, guidés par le vieil Antoine, le juge d'instruction, le procureur de la République et le greffier Méchinet:

– Frappez, commanda M. Galpin-Daveline au valet de chambre.

Le bonhomme obéit, et tout aussitôt de l'intérieur:

– Qui est là? cria une voix jeune et forte.

– C'est moi, monsieur, répondit le fidèle serviteur, je voudrais…

– Va-t'en au diable! interrompit la voix.

– Cependant, monsieur…

– Laisse-moi dormir, bourreau, je n'ai pu fermer l'œil qu'au jour…

Impatienté, le juge d'instructionécarta le domestique et, saisissant la poignée de la porte, il essaya de l'ouvrir: elle était fermée en dedans.

Mais il eut vite pris un parti.

– C'est moi, monsieur de Boiscoran, prononça-t-il, ouvrez…

– Eh! c'est ce cher Daveline! fit joyeusement la voix.

– Il faut que je vous parle…

– Et je suis à vous, magistrat très illustre!… Le temps de voiler d'un inexpressible 1 mes formes apolloniennes et j'apparais.

Presque aussitôt, en effet, la porte s'ouvrit, et M. de Boiscoran se montra, les cheveuxébouriffés, les yeux encore chargés de sommeil, mais rayonnant de jeunesse et de santé, la lèvre souriante et la main largement tendue.

– Par ma foi! disait-il, c'est une fameuse inspiration que vous avez eue là, mon cher Daveline, de venir me demander à déjeuner… (Et saluant M. Daubigeon): Sans compter, ajouta-t-il, que je ne saurais trop vous remercier d'avoir décidé à vous accompagner notre cher procureur de la République. C'est une vraie descente de justice…

Mais il s'arrêta, glacé par l'expression du visage de M. Daubigeon, stupéfait de voir M. Galpin-Daveline se reculer au lieu de prendre et de serrer la main qu'il lui tendait.

– Ahç à, qu'est-ce qui arrive, mon cher ami?…

Jamais le juge d'instruction n'avaitété si roide.

– Il nous faut oublier nos relations, monsieur, prononça-t-il. Ce n'est pas l'ami qui se présente chez vous aujourd'hui, c'est le juge.

M. de Boiscoran semblait confondu, mais nulle ombre d'inquiétude n'assombrissait sa franche et loyale physionomie.

– Je veuxêtre pendu, commença-t-il, si je comprends…

– Entrons! fit M. Daveline.

Ils entrèrent, et au moment de passer la porte:

– Monsieur, murmura Méchinet à l'oreille de M. Daubigeon, cet homme est certainement innocent. Jamais un coupable ne nous eût accueillis ainsi…

– Silence! monsieur, dit sévèrement le procureur de la République, qui, cependant, était un peu de l'avis du greffier; silence!

Et, grave et attristé, il alla se placer dans l'embrasure d'une fenêtre.

M. Galpin-Daveline, lui, était debout au milieu de la chambre, et il s'efforçait d'en embrasser et d'en fixer, dans son esprit, jusqu'aux moindres détails.

Le désordre de cette chambre disait avec quelle précipitation M. de Boiscoran avait dû se coucher la veille. Ses effets, ses bottes, sa chemise, son gilet, sa jaquette et son chapeau de pailleétaient jetés au hasard sur les meubles et à terre. Il avait sur lui ce pantalon gris clair, reconnu et désigné successivement par Cocoleu, par Ribot, par Gaudry et par la femme Courtois.

– Maintenant, monsieur, commença M. de Boiscoran, avec cette nuance de mécontentement d'un homme qui se demande si on ne se moque pas de lui, m'expliquerez-vous, puisque vous n'êtes plus mon ami, ce qui me vaut l'honneur matinal de votre visite?

Pas un muscle de la figure de M. Galpin-Daveline ne bougea. Et comme si la question se fût adressée à tout autre qu'à lui:

– Veuillez, monsieur, me montrer vos mains, dit-il froidement.

Une vive rougeur colora les joues de M. de Boiscoran, et une perplexité singulière se lut dans ses yeux.

– Si c'est une plaisanterie, dit-il, elle a peut-être trop duré!

Il allait s'emporter, c'étaitévident. M. Daubigeon crut devoir intervenir:

– Malheureusement, monsieur, prononça-t-il, jamais situation ne fut plus grave. Faites ce que vous demande monsieur le juge d'instruction.

De plus en plus surpris, M. de Boiscoran promenait autour de lui un rapide regard.

Dans le cadre de la porte, Antoine, le vieux valet de chambre, se tenait debout, l'angoisse peinte sur le front. Près de la cheminée, le greffier Méchinet avait avisé une table, et il s'yétait installé avec son papier, ses plumes et sonécritoire de corne.

Alors, avec un mouvement d'épaules qui annonçait que, décidément, il renonçait à comprendre, M. de Boiscoran montra ses mains. Ellesétaient parfaitement blanches et nettes. Les ongles, assez longs, étaient soigneusement nettoyés.

– Quand vousêtes-vous lavé les mains pour la dernière fois? demanda M. Galpin-Daveline, après un minutieux examen.

À cette question, le visage de M. de Boiscoran s'éclaira, etéclatant de rire:

– Par ma foi! s'écria-t-il, j'avoue que j'aiété pris. J'allais m'emporter. J'ai eu presque peur…

– Et vous aviez raison d'avoir peur, monsieur, prononça M. Galpin-Daveline, car une accusation terrible pèse sur vous. Et de votre réponse à la question que je vous pose, et qui vous semble ridicule, dépendent peut-être votre honneur et votre liberté…

Ah! il n'y avait plus cette fois à s'y méprendre. M. de Boiscoran se sentit saisi de cet effroi que la justice inspire aux plus honnêtes, aux plus sûrs d'eux-mêmes.

Il pâlit, et d'une voix troublée:

– Quoi! dit-il, une accusation pèse sur moi, et c'est vous, monsieur Galpin-Daveline, qui vous présentez chez moi pour m'interroger…

– Je suis magistrat, monsieur!

– Mais vousétiez aussi mon ami. Si quelqu'un devant moi se fût permis de vous accuser d'un crime, d'une lâcheté, d'une infamie, je vous aurais défendu, monsieur, et de toute monénergie, sans hésitation, sans arrière-pensée… Je vous aurais défendu jusqu'à ce qu'on m'eût fourni des preuveséclatantes, irrécusables, matérielles, de votre culpabilité. Et si, à la fin, il m'eûtété démontré que vousétiez coupable, je vous aurais plaint, et je ne m'en serais pas moins rappelé qu'à un certain moment je vous avais assez estimé pour vous faciliter une alliance qui eût fait de vous mon parent. Tandis que vous!… On m'accuse, je ne sais de quoi, faussement, évidemment, et tout de suite vous ajoutez foi à l'accusation absurde, et vous acceptez d'être mon juge… Eh bien! soit! Je me suis lavé les mains hier soir, en rentrant.

C'est avec raison que M. Galpin-Daveline avait vanté son sang-froid et sa puissance sur soi. Il ne sourcilla pas à cette rude apostrophe, et toujours du même ton:

– Qu'est devenue l'eau dont vous vousêtes servi? demanda-t-il.

– Elle doit encoreêtre là, dans mon cabinet de toilette.

Le juge d'instruction y courut.

Sur la table de marbreétait une cuvette de porcelaine pleine d'eau. Cette eauétait noire et sale. Au fond, on voyait distinctement des résidus de charbon. À la surface, mêlés à de la mousse de savon, surnageaient quelques fragments d'une extrême ténuité, mais cependant appréciables, de papier brûlé.

Avec des précautions infinies, le juge d'instruction apporta lui-même la cuvette sur la table oùécrivait Méchinet, et la montrant à M. de Boiscoran:

– Est-ce bien là, interrogea-t-il, l'eau dans laquelle vous vousêtes lavé les mains en rentrant?

D'un ton d'insouciance dédaigneuse:

– Oui, répondit M. de Boiscoran.

– Vous aviez donc manié du charbon, touché des matières enflammées?

– Vous le voyez bien!

Placés presque en face l'un de l'autre, le procureur de la République et le greffier Méchinetéchangèrent un rapide coup d'œil. Ils avaient, en même temps, ressenti la même impression.

Si M. de Boiscoran n'était pas innocent, c'était à coup sûr un homme d'une audace et d'uneénergie extraordinaires, et qui obéissait à quelque plan longuement médité, car ses réponses, comme autant d'aveux, semblaient le livrer pieds et poings liés à la prévention.

Le juge d'instruction lui-même parut frappé de stupeur. Mais ce ne fut qu'unéclair, et se retournant vers son greffier:

– Écrivez! lui commanda-t-il.

Et il lui dicta le procès-verbal de cette scène, exactement, minutieusement, se reprenant même parfois pour arriver à l'expression juste et châtier son style.

Ayant terminé:

– Reprenons, monsieur, dit-ilà M. de Boiscoran. Vous avez passé dehors la soirée d'hier.

– Oui, monsieur.

– Sorti à huit heures, vous n'êtes rentré qu'à minuit.

– Après minuit.

– Vous aviez emporté votre fusil?

– Oui.

– Où est-il?

D'un geste insouciant, M. de Boiscoran le montra, dans l'angle de la cheminée, et dit:

– Le voilà!

Vivement M. Galpin-Daveline s'en empara.

C'était une arme de luxe, à double canon, d'un travail et d'un fini exceptionnels. Sur les incrustations de la crosse se lisait le nom du fabricant:

Klebb.

– Quand avez-vous fait feu avec ce fusil pour la dernière fois, monsieur? interrogea le juge d'instruction.

– Il y a quatre ou cinq jours.

– À quelle occasion?

– Pour tuer des lapins qui ravagent mes bois.

Avec toute l'attention dont ilétait capable, M. Galpin-Daveline examinait et faisait jouer la batterie de cette arme, dont le mécanisme avait une certaine analogie avec le système Remington. Bientôt il ouvrit le tonnerre et constata que le fusilétait chargé. Dans chacun des canons se trouvait une cartouche à enveloppe de plomb. Cela fait, il remit l'arme à sa place, et tirant de sa poche l'enveloppe métallique trouvée par Pitard, il la présenta à M. de Boiscoran, en demandant:

– Reconnaissez-vous ceci?

– Parfaitement! répondit M. de Boiscoran. C'est l'enveloppe d'une de mes cartouches que j'aurai jetée après l'avoir brûlée.

– Croyez-vous doncêtre le seul dans le pays à avoir une arme de ce système?

– Je ne le crois pas, j'en suis sûr.

– De telle sorte qu'une enveloppe de cartouche Klebb, celle-ci, par exemple, trouvée dans un endroit quelconque, attesterait nécessairement votre présence?

– Nécessairement, non. J'ai vu plus d'une fois des enfants ramasser les enveloppes que je venais de jeter et jouer avec.

Tout en faisant voler sa plume sur le papier, le greffier Méchinet se permettait certaines grimaces des plus significatives. Ilétait trop au fait des allures d'une instruction criminelle pour ne pas se rendre compte de la tactique de M. Galpin-Daveline, tactique horriblement dangereuse et perfide, qui consiste à tourner le prévenu avant de l'attaquer sérieusement.

– Il joue serré, murmura-t-il en se penchant vers M. Daubigeon.

Le juge d'instruction s'était assis.

– Ceci posé, reprit-il, je vous prie, monsieur, de vouloir bien me donner l'emploi de votre soirée de huit heures à minuit… Ne vous pressez pas, réfléchissez, prenez votre temps, votre réponse aura certainement une influence décisive.

M. de Boiscoran, jusqu'à ce moment, était demeuré calme, mais de ce calme inquiétant qui décèle de terribles tempêtes intérieures, difficilement contenues. Les avertissements du juge, et plus encore le ton dont ilsétaient donnés, le révoltèrent comme la plus odieuse des hypocrisies, et cessant de se contenir, les yeux pleins d'éclairs:

– Enfin, monsieur! s'écria-t-il, que voulez-vous de moi? De quoi m'accuse-t-on?

M. Galpin-Daveline ne broncha pas.

– Vous le saurez, monsieur, quand le moment sera venu, répondit-il. Commencez par répondre, et croyez-moi, dans votre intérêt, répondez franchement. Qu'avez-vous fait hier soir?

– Eh! le sais-je!… Je me suis promené…

– Ce n'est pas une réponse.

– C'est cependant la vérité. J'étais sorti sans but, j'ai marché au hasard…

– Votre fusil sur l'épaule.

– J'emporte toujours mon fusil, mon valet de chambre vous le dira.

– N'avez-vous pas traversé les marais de la Seille?

– Non.

Le juge d'instruction hocha gravement la tête.

– Vous ne dites pas la vérité, monsieur, fit-il.

– Monsieur…

– Vos bottes, que j'aperçois là, sur votre descente de lit, vous donnent le démenti le plus formel. D'où vient la boue dont elles sont couvertes?

– Les prairies, autour de Boiscoran, sont très humides.

– N'insistez pas. Vous avezété vu.

– Cependant…

– Vous avezété rencontré par le fils Ribot au moment où vous passiez le déversoir desétangs.

M. de Boiscoran ne répondit pas.

– Où alliez-vous? demanda le juge.

Pour la première fois, une inquiétude réelle contracta les traits de M. de Boiscoran, l'inquiétude d'un homme qui voit tout à coup s'ouvrir sous ses pas un précipice qu'il ne soupçonnait pas.

Il hésita, et comprenant que nierétait inutile:

– J'allais à Bréchy, répondit-il.

– Chez qui?

– Chez le marchand de bois à qui j'ai vendu mes coupes de 1870. Ne l'ayant pas trouvé, je suis revenu par la grande route…

D'un geste, M. Galpin-Daveline l'arrêta.

– C'est faux! prononça-t-il durement.

– Oh!

– Vous n'êtes pas allé à Bréchy.

– Permettez…

– Et la preuve, c'est que, vers onze heures, vous traversiez d'un pas hâtif les bois de Rochepommier.

– Moi!…

– Vous-même. Et ne dites pas non, car, tenez, votre pantalon est encore tout hérissé desépines des ajoncs que vous avez traversés.

– Il y a des ajoncs ailleurs que dans les bois de Rochepommier.

– C'est vrai, mais on vous y a vu.

– Qui?

– Gaudry, le braconnier. Et il vous a si bien vu qu'il a pu nous dire votre humeur. Vousétiez troublé et fort en colère, vous parliez haut, vous juriez, vous arrachiez des feuilles aux branches d'arbres…

Tout en parlant, le juge d'instruction s'était levé et avait pris sur un fauteuil la jaquette de M. de Boiscoran. Il en fouilla les poches et en retira une poignée de feuilles flétries.

– Et tenez, voilà une preuve de la véracité de Gaudry.

– Il y a des feuilles d'arbres partout, murmura M. de Boiscoran.

– Oui, mais une femme, maîtresse Courtois, vous a vu sortir du bois de Rochepommier. Vous l'avez aidée à replacer sur sonâne un sac qu'elle ne pouvait soulever seule. Le niez-vous? Non. Vous avez raison, car ici, tenez, sur la manche et sur un des pans de votre jaquette, j'aperçois de la poussière blanche qui certainement est de la farine.

M. de Boiscoran baissait la tête.

– Avouez donc, insista le juge d'instruction, que hier au soir, entre dix et onze heures, vousétiez au Valpinson…

– Jamais, monsieur, cela n'est pas.

– C'est cependant au Valpinson, près des ruines de l'ancien château, qu'aété ramassée cette enveloppe de cartouche Klebb que je viens de vous montrer…

– Eh! monsieur, interrompit M. de Boiscoran, ne vous ai-je pas dit que vingt fois j'ai vu des enfants ramasser, pour jouer, de ces enveloppes métalliques?… (Et, essayant de réagir): Si j'étais allé au Valpinson, ajouta-t-il, quel intérêt aurais-je à le nier?

M. Galpin-Daveline se redressa, et de sa voix la plus solennelle:

– Je vais vous le dire, prononça-t-il. Hier soir, entre dix et onze heures, le feu aété mis au Valpinson, dont il ne reste plus que des cendres…

– Oh!…

– Hier au soir on a tiré deux coups de fusil sur le comte de Claudieuse…

– Grand Dieu!

– Et la justice pense, la justice a de fortes raisons de croire que l'incendiaire, que l'assassin, c'est vous, Jacques de Boiscoran.

1.Pantalon.