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Kitabı oku: «L'Assommoir», sayfa 5

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– Ce n'est pas tout ça… Ce que vous dites et rien, c'est la même chose. La noce aura lieu le samedi 29 juillet. J'ai calculé sur l'almanach. Est-ce convenu? ça vous va-t-il?

– Oh! ça nous va toujours, dit sa soeur. Tu n'avais pas besoin de nous consulter… Je n'empêcherai pas Lorilleux d'être témoin. Je veux avoir la paix.

Gervaise, la tête basse, ne sachant plus à quoi s'occuper, avait fourré le bout de son pied dans un losange de la claie de bois, dont le carreau de l'atelier était couvert; puis, de peur d'avoir dérangé quelque chose en le retirant, elle s'était baissée, tâtant avec la main. Lorilleux, vivement, approcha la lampe. Et il lui examinait les doigts avec méfiance.

– Il faut prendre garde, dit-il, les petits morceaux d'or, ça se colle sous les souliers, et ça s'emporte, sans qu'on le sache.

Ce fut toute une affaire. Les patrons n'accordaient pas un milligramme de déchet. Et il montra la patte de lièvre avec laquelle il brossait les parcelles d'or restées sur la cheville, et la peau étalée sur ses genoux, mise là pour les recevoir. Deux fois par semaine, on balayait soigneusement l'atelier; on gardait les ordures, on les brûlait, on passait les cendres, dans lesquelles on trouvait par mois jusqu'à vingt-cinq et trente francs d'or.

Madame Lorilleux ne quittait pas du regard les souliers de Gervaise. – Mais il n'y a pas à se fâcher, murmura-t-elle, avec un sourire aimable. Madame peut regarder ses semelles.

Et Gervaise, très-rouge, se rassit, leva ses pieds, fit voir qu'il n'y avait rien. Coupeau avait ouvert la porte en criant: Bonsoir! d'une voix brusque. Il l'appela, du corridor. Alors, elle sortit à son tour, après avoir balbutié une phrase de politesse: elle espérait bien qu'on se reverrait et qu'on s'entendrait tous ensemble. Mais les Lorilleux s'étaient déjà remis à l'ouvrage, au fond du trou noir de l'atelier, où la petite forge luisait, comme un dernier charbon blanchissant dans la grosse chaleur d'un four. La femme, un coin de la chemise glissé sur l'épaule, la peau rougie par le reflet du brasier, tirait un nouveau fil, gonflait à chaque effort son cou, dont les muscles se roulaient, pareils à des ficelles. Le mari, courbé sous la lueur verte de la boule d'eau, recommençant un bout de chaîne, ployait la maille à la pince, la serrait d'un côté, l'introduisait dans la maille supérieure, la rouvrait à l'aide d'une pointe, continuellement, mécaniquement, sans perdre un geste pour essuyer la sueur de sa face.

Quand Gervaise déboucha des corridors sur le palier du sixième, elle ne put retenir cette parole, les larmes aux yeux:

– Ça ne promet pas beaucoup de bonheur.

Coupeau branla furieusement la tête. Lorilleux lui revaudrait cette soirée-là. Avait-on jamais vu un pareil grigou! croire qu'on allait lui emporter trois grains de sa poussière d'or! Toutes ces histoires, c'était de l'avarice pure. Sa soeur avait peut-être cru qu'il ne se marierait jamais, pour lui économiser quatre sous sur son pot-au-feu? Enfin, ça se ferait quand même le 29 juillet. Il se moquait pas mal d'eux!

Mais Gervaise, en descendant l'escalier, se sentait toujours le coeur gros, tourmentée d'une bête de peur, qui lui faisait fouiller avec inquiétude les ombres grandies de la rampe. A cette heure, l'escalier dormait, désert, éclairé seulement par le bec de gaz du second étage, dont la flamme rapetissée mettait, au fond de ce puits de ténèbres, la goutte de clarté d'une veilleuse. Derrière les portes fermées, on entendait le gros silence, le sommeil écrasé des ouvriers couchés au sortir de table. Pourtant, un rire adouci sortait de la chambre de la repasseuse, tandis qu'un filet de lumière glissait par la serrure de mademoiselle Remanjou, taillant encore, avec un petit bruit de ciseaux, les robes de gaze des poupées à treize sous. En bas, chez madame Gaudron, un enfant continuait à pleurer. Et les plombs soufflaient une puanteur plus forte, au milieu de la grande paix, noire et muette.

Puis, dans la cour, pendant que Coupeau demandait le cordon d'une voix chantante, Gervaise se retourna, regarda une dernière fois la maison. Elle paraissait grandie sous le ciel sans lune. Les façades grises, comme nettoyées de leur lèpre et badigeonnées d'ombre, s'étendaient, montaient; et elles étaient plus nues encore, toutes plates, déshabillées des loques séchant le jour au soleil. Les fenêtres closes dormaient. Quelques-unes, éparses, vivement allumées, ouvraient des yeux, semblaient faire loucher certains coins. Au-dessus de chaque vestibule, de bas en haut, à la file, les vitres des six paliers, blanches d'une lueur pâle, dressaient une tour étroite de lumière. Un rayon de lampe, tombé de l'atelier de cartonnage, au second, mettait une traînée jaune sur le pavé de la cour, trouant les ténèbres qui noyaient les ateliers du rez-de-chaussée. Et, du fond de ces ténèbres, dans le coin humide, des gouttes d'eau, sonores au milieu du silence, tombaient une à une du robinet mal tourné de la fontaine. Alors, il sembla à Gervaise que la maison était sur elle, écrasante, glaciale à ses épaules. C'était toujours sa bête de peur, un enfantillage dont elle souriait ensuite.

– Prenez garde! cria Coupeau.

Et elle dut, pour sortir, sauter par-dessus une grande mare, qui avait coulé de la teinturerie. Ce jour-là, la mare était bleue, d'un azur profond de ciel d'été, où la petite lampe de nuit du concierge allumait des étoiles.

III

Gervaise ne voulait pas de noce. A quoi bon dépenser de l'argent? Puis, elle restait un peu honteuse; il lui semblait inutile d'étaler le mariage devant tout le quartier. Mais Coupeau se récriait: on ne pouvait pas se marier comme ça, sans manger un morceau ensemble. Lui, se battait joliment l'oeil du quartier! Oh! quelque chose de tout simple, un petit tour de balade l'après-midi, en attendant d'aller tordre le cou à un lapin, au premier gargot venu. Et pas de musique au dessert, bien sûr, pas de clarinette pour secouer le panier aux crottes des dames. Histoire de trinquer seulement, avant de revenir faire dodo chacun chez soi.

Le zingueur, plaisantant, rigolant, décida la jeune femme, lorsqu'il lui eut juré qu'on ne s'amuserait pas. Il aurait l'oeil sur les verres, pour empêcher les coups de soleil. Alors, il organisa un pique-nique à cent sous par tête, chez Auguste, au Moulin-d'Argent, boulevard de la Chapelle. C'était un petit marchand de vin dans les prix doux, qui avait un bastringue au fond de son arrière-boutique, sous les trois acacias de sa cour. Au premier, on serait parfaitement bien. Pendant dix jours, il racola des convives, dans la maison de sa soeur, rue de la Goutte-d'Or: M. Madinier, mademoiselle Remanjou, madame Gaudron et son mari. Il finit même par faire accepter à Gervaise deux camarades, Bibi-la-Grillade et Mes-Bottes: sans doute Mes-Bottes levait le coude, mais il avait un appétit si farce, qu'on l'invitait toujours dans les pique-nique, à cause de la tête du marchand de soupe en voyant ce sacré trou-là avaler ses douze livres de pain. La jeune femme, de son côté, promit d'amener sa patronne, madame Fauconnier, et les Boche, de très braves gens. Tout compte fait, on se trouverait quinze à table. C'était assez. Quand on est trop de monde, ça se termine toujours par des disputes.

Cependant, Coupeau n'avait pas le sou. Sans chercher à crâner, il entendait agir en homme propre. Il emprunta cinquante francs à son patron. Là-dessus, il acheta d'abord l'alliance, une alliance d'or de douze francs, que Lorilleux lui procura en fabrique pour neuf francs. Il se commanda ensuite une redingote, un pantalon et un gilet, chez un tailleur de la rue Myrrha, auquel il donna seulement un acompte de vingt-cinq francs; ses souliers vernis et son bolivar pouvaient encore marcher. Quand il eut mis de côté les dix francs du pique-nique, son écot et celui de Gervaise, les enfants devant passer par-dessus le marché, il lui resta tout juste six francs, le prix d'une messe à l'autel des pauvres. Certes, il n'aimait pas les corbeaux, ça lui crevait le coeur de porter ses six francs à ces galfatres-là, qui n'en avaient pas besoin pour se tenir le gosier frais. Mais un mariage sans messe, on avait beau dire, ce n'était pas un mariage. Il alla lui-même à l'église marchander; et, pendant une heure, il s'attrapa avec un vieux petit prêtre, en soutane sale, voleur comme une fruitière. Il avait envie de lui ficher des calottes. Puis, par blague, il lui demanda s'il ne trouverait pas, dans sa boutique, une messe d'occasion, point trop détériorée, et dont un couple bon enfant ferait encore son beurre. Le vieux petit prêtre, tout en grognant que Dieu n'aurait aucun plaisir à bénir son union, finit par lui laisser sa messe à cinq francs. C'était toujours vingt sous d'économie. Il lui restait vingt sous.

Gervaise, elle aussi, tenait à être propre. Dès que le mariage fut décidé, elle s'arrangea, fit des heures en plus, le soir, arriva à mettre trente francs de côté. Elle avait une grosse envie d'un petit mantelet de soie, affiché treize francs, rue du Faubourg-Poissonnière. Elle se le paya, puis racheta pour dix francs au mari d'une blanchisseuse, morte dans la maison de madame Fauconnier, une robe de laine gros bleu, qu'elle refit complètement à sa taille. Avec les sept francs qui restaient, elle eut une paire de gants de coton, une rose pour son bonnet et des souliers pour son aîné Claude. Heureusement les petits avaient des blouses possibles. Elle passa quatre nuits, nettoyant tout, visitant jusqu'aux plus petits trous de ses bas et de sa chemise.

Enfin, le vendredi soir, la veille du grand jour, Gervaise et Coupeau, en rentrant du travail, eurent encore à trimer jusqu'à onze heures. Puis, avant de se coucher chacun chez soi, ils passèrent une heure ensemble, dans la chambre de la jeune femme, bien contents d'être au bout de cet embarras. Malgré leur résolution de ne pas se casser les côtes pour le quartier, ils avaient fini par prendre les choses à coeur et par s'éreinter. Quand ils se dirent bonsoir, ils dormaient debout. Mais, tout de même, ils poussaient un gros soupir de soulagement. Maintenant, c'était réglé. Coupeau avait pour témoins M. Madinier et Bibi-la-Grillade; Gervaise comptait sur Lorilleux et sur Boche. On devait aller tranquillement à la mairie et à l'église, tous les six, sans traîner derrière soi une queue de monde. Les deux soeurs du marié avaient même déclaré qu'elles resteraient chez elles, leur présence n'étant pas nécessaire. Seule maman Coupeau s'était mise à pleurer, en disant qu'elle partirait plutôt en avant, pour se cacher dans un coin; et on avait promis de l'emmener. Quant au rendez-vous de toute la société, il était fixé à une heure, au Moulin-d'Argent. De là on irait gagner la faim dans la plaine Saint-Denis; on prendrait le chemin de fer et on retournerait à pattes, le long de la grande route. La partie s'annonçait très bien, pas une bosse à tout avaler, mais un brin de rigolade, quelque chose de gentil et d'honnête.

Le samedi matin, en s'habillant, Coupeau fut pris d'inquiétude, devant sa pièce de vingt sous. Il venait de songer que, par politesse, il lui faudrait offrir un verre de vin et une tranche de jambon aux témoins, en attendant le dîner. Puis, il y aurait peut-être des frais imprévus. Décidément, vingt sous, ça ne suffisait pas. Alors, après s'être chargé de conduire Claude et Étienne chez madame Boche, qui devait les amener le soir au dîner, il courut rue de la Goutte-d'Or et monta carrément emprunter dix francs à Lorilleux. Par exemple, ça lui écorchait le gosier, car il s'attendait à la grimace de son beau-frère. Celui-ci grogna, ricana d'un air de mauvaise bête, et finalement prêta les deux pièces de cent sous. Mais Coupeau entendit sa soeur qui disait entre ses dents que « ça commençait bien. »

Le mariage à la mairie était pour dix heures et demie. Il faisait très beau, un soleil du tonnerre, rôtissant les rues. Pour ne pas être regardés, les mariés, la maman et les quatre témoins se séparèrent en deux bandes. En avant, Gervaise marchait au bras de Lorilleux, tandis que M. Madinier conduisait maman Coupeau; puis, à vingt pas, sur l'autre trottoir, venaient Coupeau, Boche et Bibi-la-Grillade. Ces trois-là étaient en redingote noire, le dos rond, les bras ballants; Boche avait un pantalon jaune; Bibi-la-Grillade, boutonné jusqu'au cou, sans gilet, laissait passer seulement un coin de cravate roulé en corde. Seul, M. Madinier portait un habit, un grand habit à queue carrée; et les passants s'arrêtaient pour voir ce monsieur promenant la grosse mère Coupeau, en châle vert, en bonnet noir, avec des rubans rouges. Gervaise, très douce, gaie, dans sa robe d'un bleu dur, les épaules serrées sous son étroit mantelet, écoutait complaisamment les ricanements de Lorilleux, perdu au fond d'un immense paletot sac, malgré la chaleur; puis, de temps à autre, au coude des rues, elle tournait un peu la tête, jetait un fin sourire à Coupeau, que ses vêtements neufs, luisants au soleil, gênaient.

Tout en marchant très-lentement, ils arrivèrent à la mairie une grande demi-heure trop tôt. Et, comme le maire fut en retard, leur tour vint seulement vers onze heures. Ils attendirent sur des chaises, dans un coin de la salle, regardant le haut plafond et la sévérité des murs, parlant bas, reculant leurs sièges par excès de politesse, chaque fois qu'un garçon de bureau passait. Pourtant, à demi-voix, ils traitaient le maire de fainéant; il devait être pour sûr chez sa blonde, à frictionner sa goutte; peut-être bien aussi qu'il avait avalé son écharpe. Mais, quand le magistrat parut, ils se levèrent respectueusement. On les fit rasseoir. Alors, ils assistèrent à trois mariages, perdus dans trois noces bourgeoises, avec des mariées en blanc, des fillettes frisées, des demoiselles à ceintures roses, des cortèges interminables de messieurs et de dames sur leur trente-et-un, l'air très comme il faut. Puis, quand on les appela, ils faillirent ne pas être mariés, Bibi-la-Grillade ayant disparu. Boche le retrouva en bas, sur la place, fumant une pipe. Aussi, ils étaient encore de jolis cocos dans cette boîte, de se ficher du monde, parce qu'on n'avait pas des gants beurre frais à leur mettre sous le nez! Et les formalités, la lecture du Code, les questions posées, la signature des pièces, furent expédiées si rondement, qu'ils se regardèrent, se croyant volés d'une bonne moitié de la cérémonie. Gervaise, étourdie, le coeur gonflé, appuyait son mouchoir sur ses lèvres. Maman Coupeau pleurait à chaudes larmes. Tous s'étaient appliqués sur le registre, dessinant leurs noms, en grosses lettres boiteuses, sauf le marié qui avait tracé une croix, ne sachant pas écrire. Ils donnèrent chacun quatre sous pour les pauvres. Lorsque le garçon remit à Coupeau le certificat de mariage, celui-ci, le coude poussé par Gervaise, se décida à sortir encore cinq sous.

La trotte était bonne de la mairie à l'église. En chemin, les hommes prirent de la bière, maman Coupeau et Gervaise, du cassis avec de l'eau. Et ils eurent à suivre une longue rue, où le soleil tombait d'aplomb, sans un filet d'ombre. Le bedeau les attendait au milieu de l'église vide; il les poussa vers une petite chapelle, en leur demandant furieusement si c'était pour se moquer de la religion qu'ils arrivaient en retard. Un prêtre vint à grandes enjambées, l'air maussade, la face pâle de faim, précédé par un clerc en surplis sale qui trottinait. Il dépêcha sa messe, mangeant les phrases latines, se tournant, se baissant, élargissant les bras, en hâte, avec des regards obliques sur les mariés et sur les témoins. Les mariés, devant l'autel, très-embarrassés, ne sachant pas quand il fallait s'agenouiller, se lever, s'asseoir, attendaient un geste du clerc. Les témoins, pour être convenables, se tenaient debout tout le temps; tandis que maman Coupeau, reprise par les larmes, pleurait dans le livre de messe qu'elle avait emprunté à une voisine. Cependant, midi avait sonné, la dernière messe était dite, l'église s'emplissait du piétinement des sacristains, du vacarme des chaises remises en place. On devait préparer le maître-autel pour quelque fête, car on entendait le marteau des tapissiers clouant des tentures. Et, au fond de la chapelle perdue, dans la poussière d'un coup de balai donné par le bedeau, le prêtre à l'air maussade promenait vivement ses mains sèches sur les têtes inclinées de Gervaise et de Coupeau, et semblait les unir au milieu d'un déménagement, pendant une absence du bon Dieu, entre deux messes sérieuses. Quand la noce eut de nouveau signé sur un registre, à la sacristie, et qu'elle se retrouva en plein soleil, sous le porche, elle resta un instant là, ahurie, essoufflée d'avoir été menée au galop.

– Voilà! dit Coupeau, avec un rire gêné.

Il se dandinait, il ne trouvait rien là de rigolo. Pourtant, il ajouta:

– Ah bien! ça ne traîne pas. Ils vous envoient ça en quatre mouvements… C'est comme chez les dentistes: on n'a pas le temps de crier ouf! ils marient sans douleur.

– Oui, oui, de la belle ouvrage, murmura Lorilleux en ricanant. Ça se bâcle en cinq minutes et ça tient bon toute la vie… Ah! ce pauvre Cadet-Cassis, va!

Et les quatre témoins donnèrent des tapes sur les épaules du zingueur qui faisait le gros dos. Pendant ce temps, Gervaise embrassait maman Coupeau, souriante, les yeux humides pourtant. Elle répondait aux paroles entrecoupées de la vieille femme:

– N'ayez pas peur, je ferai mon possible. Si ça tournait mal, ça ne serait pas de ma faute. Non, bien sûr, j'ai trop envie d'être heureuse… Enfin, c'est fait, n'est-ce pas? C'est à lui et à moi de nous entendre et d'y mettre du nôtre.

Alors, on alla droit au Moulin-d'Argent. Coupeau avait pris le bras de sa femme. Ils marchaient vite, riant, comme emportés, à deux cents pas devant les autres, sans voir les maisons, ni les passants, ni les voitures. Les bruits assourdissants du faubourg sonnaient des cloches à leurs oreilles. Quand ils arrivèrent chez le marchand de vin, Coupeau commanda tout de suite deux litres, du pain et des tranches de jambon, dans le petit cabinet vitré du rez-de-chaussée, sans assiettes ni nappe, simplement pour casser une croûte. Puis, voyant Boche et Bibi-la-Grillade montrer un appétit sérieux, il fit venir un troisième litre et un morceau de brie. Maman Coupeau n'avait pas faim, était trop suffoquée pour manger. Gervaise, qui mourait de soif, buvait de grands verres d'eau à peine rougie.

– Ça me regarde, dit Coupeau, en passant immédiatement au comptoir, où il paya quatre francs cinq sous.

Cependant, il était une heure, les invités arrivaient. Madame Fauconnier, une femme grasse, belle encore, parut la première; elle avait une robe écrue, à fleurs imprimées, avec une cravate rose et un bonnet très chargé de fleurs. Ensuite vinrent ensemble mademoiselle Remanjou, toute fluette dans l'éternelle robe noire qu'elle semblait garder même pour se coucher, et le ménage Gaudron, le mari, d'une lourdeur de brute, faisant craquer sa veste brune au moindre geste, la femme, énorme, étalant son ventre de femme enceinte, dont sa jupe, d'un violet cru, élargissait encore la rondeur. Coupeau expliqua qu'il ne faudrait pas attendre Mes-Bottes; le camarade devait retrouver la noce sur la route de Saint-Denis.

– Ah bien! s'écria madame Lerat en entrant, nous allons avoir une jolie saucée! Ça va être drôle!

Et elle appela la société sur la porte du marchand de vin, pour voir les nuages, un orage d'un noir d'encre qui montait rapidement au sud de Paris. Madame Lerat, l'aînée des Coupeau, était une grande femme, sèche, masculine, parlant du nez, fagotée dans une robe puce trop large, dont les longs effilés la faisaient ressembler à un caniche maigre sortant de l'eau. Elle jouait avec son ombrelle comme avec un bâton. Quand elle eut embrassé Gervaise, elle reprit:

– Vous n'avez pas idée, on reçoit un soufflet dans la rue… On dirait qu'on vous jette du feu à la figure.

Tout le monde déclara alors sentir l'orage depuis longtemps. Quand on était sorti de l'église, M. Madinier avait bien vu ce dont il retournait. Lorilleux racontait que ses cors l'avaient empêché de dormir; à partir de trois heures du matin. D'ailleurs, ça ne pouvait pas finir autrement; voilà trois jours qu'il faisait vraiment trop chaud.

– Oh! ça va peut-être couler, répétait Coupeau, debout à la porte, interrogeant le ciel d'un regard inquiet. On n'attend plus que ma soeur, on pourrait tout de même partir, si elle arrivait.

Madame Lorilleux, en effet, était en retard. Madame Lerat venait de passer chez elle, pour la prendre; mais, comme elle l'avait trouvée en train de mettre son corset, elles s'étaient disputées toutes les deux. La grande veuve ajouta à l'oreille de son frère:

– Je l'ai plantée là. Elle est d'une humeur!.. Tu verras quelle tête!

Et la noce dut patienter un quart d'heure encore, piétinant dans la boutique du marchand de vin, coudoyée, bousculée, au milieu des hommes qui entraient boire un canon sur le comptoir. Par moments, Boche, ou madame Fauconnier ou Bibi-la-Grillade, se détachaient, s'avançaient au bord du trottoir, les yeux en l'air. Ça ne coulait pas du tout; le jour baissait, des souffles de vent, rasant le sol, enlevaient de petits tourbillons de poussière blanche. Au premier coup de tonnerre, mademoiselle Remanjou se signa. Tous les regards se portaient avec anxiété sur l'oeil-de-boeuf, au-dessus de la glace: il était déjà deux heures moins vingt.

– Allez-y! cria Coupeau. Voilà les anges qui pleurent.

Une rafale de pluie balayait la chaussée, où des femmes fuyaient, en tenant leurs jupes à deux mains. Et ce fut sous cette première ondée que madame Lorilleux arriva enfin, essoufflée, furibonde, se battant sur le seuil avec son parapluie, qui ne voulait pas se fermer.

– A-t-on jamais vu! bégayait-elle. Ça m'a pris juste à la porte. J'avais envie de remonter et de me déshabiller. J'aurais rudement bien fait… Ah! elle est jolie, la noce! Je le disais, je voulais tout renvoyer à samedi prochain. Et il pleut parce qu'on ne m'a pas écoutée! Tant mieux! tant mieux que le ciel crève!

Coupeau essaya de la calmer. Mais elle l'envoya coucher. Ce ne serait pas lui qui payerait sa robe, si elle était perdue. Elle avait une robe de soie noire, dans laquelle elle étouffait; le corsage, trop étroit, tirait sur les boutonnières, la coupait aux épaules; et la jupe, taillée en fourreau, lui serrait si fort les cuisses, qu'elle devait marcher à tout petits pas. Pourtant, les dames de la société la regardaient, les lèvres pincées, l'air ému de sa toilette. Elle ne parut même pas voir Gervaise, assise à côté de maman Coupeau. Elle appela Lorilleux, lui demanda son mouchoir; puis, dans un coin de la boutique, soigneusement, elle essuya une à une les gouttes de pluie roulées sur la soie.

Cependant, l'ondée avait brusquement cessé. Le jour baissait encore, il faisait presque nuit, une nuit livide traversée par de larges éclairs. Bibi-la-Grillade répétait en riant qu'il allait tomber des curés, bien sûr. Alors, l'orage éclata avec une extrême violence. Pendant une demi-heure, l'eau tomba à seaux, la foudre gronda sans relâche. Les hommes, debout devant la porte, contemplaient le voile gris de l'averse, les ruisseaux grossis, la poussière d'eau volante montant du clapotement des flaques. Les femmes s'étaient assises, effrayées, les mains aux yeux. On ne causait plus, la gorge un peu serrée. Une plaisanterie risquée sur le tonnerre par Boche, disant que saint Pierre éternuait là-haut, ne fit sourire personne. Mais, quand la foudre espaça ses coups, se perdit au loin, la société recommença à s'impatienter, se fâcha contre l'orage, jurant et montrant le poing aux nuées. Maintenant, du ciel couleur de cendre, une pluie fine tombait, interminable.

– Il est deux heures passées, cria madame Lorilleux. Nous ne pouvons pourtant pas coucher ici!

Mademoiselle Remanjou ayant parlé d'aller à la campagne tout de même, quand on devrait s'arrêter dans le fossé des fortifications, la noce se récria: les chemins devaient être jolis, on ne pourrait seulement pas s'asseoir sur l'herbe; puis, ça ne paraissait pas fini, il reviendrait peut-être une saucée. Coupeau, qui suivait des yeux un ouvrier trempé marchant tranquillement sous la pluie, murmura:

– Si cet animal de Mes-Bottes nous attend sur la route de Saint-Denis, il n'attrapera pas un coup de soleil.

Cela fit rire. Mais la mauvaise humeur grandissait. Ça devenait crevant à la fin. Il fallait décider quelque chose. On ne comptait pas sans doute se regarder comme ça le blanc des yeux jusqu'au dîner. Alors, pendant un quart d'heure, en face de l'averse entêtée, on se creusa le cerveau. Bibi-la-Grillade proposait de jouer aux cartes; Boche, de tempérament polisson et sournois, savait un petit jeu bien drôle, le jeu du confesseur; madame Gaudron parlait d'aller manger de la tarte aux ognons, chaussée Clignancourt; madame Lerat aurait souhaité qu'on racontât des histoires; Gaudron ne s'embêtait pas, se trouvait bien là, offrait seulement de se mettre à table tout de suite. Et, à chaque proposition, on discutait, on se fâchait: c'était bête, ça endormirait tout le monde, on les prendrait pour des moutards. Puis, comme Lorilleux, voulant dire son mot, trouvait quelque chose de bien simple, une promenade sur les boulevards extérieurs jusqu'au Père-Lachaise, où l'on pourrait entrer voir le tombeau d'Héloïse et d'Abélard, si l'on avait le temps, madame Lorilleux, ne se contenant plus, éclata. Elle fichait le camp, elle! Voilà ce qu'elle faisait! Est-ce qu'on se moquait du monde? Elle s'habillait, elle recevait la pluie, et c'était pour s'enfermer chez un marchand de vin! Non, non, elle en avait assez d'une noce comme ça, elle préférait son chez elle. Coupeau et Lorilleux durent barrer la porte. Elle répétait:

– Otez-vous de là! Je vous dis que je m'en vais!

Son mari ayant réussi à la calmer, Coupeau s'approcha de Gervaise, toujours tranquille dans son coin, causant avec sa belle-mère et madame Fauconnier.

– Mais vous ne proposez rien, vous! dit-il, sans oser encore la tutoyer.

– Oh! tout ce qu'on voudra, répondit-elle en riant. Je ne suis pas difficile. Sortons, ne sortons pas, ça m'est égal. Je me sens très-bien, je n'en demande pas plus.

Et elle avait, en effet, la figure tout éclairée d'une joie paisible. Depuis que les invités se trouvaient là, elle parlait à chacun d'une voix un peu basse et émue, l'air raisonnable, sans se mêler aux disputes. Pendant l'orage, elle était restée les yeux fixes, regardant les éclairs, comme voyant des choses graves, très-loin, dans l'avenir, à ces lueurs brusques.

M. Madinier, pourtant, n'avait encore rien proposé. Il était appuyé contre le comptoir, les pans de son habit écartés, gardant son importance de patron. Il cracha longuement, roula ses gros yeux.

– Mon Dieu! dit-il, on pourrait aller au musée… Et il se caressa le menton, en consultant la société d'un clignement de paupières.

– Il y a des antiquités, des images, des tableaux, un tas de choses. C'est très instructif… Peut-être bien que vous ne connaissez pas ça. Oh! c'est à voir, au moins une fois.

La noce se regardait, se tâtait. Non, Gervaise ne connaissait pas ça; madame Fauconnier non plus, ni Boche, ni les autres. Coupeau croyait bien être monté un dimanche, mais il ne se souvenait plus bien. On hésitait cependant, lorsque madame Lorilleux, sur laquelle l'importance de M. Madinier produisait une grande impression, trouva l'offre très comme il faut, très honnête. Puisqu'on sacrifiait la journée, et qu'on était habillé, autant valait-il visiter quelque chose pour son instruction. Tout le monde approuva. Alors, comme la pluie tombait encore un peu, on emprunta au marchand de vin des parapluies, de vieux parapluies, bleus, verts, marron, oubliés par les clients; et l'on partit pour le musée.

La noce tourna à droite, descendit dans Paris par le faubourg Saint-Denis. Coupeau et Gervaise marchaient de nouveau en tête, courant, devançant les autres. M. Madinier donnait maintenant le bras à madame Lorilleux, maman Coupeau étant restée chez le marchand de vin, à cause de ses jambes. Puis venaient Lorilleux et madame Lerat, Boche et madame Fauconnier, Bibi-la-Grillade et mademoiselle Remanjou, enfin le ménage Gaudron. On était douze. Ça faisait encore une jolie queue sur le trottoir.

– Oh! nous n'y sommes pour rien, je vous jure, expliquait madame Lorilleux à M. Madinier. Nous ne savons pas où il l'a prise, ou plutôt nous ne le savons que trop; mais ce n'est pas à nous de parler, n'est-ce pas? … Mon mari a dû acheter l'alliance. Ce matin, au saut du lit, il a fallu leur prêter dix francs, sans quoi rien ne se faisait plus… Une mariée qui n'amène seulement pas un parent à sa noce! Elle dit avoir à Paris une soeur charcutière. Pourquoi ne l'a-t-elle pas invitée, alors?

Elle s'interrompit, pour montrer Gervaise, que la pente du trottoir faisait fortement boiter.

– Regardez-la! S'il est permis!.. Oh! la banban!

Et ce mot: la Banban, courut dans la société. Lorilleux ricanait, disait qu'il fallait l'appeler comme ça. Mais madame Fauconnier prenait la défense de Gervaise: on avait tort de se moquer d'elle, elle était propre comme un sou et abattait fièrement l'ouvrage, quand il le fallait. Madame Lerat, toujours pleine d'allusions polissonnes, appelait la jambe de la petite « une quille d'amour »; et elle ajoutait que beaucoup d'hommes aimaient ça, sans vouloir s'expliquer davantage.

La noce, débouchant de la rue Saint-Denis, traversa le boulevard. Elle attendit un moment, devant le flot des voitures; puis, elle se risqua sur la chaussée, changée par l'orage en une mare de boue coulante. L'ondée reprenait, la noce venait d'ouvrir les parapluies; et, sous les riflards lamentables, balancés à la main des hommes, les femmes se retroussaient, le défilé s'espaçait dans la crotte, tenant d'un trottoir à l'autre. Alors, deux voyous crièrent à la chienlit; des promeneurs accoururent; des boutiquiers, l'air amusé, se haussèrent derrière leurs vitrines. Au milieu du grouillement de la foule, sur les fonds gris et mouillés du boulevard, les couples en procession mettaient des taches violentes, la robe gros bleu de Gervaise, la robe écrue à fleurs imprimées de madame Fauconnier, le pantalon jaune-canari de Boche; une raideur de gens endimanchés donnait des drôleries de carnaval à la redingote luisante de Coupeau et à l'habit carré de M. Madinier; tandis que la belle toilette de madame Lorilleux, les effilés de madame Lerat, les jupes fripées de mademoiselle Remanjou, mêlaient les modes, traînaient à la file les décrochez-moi ça du luxe des pauvres. Mais c'étaient surtout les chapeaux des messieurs qui égayaient, de vieux chapeaux conservés, ternis par l'obscurité de l'armoire, avec des formes pleines de comique, hautes, évasées, en pointe, des ailes extraordinaires, retroussées, plates, trop larges ou trop étroites. Et les sourires augmentaient encore, quand, tout au bout, pour clore le spectacle, madame Gaudron, la cardeuse, s'avançait dans sa robe d'un violet cru, avec son ventre de femme enceinte, qu'elle portait énorme, très en avant. La noce, cependant, ne hâtait point sa marche, bonne enfant, heureuse d'être regardée, s'amusant des plaisanteries.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 ekim 2017
Hacim:
600 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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