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Kitabı oku: «L'Assommoir», sayfa 6

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– Tiens! la mariée! cria l'un des voyous, en montrant madame Gaudron.

Ah! malheur! elle a avalé un rude pepin!

Toute la société éclata de rire. Bibi-la-Grillade, se tournant, dit que le gosse avait bien envoyé ça. La cardeuse riait le plus fort, s'étalait; ça n'était pas déshonorant, au contraire; il y avait plus d'une dame qui louchait en passant et qui aurait voulu être comme elle.

On s'était engagé dans la rue de Cléry. Ensuite, on prit la rue du Mail. Sur la place des Victoires, il y eut un arrêt. La mariée avait le cordon de son soulier gauche dénoué; et, comme elle le rattachait, au pied de la statue de Louis XIV, les couples se serrèrent derrière elle, attendant, plaisantant sur le bout de mollet qu'elle montrait. Enfin, après avoir descendu la rue Croix-des-Petits-Champs, on arriva au Louvre.

M. Madinier, poliment, demanda à prendre la tête du cortège.

C'était très grand, on pouvait se perdre; et lui, d'ailleurs, connaissait les beaux endroits, parce qu'il était souvent venu avec un artiste, un garçon bien intelligent, auquel une grande maison de cartonnage achetait des dessins, pour les mettre sur des boîtes. En bas, quand la noce se fut engagée dans le musée assyrien, elle eut un petit frisson. Fichtre! il ne faisait pas chaud; la salle aurait fait une fameuse cave. Et, lentement les couples avançaient, le menton levé, les paupières battantes, entre les colosses de pierre, les dieux de marbre noir muets dans leur raideur hiératique, les bêtes monstrueuses, moitié chattes et moitié femmes, avec des figures de mortes, le nez aminci, les lèvres gonflées. Ils trouvaient tout ça très vilain. On travaillait joliment mieux la pierre au jour d'aujourd'hui. Une inscription en caractères phéniciens les stupéfia. Ce n'était pas possible, personne n'avait jamais lu ce grimoire. Mais M. Madinier, déjà sur le premier palier avec madame Lorilleux, les appelait, criant sous les voûtes:

– Venez donc. Ce n'est rien, ces machines… C'est au premier qu'il faut voir.

La nudité sévère de l'escalier les rendit graves. Un huissier superbe, en gilet rouge, la livrée galonnée d'or, qui semblait les attendre sur le palier, redoubla leur émotion. Ce fut avec respect, marchant le plus doucement possible, qu'ils entrèrent dans la galerie française.

Alors, sans s'arrêter, les yeux emplis de l'or des cadres, ils suivirent l'enfilade des petits salons, regardant passer les images, trop nombreuses pour être bien vues. Il aurait fallu une heure devant chacune, si l'on avait voulu comprendre. Que de tableaux, sacredié! ça ne finissait pas. Il devait y en avoir pour de l'argent. Puis, au bout, M. Madinier les arrêta brusquement devant le Radeau de la Méduse; et il leur expliqua le sujet. Tous, saisis, immobiles, se taisaient. Quand on se remit à marcher, Boche résuma le sentiment général: c'était tapé.

Dans la galerie d'Apollon, le parquet surtout émerveilla la société, un parquet luisant, clair comme un miroir, où les pieds des banquettes se reflétaient. Mademoiselle Remanjou fermait les yeux, parce qu'elle croyait marcher sur de l'eau. On criait à madame Gaudron de poser ses souliers à plat, à cause de sa position. M. Madinier voulait leur montrer les dorures et les peintures du plafond; mais ça leur cassait le cou, et ils ne distinguaient rien. Alors, avant d'entrer dans le salon carré, il indiqua une fenêtre du geste, en disant:

– Voilà le balcon d'où Charles IX a tiré sur le peuple.

Cependant, il surveillait la queue du cortège. D'un geste, il commanda une halte, au milieu du salon carré. Il n'y avait là que des chefs-d'oeuvre, murmurait-il à demi-voix, comme dans une église. On fit le tour du salon. Gervaise demanda le sujet des Noces de Cana; c'était bête de ne pas écrire les sujets sur les cadres. Coupeau s'arrêta devant la Joconde, à laquelle il trouva une ressemblance avec une de ses tantes. Boche et Bibi la-Grillade ricanaient, en se montrant du coin de l'oeil les femmes nues; les cuisses de l'Antiope surtout leur causèrent un saisissement. Et, tout au bout, le ménage Gaudron, l'homme la bouche ouverte, la femme les mains sur son ventre, restaient béants, attendris et stupides, en face de la Vierge de Murillo.

Le tour du salon terminé, M. Madinier voulut qu'on recommençât; ça en valait la peine. Il s'occupait beaucoup de madame Lorilleux, à cause de sa robe de soie; et, chaque fois qu'elle l'interrogeait, il répondait gravement, avec un grand aplomb. Comme elle s'intéressait à la maîtresse du Titien, dont elle trouvait la chevelure jaune pareille à la sienne, il la lui donna pour la belle Ferronnière, une maîtresse d'Henri IV, sur laquelle on avait joué un drame, à l'Ambigu.

Puis, la noce se lança dans la longue galerie où sont les écoles italiennes et flamandes. Encore des tableaux, toujours des tableaux, des saints, des hommes et des femmes avec des figures qu'on ne comprenait pas, des paysages tout noirs, des bêtes devenues jaunes, une débandade de gens et de choses dont le violent tapage de couleurs commençait à leur causer un gros mal de tête. M. Madinier ne parlait plus, menait lentement le cortège, qui le suivait en ordre, tous les cous tordus et les yeux en l'air. Des siècles d'art passaient devant leur ignorance ahurie, la sécheresse fine des primitifs, les splendeurs des Vénitiens, la vie grasse et belle de lumière des Hollandais. Mais ce qui les intéressait le plus, c'étaient encore les copistes, avec leurs chevalets installés parmi le monde, peignant sans gêne; une vieille dame, montée sur une grande échelle, promenant un pinceau à badigeon dans le ciel tendre d'une immense toile, les frappa d'une façon particulière. Peu à peu, pourtant, le bruit avait dû se répandre qu'une noce visitait le Louvre; des peintres accouraient, la bouche fendue d'un rire; des curieux s'asseyaient à l'avance sur des banquettes, pour assister commodément au défilé; tandis que les gardiens, les lèvres pincées, retenaient des mots d'esprit. Et la noce, déjà lasse, perdant de son respect, traînait ses souliers à clous, tapait ses talons sur les parquets sonores, avec le piétinement d'un troupeau débandé, lâché au milieu de la propreté nue et recueillie des salles.

M. Madinier se taisait pour ménager un effet. Il alla droit à la Kermesse de Rubens. Là, il ne dit toujours rien, il se contenta d'indiquer la toile, d'un coup d'oeil égrillard. Les dames, quand elles eurent le nez sur la peinture, poussèrent de petits cris; puis, elles se détournèrent, très-rouges. Les hommes les retinrent, rigolant, cherchant les détails orduriers.

– Voyez donc! répétait Boche, ça vaut l'argent. En voilà un qui dégobille. Et celui-là, il arrose les pissenlits. Et celui-là, oh! celui-là… Ah bien! ils sont propres, ici.

– Allons-nous-en, dit M. Madinier, ravi de son succès. Il n'y a plus rien à voir de ce côté.

La noce retourna sur ses pas, traversa de nouveau le salon carré et la galerie d'Apollon. Madame Lerat et mademoiselle Remanjou se plaignaient, déclarant que les jambes leur rentraient dans le corps. Mais le cartonnier voulait montrer à Lorilleux les bijoux anciens. Ça se trouvait à côté, au fond d'une petite pièce, où il serait allé les yeux fermés. Pourtant, il se trompa, égara la noce le long de sept ou huit salles, désertes, froides, garnies seulement de vitrines sévères où s'alignaient une quantité innombrable de pots cassés et de bonshommes très-laids. La noce frissonnait, s'ennuyait ferme. Puis, comme elle cherchait une porte, elle tomba dans les dessins. Ce fut une nouvelle course immense: les dessins n'en finissaient pas, les salons succédaient aux salons, sans rien de drôle, avec des feuilles de papier gribouillées, sous des vitres, contre les murs. M. Madinier, perdant la tête, ne voulant point avouer qu'il était perdu, enfila un escalier, fit monter un étage à la noce. Cette fois, elle voyageait au milieu du musée de marine, parmi des modèles d'instruments et de canons, des plans en relief, des vaisseaux grands comme des joujoux. Un autre escalier se rencontra, très loin, au bout d'un quart d'heure de marche. Et, l'ayant descendu, elle se retrouva en plein dans les dessins. Alors, le désespoir la prit, elle roula au hasard des salles, les couples toujours à la file, suivant M. Madinier, qui s'épongeait le front, hors de lui, furieux contre l'administration, qu'il accusait d'avoir changé les portes de place. Les gardiens et les visiteurs la regardaient passer, pleins d'étonnement. En moins de vingt minutes, on la revit au salon carré, dans la galerie française, le long des vitrines où dorment les petits dieux de l'Orient. Jamais plus elle ne sortirait. Les jambes cassées, s'abandonnant, la noce faisait un vacarme énorme, laissant dans sa course le ventre de madame Gaudron en arrière.

– On ferme! on ferme! crièrent les voix puissantes des gardiens.

Et elle faillit se laisser enfermer. Il fallut qu'un gardien se mît à sa tête, la reconduisît jusqu'à une porte. Puis, dans la cour du Louvre, lorsqu'elle eut repris ses parapluies au vestiaire, elle respira. M. Madinier retrouvait son aplomb; il avait eu tort de ne pas tourner à gauche; maintenant, il se souvenait que les bijoux étaient à gauche. Toute la société, d'ailleurs, affectait d'être contente d'avoir vu ça.

Quatre heures sonnaient. On avait encore deux heures à employer avant le dîner. On résolut de faire un tour, pour tuer le temps. Les dames, très lasses, auraient bien voulu s'asseoir; mais, comme personne n'offrait des consommations, on se remit en marche, on suivit le quai. Là, une nouvelle averse arriva, si drue, que, malgré les parapluies, les toilettes des dames s'abîmaient. Madame Lorilleux, le coeur noyé à chaque goutte qui mouillait sa robe, proposa de se réfugier sous le Pont-Royal; d'ailleurs, si on ne la suivait pas, elle menaçait d'y descendre toute seule. Et le cortège alla sous le Pont-Royal. On y était joliment bien. Par exemple, on pouvait appeler ça une idée chouette! Les dames étalèrent leurs mouchoirs sur les pavés, se reposèrent là, les genoux écartés, arrachant des deux mains les brins d'herbe poussés entre les pierres, regardant couler l'eau noire, comme si elles se trouvaient à la campagne. Les hommes s'amusèrent à crier très fort, pour éveiller l'écho de l'arche, en face d'eux; Boche et Bibi-la-Grillade, l'un après l'autre, injuriaient le vide, lui lançaient à toute volée: « Cochon! » et riaient beaucoup, quand l'écho leur renvoyait le mot; puis, la gorge enrouée, ils prirent des cailloux plats et jouèrent à faire des ricochets. L'averse avait cessé, mais la société se trouvait si bien, qu'elle ne songeait plus à s'en aller. La Seine charriait des nappes grasses, de vieux bouchons et des épluchures de légumes, un tas d'ordures qu'un tourbillon retenait un instant, dans l'eau inquiétante, tout assombrie par l'ombre de la voûte; tandis que, sur le pont, passait le roulement des omnibus et des fiacres, la cohue de Paris, dont on apercevait seulement les toits, à droite et à gauche, comme du fond d'un trou. Mademoiselle Remanjou soupirait; s'il y avait eu des feuilles, ça lui aurait rappelé, disait-elle, un coin de la Marne, ou elle allait, vers 1817, avec un jeune homme qu'elle pleurait encore.

Cependant, M. Madinier donna le signal du départ. On traversa le jardin des Tuileries, au milieu d'un petit peuple d'enfants dont les cerceaux et les ballons dérangèrent le bel ordre des couples. Puis, comme la noce, arrivée sur la place Vendôme, regardait la colonne, M. Madinier songea à faire une galanterie aux dames; il leur offrit de monter dans la colonne, pour voir Paris. Son offre parut très farce. Oui, oui, il fallait monter, on en rirait longtemps. D'ailleurs, ça ne manquait pas d'intérêt pour les personnes qui n'avaient jamais quitté le plancher aux vaches.

– Si vous croyez que la Banban va se risquer là dedans, avec sa quille! murmurait madame Lorilleux.

– Moi, je monterais volontiers, disait madame Lerat, mais je ne veux pas qu'il y ait d'homme derrière moi.

Et la noce monta. Dans l'étroite spirale de l'escalier, les douze grimpaient à la file, butant contre les marches usées, se tenant aux murs. Puis, quand l'obscurité devint complète, ce fut une bosse de rires. Les dames poussaient de petits cris. Les messieurs les chatouillaient, leur pinçaient les jambes. Mais elles étaient bien bêtes de causer! on a l'air de croire que ce sont des souris. D'ailleurs, ça restait sans conséquence; ils savaient s'arrêter où il fallait, pour l'honnêteté. Puis, Boche trouva une plaisanterie que toute la société répéta. On appelait madame Gaudron, comme si elle était restée en chemin, et on lui demandait si son ventre passait. Songez donc! si elle s'était trouvée prise là, sans pouvoir monter ni descendre, elle aurait bouché le trou, on n'aurait jamais su comment s'en aller. Et l'on riait de ce ventre de femme enceinte, avec une gaieté formidable qui secouait la colonne. Ensuite, Boche, tout à fait lancé, déclara qu'on se faisait vieux, dans ce tuyau de cheminée; ça ne finissait donc pas, on allait donc au ciel? Et il cherchait à effrayer les dames, en criant que ça remuait. Cependant, Coupeau ne disait rien; il venait derrière Gervaise, la tenait à la taille, la sentait s'abandonner. Lorsque, brusquement, on rentra dans le jour, il était juste en train de lui embrasser le cou.

– Eh bien! vous êtes propres, ne vous gênez pas tous les deux! dit madame Lorilleux d'un air scandalisé.

Bibi-la-Grillade paraissait furieux. Il répétait entre ses dents:

Vous en avez fait un bruit! Je n'ai pas seulement pu compter les marches.

Mais M. Madinier, sur la plate-forme, montrait déjà les monuments. Jamais madame Fauconnier ni mademoiselle Remanjou ne voulurent sortir de l'escalier; la pensée seule du pavé, en bas, leur tournait les sangs; et elles se contentaient de risquer des coups d'oeil par la petite porte. Madame Lerat, plus crâne, faisait le tour de l'étroite terrasse, en se collant contre le bronze du dôme. C'était tout de même rudement émotionnant, quand on songeait qu'il aurait suffi de passer une jambe. Quelle culbute, sacré Dieu! Les hommes, un peu pâles, regardaient la place. On se serait cru en l'air, séparé de tout. Non, décidément, ça vous faisait froid aux boyaux. M. Madinier, pourtant, recommandait de lever les yeux, de les diriger devant soi, très loin; ça empêchait le vertige. Et il continuait à indiquer du doigt les Invalides, le Panthéon, Notre-Dame, la tour Saint-Jacques, les buttes Montmartre. Puis, madame Lorilleux eut l'idée de demander si l'on apercevait, sur le boulevard de la Chapelle, le marchand de vin où l'on allait manger, au Moulin-d'Argent. Alors, pendant dix minutes, on chercha, on se disputa même; chacun plaçait le marchand de vin à un endroit. Paris, autour d'eux, étendait son immensité grise, aux lointains bleuâtres, ses vallées profondes, où roulait une houle de toitures; toute la rive droite était dans l'ombre, sous un grand haillon de nuage cuivré; et, du bord de ce nuage, frangé d'or, un large rayon coulait, qui allumait les milliers de vitres de la rive gauche d'un pétillement d'étincelles, détachant en lumière ce coin de la ville sur un ciel très pur, lavé par l'orage.

– Ce n'était pas la peine de monter pour nous manger le nez, dit Boche, furieux, en reprenant l'escalier.

La noce descendit, muette, boudeuse, avec la seule dégringolade des souliers sur les marches. En bas, M. Madinier voulait payer. Mais Coupeau se récria, se hâta de mettre dans la main du gardien vingt-quatre sous, deux sous par personne. Il était près de cinq heures et demie; on avait tout juste le temps de rentrer. Alors, on revint par les boulevards et par le faubourg Poissonnière. Coupeau, pourtant, trouvait que la promenade ne pouvait pas se terminer comme ça; il poussa tout le monde au fond d'un marchand de vin, où l'on prit du vermouth.

Le repas était commandé pour six heures. On attendait la noce depuis vingt minutes, au Moulin-d'Argent. Madame Boche, qui avait confié sa loge à une dame de la maison, causait avec maman Coupeau, dans le salon du premier, en face de la table servie; et les deux gamins, Claude et Étienne, amenés par elle, jouaient à courir sous la table, au milieu d'une débandade de chaises. Lorsque Gervaise, en entrant, aperçut les petits, qu'elle n'avait pas vus de la journée, elle les prit sur ses genoux, les caressa, avec de gros baisers.

– Ont-ils été sages? demanda-t-elle à madame Boche. Ils ne vous ont pas trop fait endêver, au moins?

Et comme celle-ci lui racontait les mots à mourir de rire de ces vermines-là, pendant l'après-midi, elle les enleva de nouveau, les serra contre elle, prise d'une rage de tendresse.

– C'est drôle pour Coupeau tout de même, disait madame Lorilleux aux autres dames, dans le fond du salon.

Gervaise avait gardé sa tranquillité souriante de la matinée. Depuis la promenade pourtant, elle devenait par moments toute triste, elle regardait son mari et les Lorilleux de son air pensif et raisonnable. Elle trouvait Coupeau lâche devant sa soeur. La veille encore, il criait fort, il jurait de les remettre à leur place, ces langues de vipères, s'ils lui manquaient. Mais, en face d'eux, elle le voyait bien, il faisait le chien couchant, guettait sortir leurs paroles, était aux cent coups quand il les croyait fâchés. Et cela, simplement, inquiétait la jeune femme pour l'avenir.

Cependant, on n'attendait plus que Mes-Bottes, qui n'avait pas encore paru.

– Ah! zut! cria Coupeau, mettons-nous à table. Vous allez le voir abouler; il a le nez creux, il sent la boustifaille de loin… Dites donc, il doit rire, s'il est toujours à faire le poireau sur la route de Saint-Denis!

Alors, la noce, très égayée, s'attabla avec un grand bruit de chaises. Gervaise était entre Lorilleux et M. Madinier, et Coupeau, entre madame Fauconnier et madame Lorilleux. Les autres convives se placèrent à leur goût, parce que ça finissait toujours par des jalousies et des disputes, lorsqu'on indiquait les couverts. Boche se glissa près de madame Lerat. Bibi-la-Grillade eut pour voisines mademoiselle Remanjou et madame Gaudron. Quant à madame Boche et à maman Coupeau, tout au bout, elles gardèrent les enfants, elles se chargèrent de couper leur viande, de leur verser à boire, surtout pas beaucoup de vin.

– Personne ne dit le Bénédicité? demanda Boche, pendant que les dames arrangeaient leurs jupes sous la nappe, par peur des taches.

Mais madame Lorilleux n'aimait pas ces plaisanteries-là. Et le potage au vermicelle, presque froid, fut mangé très vite, avec des sifflements de lèvres dans les cuillers. Deux garçons servaient, en petites vestes graisseuses, en tabliers d'un blanc douteux. Par les quatre fenêtres ouvertes sur les acacias de la cour, le plein jour entrait, une fin de journée d'orage, lavée et chaude encore. Le reflet des arbres, dans ce coin humide, verdissait la salle enfumée, faisait danser des ombres de feuilles au-dessus de la nappe, mouillée d'une odeur vague de moisi. Il y avait deux glaces, pleines de chiures de mouches, une à chaque bout, qui allongeaient la table à l'infini, couverte de sa vaisselle épaisse, tournant au jaune, où le gras des eaux de l'évier restait en noir dans les égratignures des couteaux. Au fond, chaque fois qu'un garçon remontait de la cuisine, la porte battait, soufflait une odeur forte de graillon.

– Ne parlons pas tous à la fois, dit Boche, comme chacun se taisait, le nez sur son assiette.

Et l'on buvait le premier verre de vin, en suivant des yeux deux tourtes aux godiveaux, servies par les garçons, lorsque Mes-Bottes entra.

– Eh bien! vous êtes de la jolie fripouille, vous autres! cria-t-il. J'ai usé mes plantes pendant trois heures sur la route, même qu'un gendarme m'a demandé mes papiers… Est-ce qu'on fait de ces cochonneries-là à un ami! Fallait au moins m'envoyer un sapin par un commissionnaire. Ah! non, vous savez, blague dans le coin, je la trouve raide. Avec ça, il pleuvait si fort, que j'avais de l'eau dans mes poches… Vrai, on y pêcherait encore une friture.

La société riait, se tordait. Cet animal de Mes-Bottes était allumé; il avait bien déjà ses deux litres; histoire seulement de ne pas se laisser embêter par tout ce sirop de grenouille que l'orage avait craché sur ses abatis.

– Eh! le comte de Gigot-Fin! dit Coupeau, va t'asseoir là-bas, à côté de madame Gaudron. Tu vois, on t'attendait.

Oh! ça ne l'embarrassait pas, il rattraperait les autres; et il redemanda trois fois du potage, des assiettes de vermicelle, dans lesquelles il coupait d'énormes tranches de pain. Alors, quand on eut attaqué les tourtes, il devint la profonde admiration de toute la table. Comme il bâfrait! Les garçons effarés faisaient la chaîne pour lui passer du pain, des morceaux finement coupés qu'il avalait d'une bouchée. Il finit par se fâcher; il voulait un pain, à côté de lui. Le marchand de vin, très-inquiet, se montra un instant sur le seuil de la salle. La société, qui l'attendait, se tordit de nouveau. Ça la lui coupait, au gargotier! Quel sacré zig tout de même, ce Mes-Bottes! Est-ce qu'un jour il n'avait pas mangé douze oeufs durs et bu douze verres de vin, pendant que les douze coups de midi sonnaient! On n'en rencontre pas beaucoup de cette force-là. Et mademoiselle Remanjou, attendrie, regardait Mes-Bottes mâcher, tandis que M. Madinier, cherchant un mot pour exprimer son étonnement presque respectueux, déclara une telle capacité extraordinaire.

Il y eut un silence. Un garçon venait de poser sur la table une gibelotte de lapin, dans un vaste plat, creux comme un saladier. Coupeau, très blagueur, en lança une bonne.

– Dites donc, garçon, c'est du lapin de gouttière, ça… Il miaule encore.

En effet, un léger miaulement, parfaitement imité, semblait sortir du plat. C'était Coupeau qui faisait ça avec la gorge, sans remuer les lèvres; un talent de société d'un succès certain, si bien qu'il ne mangeait jamais dehors sans commander une gibelotte. Ensuite, il ronronna. Les dames se tamponnaient la figure avec leurs serviettes, parce qu'elles riaient trop.

Madame Fauconnier demanda la tête; elle n'aimait que la tête.

Mademoiselle Remanjou adorait les lardons. Et, comme Boche disait préférer les petits ognons, quand ils étaient bien revenus, madame Lerat pinça les lèvres, en murmurant:

– Je comprends ça.

Elle était sèche comme un échalas, menait une vie d'ouvrière cloîtrée dans son train-train, n'avait pas vu le nez d'un homme chez elle depuis son veuvage, tout en montrant une préoccupation continuelle de l'ordure, une manie de mots à double entente et d'allusions polissonnes, d'une telle profondeur, qu'elle seule se comprenait. Boche, se penchant et réclamant une explication, tout bas, à l'oreille, elle reprit:

– Sans doute, les petits ognons…Ça suffit, je pense.

Mais la conversation devenait sérieuse. Chacun parlait de son métier. M. Madinier exaltait le cartonnage: il y avait de vrais artistes dans la partie; ainsi, il citait des boîtes d'étrennes, dont il connaissait les modèles, des merveilles de luxe. Lorilleux, pourtant, ricanait; il était très vaniteux de travailler l'or, il en voyait comme un reflet sur ses doigts et sur toute sa personne. Enfin, disait-il souvent, les bijoutiers, au temps jadis, portaient l'épée; et il citait Bernard Palissy, sans savoir. Coupeau, lui, racontait une girouette, un chef-d'oeuvre d'un de ses camarades; ça se composait d'une colonne, puis d'une gerbe, puis d'une corbeille de fruits, puis d'un drapeau; le tout, très bien reproduit, fait rien qu'avec des morceaux de zinc découpés et soudés. Madame Lerat montrait à Bibi-la-Grillade comment on tournait une queue de rose, en roulant le manche de son couteau entre ses doigts osseux. Cependant, les voix montaient, se croisaient; on entendait, dans le bruit, des mots lancés très haut par madame Fauconnier, en train de se plaindre de ses ouvrières, d'un petit chausson d'apprentie qui lui avait encore brûlé, la veille, une paire de draps.

– Vous avez beau dire, cria Lorilleux en donnant un coup de poing sur la table, l'or, c'est de l'or.

Et, au milieu du silence causé par cette vérité, il n'y eut plus que la voix fluette de mademoiselle Remanjou, continuant:

– Alors, je leur relève la jupe, je couds en dedans… Je leur plante une épingle dans la tête pour tenir le bonnet… Et c'est fait, on les vend treize sous.

Elle expliquait ses poupées à Mes-Bottes, dont les mâchoires, lentement, roulaient comme des meules. Il n'écoutait pas, il hochait la tête, guettant les garçons, pour ne pas leur laisser emporter les plats sans les avoir torchés. On avait mangé un fricandeau au jus et des haricots verts. On apportait le rôti, deux poulets maigres, couchés sur un lit de cresson, fané et cuit par le four. Au dehors, le soleil se mourait sur les branches hautes des acacias. Dans la salle, le reflet verdâtre s'épaississait des buées montant de la table, tachée de vin et de sauce, encombrée de la débâcle du couvert; et, le long du mur, des assiettes sales, des litres vides, posés là par les garçons, semblaient les ordures balayées et culbutées de la nappe. Il faisait très chaud. Les hommes retirèrent leurs redingotes et continuèrent à manger en manches de chemise.

– Madame Boche, je vous en prie, ne les bourrez pas tant, dit Gervaise, qui parlait peu, surveillant de loin Claude et Étienne.

Elle se leva, alla causer un instant, debout derrière les chaises des petits. Les enfants, ça n'avait pas de raison, ça mangeait toute une journée sans refuser les morceaux; et elle leur servit elle-même du poulet, un peu de blanc. Mais maman Coupeau dit qu'ils pouvaient bien, pour une fois, se donner une indigestion. Madame Boche, à voix basse, accusa Boche de pincer les genoux de madame Lerat. Oh! c'était un sournois, il godaillait. Elle avait bien vu sa main disparaître. S'il recommençait, jour de Dieu! elle était femme à lui flanquer une carafe à la tête.

Dans le silence, M. Madinier causait politique.

– Leur loi du 31 mai est une abomination. Maintenant, il faut deux ans de domicile. Trois millions de citoyens sont rayés des listes… On m'a dit que Bonaparte, au fond, est très vexé, car il aime le peuple, il en a donné des preuves.

Lui, était républicain; mais il admirait le prince, à cause de son oncle, un homme comme il n'en reviendrait jamais plus. Bibi-la-Grillade se fâcha: il avait travaillé à l'Élysée, il avait vu le Bonaparte comme il voyait Mes-Bottes, là, en face de lui; eh bien! ce mufe de président ressemblait à un roussin, voilà! On disait qu'il allait faire un tour du côté de Lyon; ce serait un fameux débarras, s'il se cassait le cou dans un fossé. Et, comme la discussion tournait au vilain, Coupeau dut intervenir.

– Ah bien! vous êtes encore innocents de vous attraper pour la politique!.. En voilà une blague, la politique! Est-ce que ça existe pour nous?.. On peut bien mettre ce qu'on voudra, un roi, un empereur, rien du tout, ça ne m'empêchera pas de gagner mes cinq francs, de manger et de dormir, pas vrai?.. Non, c'est trop bête!

Lorilleux hochait la tête. Il était né le même jour que le comte de Chambord, le 29 septembre 1820. Cette coïncidence le frappait beaucoup, l'occupait d'un rêve vague, dans lequel il établissait une relation entre le retour en France du roi et sa fortune personnelle. Il ne disait pas nettement ce qu'il espérait, mais il donnait à entendre qu'il lui arriverait alors quelque chose d'extraordinairement agréable. Aussi, à chacun de ses désirs trop gros pour être contenté, il renvoyait ça à plus tard, « quand le roi reviendrait. »

– D'ailleurs, racontait-il, j'ai vu un soir le comte de Chambord…

Tous les visages se tournèrent vers lui.

– Parfaitement. Un gros homme, en paletot, l'air bon garçon… J'étais chez Péquignot, un de mes amis, qui vend des meubles, Grande-Rue de la Chapelle… Le comte de Chambord avait la veille laissé là un parapluie. Alors, il est entré, il a dit comme ça, tout simplement: « Voulez-vous bien me rendre mon parapluie? » Mon Dieu! oui, c'était lui, Péquignot m'a donné sa parole d'honneur.

Aucun des convives n'émit le moindre doute. On était au dessert. Les garçons débarrassaient la table avec un grand bruit de vaisselle. Et madame Lorilleux, jusque-là très convenable, très dame, laissa échapper un: Sacré salaud! parce que l'un des garçons, en enlevant un plat, lui avait fait couler quelque chose de mouillé dans le cou. Pour sûr, sa robe de soie était tachée. M. Madinier dut lui regarder le dos, mais il n'y avait rien, il le jurait. Maintenant, au milieu de la nappe, s'étalaient des oeufs à la neige dans un saladier, flanqués de deux assiettes de fromage et de deux assiettes de fruits. Les oeufs à la neige, les blancs trop cuits nageant sur la crème jaune, causèrent un recueillement; on ne les attendait pas, on trouva ça distingué. Mes-Bottes mangeait toujours. Il avait redemandé un pain. Il acheva les deux fromages; et comme il restait de la crème, il se fit passer le saladier, au fond duquel il tailla de larges tranches, comme pour une soupe.

– Monsieur est vraiment bien remarquable, dit M. Madinier retombé dans son admiration.

Alors, les hommes se levèrent pour prendre leurs pipes. Ils restèrent un instant derrière Mes-Bottes, à lui donner des tapes sur les épaules, en lui demandant si ça allait mieux. Bibi-la-Grillade le souleva avec la chaise; mais, tonnerre de Dieu! l'animal avait doublé de poids. Coupeau, par blague, racontait que le camarade commençait seulement à se mettre en train, qu'il allait à présent manger comme ça du pain toute la nuit. Les garçons, épouvantés, disparurent. Boche, descendu depuis un instant, remonta en racontant la bonne tête du marchand de vin, en bas; il était tout pâle dans son comptoir, la bourgeoise consternée venait d'envoyer voir si les boulangers restaient ouverts, jusqu'au chat de la maison qui avait l'air ruiné. Vrai, c'était trop cocasse, ça valait l'argent du dîner, il ne pouvait pas y avoir de pique-nique sans cet avale-tout de Mes-Bottes. Et les hommes, leurs pipes allumées, le couvaient d'un regard jaloux; car enfin, pour tant manger, il fallait être solidement bâti!

– Je ne voudrais pas être chargée de vous nourrir, dit madame Gaudron. Ah! non, par exemple!

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 ekim 2017
Hacim:
600 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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