Kitabı oku: «Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7 - (P)», sayfa 15
Les exemples que nous venons de donner démontrent assez l'importance des ponts pendant le moyen âge comme moyen de communication et comme défense. Certains ponts plantés au confluent de deux rivières se reliaient à de véritables forteresses: tel était, par exemple, le pont de Montereau. Vers l'an 1026, un comte de Sens avait fait construire sur l'extrémité de la langue de terre qui se trouve au confluent de l'Yonne et de la Seine un donjon carré très-fort qui servit de point d'appui à un vaste châtelet, auquel aboutissait le pont traversant les deux rivières. Ce pont était en outre fermé à ses deux extrémités par des portes fortifiées. Cet ensemble de défenses existait encore au XVIIe siècle, ainsi que le démontre la gravure de Mérian 173.
Le pont d'Orléans, sur la disposition duquel il reste de curieux documents, est, au point de vue de la défense, un exemple à consulter. Tout le monde sait de combien de faits d'armes il fut le témoin lors du siége entrepris en 1428 par les Anglais. Or voici, au moment de ce siége, quels étaient les ouvrages qui faisaient de ce pont une défense importante. Placé sur la route qui reliait le nord au midi de la France à la distance la plus rapprochée de Paris, il était essentiel de le bien munir.

À l'époque donc où les Anglais vinrent assiéger Orléans, ceux-ci, suivant la rive gauche, se présentèrent, le 12 octobre 1428, par la Sologne, devant le boulevard des Tourelles (fig. 8, situé en A). Ce boulevard n'était alors qu'un ouvrage de terre et de bois. Le 22, ils s'en emparèrent, et les habitants d'Orléans abandonnèrent le fort des Tourelles B, pour se retirer dans la bastille Saint-Antoine F, située dans l'île, après avoir eu la précaution de couper l'arche I de cette partie du pont. Les Anglais, de leur côté, coupèrent l'arche K. Les gens d'Orléans établirent à la hâte un boulevard de bois à la Belle-Croix, en C. Ce fut dans cet espace étroit qu'eurent lieu quelques-uns des faits d'armes de ce siége mémorable. La bastille Saint-Antoine F était précédée d'une chapelle D placée sous le vocable de ce saint, et d'une aumônerie E destinée à recevoir les pèlerins et voyageurs attardés. En H était la porte de la ville, et en G le châtelet. Après la levée du siége, l'ouvrage des Tourelles fut réparé, ainsi que le boulevard A. Cette fois, ce boulevard fut revêtu en pierre, ainsi que le fait connaître un plan sur parchemin dressé par un sieur Fleury, arpenteur, en 1543, et reproduit en fac-simile par M. Jollois, dans son Histoire du siége d'Orléans 174.

Un second pont-levis était pratiqué en avant de la porte H de la ville. Une vue perspective à vol d'oiseau (fig 9) présente l'entrée du pont d'Orléans, avec son boulevard sur la rive gauche, du côté de la Sologne, après les réparations faites depuis le siége de 1428. Plus tard, en 1591 et 1592 175, on reconstruisit ce boulevard A avec casemates en forme de ravelin à doubles tenailles, ainsi que des fouilles récentes l'ont fait reconnaître. Mais alors la porte des Tourelles existait encore. Le boulevard reproduit dans notre figure 9 était entouré d'un fossé rempli par les eaux de la Loire, et muni d'un pont-levis s'abattant parallèlement à la rivière.
Un second pont-levis séparait (comme au temps du siége) le boulevard du fort des Tourelles. Ce fut en effet, en voulant défendre ce pont-levis, attaqué par les gens d'Orléans, après la prise du boulevard, que périt le capitaine anglais et quelques hommes d'armes avec lui. Jeanne Darc y fit mettre le feu au moyen d'un bateau chargé de matières combustibles. L'existence de ce pont-levis en 1428 ne saurait donc être douteuse. Ce qu'on appelait la Belle-Croix, située en C sur l'avant-bec d'une des piles du pont, était un monument de bronze, consistant en un crucifix érigé sur un piédestal orné de bas-relief représentant la sainte Vierge, saint Pierre, saint Paul, saint Jacques, saint Étienne, et les évêques saint Aignan et saint Euverte. Il était en effet d'un usage général de placer une croix sur le milieu des ponts, pendant le moyen âge. En avant du boulevard des Tourelles était situé le couvent des Augustins, que les habitants d'Orléans jetèrent bas à l'arrivée des Anglais, pour débarrasser les abords du châtelet. Cependant ce monastère était lui-même entouré d'une clôture et d'un fossé, et pouvait servir de défense avancée. On n'arrivait donc devant l'entrée du pont d'Orléans, comme devant l'entrée du pont de la Calendre à Cahors, que latéralement.
On conçoit quelles difficultés le régime féodal devait apporter dans la construction des ponts. Ce n'était ni la science pratique, ni la hardiesse, ni même les ressources qui manquaient lorsqu'il était question d'établir un pont sur un large cours d'eau, mais bien plutôt le bon vouloir d'autorités intéressées souvent à rendre les communications d'un pays à l'autre difficiles. On reconnaît, par les exemples déjà donnés, que si les ponts réunissaient deux rives d'un fleuve, on cherchait à accumuler sur leurs parcours le plus d'obstacles possible. On possède sur la construction du pont de Montauban des documents complets et étendus qui démontrent assez quels étaient les obstacles de toute nature opposés à ces sortes d'entreprises. Dès 1144, le comte de Toulouse, Alphonse Jourdain, en donnant aux bourgeois de Montauriol l'autorisation de fonder la ville de Montauban sur les bords du Tarn, insère dans la charte de fondation cette clause: «Les habitants dudit lieu construiront un pont sur la rivière du Tarn, et, quand le pont sera bâti, le seigneur comte s'entendra avec six prudhommes, des meilleurs conseillers, habitants dudit lieu, sur les droits qu'ils devront y établir, afin que ledit pont puisse être entretenu et réparé 176» Mais la ville naissante était trop pauvre pour pouvoir mettre à exécution une pareille entreprise. Puis vinrent les guerres des Albigeois qui réduisirent ce pays à la plus affreuse détresse. Ce n'est qu'en 1264 que les consuls de Montauban prennent des mesures financières propres à assurer la construction du pont sur le Tarn. En 1291, la ville achète l'île des Castillons ou de la Pissotte, pour y asseoir plusieurs des piles de l'édifice. C'était à l'un des rois qui ont le plus fait pour établir l'unité du pouvoir en France, qu'il était réservé de commencer définitivement cette entreprise 177. Philippe le Bel, étant venu à Toulouse pour terminer les différends qui existaient entre le comte de Foix et les comtes d'Armagnac et de Comminges, chargea de la construction du pont de Montauban deux maîtres, Étienne de Ferrières, châtelain royal de la ville, et Mathieu de Verdun, bourgeois, en soumettant tous les étrangers passant à Montauban à un péage dont le produit devait être exclusivement réservé au payement des frais de construction, et en accordant aux consuls, aux mêmes fins, une subvention (1304). Le roi toutefois imposa comme condition de bâtir sur le pont trois bonnes et fortes tours «dont il se réservait la propriété et la garde». Deux de ces tours devaient s'élever à chaque extrémité, la troisième au milieu 178.
Ce ne fut cependant qu'après des vicissitudes de toutes sortes que l'entreprise put être achevée; les sommes destinées à la construction ayant été, à diverses reprises, détournées par les consuls. Les travaux furent terminés seulement vers 1335. Ce pont est entièrement bâti de brique; sa longueur est de 250m,50 entre les deux culées. Son tablier est parfaitement horizontal et s'élève de 18 mètres au-dessus des eaux moyennes du Tarn. Il se compose de sept arches en tiers-point de 22 mètres d'ouverture en moyenne, et de six piles dont l'épaisseur est de 8m,55, munies d'avant-becs en amont comme en aval, et percées au-dessus de ces éperons de longues baies en tiers-point pour faciliter le passage des eaux pendant les crues. Les briques qui ont servi à la construction de ce pont sont d'une qualité excellente, et portent 5 centimètres d'épaisseur sur 40 centimètres de longueur et 28 centimètres de largeur 179.
La tour la plus forte était située du côté opposé à la ville; ces tours extrêmes étaient carrées, et couronnées de plates-formes avec mâchicoulis et créneaux. La tour centrale, bâtie sur l'arrière-bec, d'aval était triangulaire, et possédait un escalier à vis descendant jusqu'à une poterne percée au niveau de la rivière du côté de la ville. Cet escalier donnait en outre accès sur l'avant-bec de la même pile, au niveau du seuil des baies ogivales posées à travers les autres piles. Là était disposée une bascule qui portait une cage de fer destinée à plonger les blasphémateurs dans le Tarn. Suivant l'usage, une chapelle avait été disposée au niveau du tablier dans la tour centrale, et était placée sous le vocable de sainte Catherine.
Nous ne ferons que citer ici un certain nombre de ponts de pierre du moyen âge qui méritent de fixer l'attention. Ce sont les ponts: de Rouen, rebâti à plusieurs reprises, et démoli pendant le dernier siècle; de l'Arche, démoli depuis peu, et qui datait de la fin du XIIIe siècle, bien qu'il eût été coupé et réparé plusieurs fois pendant les XIVe et XVe siècles; de Poitiers, avec deux portes fort belles à chacune de ses extrémités, et dont on possède de bonnes gravures; de Nevers, démoli il y a peu d'années; de Tours; d'Auxerre, qui possédait une belle tour à l'une de ses extrémités, et que l'abbé Lebeuf a encore vue; de Blois, de Tonnerre; de Sens, terminé du côté de la ville par une tour considérable; de Mâcon, etc. Il est certain que le système féodal était le plus grand obstacle à l'établissement des ponts, au moins sur les larges cours d'eau, mais que le cas échéant, les maîtres du moyen âge savaient parfaitement se tirer d'affaire lorsqu'une volonté souveraine et que des ressources suffisantes les mettaient à même de construire ces édifices d'utilité publique. L'établissement des grands ponts était habituellement dû à l'intervention directe du suzerain, et c'était en effet un des moyens matériels propres à rendre effective l'autorité royale dans les provinces. Ainsi voyons-nous qu'à Montauban, le roi Philippe le Bel, en accordant des subsides pour la construction du pont, met pour condition que les trois tours demeureront en la possession de ses gens.
Bien entendu, entre toutes les villes du royaume, Paris possédait plusieurs ponts dès une époque très-reculée. Du Breul 180 nous a laissé l'histoire de ces ponts modifiés, détruits, refaits bien des fois, soit en bois, soit en pierre. Une des causes de la ruine des ponts de Paris, était ces maisons et ces moulins dont on permettait l'établissement sur les piles et les arches. Les plus anciens de ces ponts étaient le pont au Change et le Petit-Pont, le premier ayant une bastille vers la rue Saint-Denis, appelé le grand Châtelet, l'autre vers la rue Saint-Jacques, appelée le petit Châtelet. Bien que les deux châtelets existassent déjà du temps de Philippe-Auguste, puisque les comtes de Flandre et de Boulogne y furent tenus prisonniers après la bataille de Bouvines, cependant ces deux défenses avaient été rebâties en grande partie, sinon en totalité, à la fin du XIIIe siècle et au commencement du XIVe siècle, après les crues terribles de 1280 et de 1296, qui ruinèrent les deux ponts.
À la suite de ce désastre, le Petit-Pont fut refait en pierre, en 1314, au moyen d'amendes prélevées sur des juifs. Quant au pont au Change, on se contenta de le réédifier en bois. Le pont Notre-Dame, dont quelques historiens font remonter la construction vers le milieu du XIVe siècle, fut refait aux frais de la ville, en 1413. Cette reconstruction, probablement en bois, menaçait ruine en 1440, puisque, le 13 février de cette année, le parlement, par un arrêt, décida que ce pont serait entièrement rétabli. Ce projet ne fut point suivi d'exécution, et en 1498 le pont Notre-Dame s'écroula avec toutes les maisons qui le bordaient. «Ce pont de bois, dit un chroniqueur 181, contenoit dix-huit pas en largeur et estoit soutenu sur dix-sept rangées de pilotis, chacune rangée ayant trente pilliers; l'espoisseur de chacun de ces pilliers estoit un peu plus d'un pied, et avoient en hauteur quarante-deux pieds. Ceux qui passoient par-dessus ce pont, pour ne point voir d'un costé ny de l'autre la rivière, croyoient marcher sur terre ferme, et sembloient estre au milieu d'une rue de marchands, car il y avoit si grand nombre de toutes sortes de marchandises, de marchands et d'ouvriers sur ce pont, et au reste la proportion des maisons estoit tellement juste et égale en beauté, et excellence des ouvrages d'icelle, qu'on pouvoit dire avec vérité que ce pont méritoit avoir le premier lieu entre les plus rares ouvrages de France.»
À la suite du sinistre du 15 octobre 1498, le peuple de Paris accusa ses magistrats d'incurie et de malversation, et ceux-ci furent menés en prison; après quoi la plupart furent condamnés à des amendes plus ou moins fortes. Il fallut songer à reconstruire le pont Notre-Dame. Les deux maîtres des oeuvres de l'hôtel de ville, Colin de la Chesnaye pour la maçonnerie, et Gautier Hubert pour la charpente, furent chargés de l'entreprise, et on leur adjoignit Jean de Doyac, Didier de Félin, Colin Biart, André de Saint-Martin, ainsi que deux religieux, Jean d'Escullaint et Jean Joconde. Ces deux derniers étaient chargés du contrôle de la pierre de taille. Toutefois et contrairement à l'opinion de Sauval, Colin de la Chesnaye et Jean de Doyac avaient été commis à la superintendance de l'oeuvre. «Seize hommes, pris dans les différents quartiers de la ville, travaillaient sous leurs ordres, et comme marque du pouvoir souverain qu'ils exerçaient, Colin de la Chesnaye et Jean de Doyac portaient un bâton blanc 182.»
Le 28 mars 1499, les premières pierres du pont Notre-Dame furent posées par le gouverneur de Paris et les magistrats municipaux. Les travaux furent terminés au mois de septembre 1512. Deux rangs de maisons régulières d'aspect garnissaient les deux côtés de ce pont, et celles-ci ne furent démolies qu'en 1786.
Beaucoup trop de gens avaient été appelés à participer à la construction du pont Notre-Dame; il en résulta des changements dans la direction de l'oeuvre et des avis différents qui retardèrent l'entreprise. Il faut lire à ce sujet la curieuse notice publiée par M. Le Roux de Lincy, laquelle donne tout au long les avis demandés par les magistrats municipaux à diverses personnes considérées comme compétentes: les unes sont pour les pilotis, les autres les considèrent comme inutiles; naturellement les charpentiers penchent pour les pilotis, les maçons pour les blocages. Cependant ce pont était fort bon et fort beau, il y a encore quelques années, et il ne semble pas qu'il fût très-nécessaire de le reconstruire 183.
Au moment de la reconstruction du pont Notre-Dame, c'est-à-dire au commencement du XVIe siècle, on prenait cette habitude, si fort en honneur aujourd'hui, de consulter quantité de gens de métier ou d'amateurs officieux en matières de travaux publics; on accumulait ainsi des avis, des procès-verbaux qui ont certes un grand intérêt pour nous aujourd'hui, mais qui, au total, n'étaient guère profitables à l'oeuvre et entraînaient souvent en des dépenses inutiles. En cela l'histoire de la construction du pont Notre-Dame rappelle passablement celle de beaucoup de nos édifices modernes. On faisait évidemment moins de bruit et l'on noircissait moins de papier autour de nos vieux ponts du moyen âge, commencés presque tous avec des ressources infimes et continués sans bruit, avec persistance, jusqu'à leur achèvement. Cependant ces ponts étaient solides et parfois très-hardis, puisque plusieurs d'entre eux, comme celui de Saint-Esprit par exemple, excitent notre admiration. Les piles des ponts du moyen âge étaient élevées au moyen de bâtardeaux et rarement sur pilotis. On cherchait au fond du fleuve un lit solide, et l'on bâtissait dessus. Si l'on enfonçait des pilotis, c'était en amont des avant-becs, lorsque les fonds étaient sablonneux et pour éviter les affouillements. C'est ainsi que sont construites les piles du pont de la Guillotière à Lyon, qu'étaient fondées celles du Petit-Pont à Paris, du pont de l'Arche et du pont de Rouen. Quant aux arches, nous avons vu que celles des ponts Saint-Bénezet et Saint-Esprit sont composées de rangs de claveaux juxtaposés, non liaisonnés. Quelques arches de pont, d'une ouverture médiocre, notamment dans le Poitou, sont construites au moyen d'arcs-doubleaux séparés par un intervalle rempli par un épais dallage au-dessous du tablier, ainsi que l'indique la figure 10.

Ces arcs-doubleaux sont alors posés en rainure dans les piles et conservent une parfaite élasticité. Les eaux pluviales qui s'infiltrent toujours à travers le pavage passent facilement entre les joints des dalles, et ne salpêtrent pas les reins des arches, comme cela n'a que trop souvent lieu lorsque celles-ci sont pleines 184. Ce système d'arches a encore l'avantage d'être léger, de moins charger les piles, et d'être économique, puisqu'il emploie un tiers de moins de matériaux clavés. Les tympans au-dessus de ces arcs-doubleaux sont élevés en moellon ou en pierre tendre, et peuvent être très-facilement remplacés sans qu'il soit nécessaire d'interrompre la circulation. Les exemples de ponts construits d'après ce système paraissent appartenir au commencement du XIIIe siècle, ou peut-être même à la fin du XIIe.
Pour diminuer la dépense considérable que nécessite un pont construit avec des arches de pierre, on prenait quelquefois le parti de n'élever que des piles en maçonnerie sur lesquelles on posait un tablier de bois. Tel avait été construit le pont traversant la Loire à Nantes (fig. 11).

Sur les avant-becs de ce pont s'élevaient de petites maisons louées à des marchands 185. Entre quelques-unes des piles avaient été établis des moulins; car il est à observer que presque tous les ponts bâtis très-proches des cités populeuses, ou compris dans leur enceinte, étaient garnis de maisons, de boutiques et de moulins. La place était rare dans les villes du moyen âge, presque toutes encloses de murs et de tours, et les ponts étant naturellement des passages très-fréquentés, c'était à qui cherchait à se placer sur ces parcours. Les ponts de Paris étaient garnis de maisons, et formaient de véritables rues traversant le fleuve. Ce fut même l'établissement de ces maisons dont la voirie, ne se préoccupait pas assez, qui contribua à la ruine de ces ponts. S'il fallait se maintenir sur l'alignement des deux côtés de la voie, sur la rivière, on posait des bâtisses en encorbellement, on creusait des caves et des réduits dans les piles, et les parois de ces ponts devaient bientôt se déverser. Lorsque la démolition des maisons qui garnissaient les ponts Notre-Dame et Saint-Michel à Paris fut effectuée, il fallut réparer les parements extérieurs et les tympans des arches jusqu'au droit des piles, chaque habitant ayant peu à peu creusé ces tympans ou altéré ces parements.

Les ponts de bois jouent un rôle important dans l'architecture du moyen âge, leur établissement étant facile et peu dispendieux. Nous trouvons encore la tradition des ponts de bois gaulois en Savoie. Dans cette contrée, pour traverser un torrent, sur les pentes escarpées qui forment son encaissement, on amasse quelques blocs de grosses pierres en manière de culées, puis (fig. 12), sur cet enrochement on pose des troncs d'arbres, alternativement perpendiculaires et parallèles à la direction du ravin, en encorbellement. On garnit les intervalles laissés vides entre ces troncs d'arbres, de pierres, de façon à former une pile lourde, homogène, présentant une résistance suffisante. D'une de ces piles à l'autre on jette deux, trois, quatre sapines, ou plus, suivant la largeur que l'on veut donner au tablier, et sur ces sapines on cloue des traverses de bois. Cette construction primitive, dont chaque jour on fait encore usage en Savoie, rappelle singulièrement ces ouvrages gaulois dont parle César, et qui se composaient de troncs d'arbres posés à angle droit par rangées, entre lesquelles on bloquait des quartiers de roches. Ce procédé, qui n'est qu'un empilage, et ne peut être considéré comme une oeuvre de charpenterie, doit remonter à la plus haute antiquité; nous le signalons ici pour faire connaître comment certaines traditions se perpétuent à travers les siècles, malgré les perfectionnements apportés par la civilisation, et combien elles doivent toujours fixer l'attention de l'archéologue.
Ces sortes d'ouvrages devaient sembler barbares aux yeux des Romains, si excellents charpentiers, et nous les voyons encore exécuter de nos jours au milieu de populations en contact avec notre civilisation. C'est que les travaux des hommes conservent toujours quelque chose de leur point de départ, et que dans l'âge mûr des peuples on peut encore retrouver la trace des premiers essais de leur enfance. C'est ainsi, par exemple, que, dans un ordre beaucoup plus élevé, nous voyons les charpentiers à Rome exécuter des charpentes considérables à l'aide de bois très-courts. C'était là une méthode adoptée par les armées romaines. Ne pouvant en campagne se procurer des engins propres à mettre au levage de très-grandes pièces de bois, ils avaient adopté des combinaisons de charpenterie qui leur permettaient de construire en peu de temps des ouvrages d'une grande hauteur ou d'un grand développement. Ces traditions romaines s'étaient encore conservées chez nous pendant les premiers siècles du moyen âge, où les difficultés de transport et de levage faisaient qu'on employait des bois courts pour exécuter des travaux de charpente, surtout en campagne. Villard de Honnecourt donne le croquis d'un pont fait avec des bois de vingt pieds 186. «Ar chu,» écrit-il au bas de son croquis, «fait om ou pont desor one aive de fus de xx pies d lonc 187.» Le moyen indiqué par Villard de Honnecourt est très-simple, et rappelle les ouvrages de charpenterie que nous voyons exprimés dans les bas-reliefs de la colonne Trajane et de l'arc de Septime Sévère.

Villard élève deux culées en maçonnerie (fig. 13), auxquelles il scelle d'abord les chapeaux B des deux potences A. Les contre-fiches de ces potences assemblées dans les poteaux D sont roidies par les moises E. Sur les chapeaux de ces potences, il élève les poteaux G, H, maintenus dans tous les sens par des croix de Saint-André. Des seconds chapeaux K réunissent la tête de ces poteaux et sont soulagés par des contre-fiches L moisées comme celles du dessous; puis, sur ces derniers chapeaux, il pose des pièces horizontales qui réunissent les deux encorbellements et les empêchent de donner du nez. Il suffisait de clouer des madriers sur les longrines. En ne prenant, pour exécuter cet ouvrage, comme le dit Villard, que des bois de 20 pieds, on peut avoir facilement un tablier de 50 pieds de long, parfaitement rigide. Cela paraît être pour notre auteur un ouvrage de campagne, qu'il surmonte d'une porte à chaque bout.
Quant aux ponts de bois plantés en travers de grands cours d'eau, ils se composaient de rangées de pieux, ordinairement simples, moisés et armés de fortes contre-fiches en aval et en amont. Sur ces pieux, on posait des chapeaux qui réunissaient leur tête, puis le tablier soulagé par des liens. Les piles, composées de rangs simples de pieux, avaient cet avantage de n'opposer aucun obstacle au courant. Des gardes triangulaires fichées en amont faisaient dévier les glaçons ou les corps flottants qui auraient pu entamer les piles.
Comme les armées romaines, celles du moyen âge ne se faisaient pas faute d'établir des ponts fixes sur les rivières pour passer leurs gens et leur arroi. Dans la Chanson des Saxons, Charlemagne fait faire un pont sur le Rhône: «Barons, dit-il, aux chefs assemblés:
«Trop est Rune parfonde por mener tel bustin:
N'i porroient passer palefroi ne roncin;
Mès . i . chose esgart an mon cuer et destin,
Par coi de nostre guerre trarrons ançois à fin:
. i . pont ferons sor Rune par force et par angin,
Les estaches de chasnes, les planches de sapin;
. xxx . toises aura an travers de chemin.
Puis passerons outre tuit ansamble à . i . brin,
Et ferons la bataille c'on le verra dou Rin,
Et conquerrons Soissoigne sor la gent Guiteclin 188.»
C'est un poëte qui parle, et nous ne citons ses vers que comme l'expression d'un fait général, admis dans les armées du moyen âge.
Les ponts de bois n'ayant jamais qu'une durée assez limitée, il ne nous reste aucun ouvrage de ce genre qui soit antérieur au XVIe siècle, et nous ne pouvons en prendre une idée que par des vignettes de manuscrits ou des gravures des XVIe et XVIIe siècles. Si l'on veut établir des ponts de bois, ou il faut rapprocher beaucoup les piles, afin de ne donner aux portées des travées du tablier qu'une longueur très-réduite, et éviter ainsi leur fléchissement; ou il faut armer ces tabliers de contre-fiches assez inclinées pour résister à la flexion, et alors élever beaucoup les têtes des piles au-dessus du niveau de l'eau; ou il faut suspendre les tabliers à un système de fermes. Ce dernier parti semble avoir été adopté fréquemment pendant le moyen âge.

Soient (fig. 14) des piles de trois rangs de pieux espacés de 12m,00 d'axe en axe; la tête de ces pieux, ne s'élevant pas à plus de 2m,00 au-dessus du niveau de l'eau, on posait sur ces têtes de pieux des longrines, soulagées en A par les fermes B. Ces fermes, légèrement inclinées l'une vers l'autre, étaient rendues solidaires au moyen des traverses supérieures C et des croix de Saint-André D. Sur ces longines E on posait de fortes solives F, puis les madriers formant le tablier. Ces ouvrages présentaient une grande rigidité, mais ne pouvaient subsister fort longtemps sans se détériorer, et n'étaient guère jetés que sur des cours d'eau dont les crues n'étaient pas considérables.
Du Breul 189, parlant du pont Saint-Michel à Paris, dit qu'il était de bois et avait été construit en 1384 par Hugues Aubriot, alors prévost de Paris. Ce pont était garni de plusieurs maisons. Le pont Notre-Dame, bâti en 1414, suivant le même auteur 190, d'après le rapport de Robert Gaguin «n'étoit que de bois, ayant en longueur 70 pas 4 pieds, et en largeur 18 pas: de deux costez et sur lequel estoient basties 60 maisons esgales en structure et haulteur, lequel après avoir subsisté 92 ans seulement, tumba en la rivière l'an 1499, le vendredi 25 octobre...»
Ainsi que nous l'avons vu précédemment, certains ponts de pierre possédaient des travées de bois mobiles, soit pour intercepter la communication d'une rive à l'autre, soit pour laisser passer les bateaux. Ces portions de tabliers en charpente étaient relevées au moyen de châssis à contre-poids, ainsi que cela se pratique encore aujourd'hui, ou bien roulaient sur des longrines: on appelait les premiers des ponts torneïs, et les seconds des postis 191. Les premiers étaient de véritables ponts-levis. Il est à remarquer que le pont-levis, tel qu'on l'entend aujourd'hui, adapté à une porte de ville ou de château, n'a été mis en pratique que vers le commencement du XIVe siècle, jusqu'alors les ponts torneïs étaient disposés en manière de bascule 192.
Si, vers la fin du XIIIe siècle, on établissait déjà des ponts-levis, ceux-ci étaient isolés et ne tenaient pas aux portes mêmes, ainsi que cela s'est pratiqué depuis. Ils faisaient partie des ouvrages avancés en bois, tenaient à la barrière, mais n'étaient point disposés dans la maçonnerie des portes. Cependant, dès une époque reculée, on employait souvent les ponts ou passerelles roulant sur des longrines, particulièrement dans les provinces méridionales.

Ces sortes de ponts, dont nous donnons un géométral latéral en A (fig. 15), se composaient de deux pièces de bois parallèles B, au-dessous desquelles étaient adaptés des rouleaux. Un tablier de madriers était cloué sur ces pièces de charpente. Quatre poulies C, dont les essieux étaient fortement scellés à deux murs latéraux, recevaient deux chaînes fixées à des anneaux D tenant aux poutres. Ces chaînes s'enroulaient sur un treuil E dont le pivot tournait dans des douilles fixées de même à ces murs latéraux. Sous les pièces de bois B mobiles étaient scellées deux poutres G fixes, sur lesquelles roulaient les petits rouleaux. En tournant le treuil de a en c, on faisait avancer le tablier mobile qui franchissait le fossé F, et venait s'appuyer sur la pile en H; en le tournant de a en b, on faisait rentrer ce tablier sous le passage de la porte. La queue I du tablier servait de contre-poids, et permettait toujours de passer sur la chambre du treuil lorsque la passerelle était avancée. Un tracé perspectif P fera mieux saisir ce mécanisme très-simple. Pour le rendre plus intelligible, nous avons supposé que le mur latéral M, dans lequel sont scellées les poulies et les douilles du treuil, est démoli; nous avons enlevé de même la maçonnerie supérieure de l'une des tours flanquantes N, entre lesquelles s'avance la passerelle. Dans la figure perspective, le tablier est supposé rentré. On établissait beaucoup de ces sortes de ponts dans les ouvrages italiens du XVe siècle, ainsi que le constate l'ouvrage si curieux de Francesco di Giorgio Martini193, et dans nos fortifications faites au moment de l'application de l'artillerie à feu.
On reconnaît l'emploi de divers systèmes de ponts à bascule devant les portes du moyen âge. Quelquefois ces ponts sont disposés de manière à s'abaisser, d'autres fois ils se relèvent. Dans les provinces de l'Est, et sur les bords du Rhin, on adoptait fréquemment les ponts à bascule présentant la disposition indiquée dans la figure 16.

Ces ponts se composaient de deux poutres principales A, reliées par des traverses et des croix de Saint-André. La partie antérieure B du tablier était garnie de madriers.
Topogr. Galliæ.
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Histoire du siége d'Orléans, par M. Jollois, ingénieur en chef des ponts et chaussées, 1833, petit in-folio, avec la Lettre à MM. les membres de la Société des antiquaires de France, 1834.
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Comptes de la ville.
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Art. 24 de la charte de fondation de Montauban, Archives de Montauban, livre Rouge, fol. verso 105.
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Voyez l'excellente notice sur le pont de Montauban, donnée par M. Devals aîné, dans les Annales archéologiques, t. XVI, p. 39.
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Archives de Montauban, liasse D, nº 16, liv. des Serments, folio 102.
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Nous devons ces détails à M. Olivier, architecte du département.
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Le Théâtre des antiquités de Paris, 1612, p. 235 et suiv.
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Gaguin, De gestis Francorum. Paris, 1522, in-8, folio 303, verso. C. Malingre, p. 219 des Annales générales de la ville de Paris, 1640, in-folio.
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Registres de l'hôtel de ville, II 1778, fol. 28, rº. (Voyez les Recherches historiques sur la chute et la reconstruction du pont Notre-Dame à Paris, par M. Le Roux de Lincy, Biblioth. de l'école des chartes, 2e série, t. II, p. 32.)
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S'il faut s'en rapporter à une note écrite sur la couverture du livre Rouge du Châtelet de Paris, la dépense du pont Notre-Dame à Paris se serait élevée à 205 380 livres 4 sous 4 deniers tournois. Sauval, contestant ce chiffre, sans d'ailleurs donner ses preuves, prétend que la dépense s'éleva à 1 160 684 livres.
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On remarquera que la plupart des vieux ponts présentent des altérations très-profondes dans les claveaux intermédiaires, tandis que ceux de tête sont intacts, parce qu'ils sont plus facilement séchés par l'air.
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Ce pont existait encore dans cet état vers le milieu du XVIIe siècle; nous ne savons précisément à quelle époque il avait été élevé. (Voyez la Topographie de la Gaule, grav. de Mérian.)
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Album de Villard de Honnecourt, manuscrit publié en fac-simile. J. B. Lassus et A. Darcel, 1858, pl. XXXVIII.
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«Par ce moyen fait-on un pont par dessus une eau avec des bois de vingt pieds de long.»
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La chanson des Saxons, chap. CXVIII.
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Le Théâtre des antiquités de Paris, p. 241.
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Page 243.
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Du mot latin positus.
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Moult s'esforce li forsenez De faire fossez et tranchiées, Tot entor lui à sis archiées Fait un fossé d'eve parfont, Riens n'i puet entrer qui n'afont. Desor fu li ponz tornéiz Moult bien tornez toz coléiz. (Roman du Renart, vers 18474 et suiv.) Clos fu de murs et de fossez Dont l'eve coroit tot entor, Un pont tornéiz par desor (Ibid., vers 21994 et suiv.) Chevauchant lez une rivière S'an vindrent jusqu'au herberjage, Et an lor ot par le passage Un pont tornéiz avalé. ... (Li romans de la charrette.) En la chaucie fu grans li féréis, Li quens Guillaumes moult durement le fist, Il s'aresta sor le pont tornéis Et vit Begon, moult fièrement li dist: (Li romans de Garin le Loherain, t. II, p. 175, édit. Techener, 1833.)
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Trattato di archit. civ. e milit. di Francisco di Giorgio Martini, archit. senese del secolo XV, publié pour la première fois par le chevalier Cesare Saluzzo. Turin, 1841.
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