Kitabı oku: «La coucaratcha. III», sayfa 4
Et puis je me mettais tellement à haïr la Bohême que je l’aurais, je crois, étranglée de mes propres mains et le beau jeune homme aussi.
Ma damnation commençait; mort Dieu! elle n’était pas à bout.
Bientôt le jeune homme prit cette jolie main qu’on lui avait laissée, et, malgré une moue charmante et le jeu menaçant de deux grands yeux qui montraient d’un air d’effroi, assez rassuré d’ailleurs, l’homme à cheveux gris, l’amant porta cette main à sa bouche; il la baisait délicatement depuis le bout des doigts jusqu’au poignet, et puis il la mettait avec ivresse sur ses yeux, sur son front, sur ses cheveux, sur sa joue, et il la baisait encore avec admiration, il la baisait comme un avare, n’en perdant rien, ne laissant pas une fossette ni une phalange, pas un ongle rose et poli, sans y avoir amoureusement porté ses lèvres.
Sa maîtresse, elle, lui souriait avec idolâtrie; ses joues, un peu pâles, se coloraient légèrement, et son autre main s’appuyait sur son sein, qui commençait à battre avec force. Non, cent fois non, les souffrances physiques les plus aiguës ne sont rien auprès de la cuisante et profonde angoisse morale qui me tordait le cœur, tandis que je voyais cet amant si immensément heureux de ces légères faveurs; aussi fis-je avec cruauté un mouvement assez brusque qui envoya bien vite la petite main se cacher dans les plis d’un vaste cachemire.
– Prenez garde, Paul, cet homme se réveille, dit-elle bien bas d’une voix fraîche et suave comme sa douce haleine.
– Non, ne craignez rien, Marie, répondit Paul en demandant une main qu’on lui refusa sincèrement.
– Oh! vous avez beau faire, Marie, dit Paul, et cacher cette main divine, il me semble que si vous éprouviez autant d’amour que moi, ces baisers muets que je vous envoie iraient la caresser à travers les plis de votre schall, et que vous en sentiriez l’impression brûlante.
– Que vous êtes fou, Paul! et pourtant non, vous n'êtes pas fou, dit Marie; car je sais bien que quand tu me regardes fixément j’éprouve comme un coup électrique, là… dans mon cœur. Aussi, pourquoi un baiser muet ne m’atteindrait-il pas sous ce cachemire?
– Oh! Marie, Marie, dit Paul, quel bonheur est le nôtre! et combien cette contrainte même que les convenances nous imposent en augmente encore le charme! Crois-tu pas, dis, mon ange aimé, qu’un regard, qu’un serrement de main nous plongeraient dans ces extases délicieuses, si nous étions toujours seuls?
A ma grande joie, la conversation fut interrompue par un effroyable bâillement du monsieur à cheveux gris, qui étendit ses bras, se raidit, se tourna, se retourna, et dit d’abord:
– Bonjour, Marie… Puis: Mirval, quelle heure est-il?
– Mais bientôt midi, je pense, mon oncle, dit Marie.
Puis me montrant du doigt, l’oncle dit à voix basse: Est-ce qu’il dort?
– Il n’a fait qu’un mouvement depuis ce matin, dit Mirval.
– Il est néanmoins fort peu agréable d’avoir une pareille espèce dans sa voiture, dit l’oncle; mais quand Marie veut quelque chose…
– Voyons, monsieur Mirval, je vous en fais juge, dit Marie; nous sommes à la merci de ces horreurs de guides; un d’eux est renversé par son cheval, cette nuit, il est grièvement blessé, pouvions-nous faire autrement que de le recevoir dans notre voiture, par humanité d’abord, et puis ensuite pour nous faire bien venir de ces hommes avec lesquels, je l’avoue, je suis loin d'être en confiance?
– Et vous avez tort, Marie. Ces canailles-là ont un point d’honneur inconcevable; c’est singulier, mais c’est cela; et aussi, escorté par des voleurs, je dors aussi tranquillement que je le ferais escorté par des gendarmes de notre belle patrie.
– Le fait est, dit Mirval, qu’à part le peu de gêne que nous occasionne la présence de ce misérable, nous avons fait une action assez politique, je crois, en le prenant avec nous.
– Pourquoi ne pas l’avoir placé sur le siége comme je le voulais, puisque la place est libre, et que nous ne retrouverons nos gens qu’à Séville?
– Y pensez-vous, dit Marie, sur un siége aussi élevé! ce pauvre homme était évanoui, et ils y ont mis d’ailleurs un autre de leurs camarades, je ne sais pourquoi.
– A la bonne heure! j’ai tort, Marie; mais voyez donc un peu la mine de notre compagnon de voyage, dit l’oncle en relevant le capuchon de mon manteau. Je fermai les yeux et je restai immobile.
– Ah! mon Dieu! mais ce malheureux là n’a pas dix-huit ans! s’écria l’oncle avec horreur.
– Si jeune, et déjà infâme! et digne de la potence et des galères! dit Paul.
– Le fait est qu’il y a bien de la fatalité sur ce visage, dit Marie avec une expression de frayeur… C'est dommage, car il a d’assez beaux traits.
Cette dernière réflexion me fit monter le sang au visage.
– Tiens, il rougit, dit l’oncle.
– C'est qu’il a la fièvre, dit Mirval.
– Et penser, ajouta l’oncle, qu’un pareil scélérat a peut-être déjà dix meurtres à se reprocher!
Je passe sous silence le reste d’une communication à peu près aussi flatteuse pour moi, et qui me fit passer les trois plus cruelles heures de ma vie.
A Sibeyra la voiture s’arrêta.
Feignant toujours de dormir, je laissai les voyageurs descendre.
Je vis Hasth’y s’approcher de la voiture, et j’en descendis d’un saut.
– Mon cheval, lui dis-je, est-il tué ou blessé?
– Ni l’un ni l’autre.
– Faites-le seller, je pars…
– Comme vous voudrez!.. ça enchantera ma fille.
– Écoutez, Hasth’y, votre damnée fille a voulu me tuer. Quoique ce soit une femme, si je ne m’étais pas évanoui sur le coup, ma violence m’eût peut-être entraîné au-delà des bornes de la politesse. Je retourne à Cadix, vous avez ma parole: pas un mot de ce que j’ai vu ne sortira de ma bouche; mais jurez-moi, si vous pouvez jurer par quelque chose, de veiller avec dévouement au salut de cette femme qui est là; vous savez si je suis généreux, une fois de retour à Cadix, prouvez-moi qu’elle est arrivée sans malheur à Séville, il y a dix onces d’or pour vous.
– Je n’avais pas besoin de cet encouragement, seigneur Arthur; je vais faire seller votre cheval. Voulez-vous voir Tintilla?
– Non, au diable! Mon cheval! mon cheval!
En attendant Frasco, je jetai un dernier regard d’amour et de regret sur cette auberge qui renfermait la femme dont la grâce avait fait naître en moi la première et véritable passion.
Frasco vint, je sautai en selle et partis au galop. J'étais alors d’un tempérament de fer, aussi, malgré ma chute et ma blessure, j’arrivai tout d’une traite à Xérès, où je ne fus pas tenté de visiter Juan Dulce. Le surlendemain j’étais à Cadix, le jour d’après à bord, et le jour d’ensuite au fort Sainte-Catherine, où je fus emprisonné pendant un mois pour avoir quitté et déserté le bord.
Pendant ce mois de captivité, vingt fois je me reprochai ma faute; je me disais: j’ai agi comme un sot, il fallait rester, peut-être que ma bizarre aventure aurait intéressé cette femme à mon amour. Enfin, ce furent des remords affreux pendant les premiers huit jours, puis je n’y pensai plus, puis je l’oubliai.
Comme mon temps de prison finissait, notre frégate reçut l’ordre d’aller à Malte, et nous partîmes le jour où j’appris par la voix publique, qu'Hasth’y et ses associés avaient été qui pendus, qui aux galères. Mon ami intime était, j’aime à le croire, de ces derniers. En conscience je le regrettai un peu, car il est de ces amitiés qu’on n’oublie pas.
CHAPITRE IV
Lorsque plus tard je vins à me rappeler cette singulière aventure, par une bizarrerie assez étrange, le souvenir de la jeune femme si Française, si jolie, si distinguée, s’effaça peu à peu de ma mémoire, et je me remis à penser avec acharnement à Tintilla la Bohême!
Malgré moi je voyais toujours ses grands yeux noirs vifs et hardis, son teint pâle, sa taille souple et lascive.
Or, ce souvenir et bien d’autres me damnaient.
Car voilà comme nous sommes, misérables créatures! Je dis nous, car qui de nous n’a pas aimé aussi, sa Bohême, sa Manon, sa Tintilla?
Oui, on a seize ans, on aime le bien, on y croit, on est plein d’espoir et d’amour, – on cherche la sœur de son âme, comme on dit alors, – et puis on rencontre une femme facile qui a l’imagination bien corrompue, le cœur bien ossifié!
Alors on devient amoureux à lier de cette femme! à elle, tout ce rêve d’amour et de jeunesse! à elle, les belles illusions dorées de ces seize ans! à elle, à elle seule, ce beau et bon cœur, bien dévoué, bien noble et bien ardent!
De sorte qu’on use sur cette âme sèche, froide et dure, tout ce pur et saint amour du jeune âge.
Et puis plus tard, si le hasard vous jette une femme tendre et passionnée, qui vous aime avec idolâtrie, – vous n’avez plus pour répondre à cet amour profond et vrai, – qu’un cœur flétri, un esprit égoïste et des sens blasés, car vous avez prodigué et épuisé à tout jamais, pour une femme méprisable, ces précieux trésors d’amour et de jeunesse, qui, bien qu’on dise, ne se renouvellent plus.
Aussi croyons-nous profondément à cette vulgarité sublime. —On n’aime qu’une fois dans sa vie.
Pour arriver à la conclusion de cette histoire, je suis forcé de passer sous silence un assez grand laps de temps, quelques années d’une vie voyageuse et inoccupée, folle ou triste, vie d’opposition et de contraste, s’il en fût, et supportable en cela qu’elle était au moins toute imprévue.
Or, après une campagne du Levant assez longue qui suivit ma station à Cadix, et dura, je crois, trois ans, je revins en France pour y aller prendre les eaux dans les Pyrénées, afin de me guérir des suites d’une blessure assez douloureuse.
Je m’arrêtai à quelques lieues de Perpignan chez un de mes amis, qui possédait, dans une position délicieuse, une fort belle terre, où je me décidai à rester quelque temps.
Un jour qu’il recevait quelques visites de voisines de campagne, je fus frappé de l’air profondément chagrin d’une jeune fille qui n’était pas jolie, mais dont la figure avait une expression ravissante de grâce et de beauté; je demandai à la femme de mon ami qui elle était. «Ah! bon Dieu, me dit-elle, c’est une pauvre enfant bien à plaindre, il y a six mois qu’elle devait se marier avec un de nos voisins de terre, le fils d’un homme fort riche. Quoique ce jeune homme fût un sot, cette ange de douceur et d’amabilité en était éprise sans aucune arrière-pensée d’intérêt, je vous jure, car elle est riche, et avait auparavant refusé un parti aussi brillant comme fortune; cet imbécile s’est amouraché d’une femme qui est à mille lieues de valoir cette charmante personne, mais qui est, dit-on, d’une grande naissance. C'est à cette considération qu’il a sacrifié l’affection la plus pure et la plus désintéressée. Depuis ce temps la pauvre enfant dépérit à vue d'œil, et inquiète vraiment beaucoup ses amis; mais si vous voulez voir le sot en question, mon mari vous mènera chez son père, qui est assez amusant à voir et à entendre une fois: c’est un homme qui s’est enrichi on ne sait trop comment dans les fournitures, qui mène un train de prince et fait le libéral à donner un mal au cœur. L'occasion est belle, car c’est, je crois, dans trois jours que son fils se marie.»
Les moyens de distraction sont assez rares en province. J'acceptai la proposition, et je partis avec mon ami pour assister aux noces, à l’occasion desquelles on déployait l’hospitalité la plus large et la plus généreuse.
Nous arrivâmes au château de M. Bardou. Mon ami me présenta, et je m’aperçus que mon titre flattait extrêmement l’aristocratique démocratie du fournisseur.
Il nous présenta son fils: c’était un grand et fort garçon, d’un blond fade, rouge, commun à faire peur, avec de gros yeux bêtes en l’air, aussi sot qu’insolent.
Ce n’est pas que j’aime assez l’impertinence; mais ce niais avait la plate et lourde insolence d’un laquais.
Somme toute, je concevais l’engouement de cette pauvre petite fille pour cette espèce, qui était ce qu’on appelle un bel homme de province; la preuve de cela est qu’on le nommait le beau Bardou.
La noce était pour le surlendemain, nous nous mîmes à table. Après dîner, les deux filles de M. Bardou se cramponnèrent l’une à un piano, dont elle tapa, et l’autre à une guitare, dont elle gratta. C'était à faire dresser les cheveux sur la tête.
Le beau Bardou, lui, avait disparu au dessert pour aller faire la cour, comme me l’apprit son père.
Le père Bardou était un gros homme d’une haute taille, avec les façons d’un crocheteur. Je causais avec mon ami: il s’approcha de nous.
– N'est-ce pas que mon dîner était bon? nous dit-il.
– Tout est parfait ici, Monsieur, lui dis-je.
Cette réponse le mit en confiance.
– Et mes filles ont un fameux talent, n’est-ce pas? Que voulez-vous? elles ont une si bonne maîtresse! Qu’est-ce que je dis, une maîtresse! une amie… et qui bientôt sera leur sœur… sera ma fille. Mais il faut que je vous conte cela, monsieur, me dit-il, puisque vous voulez bien assister à la noce; il faut bien que vous sachiez comment et pourquoi mon Bardou se marie (c’est ainsi qu’il appelait ce grand corps dont la figure ressemblait à un abricot entortillé dans de la filasse). Et cet animal se mit à cheval sur une chaise, en appuyant ses deux grosses mains rouges sur le dossier; il commença ainsi:
– D'abord, Monsieur, moi je brave le pouvoir, et je dis tout haut que je suis libéral. J'ai fait ma fortune moi-même, et je n’entends pas que les despotes me vilipendent. Nous ne sommes pas faits pour être les esclaves des jésuites et de la prêtraille; aussi, j’ai acheté deux mille exemplaires du Voltaire Touquet, que j’ai distribué à mes paysans, et dix mille tabatières à la charte.
– Pour un ennemi du gouvernement, vous encouragez furieusement les droits réunis, lui fis-je.
– Ah! je vais vous dire, reprit-il: c’est que j’ai quelques plants de tabac; mais pour en revenir au mariage de mon fils, figurez-vous, Monsieur, que j’ai demandé à ces canailles de ministres, moi qui suis grand propriétaire, un mauvais titre de baron qu’ils m’ont refusé, comme je m’y attendais, car, une ruse de ma part, j’avais demandé cela exprès pour les mettre dans leur tort, et avoir le droit d'être d’une opposition bien plus enragée; et c’est ce que j’ai fait, comme vous allez voir. Lors de la guerre d'Espagne, il y a eu des réfugiés politiques, tous logés chez moi, Monsieur! Les réfugiés, tous!.. défrayés de tout et entretenus à mes frais. Il fallait voir la figure du gouverneur pendant ce temps là!.. Vous concevez s’il était humilié! Si humilié, qu’un membre du comité directeur m’a dit qu’à Montrouge, on avait proposé de m’assassiner. Mais on a craint une révolte du département, et voilà comme j’ai été sauvé. Mais, ce n’est pas tout; vous allez voir jusqu’où va l’humiliation du gouvernement. Ces réfugiés sont rentrés en Espagne pour la plupart; mais il en est resté un, et cet un est un grand seigneur, un marquis, un général en chef, un gouverneur d’une foule de provinces, pas plus fier que vous et moi, un digne vieillard qui a été la victime des nobles et des prêtres de son pays, parce qu’il parlait pour le peuple. Ah! Monsieur, quel homme! il me fendait le cœur, en me racontant qu’on avait rasé son château, abattu ses arbres, bouleversé ses jardins, de façon, me disait-il, que je retournerais maintenant en Catalogne, où j’avais une terre qui me rapportait vingt mille piastres de rentes (les piastres sont les pièces de cent sous de leur pays) que je ne pourrais plus, disait-il, reconnaître seulement la place de mes propriétés. Voilà pourtant où les jésuites veulent nous mener, Monsieur! Et puis, ce saint vieillard me conduisait sur la montagne, et là, Monsieur, il ne passait pas une hirondelle qu’il ne lui dît des choses à fendre l’âme, sur le bonheur qu’elle avait de retourner dans son pays natal. Tenez, il y a même une chanson de Béranger dans ce genre-là… Et moi, je pleurais comme un enfant, rien que de l’entendre. Mais ce n’est pas tout, ce digne seigneur avait avec lui sa fille, une personne superbe, un peu brune, mais si bien élevée, que c’est un charme depuis bientôt six mois qu’ils sont venus loger à la maison du Petit-Parc; elle a donné des leçons de guitare à mes filles… et quelles manières distinguées, Monsieur!.. Ah! tenez, on peut avouer cela entre soi: il n’y a que les grandes familles pour ces manières-là. Enfin, tant il y a, que mon fils, mon Bardou, qui était presque fiancé à une petite fille de rien, est devenu fou de la demoiselle de monsieur le marquis de la Ronda-Mayor; et, après bien des peines, il s’est fait aimer de la belle Espagnole. Son père veut bien la lui donner en mariage, et a l’extrême bonté de lui conférer son titre. Aussi, après demain, Monsieur, mon Bardou sera le marquis Bardou de la Ronda-Mayor, et le plus heureux des époux. Maintenant jugez du camouflet que reçoit le gouvernement! Il ne voulait pas me faire baron, et mon fils est marquis! Car j’ai là les titres de général sur parchemin, ainsi que ses brevets de général et de gouverneur. Maintenant, vous savez tout, Monsieur, et j’espère que vous nous honorerez en signant au contrat.
Jusqu’au moment où cet imbécile d’homme parla de Ronda-Mayor, je n’avais eu aucun soupçon. J'étais à mille lieues de penser que Tintilla et son digne père, que je croyais encore aux galères, fussent pour rien dans tout ceci. Les mots de Ronda me les rappelèrent malgré moi; et je ne sais quel pressentiment me dit que c’était une nouvelle rouerie tramée par le père et sa fille.
Pour m’éclaircir, je fus me promener le lendemain matin du côté du Petit-Parc. J'entendis une voix bien connue fredonner un bolero: c’était Tintilla.
Je m’avançai; elle ne me reconnut pas.
Elle était mise fort simplement à la Française; ses grands cheveux étaient bouclés et retenus par un peigne d’écaille; sa robe blanche éclaircissait son teint et dessinait sa taille, qu’elle avait toujours voluptueuse au possible; car, il faut l’avouer, vive Dieu! elle était toujours séduisante, et je conçois qu’un homme même moins niais que le brave Bardou s’en soit épris au point de l’épouser.
– Tintilla de mi carazou… Gitanissa mia, lui dis-je.
Elle devint pâle comme la mort: elle m’avait reconnu. A ce moment parut monsieur son père, fort agréablement décoré de cinq ou six ordres de toutes les couleurs, vêtu d’un habit bleu tout neuf, d’une culotte et de bas de soie noirs. Le respectable marquis de la Ronda-Mayor s’appuyait sur une grande canne, et tenait à la main un chapeau à cornes, emplumé et à large cocarde rouge.
– Le Français du diable! dit Tintilla à son père.
– Pour vous servir, compère, ajoutai-je en saluant Hasth’y.
Le misérable fit le mouvement qui lui était familier pour chercher son couteau dans sa poche.
– Il n’y a pas de couteau dans ta poche, drôle que tu es, lui dis-je… Mais rassure-toi… La dupe que toi et ta fille avez enlacée est si stupide et si méprisable, que je vous l’abandonne… Seulement, Tintilla, il me faut la première nuit de tes noces, ou je parlerai; car, quoique fait, le mariage pourrait alors avoir des suites désagréables pour ce seigneur marquis… Mon silence est à ce prix.
– Mais songez donc, dit Hasth’y…
– C'est mon dernier mot, et je tournai les talons.
Le soir on signa le contrat en grande pompe, et je signai mon nom avec le plus grand plaisir.
Le lendemain, à midi, Tintilla et son bouquet de fleur d’orange furent conduits à l’autel par M. Bardou qui pleurait de joie.
Le marquis de la Ronda-Mayor, en grand uniforme d’officier-général, donnait le bras à madame Bardou; tous deux pleuraient aussi…
Le beau Bardou suivait par derrière, les yeux encore plus saillants que de coutume… Ils avaient l’air de vouloir sauter de sa tête; il était rouge cramoisi et souriait d’un air radieux.
Le dîner fut splendide.
Le bal étourdissant.
Pendant l’intervalle d’une contredanse, je m’approchai de Tintilla, et je lui dis en espagnol… Je t’attends dans la maison de ton père, songe à ta promesse ou je parle…
Elle me dit à voix basse… Que le diable me soit en aide. On coucha les mariés.
…
Le lendemain matin, je me promenais d’assez bonne heure dans le Parc, assez proche de la maison qu’habitait Hasth’y, lorsque je vis arriver une kyrielle de violons et de musiciens, et derrière eux toute la noce, conduite par le beau Bardou, qui avait un de ses gros yeux tout noir et tout contus, et riait d’un air capable; des domestiques portaient des haches et des leviers. Tout le monde était d’une gaîté folle.
– Vous ne savez donc pas, me dit M. Bardou père, qui pour sa part était armé d’un énorme merlin, il s’en est passé de drôles cette nuit. Est-ce que l'Espagnole n’a pas été effarouchée au point de battre mon Bardou, de se sauver de la chambre nuptiale, et de venir comme une folle s’enfermer chez son père, où elle a passé la nuit. Est-ce ça une vertu, hein?
– Les Espagnoles sont toutes comme cela, lui dis-je.
– Mais nous allons faire le siège de la maison, nous enfoncerons la porte, nous démolirons le mur, s’il le faut, mais nous l’aurons; tenez, voilà déjà mon Bardou qui commence à démolir la muraille. Au dixième coup de pioche, le marquis de la Ronda-Mayor parut sur le seuil tenant Tintilla par la main, qui, toute rouge et honteuse, cachait sa tête dans le sein du respectable vieillard…
– Victoire!.. victoire!.. cria Bardou.
Le beau Bardou, lui, ne cria pas victoire; mais comme il était fort comme un bœuf, il prit Tintilla dans ses bras et courut la porter aux pieds de madame Bardou (douairière), qui les bénit.
Hasth’y les bénit aussi.
Je retournai le lendemain chez mon ami; et, quelque temps après, j’appris avec peine que cette pauvre créature, que ce niais avait si sottement sacrifiée, était morte de chagrin.