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Kitabı oku: «Le morne au diable», sayfa 20

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– C’est bien facile, monsieur: en descendant la galerie, on se trouve dans le jardin, qui a une sortie sur les champs.

– Très bien; alors, mon garçon, conduis-moi vite; J’aspire après les champs comme un oiseau en cage…

– Ah! c’est inutile, monsieur, voici M. le baron; il vous conduira lui-même, dit le laquais.

– Au diable le baron, pensa Croustillac.

Le gouverneur n’était pas seul, M. de Chemeraut l’accompagnait.

– Ma foi, monsieur, dit celui-ci, heureusement vous voici levé, nous venions vous éveiller.

– M’éveiller… et pourquoi?

– Le vent et la marée n’attendent personne: la marée descend à trois heures du matin… il est deux heures et demie, il nous faut une demi-heure pour nous rendre au môle où la chaloupe nous attend; nous avons juste le temps de partir, monsieur.

– Allons, le sort en est jeté, dit Croustillac, tâchons seulement de gagner encore quelques heures avant d’être présenté à mes enragés partisans. Monsieur, je suis à vos ordres, ajouta le chevalier en se drapant dans un manteau brun qu’il avait trouvé avec ses habits.

Le baron crut de son devoir d’accompagner et de faire escorter M. de Chemeraut et le mystérieux inconnu jusqu’au môle; la fuite du Gascon devint ainsi absolument impossible.

Au moment de quitter le gouverneur, M. de Chemeraut lui dit:

– Monsieur le baron, je rendrai compte au roi du parfait concours que vous m’avez prêté; je peux maintenant vous le dire, les indications qui m’avaient été données se sont trouvées de la dernière exactitude, le secret en avait été parfaitement gardé.

– Mais, monsieur, puis-je savoir quelles étaient les indications? s’écria le baron, si médiocrement renseigné sur ce qu’il brûlait de savoir.

– Vous pouvez être certain, monsieur le baron, ajouta M. de Chemeraut en lui serrant cordialement la main, que le roi saura tout… et qu’il ne dépendra pas de moi que vous ne soyez récompensé selon vos mérites.

Ce disant, M. de Chemeraut fit pousser la chaloupe au large.

– Si le roi sait tout, il sera plus avancé que moi, dit le baron en regagnant lentement son hôtel. Ce que j’ai appris par ceux des gardes de l’escorte n’a fait qu’augmenter ma curiosité. C’était bien la peine de suer sang et eau, et de rester sur pied toute la nuit pour être si mal instruit des choses de la dernière importance, et qui se passent dans mon gouvernement encore!

CHAPITRE XXXII.
LA FRÉGATE

La lune jetait une clarté brillante sur les eaux de la rade de Fort-Royal. La chaloupe qui portail Croustillac et sa fortune s’avança rapidement vers la Fulminante, que l’on voyait mouillée à la sortie de la baie.

Le Gascon, enveloppé dans son manteau, occupait la place d’honneur de l’embarcation, qui semblait voler sur les eaux.

– Monsieur, dit-il à M. de Chemeraut, je voudrais mûrement réfléchir au discours que je compte prononcer à mes partisans; vous comprenez… il faut que je leur expose une sorte de manifeste où je leur déroule mes principes politiques, que je leur dise mes espérances pour les leur faire partager, que je leur donne enfin une manière de plan de campagne; or, tout ceci a besoin d’être longuement élaboré. Ce sont les bases de notre entreprise. Il faut encore leur développer toutes… les conséquences de l’alliance, ou plutôt de l’appui moral, c’est-à-dire matériel, que nous prête l’Angleterre, ou plutôt la France… Enfin, dit Croustillac, qui commençait à s’embrouiller singulièrement dans sa politique, je désire ne recevoir mes partisans que demain, dans la matinée… je voudrais même que mon arrivée à bord fût le moins bruyante possible.

– Il est très probable, monseigneur, que tous ces braves gentilshommes seront couchés, car on ignorait à quelle heure Votre Altesse devait arriver.

– Cet enragé… c’est-à-dire ce brave Mortimer, est capable de m’avoir attendu toute la nuit, dit Croustillac avec inquiétude.

– Il n’y a pas à en douter, monseigneur, pour qui sait l’ardente impatience avec laquelle il désire votre retour.

– Tenez, monsieur, dit le Gascon, entre nous, je connais mon Mortimer, il est très nerveux, très impressionnable; je craindrais pour lui… une révolution, un effet de joie trop subite… si je paraissais inopinément à sa vue. Aussi, en montant à bord, j’aurai la précaution de bien m’encaper afin d’échapper à ses regards… et même, s’il vous demande si j’arrive bientôt, obligez-moi de lui répondre d’une manière évasive… de cette façon on pourra le préparer à une entrevue qui, sans ces ménagements, pourrait être funeste à cet ami dévoué.

– Ah! ne craignez rien, monseigneur, l’excès de la joie ne peut jamais être funeste…

– Eh bien! vous vous trompez, monsieur; sans compter mille faits généraux dont je pourrais corroborer mon opinion, je vous citerai à ce sujet un fait tout personnel et justement particulier à l’homme dont nous nous occupons.

– A lord Mortimer?

– A lui-même, monsieur… Je n’oublierai jamais que je l’ai vu une fois saisi de convulsions épouvantables dans une circonstance presque semblable… C’étaient des soubresauts nerveux… des évanouissements…

– Pourtant, monseigneur, lord Mortimer est d’une constitution athlétique.

– D’une constitution athlétique? Allons, il ne me manquait plus que de rencontrer un Hercule dans ce Pylade acharné, pensa Croustillac. Il reprit tout haut: – Vous n’ignorez pas, monsieur, que ce sont justement les hommes d’une force extrême qui ressentent le plus vivement ces secousses; je vous dirai même… mais cela tout à fait entre nous, au moins…

– Monseigneur peut être sûr de ma discrétion…

– Vous comprendrez ma réserve, monsieur… je vous dirai donc que, dans l’occasion dont je vous parle… ce malheureux Mortimer fut tellement stupéfait… (sans notre étroite amitié, je dirais stupide) en revoyant subito quelqu’un qu’il n’avait pas rencontré depuis longtemps… que sa tête… vous comprenez…

– Comment, monseigneur, sa raison?..

– Hélas! oui, dans cette circonstance seulement… Vous comprenez maintenant pourquoi je vous demande le secret?

– Oui, oui, monseigneur.

– Mais ce ne fut pas tout, le saisissement de ce pauvre Mortimer fut tel qu’après être resté quelques moments comme abasourdi de surprise, il ne reconnut plus cette personne… Non, monsieur, il ne la reconnut plus, quoiqu’il l’eût vue mille fois!

– Serait-il possible, monseigneur? dit M. de Chemeraut d’un ton de doute respectueux.

– Cela n’est, hélas! que trop vrai, monsieur, car vous n’avez pas d’idée de l’exaltation de ce garçon-là… Aussi, moi qui suis son ami, je dois veiller à ce qu’il ne lui arrive rien de fâcheux… Jugez un peu… si je l’exposais à ne pas me reconnaître… Mortimer est maintenant ce que j’aime le plus au monde, et vous savez, hélas! monsieur, si les consolations de l’amitié me sont nécessaires.

– Encore ce funeste souvenir, monseigneur?..

– Oui, je suis faible, je l’avoue… c’est plus fort que moi…

– Quel est donc ce bâtiment mouillé non loin de la frégate? demanda M. de Chemeraut au patron de la chaloupe, afin de changer la conversation par égard pour le prince.

– Monsieur, c’est une hourque marchande arrivée hier au soir de Saint-Pierre, dit le patron en ôtant respectueusement son bonnet.

– Ah! je sais… reprit M. de Chemeraut, c’est probablement le navire de cet imbécile de capitaine marchand qui demandait notre escorte… Mais nous voici à bord, monseigneur… Toutes les lumières sont éteintes… Vous n’êtes pas attendu…

– Tant mieux! tant mieux!.. Pourvu que Mortimer ne soit pas là!

– Il me semble que je l’aperçois sur le pont, monseigneur.

Croustillac releva son manteau presque sur ses yeux.

– Ah! voici l’officier de quart à l’escalier. Quel dommage d’arriver si tard, monseigneur… C’est au bruit des tambours, aux fanfares des buccins que vous auriez dû être reçu par l’équipage sous les armes.

– A demain les honneurs… à demain, dit Croustillac, l’heure de ces frivolités vient toujours assez tôt…

M. de Chemeraut s’effaça pour laisser le Gascon monter le premier à l’échelle. Celui-ci respira en ne voyant sur le pont qu’un officier de marine qui le reçut, chapeau bas, d’un air profondément respectueux. Croustillac répondit très dignement, et surtout très brièvement, en s’enveloppant de toutes ses forces dans son manteau et en jetant autour de lui des regards inquiets, craignant de voir apparaître le terrible Mortimer. Heureusement, il ne vit que des matelots causant ou à demi couchés le long des canons.

L’officier qui s’était entretenu à voix basse avec M. de Chemeraut, saluant de nouveau Croustillac, lui dit:

– Monseigneur, puisque vous l’exigez, je n’éveillerai pas le capitaine, et j’aurai l’honneur de vous conduire dans votre appartement.

Croustillac inclina la tête.

– A demain, monseigneur, lui dit M. de Chemeraut.

– A demain, répondit l’aventurier.

L’officier descendit par le panneau d’arrière dans la batterie, ouvrit la porte d’une belle et vaste chambre parfaitement éclairée par une verrine, et dit au Gascon:

– Monseigneur, voici votre appartement; il y a deux autres petites pièces à droite et à gauche.

– C’est à merveille, monsieur; veuillez, je vous prie, donner les ordres les plus sévères pour que personne n’entre chez moi demain avant que je n’appelle… Personne… monsieur… vous entendez… absolument personne!.. ceci est de la dernière importance.

– Très bien, monseigneur… Votre Altesse ne désire pas qu’on avertisse un de ses gens pour la déshabiller?

– Je suis soldat, monsieur, dit fièrement Croustillac, et je me déshabille tout seul.

Le jeune officier s’inclina, prenant cette réponse pour une leçon de stoïcisme; il sortit, ordonna à l’un des plantons de ne laisser entrer personne dans l’appartement du prince, et remonta sur le pont rejoindre M. de Chemeraut.

– C’est un véritable Spartiate que votre prince, mon cher Chemeraut, lui dit-il; comment, il n’a pas emmené même un laquais!

– C’est juste, répondit M. de Chemeraut; il s’est passé de si étranges choses à terre que ni lui ni moi n’y avons songé; mais je lui donnerai un de mes gens. A cette heure, l’important est de mettre à la voile.

– C’est aussi l’avis du capitaine. Il m’a donné ordre de l’éveiller si vous jugiez nécessaire de partir promptement.

Nous partirons à l’instant même, car le vent et la marée sont favorables, je pense? répondit Chemeraut.

– Si favorables, dit l’officier, que, cette brise durant, demain au soleil levant nous n’apercevrons plus les terres de la Martinique.

Une demi-heure après l’arrivée du Gascon à bord, la Fulminante appareillait par une excellente brise de sud-ouest.

Lorsque M. de Chemeraut vit la frégate sortir de la rade, il ne put s’empêcher de se frotter les mains en se disant:

– Ma foi… ce n’est pas que je sois vain et glorieux, mais j’aurais donné cette mission en cent aux plus habiles… déjouer les projets de l’envoyé anglais… vaincre les scrupules du prince, l’aider à se venger d’une épouse criminelle, l’arracher à force d’éloquence aux accablantes idées que cet accident conjugal avait fait naître dans son esprit, le ramener en Angleterre à la tête de ses partisans… Ma foi, Chemeraut, mon ami, c’est à faire à toi!! Ta fortune était déjà en bon chemin, la voici à tout jamais assurée; ce bon succès me ravit d’autant plus que le roi regarde cette affaire comme très importante. Encore une fois, bravo!..

Chemeraut, le cœur joyeux, l’esprit allègre, s’endormit doucement, bercé par les plus séduisantes et par les plus ambitieuses espérances…

Il était dix heures et demie du matin; la brise était fraîche, la mer un peu forte, mais très belle; la Fulminante laissait derrière elle un étincelant et rapide sillage.

On n’apercevait plus aucune terre des Antilles, on naviguait en plein Océan.

L’officier de quart, armé d’une longue vue, examinait avec attention un trois-mâts éloigné de deux portées de canon environ, qui tenait absolument la même route que la frégate et marchait aussi vite qu’elle quoiqu’il portât même quelques voiles légères de moins.

A l’extrême horizon l’officier remarquait aussi un autre navire qu’il distinguait encore vaguement, mais qui semblait suivre la même direction que le trois-mâts dont nous venons de signaler la manœuvre.

Voulant voir si ce dernier bâtiment était toujours décidé à imiter les mouvements de la Fulminante, l’officier ordonna au timonier de laisser porter un peu plus au nord…

Le trois-mâts laissa porter un peu plus au nord.

L’officier fit porter presque entièrement à l’ouest.

Le trois-mâts porta presque entièrement à l’ouest.

Plus impatienté qu’effrayé de cette obsession, car ce navire n’était pas de force à lutter avec une frégate, l’officier, par ordre du capitaine, fit virer de bord et marcher droit à cet importun bâtiment…

L’importun vire de bord pareillement, continue d’imiter scrupuleusement les évolutions de la frégate et de marcher de concert avec elle, mais toujours hors de portée de ses canons.

Le capitaine, irrité, fit forcer de voiles et courir sur le trois-mâts.

Le trois-mâts prouva qu’il était, sinon meilleur, du moins aussi bon marcheur que la frégate, qui ne put jamais rapprocher la distance qui les séparait.

Le capitaine, ne voulant pas perdre de temps précieux à cette chasse inutile, fit remettre le cap en route.

Le fâcheux navire remit le cap en route.

Ce mystérieux bâtiment n’était autre que la paisible Licorne… Le capitaine Daniel, malgré les refus de M. de Chemeraut, avait jugé convenable de s’attacher opiniâtrement à la Fulminante jusqu’à la sortie des débouquements.

Un nouveau personnage parut sur le pont de la frégate.

C’était un homme de cinquante ans environ, grand, replet, portant un buffle, de larges chausses écarlates et des bottes de basane; il avait les cheveux et la moustache d’un roux ardent; son teint coloré, ses yeux bleu clair, dont le globe était veiné de fibrilles que la moindre émotion devait injecter de sang, témoignaient d’un naturel violent et passionné…

Nous nous hâterons d’apprendre au lecteur que cet athlétique personnage était le plus fanatique des fanatiques partisans de Monmouth, et qu’il eût été mille fois heureux du sort de Sidney; en un mot, cet homme était lord Percy Mortimer. Son inquiétude, son agitation, son impatience, étaient inexprimables; il ne pouvait rester une minute en place.

Vingt fois le lord était descendu à la porte de la chambre de Croustillac pour savoir si milord duc ne l’avait pas fait demander. En vain il avait supplié l’officier de faire dire au duc que Mortimer, son meilleur ami, son ancien compagnon d’armes, désirait se jeter à ses pieds; les vœux du lord avaient été vains, on exécutait à la rigueur les ordres du malheureux Croustillac, qui regardait chaque minute gagnée comme une conquête précieuse.

M. de Chemeraut monta aussi sur le pont, revêtu d’un habit magnifique, l’air radieux, triomphant; il semblait dire à tous: Si le prince est ici, c’est grâce à mon habileté, à mon courage.

En le voyant, Mortimer s’approcha vivement de lui.

– Eh bien! monsieur, lui dit-il, sait-on enfin à quelle heure milord-duc nous recevra?

– Le prince a défendu d’entrer chez lui sans son ordre.

– Je suis sur des charbons ardents, reprit Mortimer; je ne me pardonnerai jamais de m’être couché cette nuit et de n’avoir pas été le premier à serrer notre Jacques dans mes bras, à me jeter à ses pieds… à baiser sa main royale.

– Ah! lord Mortimer, vous aimez bien notre brave duc, dit Chemeraut, des partisans comme vous sont rares!

– Si j’aime notre Jacques! s’écria Mortimer en devenant d’un rouge sanguin et apoplectique, si je l’aime! Tenez! moi et Dick Dudley, mon meilleur ami, qui aime le duc, non pas autant que moi (nous nous sommes battus une fois parce qu’il soutenait cette folle prétention), moi et Dudley, vous dis-je, nous nous demandions encore tout à l’heure si nous aurions la force de revoir notre Jacques sans faiblir… comme des femmelettes!

– Le duc avait raison, pensa Chemeraut. Quelle exaltation! Ce n’est pas de l’attachement, c’est de l’acharnement.

Mortimer reprit avec véhémence:

– Ce matin, en nous levant, nous nous embrassions, nous faisions mille extravagances en songeant que nous le reverrions aujourd’hui. Nous ne pouvions le croire, et encore à cette heure j’en doute… Ah! quel jour! quel jour!.. Revoir en chair et en os un ami… un compagnon de guerre qu’on a cru mort, qu’on a pleuré pendant cinq ans! Ah! vous ne savez pas comme il était chéri et regretté, notre Jacques! comme on se souvenait de sa bravoure, de son courage, de sa gaieté! Quel bonheur de ne pas dire: C’était… mais c’est un cœur de roi, un vrai cœur de roi que notre duc!

– Et il faut que cela soit bien vrai, milord, puisqu’à l’exception de vous, de lord Dudley et de ce pauvre lord Rothsay qui, tout malade qu’il est de ces anciennes blessures, a voulu vous accompagner, les autres gentilshommes qui viennent offrir leur bras, leur vie, leur fortune à notre duc, ne le connaissent que de réputation…

– Et je voudrais bien voir que, sur son seul renom et sur notre garantie, ils ne l’aimassent pas autant que nous l’aimons; ce qui me rappelle qu’autrefois je me suis battu avec mon ami Dick Rothsay, parce qu’il avouait qu’il m’aimait un peu plus que notre Jacques.

– Le fait est, milord, dit Chemeraut, que peu de princes sont capables d’exciter un pareil enthousiasme, seulement par leur renom.

– Peu de princes, monsieur! s’écria lord Mortimer d’une voix redoutable, peu de princes! Dites donc aucun prince… Demandez à Dudley.

Lord Dudley paraissait en ce moment sur le pont.

Les cheveux et la moustache de ce lord étaient noirs et commençaient à grisonner; il y avait une grande conformité de taille, d’embonpoint et de force entre lui et Mortimer, véritable type (physiquement parlant) de ce qu’on appelait les gentilshommes fermiers.

– Qu’est-ce qu’il y a, Percy? dit familièrement lord Dudley à son ami.

– N’est-ce pas, Dick, qu’aucun prince ne peut être comparé à notre Jacques?

– En exceptant nos dignes amis et alliés de ce vaisseau, tout chien qui oserait soutenir que Jacques n’est pas le meilleur des hommes, je le sanglerais de coups de fouet et je le couperais en quartiers, dit le robuste personnage en frappant d’un de ses poings velus sur le plat-bord du navire. Puis, s’adressant à M. de Chemeraut:

– Mais maintenant vous le connaissez comme nous, vous l’élu, vous le bienheureux qui l’avez vu le premier… Votre main, monsieur de Chemeraut, votre brave et loyale main, plus brave et plus loyale s’il est possible, depuis qu’elle a touché celle de notre duc…

Dudley secoua rudement la main droite de M. de Chemeraut, pendant que Mortimer secouait non moins rudement la main gauche.

Rien de plus contagieux que l’enthousiasme; les partisans du duc étaient peu à peu montés sur le pont et s’étaient groupés autour des deux lords; tous voulaient à leur tour serrer la main qui avait touché celle du prince.

– Ah! messieurs, je conçois que monseigneur recule le moment de vous voir, dit Chemeraut, il craint l’émotion inséparable d’un pareil moment.

– Et nous, donc! s’écria Dudley. Enfin, voici tantôt quarante jours que nous sommes partis de La Rochelle, n’est-ce pas? eh bien! que je meure si j’ai dormi plus de trois ou quatre heures par chaque nuit, et encore d’un sommeil à la fois agréable et agité comme celui dont on dort la veille d’un duel… où l’on est sûr de tuer son homme… Du moins, tel est l’effet que cette impatience a produit sur moi; et toi, Percy? dit le robuste gladiateur, à Mortimer.

– Moi, Dick, répondit celui-ci, ça m’a fait un effet contraire; à chaque instant je me réveillais en sursaut… Il me semble que je dormirais ainsi la veille du jour où je devrais être fusillé.

– Moi, dit un autre gentilhomme, je ne connais le duc que d’après son portrait.

– Moi, d’après son renom.

– Moi, dès que j’ai su qu’il s’agissait de marcher sous ses ordres contre les Orangistes, j’ai tout quitté, amis… femme… enfant…

– C’est comme nous…

– Ah! monsieur, c’est qu’aussi Jacques de Monmouth, dit un autre, c’est un nom qui résonne comme un clairon.

– Il suffira de prononcer ce nom dans la vieille Angleterre, reprit un autre, pour chasser tous ces rats de Hollande dans leurs marécages!

– A commencer par le Guillaume…

– D’honneur, milords, dit M. de Chemeraut, vous me rendriez presque orgueilleux d’avoir si bien réussi dans une entreprise qui, j’oserais le dire, est assez délicate… Je ne veux pas attribuer à mes raisonnements, à mon influence, la résolution du prince… mais croyez du moins, milords, que j’ai su faire valoir auprès de lui l’enthousiasme que son souvenir vous avait inspiré.

– Aussi, notre ami… n’oublierons-nous jamais ce que vous avez fait! Vous nous l’avez amené ici… notre duc! s’écria cordialement Mortimer.

– Pour cela seulement nous vous devons une reconnaissance éternelle, ajouta Dudley…

– Le voir! le voir! s’écria Mortimer dans un nouvel entraînement, le revoir, lui que nous avions cru mort… Le revoir bien en face, retrouver devant nos yeux cette noble et fière figure si belle; le revoir au milieu du feu… le… le… ah!.. eh bien oui, je pleure… je pleure, s’écria le brave Mortimer en ne contraignant plus son émotion. Oui, je pleure comme un enfant, et mille tonnerres écrasent ceux qui ne comprennent pas qu’un vieux soldat pleure ainsi…

L’attendrissement est aussi contagieux que l’enthousiasme.

Dick fit comme son ami Percy, et les autres gentilshommes firent comme Dick et comme son ami Percy…

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 eylül 2017
Hacim:
430 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain

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