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Kitabı oku: «Les Mystères du Louvre», sayfa 13
XVI
LE CONSEIL DES INTIMES
Il s'écoula plusieurs jours avant que le chancelier se représentât chez la princesse Marguerite, mais il ne manqua pas un seul matin de se faire rappeler à elle dans les termes les plus respectueux.
Il souhaitait peut-être ne la voir que quand elle aurait eu le temps d'apprendre les rigueurs déployées contre son protégé. C'était un homme fort ingénieux, lorsqu'il s'agissait de prendre une revanche ou d'aiguiser une vengeance acérée.
Heureusement savons-nous qu'il avait affaire à une nature peu facile à décourager, à une intelligence aussi pénétrante pour le bien qu'il l'était pour le mal.
Nous ne pourrions dire si la princesse avait, comme il l'eût voulu, connaissance de ses noirceurs nouvelles, mais, lorsqu'il sollicita l'honneur de la voir, il fut admis sans aucune hésitation.
Marguerite était dans sa chambre, tenant une sorte de lever familier avec plusieurs dames ayant auprès d'elle sa favorite, mademoiselle de Tournon, et causant avec mademoiselle d'Heilly, sur laquelle s'exerçait plutôt sa curiosité que son intérêt, depuis qu'elle la savait l'objet de projets énigmatiques de la part de la régente.
Elle salua le premier ministre avec la même grâce qu'il lui avait vue la dernière fois et lui tendit d'elle-même sa main, qu'il lui fut impossible de ne pas baiser.
Il essaya de surprendre sa pensée intime, en dardant sur elle un de ses regards singuliers qu'il tenait de la race des serpents, mais sa prunelle verte n'avait pas la puissance de fasciner les grands yeux noirs de la sœur du roi. Ce ne sont que les êtres faibles et inférieurs qui se laissent dominer par ce magnétisme des reptiles.
Il chercha à lire sur la physionomie de mademoiselle de Tournon, mais la belle et rusée Hélène affectait de s'entretenir à voix basse avec mademoiselle d'Heilly d'historiettes de jeunes filles, qui semblaient les occuper et les amuser beaucoup l'une et l'autre.
Antoine Duprat comprit qu'il s'était fourvoyé au milieu d'adversaires qui ignoraient le redoublement de sa haine, ou qui, pour s'en cacher si parfaitement, étaient plus fortes qu'il ne l'avait présumé. Cette incertitude et cette crainte lui causèrent un malaise qui se refléta sur ses traits.
La princesse lui ayant donné un siège non loin d'elle, n'hésita pas à l'attaquer sur ce point.
– Sur Dieu, lui dit-elle, je n'ose, messire, m'enquérir de vos nouvelles; à voir votre air de souffrance, je crains qu'elles ne soient mauvaises.
Il essaya d'opérer une diversion, et comme il était venu dans un méchant dessein, il commença par le sujet qui devait être le plus contristant pour la princesse:
– Mauvaises, en effet, Altesse, si ce n'est pour moi-même, du moins pour quelqu'un qui nous est si cher que nous ressentons ses adversités à l'égal des nôtres.
Marguerite, en se décidant à le recevoir, s'était préparée à entendre tout ce qui lui serait pénible: elle ne lui donna donc pas le plaisir de se montrer alarmée.
– Je ne connais, répondit-elle, qu'une personne dont le sort me touche à ce degré, c'est mon honoré et royal frère.
– C'est aussi de Sa Majesté que je veux parler.
– Eh bien, quelles nouvelles des négociations?
– Le messager arrivé aujourd'hui n'en apporte que de fâcheuses. Il est à craindre que la régence ne se prolonge encore longtemps…
– Avec votre pouvoir… insinua la princesse, sous une pointe d'ironie si imperceptible qu'il n'y avait pas moyen de s'en blesser ni de la relever.
D'autant mieux qu'elle ajouta aussi vite, en façon de correctif:
– N'était le délaissement, l'exil forcé du roi, personne ne le regretterait d'ailleurs, messire.
– Notre Altesse me flatte, fit le chancelier avec un sourire contraint; et, comme vous le dites, madame, ce délaissement, cet exil deviennent intolérables, depuis surtout que l'illustre prisonnier n'en prévoit plus le terme.
Là-dessus, le chancelier insistant sur les détails propres à faire regarder le retour du roi comme improbable et impossible avant longtemps, expliqua, ce qui était vrai, que, contrairement à son espoir, en se faisant conduire à Madrid où il comptait s'expliquer avec l'empereur, François Ier n'avait pu encore obtenir une seule entrevue de son politique vainqueur.
Charles-Quint ne possédait guère que l'affection des vertus qu'il paraissait avoir; peu de clémence, peu de bonté, aucun élan, une générosité douteuse et une franchise qui n'existait qu'en paroles. «Sa foi, a dit l'historien Mézeray, ne l'obligeait point hors de son intérêt, et son honneur ne paraissait que quand il était question de profit.»
Avec un tel caractère, il n'était pas homme à sacrifier les avantages que lui donnait la détention du roi de France à la gloire de se montrer magnanime vis-à-vis de lui. Sous différents prétextes, il différait donc sans cesse de s'aboucher avec lui, s'en tenait aux conditions exorbitantes qu'il avait formulées dès l'origine, et ne voulait absolument entendre aucune de celles que la régente lui avait fait successivement offrir. Inexorable, inflexible, il se flattait que l'ennui de la prison et la crainte d'y être indéfiniment retenu contraindraient son rival à faiblir, et, dans cette prévision, il refusait obstinément de le voir.
Ce calcul prouvait de la part de Charles-Quint une connaissance assez juste du caractère de François Ier. Les partis extrêmes, qui ne sont permis que dans les situations désespérées, ou quand on se sent assez de force ou de génie pour les soutenir, ne lui coûtaient rien à prendre; l'esprit romanesque de son siècle et son imprudence particulière l'empêchaient de voir les difficultés. Mais le pire de tout cela, c'est que le feu qu'il mettait d'abord dans ses entreprises s'éteignait tout à coup sans pouvoir être nourri par le succès ni rallumé par les disgrâces; il n'était donné à ce prince, comme l'a dit l'abbé Raynal, que d'avoir des demi-sentiments et d'accomplir des demi-actions.
De là cette prostration, ce marasme qu'il subissait, au moment où nous nous voyons les affaires livrées à l'ambition avaricieuse de la duchesse d'Angoulême et à son complice Antoine Duprat.
– Ces renseignements sont fort tristes, dit Marguerite de Valois, lorsque le chancelier eut énuméré les diverses circonstances qui finissaient par menacer d'altérer la santé du roi.
– Ce n'est pas tout encore, cependant, reprit Duprat. La situation de Sa Majesté est aggravée par la conduite des grands d'Espagne à son égard. Ces orgueilleux hidalgos, brochant sur le délaissement où leur maître se plaît à laisser notre monarque, cherchent des raffinements de persécution. Un événement grave s'en est suivi, et c'est le principal objet du message de ce jour.
Il arrive à Sa Majesté de recevoir chez elle et de donner à jouer ou de jouer elle-même. Un de ces jours, jouant avec un grand d'Espagne, elle gagna beaucoup. Son adversaire ayant souhaité sa revanche, le roi la lui a refusée. Sur quoi, l'insolent Espagnol, jetant sur le tapis son enjeu, s'est écrié: «Tu as raison, car tu as besoin de cet argent pour payer ta rançon.» Le roi, gentilhomme jusque dans les fers, a tiré son épée, et, plus rapide que la foudre, l'a passée au travers du corps de son insulteur.
Les choses en sont là, et Votre Altesse comprend qu'elles n'avancent pas la solution que nous demandons au ciel.
– Oui, la nouvelle est grave, répondit Marguerite de Valois, en redressant fièrement la tête; mais le roi de France a fait ce qu'il devait, et l'empereur cesserait d'être chevalier s'il désapprouvait sa conduite.
Marguerite avait raison, car Charles-Quint, informé de la dispute et de son issue sanglante, répondit aux parents de la victime qui lui demandaient justice:
– François a bien fait, tout roi est roi partout.
Ces révélations du chancelier ne laissaient pas d'exercer une impression amère sur l'auditoire d'élite réuni chez la princesse. Celle-ci, réfrénant ses sentiments prêts à déborder, cherchait à lever la séance sans trahir trop de hâte, quand il lui survint un auxiliaire, qu'elle vit sans dégout pour la première fois.
Triboulet s'était glissé dans l'appartement comme un renard dans un poulailler. Accroupi derrière le grand fauteuil de la princesse, il avait tout entendu, et se montrant tout à coup:
– Gracieuse Altesse, fit-il avec le même aplomb que s'il n'eût pas été naguère jeté honteusement à la porte de cette chambre, je demande à compléter le discours de monseigneur le premier ministre.
Le premier mouvement de la princesse fut d'appeler les huissiers, et de renouveler avec une bonne correction le renvoi du favori de Duprat; mais la même pensée profonde qui lui avait fait admettre le maître lui fit tolérer le séide, et, se trouvant suffisamment autorisé par son silence:
– Monseigneur le chancelier, dit-il, est lugubre comme sa robe noire. Il vous a raconté, madame, des histoires de l'autre monde. C'est vrai: ces beaux seigneurs espagnols prennent de grands airs avec notre roi, mais celui-ci en profite pour leur jouer des tours que je ne renierais pas, moi le suppôt du dieu Satyre. Ces hidalgos sont féroces sur l'étiquette; ce sont chaque jour des disputes sur le cérémonial.
Le roi ayant consenti à se découvrir pour les saluer, ils se sont avisés de prétendre qu'il devait, de plus, s'incliner.
Ne réussissant pas à l'y décider, ils ont eu la facétieuse idée de faire baisser la porte de sa chambre, afin que le roi fût obligé de se courber pour sortir, et que les grands qui se tiendraient en dehors pussent prendre cette inclinaison pour eux. Je vous donne en mille ce qu'a imaginé le roi… Il est sorti à reculons, en leur montrant le… dos.
Cette anecdote fut la dernière, elle égaya un peu l'assistance, et le chancelier s'éloigna sans avoir le mot du sphinx qui faisait son tourment, et dont il voulait le désespoir.
Une seule amie resta avec Marguerite: c'était celle dont le sein était accoutumé à ses épanchements. Avec Hélène de Tournon, Marguerite ne se contraignait pas.
Oh! que Duprat eût payé cher pour voir les larmes et entendre les plaintes qui succédèrent à sa visite!
Elle souffrait bien, en effet, cette âme d'élite, exposée à des poursuites odieuses, à des hommages infâmes; forcée de tendre sa main généreuse et loyale à des lèvres méprisées. Les tourments de son ami, les chagrins de son frère, les remords et l'expiation de sa mère, formaient une trilogie cruelle où elle se débattait vainement comme dans un cercle d'airain.
Toute sa vie, tout son bonheur, tout son avenir étaient là, fatalement enchaînés, et chacun de ses efforts pour rompre ce réseau n'arrivait qu'à le rendre plus étroit, témoin les fers qui chargeaient le chevalier de Pavanes et les persécutions qui accablaient le roi.
Sa confidente cherchait, sans y réussir, à la réconforter. Elle-même n'osait plus rien attendre des expédients confiés à l'adresse du vieux Jean de Pavanes, qui pourtant n'avait garde d'abandonner la tâche à lui échue dans cette alliance offensive et défensive.
La tendresse du père secondait l'habileté du docteur, la ruse du nécroman. Appelé par la régente pour recevoir les débris du précieux mouchoir imbibé du sang de l'ennemi commun, il avait entamé la discrétion opiniâtre, cette conscience bourrelée.
Au moment donc où Marguerite accusait le sort avec le plus de douleur, un mot de son serviteur Michel Gerbier lui vint au secours:
– Maître Gaspard Cinchi, porteur de bonnes nouvelles, demande à être introduit avec prudence auprès de Votre Altesse.
C'était le rayon de soleil succédant à la tempête. Le père de Jacobus n'était pas de ceux qu'on fait attendre.
Le temps d'aller le chercher et de l'amener par des galeries isolées, et il était reçu.
La princesse s'élança à sa rencontre dès qu'il franchit le seuil de sa chambre; on aurait difficilement distingué le plus ému, de la femme aspirant après le salut de son amant, ou du père poursuivant celui de son fils unique.
– Accourez, maître! exclama-t-elle, et dites-nous, sans nous faire languir, ce que vous avez découvert enfin.
Alors, malgré lui, il devint subitement grave, et secouant avec amertume son front blanchi par ses cent années:
– Dieu m'est témoin, prononça-t-il, que s'il n'y allait pas du plus cher intérêt de mes derniers jours, de votre bonheur et de la nécessité d'empêcher la perte d'une nouvelle victime, ce secret mourrait avec moi, ou du moins vous seriez la dernière personne à qui je le confierais.
– Mon père, vos paroles pleines de ténèbres et de tempêtes accroissent mon tourment…
– C'est qu'il s'agit de votre mère, Altesse…
Marguerite courba la tête.
– Il est donc vrai, un crime…
– Oui, madame, un crime, un double crime! a cimenté l'union de madame la duchesse d'Angoulême et du grand chancelier; c'est par un lien sanglant qu'ils sont attachés l'un à l'autre, et messire Antoine Duprat est le plus fort, parce qu'il détient les preuves qui perdraient sa complice.
– N'importe, il faut que je sache tout, puisque c'est le seul moyen de sauver notre ami. Achevez, maître; la souffrance m'a donné la force, je veux vous entendre.
Le vieillard s'assit, et Marguerite, assistée de ses deux autres fidèles, Hélène et Michel Gerbier, prit place autour de la table, comme s'il s'agissait d'une délibération d'Etat.
XVII
LE SECRET DE LA RÉGENTE
L'alchimiste exposa d'abord la marche de sa tactique:
– Vous savez, Altesse, dit-il à Marguerite, de quelle opération je suis chargé par madame la régente, et comment elle m'a procuré un objet que je jugeais nécessaire à sa réussite. Elle a voulu être tenue au courant de mes travaux; chaque jour j'ai dû lui en donner la marche, mais jusqu'ici je lui ai dit, en même temps, qu'à ma grande surprise l'œuvre reculait au lieu d'avancer, ce qui ne pouvait provenir que d'une influence occulte, telle qu'un pacte passé antérieurement entre elle et l'homme qu'elle voulait atteindre.
Les révélations que je lui ai faites par des insinuations successives, sur la qualité, la nature de ce personnage, sur les relations qui avaient existé entre eux, l'ont surprise d'abord, puis alarmée, de telle sorte que, me croyant possesseur d'une puissance bien plus grande que celle dont je dispose, et craignant que je n'apprisse par ma science ce qu'elle avait tenu à me celer elle a préféré me l'avouer elle-même.
C'est une histoire sinistre et qui date déjà de plusieurs années, c'est-à-dire de la guerre du Milanais.
– Une funeste époque, maître, interrompit Marguerite de Valois.
– Funeste pour la France, Altesse, et plus encore pour l'honneur de votre mère…
C'était donc en 1522; nos troupes, sous la conduite de messire Lautrec, luttaient avec de grands efforts contre celles de l'empereur, qui nous disputait le duché de Milan. La partie française de l'armée supportait héroïquement les misères, les privations; elle ne recevait ni solde, ni habillements, ni vivres, et cependant elle tenait bon. Mais dans les rangs se trouvaient dix mille Suisses, recrutés par le général en chef; non sans de grandes peines, et par l'appât de séduisantes promesses. Ceux-ci murmuraient et menaçaient.
Messire Lautrec ne pouvait que les payer de paroles; il attendait de France quatre cent mille ducats, que les lettres formelles du roi lui avaient annoncés. Mais cet argent n'arrivait pas, et l'insubordination gagnait dans les compagnies suisses, dont le concours nous était indispensable.
Notre armée était établie en face de Milan, dans le parc du vieux château de la Bicoque. Les impériaux désiraient la bataille, que, grâce à notre position, nous pouvions ajourner. C'était l'avis des chefs; mais les Suisses, exaspérés de servir sans être payés, demandèrent à grands cris leur solde ou le combat. Il fallut se résoudre à ce dernier parti, pour prévenir leur désertion. A peine leur a-t-on paru y consentir, que, sans attendre les précautions de la plus vulgaire stratégie, ils se précipitent contre les portes de Milan, se flattant que le succès va les leur ouvrir, et que le pillage va les indemniser de l'arriéré qui leur est dû.
Mais le canon les enlève par files et la mousqueterie les décime. De leurs piques ils mesurent en vain la hauteur des murailles: ils n'ont aucun moyen de les escalader. Découragés, démoralisés alors autant qu'ils étaient hardis tout à l'heure, ils abandonnent le champ de bataille. Vainement les généraux courent au-devant d'eux, leur barrent la route, tâchent de les ramener au combat, leur montrent le succès de la gendarmerie qui venait de forcer la chaussée, et qui, prenant les ennemis à dos, les mettaient en désordre. Ils n'écoutent rien, plient bagage avec un silence farouche, et prennent le chemin de Monza, pour regagner leur foyers.
Messire Lautrec essaya, sans plus de bonheur, de les retenir; il n'en obtint que cette réponse invariable, devenue un proverbe qui se perpétuera sans doute: «Pas d'argent, pas de Suisses.» Leur présence aurait soutenu nos compatriotes dans la péninsule; leur défection fut le signal obligé de leur retraite.
Je ne rappellerai pas la désolation du roi à cette nouvelle, Votre Altesse en fut témoin. Il avait juré de ne plus voir de sa vie messire Lautrec, et ne revint sur cette résolution que pressé par les instances de madame la comtesse de Châteaubriand, sa sœur. Consterné de la froideur de Sa Majesté, Lautrec insista pour connaître la cause d'une disgrâce qu'il savait imméritée. Une explication fut forcément amenée, et le roi apprit avec stupeur que les quatre cent mille ducats qu'il croyait avoir été envoyés au général ne lui étaient pas parvenus.
Il manda aussitôt le baron de Semblançay, son surintendant du trésor, l'homme du royaume en qui il avait le plus de confiance et qu'il se plaisait dans son affection à appeler son père. Ce qui fut dit dans cette explication est jusqu'ici demeuré impénétrable. Mais ce que chacun sait, c'est que Sa Majesté donna sur-le-champ des commissaires au baron de Semblançay.
Le chancelier Antoine Duprat9 fut chargé de lui désigner des juges, devant lesquels il comparut sous l'accusation de péculat et de faux, et qui le condamnèrent à la peine du gibet… Je me tais sur les détails de cette exécution, Votre Altesse a pu les connaître. Le malheureux surintendant protesta de son innocence jusque sur l'échafaud, où il attendit longtemps sa grâce qui n'arriva pas.
Puis, comme ce n'était pas assez d'un tel forfait, ou plutôt comme les coupables craignaient la vigilance et la probité du général des finances, messire Jean Poncher, ami et serviteur du surintendant, vous avez vu messire Jean Poncher poursuivi à son tour. On le croyait sur la voie de la vérité, il prenait le parti du surintendant, on le condamna comme lui, et on l'attacha au même gibet.
Ici le vieillard fit une pose. Chacun de ses auditeurs connaissait, en effet, ces événements; mais l'accent dont il les racontait excitait leur attention, car il présageait une conclusion importante.
Pour nous, nous n'appuierons pas davantage sur ce simple exposé, nécessaire à l'intelligence de notre récit. Nous nous bornerons à rappeler que, malgré l'ignorance où le public était encore du nœud de cette intrigue, chacun tenait pour constante l'innocence de Semblançay et de Jean Poncher, ainsi que le prouve ce huitain, que lui consacra Clément Marot, le poète de Marguerite de Valois:
Lorsque Maillard, juge d'enfer, menait
A Montfaucon Semblançay l'âme rendre,
A votre avis, lequel des deux tenait
Meilleur maintien? Pour vous le faire entendre,
Maillard semblait l'homme que mort va prendre,
Et Semblançay fut si ferme vieillard,
Que l'on cuidait pour vrai qu'il menât pendre
A Montfaucon le lieutenant Maillard.
Les Parisiens, qui s'étaient portés en foule sur le passage du cortège, ne pouvaient croire que l'exécution eût lieu. Ils se rappelaient la grâce accordée naguère, sur l'échafaud, au comte de Saint-Vallier, et s'attendaient à saluer aussi celle du surintendant. Celui-ci marchait comme un héros des temps antiques; on vit peu de condamnés montrer cette dignité et cette présence d'esprit. Mais sa mort importait à deux trop grands personnages, pour que sa grâce fût possible.
Lors donc qu'après cette longue attente au pied de l'échelle l'exécuteur lui annonça qu'il ne devait plus compter sur son pardon, et qu'il fallait mourir, il accueillit cet arrêt sans trembler; seulement, une amertume profonde se peignit sur son visage.
«Je reconnais enfin, dit-il, la différence qu'il y a entre servir Dieu et servir les rois. Si j'avais autant travaillé pour mon salut que pour le bien de l'État, je ne me verrais pas réduit à l'affreuse extrémité où me voici… J'ai mérité la mort, car j'ai plus servi aux hommes qu'à Dieu10!»
– Il me reste, reprit Jean de Pavanes, à vous instruire de ce que j'ai découvert aujourd'hui, par la confidence un peu forcée de madame la duchesse d'Angoulême.
La voix publique avait raison en s'élevant contre la procédure dirigée par le grand chancelier Antoine Duprat, en s'intéressant hautement à l'accusé, en attendant comme lui un acte de clémence royale qui, hélas! n'est pas venu, car deux personnes obsédaient le roi pour empêcher qu'il ne cédât à sa générosité instinctive.
Ces personnes, les nommerai-je? c'étaient celles qui avaient fait décréter le surintendant d'accusation, l'avaient noirci aux yeux de Sa Majesté, avaient intercepté toutes ses lettres, ses suppliques, et surtout ses explications. Ces grands coupables, madame la régente et le chancelier, en un mot, connaissaient cependant bien l'innocence du baron de Semblançay, car les quatre cent mille ducats qu'on lui reprochait d'avoir dérobés, c'étaient eux qui les avaient reçus…
– Que dites-vous, maître? s'écria Marguerite de Valois, effrayée de cette affirmation, qui éclatait comme un trait de lumière dans une des plus ténébreuses intrigues du règne de son frère.
– La vérité, Altesse, car ce que je vous rapporte, je le tiens de la bouche même de madame la duchesse…
– Ainsi, le surintendant Semblançay?..
– Le surintendant est mort victime d'une infernale machination; c'est là le pacte qui unit madame la régente au chancelier. Écoutez, d'ailleurs, ses détails qui lèveront tous vos doutes.
Le surintendant avait réuni la somme et se disposait à l'envoyer à messire Lautrec, lorsque le chancelier, remplissant le rôle de tentateur, fit luire aux yeux de madame la régente, dont on connaît malheureusement le faible pour les grosses sommes, la possibilité d'arrêter celle-ci au passage. En caressant l'amour de sa complice pour l'argent, messire Antoine Duprat servait leurs rancunes communes contre madame de Châteaubriand et le général son frère, en privant celui-ci d'un subside indispensable.
Madame la duchesse d'Angoulême se rendit en conséquence auprès du baron de Semblançay, et là, par prières, par menaces surtout, au nom de son royal fils, elle lui extorqua la somme.
Lorsque le roi, à la suite de ses explications avec le général Lautrec, fit comparaître le surintendant, celui-ci déclara sans hésiter ce qu'il avait cru devoir faire, connaissant l'autorité laissée par le roi à sa mère. Sa Majesté alla trouver madame la duchesse, lui reprochant avec amertume la perte de son duché de Milan, et l'accablant de reproches pour une félonie sans exemple de la part d'une mère d'un roi.
Mais alors la duchesse nia le fait sans vergogne, et accusa le surintendant de calomnie.
On appela celui-ci une seconde fois; confondu d'abord par la hardiesse et la duplicité de la mère de son souverain, il finit par retrouver sa présence d'esprit, et offrit d'apporter les preuves de son innocence, c'est-à-dire les ordres et les quittances écrits et signés de la main même de madame la duchesse d'Angoulême.
L'embarras du monarque devenait extrême entre les affirmations de son ministre et les dénégations de sa mère. Ce fut celle-ci qui trancha la question. «Eh bien! s'écria-t-elle, rien n'est plus aisé que de vous assurer qui dit vrai ou qui a menti. Puisque messire le surintendant prétend posséder ces pièces, qu'il les montre.»
Rien qu'à la manière dont elle prononça ces mots, le baron de Semblançay se sentit enlacé dans un piège. Cependant, comme il avait classé ces pièces importantes dans son chartrier, il courut les chercher… Hélas! elles avaient disparu, un misérable était venu en aide au chancelier et à la duchesse, et les avait soustraites.
Le monde s'écroulait autour de l'infortuné surintendant. De cette heure, il ne conserva plus d'espoir. Il tendit la tête au coup qui devait l'abattre sur l'échafaud de Montfaucon, après une procédure sans bonne foi, où les juges avaient promis sa mort avant de monter sur leurs sièges.
Voilà, Altesse, ce que vous avez voulu savoir: telle est l'alliance basée sur le sang innocent qui relie le chancelier à madame la duchesse régente. Les armes qui font la puissance de messire Duprat, ce sont ces ordres et ces quittances, qu'il détient par devers lui, et qu'il n'aurait qu'à envoyer au roi pour amener une rupture éclatante entre le fils et la mère, et faire supprimer à celle-ci les hautes prérogatives dont elle est investie. Le roi est trop bon gentilhomme, trop amoureux de sa gloire, pour laisser son pouvoir entre les mains qui ont fait couler le sang du juste, et amené le plus cruel revers de nos armées.
Quand au fourbe qui a tissé les fils de cette intrigue, il a manœuvré de telle sorte que rien ne peut établir sa complicité, et qu'il semble n'avoir figuré au procès que comme un magistrat investi, sans l'avoir cherchée, de la confiance de son maître et du soin d'assurer la vindicte des rois.
Le vieillard s'arrêta laissant ses trois auditeurs méditer quelque temps en silence ses révélations.
Mademoiselle de Tournon, non plus que Michel Gerbier, n'osaient exprimer leurs sentiments; ce fut la princesse qui prit la première la parole:
– Certes, dit-elle, c'est là une trame infernale et bien conduite. Il m'est cruel d'avoir à reconnaître tant de duplicité chez ma propre mère. Mais le ciel, en nous permettant de descendre dans cet abîme de noirceurs, nous a livré un secret dont il nous laissera sans doute tirer avantage. Maître, vous n'avez encore rempli que la moitié de votre œuvre; pour que nous soyons maîtres du chancelier, comme il est maître de la régente, il faut que vous sachiez le nom du misérable qui vola les quittances dans le chartrier du surintendant; il y a plus, il faut que vous m'ameniez cet homme et que je m'assure de lui.
«Quand une fois on est entré dans la voie de Judas, il n'y a pas de raison pour qu'on s'y arrête. Cet homme a vendu son bon maître au chancelier, cet homme me vendra certainement le chancelier. Il ne s'agit que d'y mettre le prix.
«Les quittances signées de ma mère ne peuvent perdre que ma mère; mais ce serviteur déloyal, agent du chancelier, peut perdre le chancelier.
«Allez donc, maître: s'il faut de l'or, Michel Gerbier vous donnera tout celui de mon épargne; si ce n'est assez, je mets tous mes joyaux à votre discrétion; cherchez, fouillez, payez, mais, sur votre salut, ne revenez ici que pour m'amener cet homme!..»
– Notre sire Dieu m'inspirera, et je reviendrai bientôt, je l'espère!
– Soyez-vous exaucé! Songez que je vous attends!..
– Oui, madame, je songerai que mon fils souffre!..
