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Kitabı oku: «Les Mystères du Louvre», sayfa 12
XV
LA GUERRE DES PETITS MOYENS
Le lendemain, le fou d'office, dans son accoutrement discret, à l'heure des ténèbres, frappa les trois coups cabalistiques à la porte du nécroman, qui s'ouvrit aussistôt.
Fidèle à sa promesse, il jeta sur la table, comme la veille, un sachet plein d'or attaché par une chaîne de même métal.
– Voici ce que je vous ai promis, maître, dit-il, en homme ponctuel, mais pressé d'être servi avec la même exactitude.
– Et voici ce que j'ai à vous remettre, répondit le vieil alchimiste, laconique et impassible comme à son ordinaire.
En même temps, il atteignait d'un bahut deux fioles de grès toutes pareilles à celles qu'il avait remises à la princesse Marguerite, c'est-à-dire fort petites, portant une étiquette formée d'une seule lettre, et fermées de bouchons de cire, car on commençait à peine à connaître l'usage de ceux de liège.
– Le bouchon vert, lui dit-il, renferme le soporifique; le bouchon jaune, l'autre chose.
– Le poison… prononça tout bas Triboulet.
Ses grandes mains crochues s'étendirent comme des pattes d'araignée pour saisir les fioles, que ses yeux couvraient de leur lueur verdâtre et phosphorescente.
L'alchimiste crut voir luire la prunelle d'un chat sauvage ou d'un tigre.
Il les palpa avec amour dès qu'il les tint enfin, et les cacha dans une poche secrète de son pourpoint.
– Maître, dit-il, je ne sais pas au juste quand je me servirai de ces objets; mais s'ils ont la vertu souhaitée, je m'engage à venir vous apporter un présent plus riche que les autres, après mon succès.
– Le succès sera tel que je l'espère, messire, car je vous jure que j'ai mis dans ces fioles tout ce que je devais y mettre.
– J'y compte bien; avant peu, d'ailleurs, vous aurez de mes nouvelles… Adieu, illustre nécroman, aimable suppôt de Satanas. Que l'enfer vous maintienne en joie, en santé et en longs jours.
Le bouffon avait retrouvé sa belle humeur.
A l'audience de la régente, le jour suivant, il étourdit l'assistance par le feu roulant de ses saillies. On ne l'avait jamais vu plus réjouissant aux meilleures époques de la cour.
Comme on le savait fort habile pour s'initier à toutes les choses cachées du palais, on en conclut aisément qu'il avait surpris de bonnes nouvelles de la condition du roi, et, sur cette hypothèse, le triste Louvre reprit pour un instant une espèce d'animation et d'entrain.
Louise de Savoie laissa même s'accréditer cette rumeur de nature à produire une réaction opportune sur la langueur de l'opinion publique, fort inquiète de la prolongation de cette absence de François Ier.
Mais elle possédait par devers elle de fortes raisons de ne pas s'illusionner. Les mauvaises nouvelles étaient les seules exactes.
Aussi, la duchesse d'Alençon, Marguerite de Valois, notre héroïne, étant rentrée avec elle dans ses appartements, fut frappée de l'abattement où elle la vit tomber.
Le temps n'avait pas été perdu entre elle et ses amis. Il avait été convenu qu'elle s'assurerait d'abord de l'espoir que sa mère conservait encore dans sa fameuse négociation des deux mariages, afin de songer, sans plus de retard, dans le cas probable d'abandon de ce plan, à un projet d'évasion du captif de la Grosse-Tour.
Cette ressource, il nous semble l'avoir déjà laissé entendre, était réservée comme la dernière, à cause de ses nombreuses difficultés.
La vigilance soupçonneuse du premier ministre était un de ces obstacles; aussi, quoi qu'il en pût coûter à son cœur, Marguerite s'était résolue à se montrer à lui avec des airs moins irrités, à user enfin de l'influence que la passion révoltée de l'ennemi lui donnait encore peut-être; en un mot, à ne pas l'empêcher de croire à un adoucissement possible de ses sentiments à son égard.
Par cette tactique, on gagnerait du temps; Duprat n'oserait tenter aucune violence contre le captif, de crainte de réveiller l'irritation de la princesse sa protectrice.
Il semblait impossible qu'on n'obtînt pas ainsi assez de répit, d'une part, pour permettre à Jean de Pavanes, ou si l'on veut, à Gaspard Cinchi, d'user de son autorité cabalistique sur l'esprit de la régente; d'une autre part, pour combiner une fuite de Jacobus.
Tout cela demandait beaucoup d'adresse, infiniment de ruse, une diplomatie imperturbable, mais il y avait peu de monde dans le complot, rien que des intéressés ou des amis à l'épreuve: Hélène de Tournon, le vieux Jean de Pavanes, le brave Michel Gerbier, et l'ancien gardien qui avait sa fortune à faire et sa rancune à assouvir contre ceux qui l'avaient destitué.
Marguerite de Valois, qui a montré tant de connaissance de la faiblesse humaine dans ses contes du Décameron, comptait surtout enfin sur un puissant auxiliaire, l'amour, qui rend aveugle les plus fins politiques, quand il se mêle de leur troubler le cerveau. Et puis, les amoureux de l'âge de Duprat sont les plus faibles et les plus faciles.
Ces combinaisons, on les voit, ne manquaient pas de profondeur ni même de génie.
Elles étaient incomplètes pourtant. Dans son mépris pour le jongleur de la cour, Marguerite, semblable aux princes imprudents des contes de fées, avait négligé de comprendre dans son programme ce mauvais esprit.
Peut-être n'était-il pas, en effet, aussi puissant que nous avons pu croire, peut-être bien aussi était-il désarmé par le contenu inefficace des deux fioles sur lesquelles il fondait tant d'espoir.
Les événements ne tarderont pas, probablement, à nous éclairer sur ce point. Revenons, pour l'heure, au tête-à-tête où nous avons laissé la duchesse d'Angoulême et sa fille Marguerite.
– Vous semblez souffrir, ma mère? demanda celle-ci avec intérêt.
– Oui, c'est vrai, un malaise… le bruit de cette audience, le mouvement de ce monde… cette gaieté que je ne puis partager…
– Vous avez eu tort de laisser partir le docteur Corneille Agrippa…
– C'était un ignorant, interrompit vivement la duchesse; quand j'aurai besoin d'un physicien, j'en tiens un à ma disposition, qui n'a pas ses scrupules absurdes, et qui le dépasse de cent coudées en savoir…
– Vous me le ferez connaître, ma mère! s'écria Marguerite de Valois, charmée de voir le crédit qu'avait déjà pris le vieux de Pavanes sur cette intelligence superstitieuse et implacable.
– Je prétends avant peu, s'il réussit dans une affaire dont je l'ai investi, l'attacher exclusivement à votre personne, à celle de votre cher frère et roi et à la mienne. Cet homme est un trésor, et les trésors se doivent garder en famille.
– Je reconnais là votre bonté pour moi, ma mère… et cela m'encourage à vous adresser une question.
– Je sais ce que vous voulez dire… fit Louise de Savoie, en pénétrant d'un clin d'œil au fond de la pensée de sa fille.
– Alors, ma mère, que répondez-vous?
– Qu'il y a un mauvais génie mêlé dans mes desseins. Que ce projet conçu par moi comme l'œuvre la plus heureuse de ma politique, dicté à l'abri de toute oreille indiscrète au confesseur du roi, scellé de mon sceau, remis à la discrétion de cet honnête ecclésiastique, sous le coup d'un serment formidable; ce plan a été surpris, éventé par l'influence néfaste qui déjoue chacun de mes efforts.
Par une audace sans exemple, maître Guillaume Parvi a été arrêté dans son voyage par des entraves, des périls successifs habilement calculés, plus habilement exécutés, puisqu'il est impossible de saisir la trace de leurs auteurs…
La duchesse d'Alençon regarda sa mère en face et lui dit avec un calme significatif:
– En conscience, ma mère, croyez-vous cela aussi impossible que vous me l'assurez?
– Que voulez-vous dire?
– Hélas, vous ne le savez que trop, et vous oubliez notre pénible entretien de ces jours passés… Le démon qui nous poursuit n'a-t-il pas revêtu une forme humaine; ne se nomme-t-il pas…
– Il est inutile de prononcer ce nom, puisque nous le connaissons… Eh bien, oui, c'est lui que je soupçonne, lui que j'accuse… lui qu'il faudrait perdre.
Ces derniers mots firent comprendre à Marguerite de Valois que si sa mère s'associait avec cette chaleur à sa cause, c'est que cette cause servait puissamment sa haine contre le chancelier.
Malheureusement, la haine de la régente n'avait jusqu'ici porté que des fruits stériles, et Marguerite n'entretenait qu'une confiance voisine du dédain pour les pratiques surnaturelles auxquelles sa mère s'adonnait en désespoir de cause.
Adroitement secondée par Hélène de Tournon, elle entama le système de petites manœuvres destiné à endormir la méfiance de l'ennemi.
Le hasard lui en fournit bientôt une excellente occasion.
Elle se trouvait chez sa mère, pour prendre connaissance d'un message arrivé de Madrid et donnant des nouvelles du roi.
Elle en commençait à peine la lecture, que le chancelier arriva avec l'apparence du zèle d'un serviteur empressé.
En trouvant les deux princesses réunies, il éprouva une certaine gêne; mais aussitôt Marguerite lui tendit obligeamment le papier, en l'engageant à le lire à haute voix.
Il fallut presque lui répéter cette invitation pour qu'il y crût.
De son côté, la duchesse d'Angoulême, qui semblait chercher une occasion d'être en contact avec lui, lui montra un siège. Mais il n'était pas plutôt assis, à peine avait-il lu les premières lignes de la missive, que, sous prétexte de lui en indiquer du doigt le passage important, la duchesse s'approcha brusquement, et se pencha sur lui d'un façon si malencontreuse ou si perfidement calculée, qu'une de ses grandes épingles de tête lui effleura la joue.
Il y porta vivement la main et la retira marquée d'une gouttelette de sang.
La duchesse, se confondant en excuses, cherchait un linge, quand Marguerite, avec une grâce toute naturelle, lui offrit son mouchoir de batiste en joignant ses regrets à ceux de sa mère.
Un échange de phrases polies, telles qu'il n'y en avait pas eu depuis longtemps entre nos trois personnages, s'ensuivit; le ministre se voyait obligé de déclarer qu'il devait s'applaudir d'une égratignure compensée par tant de bienveillance.
En réalité, ce n'était rien qu'un bobo sans importance aucune, et le mouchoir obligeant de la princesse eut vite asséché le filet vermeil de la joue du ministre.
Oh! s'il eût eu plus de confiance, s'il eût pu croire que le prêt de cet objet, touché par cette adorable main, vînt d'une femme moins insensible à cet amour qui couvait au fond de son âme, comme un feu mal éteint, avec quel bonheur il l'eût conservé, quelle passion il eût mise à ne pas s'en dessaisir!
Mais les explications étaient trop récentes entre la princesse et lui, elles avaient été trop violentes pour que, sur un premier signer d'obligeance, un diplomate de sa force se laissât prendre, ou trahît sa secrète faiblesse. Il lui fallait quelque chose de plus.
A son cruel regret donc, et non sans avoir plusieurs fois pris, repris et pressé ce mouchoir dans ses doigts, il se décida à le déposer sur un guéridon, où il le couva encore d'un air de convoitise, tout en l'y abandonnant.
Puis, il salua les princesses, fit un mouvement qu'il sut maîtriser encore pour venir leur baiser la main, et se retira à reculons, en donnant son dernier regard à ce mouchoir fascinateur.
Marguerite, avec sa pénétration féminine, n'avait pas perdu un seul de ses mouvements, une seule de ses hésitations; sa tactique portait ses fruits.
Ranimée par cette première réussite, elle ne désespérait pas d'accomplir cette parole tombée naguère de ses lèvres, dans sa douleur et son trouble:
«Si cet homme m'aimait, comme je le ferais souffrir.»
La duchesse d'Angoulême était absorbée par une préoccupation tout autre, quoique se rattachant aussi à sa vindicte contre son despotique allié.
C'était très délibérément qu'elle l'avait blessé, et de la minute où le mouchoir de la princesse s'était imbibé des gouttelettes de son sang, elle avait suivi avec les yeux du lynx et l'attention de la hyène les diverses évolutions de ce mouchoir.
Si Duprat eût essayé de le garder, elle eût inventé les moyens les plus décisifs de le lui reprendre.
Elle attendit à peine, pour se saisir de cette proie, qu'il fût parti, et je ne sais quel sourire de cannibale releva ses lèvres et fit luire la nacre de ses dents quand elle mit la main dessus.
– Merci à Dieu! s'écria-t-elle, nous le tenons.
Marguerite de Valois la regarda, sans se rendre compte de son attitude ni de ses paroles saccadées et gutturales.
– Qu'est-ce donc, ma mère, et quel effet vous produit ce mouchoir?..
– Merci à toi aussi, ma fille; sans t'en douter, tu m'as servie avec bonheur!..
– Sur mon âme, ma chère mère, je ne comprends rien à tout ceci.
– Quoi! tu ne comprends pas qu'il me fallait du sang de tigre pour opérer un grand œuvre? J'ai blessé le monstre, et tu as recueilli ce sang…
Marguerite poussa un petit cri effrayé et commença un mot qu'elle n'acheva pas. La lumière lui arriva.
Elle se souvint de l'envoûtement de la figurine de cire, des cheveux ou du sang réclamés par l'alchimiste pour le succès de cette sinistre opération.
S'il lui fût resté un doute, elle l'eût perdu en apercevant sa mère occupée à découper avec soin dans la batiste les parties qui contenaient la moindre trace de ce sang, et les serrer précieusement, dans le but évident de les remettre à Gaspard Cinchi.
– Mais vous mettez ce pauvre mouchoir en lambeaux, se récria la princesse, dissimulant avec soin tout ce qu'elle voyait.
– Laissez-moi faire, ma fille, ce mouchoir était indigne de vous, cet homme l'ayant touché; fiez-vous à votre mère, elle fait ce qu'elle doit faire.
– Agissez donc suivant qu'il vous plaira; je ferme les yeux et m'incline devant votre haute sagesse.
– Vous avez raison, et vous ne vous en repentirez pas.
– Seulement, ajouta la princesse sur un ton plus léger, propre à écarter les soupçons, je regrette bien mon pauvre petit mouchoir.
Le lendemain, Hélène de Tournon s'arrangea de manière à se rencontrer avec Duprat, dans une galerie si étroite qu'il ne pouvait, sans impolitesse, se dispenser de la saluer, et comme il prenait des nouvelles de sa santé:
– Pour moi, messire je vais parfaitement, dit-elle, mais depuis hier madame la duchesse d'Alençon est toute souffrante, tout absorbée.
La bonne mine que vous font les serviteurs des princes est l'indice de la faveur de ceux-ci; le premier ministre le savait mieux que personne. Encouragé dans ses idées de la veille par cet accueil, il poussa plus loin l'entretien.
– Que disent les médecins? demanda-t-il.
– Rien; Son Altesse a refusé d'en laisser venir aucun. Elle ne souffre pas du corps, a-t-elle répondu à mes questions; et c'est tout ce que j'ai obtenu.
– Mais cette indisposition subite…
– Ce que j'en sais, c'est que Son Altesse est rentrée hier fort émue de chez madame la duchesse, où elle était allée chercher des nouvelles de notre sire le roi.
– Les nouvelles de Sa Majesté ne sont pas plus mauvaises que les précédentes.
– Alors, je m'y perds.
– L'état de Son Altesse s'améliorera, espérons-le, fit le chancelier tout pensif lui-même, et si vous croyez que ce ne soit pas l'offenser, veuillez lui présenter mes hommages.
– Je n'y manquerai pas, messire, et je suis garante qu'elle ne sera pas blessée… Oh! il s'est opéré depuis peu un grand changement dans ses idées.
– En vérité!.. fit Duprat avec plus de curiosité qu'il n'eût voulu en laisser voir.
– Il allait poser encore une question, mais, à quelques pas de là, au détour d'une galerie voisine, un joyeux grelot retentit, et un organe connu fit entendre son fredon habituel:
La demoiselle d'honneur s'enfuit à cette voix, comme une biche effarouchée.
Le chancelier fronça le sourcil, ce qui n'empêcha pas Triboulet d'arriver toujours carillonnant et achevant son quatrain.
– Assez de chansons, murmura le chancelier, j'ai d'autres soins.
– Par le grand Comus, dieu de la galanterie, la belle Hélène de Tournon jouait-elle ici le rôle de Circé, la sorcière, ou celui de son homonyme la demoiselle de M. Jupiter, deux ribaudes déterminées ensorcelant tout un chacun?
– Trêve de sornettes! N'as-tu rien de plus sensé à me dire?
– Sur ma foi de jongleur patenté, pas autre chose, monseigneur, si ce n'est que mademoiselle de Carillon est devenue trop lourde pour mon intellect; je ne peux plus la faire jaser à mon gré et je vous supplie de vous en charger, vous la manœuvrerez mieux que moi.
Et, sans plus de façon, il se sauva en lançant un gros rire sardonique, qui agaça très désagréablement les oreilles de son patron.
Nous ne savons comment cela se fit, mais, peu de jours après, celui-ci se croisa avec la demoiselle d'honneur, au sortir de la chapelle du Louvre.
Quoique l'écho de ce rire diabolique tintât encore autour de lui, il ne put s'empêcher de lui adresser quelques mots. Elle y répondit, sans affectation, que la princesse allait mieux, et avait reçu avec plaisir les compliments qu'elle avait reçus de sa part.
Bref, pour ne pas abuser de l'attention du lecteur, l'indomptable et irréconciliable chancelier, réconcilié et tout près d'être dompté, se trouva, au bout d'une huitaine, amené, de transaction en transaction, à réclamer la faveur d'être admis chez la princesse, dans ce même appartement d'où il était sorti naguère, la rage dans le cœur.
Mademoiselle de Tournon assista, cette fois, à l'entretien, qui fut court, mais plein de courtoisie.
Duprat ne se dissimulait pas que la princesse attendait de lui la grâce, la libération de Jacobus de Pavanes; mais, une ingénieuse manœuvre lui permettait de se flatter que cet acte de clémence serait récompensé d'un prix inestimable.
Nous n'affirmerions même pas qu'il se sentît disposé à hâter l'envoi en exil de ce prisonnier, afin de se délivrer du voisinage importun d'un rival.
Il sortait de chez la princesse plongé dans ces réflexions et fort perplexe sur le parti à prendre, car au fond de son cerveau couvait toujours une instinctive méfiance, lorsque son complice, auquel il n'avait eu garde de s'ouvrir sur ce revirement, se trouva sous ses pieds.
Il était tout bonnement couché en travers du passage, si bien que, dans l'obscurité de ces corridors, le ministre vint se heurter contre lui et faillit rouler sur le carreau.
– Encore toi sur mes pas! Que fais-tu là, maraud?
– Je gagne l'argent de Votre Excellence en composant un apologue.
– Toujours des lazzis!
– Non pas, sur ma foi! Votre Seigneurie me paye pour lui apprendre les embarras de son chemin…
– Finiras-tu?
– J'ai voulu lui enseigner, par l'apologue dont il s'agit, que la chambre des princesses est semée des écueils qui amènent la chute des ministres.
– Oh! ceci cache une noirceur.
– Sur ma part de réjouissance dans le paradis des fous, tout au plus un ruban.
– T'expliqueras-tu?
– Monseigneur le demande avec une grâce à laquelle on ne résiste pas… Madame la duchesse d'Alençon, la marguerite du jardin de la cour, a-t-elle repris ses couleurs et ses charmes?
– Parle plus respectueusement de la princesse.
– Que saint Risus, mon patron du calendrier grec, en soit loué! Il m'a placé à la cour la plus divertissante de ce globe… les ministres y possèdent la clairvoyance de Salomon, et les dames la sincérité toute nue.
Votre Seigneurie se connaîtrait-elle en parures et chiffons? Que lui semble de ce ruban façonné en nœud d'amour?
Et le démon agita sous les yeux de Duprat un ruban de soie.
– Eh bien, que signifie ce brimborion?
– Brimborion! Comme ces hommes d'État traitent cavalièrement les choses les plus tendres!.. Ce ruban, honoré seigneur, était, il y a deux jours, sur la toilette de madame Marguerite…
– Après, serpent!..
– Et ce matin, le compère Louvart, le nouveau guichetier de Grosse-Tour, en poussant une reconnaissance jusqu'à la cellule de certain prisonnier de religion, l'a trouvé sur sa table… Comment ce ruban est-il arrivé là, c'est miracle, à coup sûr; mais, pour exacte, aussi vrai que mon bonnet est un bonnet de fou, ce ruban un gage de tendresse et vous un ministre, la chose est exacte.
Antoine Duprat saisit le poignet du bouffon dans sa main de fer:
– C'est la princesse qui a porté et donné ce ruban au prisonnier, en lui rendant visite?..
– Aïe! aïe! vous me broyez les os!..
– C'est elle, réponds!
– Miséricorde! je ne carillonnerai de ma vie, si vous ne me lâchez!..
– Répondras-tu, bourreau?
– Puisque je me tue de dire à Votre Excellence que c'est un fait miraculeux; personne n'a vu la princesse, mais on a trouvé le ruban.
– Il suffit…
Un rire fauve épanouissait la face carminée du bouffon.
Duprat fixait un regard sinistre sur la porte de la princesse.
– Merci, dit-il à son complice, après quelques secondes de convulsions intérieures, dont le choc creusait des sillons mouvants sur son front; merci, je te récompenserai, mais d'abord je t'investis d'une mission de confiance. Ce guichetier, de qui tu tiens ce nœud de ruban, tu vas aller le trouver et lui enjoindre de mettre les fers aux mains et aux pieds de ce beau prisonnier.
– J'y cours, messire, fit le gnome.
Et il ajouta à part lui en ricanant:
– C'est toujours cela de gagné, en attendant mieux.
Il avait rempli sa journée, le prisonnier allait être soumis à un nouveau supplice, et ses discours empoisonnés avaient retourné le couteau dans la jalousie saignante du chancelier.
