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Kitabı oku: «Les Mystères du Louvre», sayfa 15

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Il attendit quelques minutes, dans une vive anxiété, si cet appel se renouvellerait, s'il en reconnaîtrait l'accent, mais tout était resté dans un recueillement inaltérable.

Les étoiles envoyaient leur clair-obscur sur ce triste faubourg; il n'y avait aucun bruit dans les maisons, et les rues voisines ne trahissaient nulle rumeur.

Le vieillard finit par acquérir la certitude que ces bruits étaient un jeu de son cerveau préoccupé; il reprit son chemin, regagna l'impasse où se trouvait son logis, et rentra sans que rien lui donnât la plus légère cause d'alarme.

XX
LE NOM DU DÉLATEUR

Dans les termes où s'était accomplie la dernière entrevue de Duprat et de la princesse Marguerite, il devenait impossible que l'un ou l'autre, tous deux peut-être ne fissent pas naître bientôt l'occasion d'une nouvelle rencontre.

Comme deux champions dans une lutte décisive, ils y vinrent, armés de toutes pièces, c'est-à-dire apportant chacun leurs secrets, leur méfiance et leur habileté. L'amour et la colère avaient élevé l'âme poétique de Marguerite de Valois à la proportion d'un homme d'État consommé.

Chez notre sexe, c'est l'ambition, la cupidité qui opèrent ces prodiges; chez les femmes, un sentiment plus pur, plus délicat, plus désintéressé, développe en la plus timide la hardiesse, en la plus simple l'esprit de tactique, en la plus inexpérimentée une assurance qui trompent et déjouent les Machiavels les plus déliés.

Ainsi, encore cette fois, ce n'était pas la sœur de François Ier qui avait fait les avances; le chancelier se trouvait chez elle par un effet du hasard, sans se rendre compte comment il y était venu, ou plutôt, c'était lui qui avait voulu y venir, s'y trouver ce jour-là à l'heure précisément où nous l'y rencontrons. Seulement, il avait mis en avant un prétexte futile, qui déguisait mal l'impatience qu'il ressentait d'aborder, coûte que coûte, un tête-à-tête décisif.

Les circonstances l'avaient servi à souhait. Michel Gerbier s'était rencontré sur son passage pour demander son audience, et, au moment où il pénétrait auprès de la princesse, ses demoiselles de compagnie se retiraient.

La conversation s'engagea en termes banals, comme cette mousqueterie isolée et décousue qui prélude aux grandes batailles.

– Votre Altesse manquait ce matin au lever de madame la duchesse, chacun en a exprimé son inquiétude, et j'ai souhaité m'assurer par moi-même que sa santé n'avait subi aucune nouvelle atteinte.

– Cette attention mérite ma reconnaissance, messire.

– Reconnaissance est un bien beau mot, Altesse.

– Qu'on prononce souvent à la cour, mais qu'on y pratique peu; n'est-ce pas là la fin de votre pensée, messire?

– Oui, si Votre Altesse envisage la généralité des choses; non, si elle daigne considérer celles qui lui sont propres… Je n'ai pas l'outrecuidance d'avoir jamais rien réussi qui pût être agréable comme je l'eusse souhaité, à Votre Altesse, et eussé-je eu ce bonheur, je me considérerais encore comme l'obligé.

– Voilà qui est parler en vrai gentilhomme, messire. Mais nous le disions tout à l'heure, il y a à la cour des tours de phrases et des expressions auxquels il ne faut pas attacher plus d'importance que de raison. Si tous les grands sentiments qu'on y montre étaient sincères, en vérité, le monde serait trop beau.

– Et Votre Altesse ne le trouve pas tel?

– Hélas! qu'en pense Votre Excellence?

– Que Votre Altesse a raison, et qu'il en est des belles phrases comme des plus adorables visages: les unes cachent la plupart du temps de fort méchantes intentions, et les autres des âmes perfides.

La princesse eut un de ses plus charmants sourires de sphynx;

– Messire, ne m'avez-vous pas fait entendre quelquefois que ces avantages de beauté ne m'étaient pas entièrement étrangers?

– Sur ma foi de chrétien! oui, madame. Ce n'est pas moi, c'est un de nos poètes qui l'a dit le premier: vous êtes la quatrième des grâces; et ce qu'a dit Clément Marot, tout le monde le pense; je suis de l'avis de tout le monde.

– A merveille, voilà pour la première partie de votre proposition; expliquerez-vous aussi bien la seconde? Considérez-vous ces faibles attraits, que vous prisez beaucoup trop comme la séduisante enveloppe d'un naturel moins bon?

– Vous êtes princesse, madame, et les personnes de votre rang ne sauraient être confondues avec le commun de l'humanité, fit Duprat avec un sourire quelque peu ironique.

– En d'autres termes, les personnes de mon rang ne sont pas de celles auxquelles on dit la vérité…

– Oh! madame, l'élévation de votre caractère…

– Bien, bien! Le fond de ces aimables subtilités, messire, est que je suis plus jolie que bonne.

– Au nom du ciel, madame, ne me prêtez pas des idées qui sont loin de moi!

– Eh! mon Dieu, je ne vous en veux pas!.. Nous avons l'un contre l'autre des griefs, n'est-ce pas?

– Si Votre Altesse aborde ainsi les choses, elle daignera peut-être reconnaître qu'elle n'a pas montré toujours pour moi la bienveillance parfaite qu'elle manifeste pour tout le monde.

– Et si Votre Excellence veut rentrer en elle-même, là, bien sincèrement, au fond de sa conscience, elle s'apercevra peut-être qu'elle n'a pas toujours fait tout ce qui pouvait lui mériter ce sentiment de ma part…

Insensiblement, par ces feintes et ces passes, on arrivait à croiser le fer plus sérieusement. Le terrain devenait brûlant.

– Croyez-vous, messire, que si mon très honoré frère eût été ici, au lieu de subir la captivité à Madrid, bien des choses qui se sont accomplies dans ce palais depuis quelque temps auraient eu lieu?

– Je sais, madame, que votre influence sur l'esprit du roi, mon maître, est sans limites; mais je ne suis qu'un humble ministre, très responsable, et je ne me dirige pas comme je veux, mais comme je dois.

– Encore, messire, cette direction devrait-elle être conforme à la clémence bien connue, à la magnanimité de ce maître! Si rigoureusement closes que soient les cellules de la Grosse-Tour, il est arrivé à mon oreille un écho des gémissements de ceux qu'on y détient… Ces prisons ne sont-elles pas assez étroites et assez sûres, sans qu'on en aggrave le séjour par des tortures inutiles pour la garde des prisonniers?

Une intention satanique se dessina au coin des lèvres du chancelier.

– Permettez, Altesse, ces prisons sont sûres, mais pas assez pour que les captifs ne puissent recevoir, à l'occasion, de mystérieuses visites, qui déjouent la vigilance des gardiens, sinon leur fidélité.

– Rien ne prouve que cela soit, messire, et ce que je vous dis de la rigueur exercée contre quelques détenus est un fait notoire.

– Peut-être bien hier, Altesse, mais non à coup sûr aujourd'hui.

– Que voulez-vous dire?

– Ce que vous savez aussi bien sinon mieux que moi, c'est-à-dire que quelqu'un a eu assez d'empire sur madame la régente pour obtenir la suppression de ces mesures.

Duprat regardait la princesse comme s'il l'accusait d'être cette personne influente dont il parlait avec amertume; mais à sa surprise, il vit qu'elle ignorait absolument l'ordre donné le matin par la duchesse d'Angoulême, de supprimer les fers imposés à certains prisonniers de religion par la volonté du premier ministre.

L'ordre était conçu en ces termes qui n'admettaient pas de retard; il avait été apporté par un huissier de la régente, chargé d'en vérifier l'exécution immédiate et d'en venir faire son rapport à la mère du roi.

Le nouveau geôlier, bien que devant sa place au ministre, avait senti le côté critique de la situation; il avait obéi à la duchesse, qui était supérieure à son patron. Après quoi, pour se prémunir aussi contre la colère de ce patron redouté, il était accouru lui apporter le texte de l'ordre reçu et lui expliquer à quelle pression il avait cédé.

Dans l'impossibilité où il était de songer au véritable instigateur de cette démarche de la régente, le chancelier, frémissant de rage et méditant déjà quelque vindicte bien perfide, avait naturellement porté ses soupçons sur la princesse Marguerite.

En reconnaissant qu'elle ignorait même cette résolution de sa mère, il devint fort perplexe, et demeura un moment absorbé à la recherche de cette énigme.

La régente rompait-elle donc le pacte convenu? Oubliait-elle le talisman redoutable qu'il possédait, et grâce auquel elle l'avait dominé jusqu'alors?

Qui se fût douté, d'ailleurs, qu'une crainte superstitieuse avait rendu la duchesse d'Angoulême plus docile aux désirs d'un nécroman qu'aux prières de sa fille! Les prestiges opérés par le vieil alchimiste sous ses yeux exerçaient sur elle assez d'empire pour l'enhardir jusqu'à braver, pour la première fois sans doute, les menaces et les volontés d'Antoine Duprat.

Cette princesse altière, vindicative et perfide, dont les serments ne pesaient rien, et qui changeait même de religion au gré du vent politique, n'avait eu l'esprit en repos que quand la parole donnée à son sorcier avait été remplie.

La princesse Marguerite, faisant un moment abstraction du contentement intérieur que lui causait sans le vouloir le chancelier, en lui apprenant l'amélioration du sort du chevalier de Pavanes, se souvint des motifs qui lui avaient fait souhaiter cet entretien.

Elle y revint d'une façon beaucoup plus directe que cette simple observation ne paraissait l'indiquer:

– Qu'avez-vous donc, messire? Une mesure aussi peu importante est-elle capable de préoccuper à ce point un homme d'État tel que vous?

– Cette mesure est plus grave que Votre Altesse ne veut bien le croire. Quand j'ai prescrit les sévérités qu'elle supprime, c'est que je les jugeais nécessaires, et je m'étonne que madame la régente, qui a d'habitude quelque condescendance pour mes décisions, n'ait pas daigné me consulter dans le cas présent.

– Eh quoi! messire, la régente du royaume, investie de toutes les prérogatives souveraines, ne saurait-elle, de son propre mouvement, exercer la plus belle de toutes, celle de faire grâce?

– Le souverain, madame, n'a pas moralement le droit d'amnistie, quand des intérêts plus élevés que ceux de la politique, les intérêts de la religion, sont en jeu.

– Vous oubliez toujours en me parlant, que vous vous adressez à une novatrice, peu convaincue de ces grandes idées absolutistes et purement métaphysiques.

Marguerite de Valois prononça ces mots avec une bonhomie qui causa à son interlocuteur un déplaisir singulier.

– A Dieu ne plaise, fit-il aigrement, que je songe à mettre Votre Altesse en cause; nous parlions de madame la duchesse d'Angoulême.

– Et je prenais sa défense, puisqu'elle s'est montrée pour mes protégés plus indulgente que Votre Excellence… Je lui en sais d'autant plus gré qu'elle a fait cela sans que j'eusse besoin de l'en prier, et sans même m'en instruire, comme un acte spontané de sa clémence. Vous trouverez bon, n'est-il pas vrai, messire, que je lui adresse mes remerciements et mes félicitations.

Et la princesse feignit de se lever de son siège, pour aller de suite remplir ce dessein.

Duprat, le front plissé, les sourcils croisés, fit un geste pour l'engager à rester, ce qu'elle exécuta d'autant plus volontiers qu'elle n'avait pas envie de rompre ainsi la conversation.

– Que Votre Altesse ne se hâte pas, dit-il: car à ses compliments succéderaient peut-être bientôt des reproches…

– Je cesse de comprendre, messire.

– Je veux dire que l'indulgence de madame la régente cédera probablement aux remontrances qu'elle ne manquera pas de recevoir.

– Et qui donc oserait adresser à la mère du roi François Ier de telles observations, messire?

– Moi, Altesse!.. répondit Antoine Duprat en soutenant de son mieux le regard superbe avec lequel la princesse le toisait.

– Vous, messire?..

– Moi, le plus humble, mais le plus dévoué serviteur de notre très honoré sire. Moi, dont le zèle est accoutumé à ne pas reculer devant les obstacles… Et quand j'aurai parlé comme je dois le faire à madame la duchesse, je suis sûr qu'elle rétablira les choses suivant mes désirs.

– Permettez-moi d'en douter; ma mère s'appelle Louise de Savoie, c'est un grand nom, dont elle comprend les obligations; dans notre famille, monsieur, on est accoutumé au commandement, mais on ne sait pas obéir.

– J'ose vous répéter, madame, que Votre Altesse se trompe, et que madame la régente reviendra sur sa décision aussitôt que je le lui demanderai.

– Il me semble, sur mon âme, entendre un sujet en pleine révolte.

– Je suis un sujet fidèle, au contraire, madame, et c'est pour cela que ma parole est écoutée…

Il suspendit une seconde le cours de sa phrase; puis, tout à coup, aussi insinuant qu'il venait de se montrer rogue:

– Une seule personne, dit-il, avait la puissance d'obtenir la grâce de ces prisonniers, l'adoucissement de leur sort, la garantie de leur existence… cette personne n'a pas voulu le comprendre…

– Messire, dit la princesse en l'écrasant de son maintien, il m'était avis que Votre Excellence ne reviendrait jamais sur ce chapitre!.. Encore une fois, parlons de ma mère; est-ce vous qui oseriez lui donner des ordres?..

Comme le reptile sur lequel on marche, Duprat, blessé jusqu'au fond de son orgueil vindicatif, se redressa avec une rage désespérée:

– Madame la régente fera ce que je lui dirai de faire.

– Vous avez donc sur elle une autorité bien absolue? Vous vous croyez donc bien sûr de l'influence par laquelle vous la dominez?.. Vous ne supposez donc pas que quelque circonstance puisse détruire ce lien?.. Si c'est un secret, prenez garde, – la sagesse dit qu'il n'y a d'inviolables que ceux qui ne sont connus que de soi… Si c'est un crime, – Marguerite de Valois, en accentuant ces mots, s'était redressée de toute sa hauteur, imposante et magnifique comme l'incarnation de la justice céleste, – si c'est un crime, la sagesse dit encore que nul ne reste impuni.

– Votre Altesse, balbutia le chancelier, a des formes de discours impétueuses…

– Dites que j'aborde avec courage les objets les plus redoutés; dites que je plonge un regard au fond des abîmes… N'est-ce pas là qu'il faut aller chercher la vérité?.. Les fantômes s'évanouissent devant celui qui a la vaillance de les poursuivre. Il en est de même de certains secrets, de certains pactes…

– Ne parliez-vous pas de votre sincérité, tout à l'heure, messire? Eh bien, je serais capable, sachez-le, de vous donner, à l'occasion, une preuve de la mienne, – s'il arrivait, ce qui ne doit pas arriver, messire, une recrudescence de persécution contre les captifs de la Grosse-Tour; moi, la sœur du roi, j'irais trouver le roi, – si loin qu'il fût! – et je lui dirais une seule parole, je prononcerais devant lui un seul nom, qui lui dessillerait les yeux et lui ferait connaître ce dévouement dont vous vous targuez.

Cette parole, ce nom, c'est tout un drame, c'est la page rouge de son règne, – elle a été tracée par vous, messire, avec du sang innocent: – souvenez-vous de Semblançay!!!

A ce nom de la plus signalée de ses victimes, une teinte livide envahit les traits d'Antoine Duprat.

L'ombre du surintendant se montrant à lui, ne l'eût pas plongé dans une stupeur plus cruelle que ce reproche d'homicide, éclatant à son oreille par cette voix indignée.

Mais ce ne fut qu'un éclair. Satan, foudroyé, ne tarda pas à relever son front marqué du sceau infernal, et il le releva plus redoutable et plus audacieux qu'avant sa chute.

Il éclata en un rire nerveux et rauque, tel que doit être celui des damnés; la princesse elle-même en ressentit un vague effroi:

– Vous m'avez dit le nom de la victime, exclama-t-il; eh bien, voulez-vous que je vous dise, moi, celui du délateur?.. Prononcez plutôt une autre parole, celle que j'ai sollicitée à vos genoux, et le nom de Rainier Gentil remplacera sur la liste d'écrou des fosses du Louvre celui de Jacobus de Pavanes…

– Infâme!.. s'écria la princesse; vous osez espionner et insulter la sœur de votre roi!..

Le lecteur a tout compris, sans nul doute: le monstre suspendu à la fenêtre de l'oratoire de la princesse avait reconnu dans un des deux hommes masqués admis en sa présence le traître Rainier Gentil, et avait tout dénoncé à Duprat.

Ce Rainier Gentil était Italien de naissance; il était conseiller aux enquêtes, et secrétaire du baron de Semblançay; c'était lui qui, vendant son maître, avait soustrait dans son chartrier les pièces faisant foi de son innocence, pour les donner à Antoine Duprat.

C'est à lui que font allusion ces vers où Clément Marot, dans l'élégie consacrée par ce poète à la mort de Semblançay, fait dire à cette grande victime:

 
En son giron jadis me nourrissait
Douce fortune, et tant me chérissait…
Mais cependant sa main gauche très orde
Secrètement me filait une corde
Qu'un de mes serfs, pour sauver sa jeunesse,
A mis au col de ma blanche vieillesse.
 

– Mon roi, répliqua le chancelier, brisant tout faux respect, – mon roi connaît mon ardeur à le servir…

– Traître! il connaîtra votre forfait!.. Vous lui avez arraché l'arrêt de mort de l'homme qu'il appelait son père!.. Tremblez, il saura tout!..

Duprat fit entendre un rire strident, pareil au sifflement d'une vipère, et grimaçant une entière assurance:

– Le roi François Ier est un prince éclairé, dont on ne surprend pas aisément la religion. Il ne se rend que sur de bons motifs.

– Celui-ci n'est pas assez terrible, peut-être!..

– Le roi n'a pas condamné le surintendant sans l'entendre. Lorsque le baron de Semblançay a osé accuser la mère du roi, pour se justifier du grief de péculat, le roi lui a demandé des preuves…

– Des preuves!.. répéta Marguerite avec délire.

– Le roi, poursuivit Duprat, demandera aussi des preuves à sa sœur. Mais sa sœur ne pourra les lui fournir, et les eût-elle, elle hésiterait peut-être; car ces preuves, elles ne condamnent pas seulement son ennemi le premier ministre, mais sa propre mère…

– Ah! oui, n'est-ce pas, vous vous êtes dit: – La princesse Marguerite connaît la vérité sur le procès du surintendant, elle sait que j'y ai pris la plus grosse part, mais qu'importe! elle ne pourra faire entendre à son royal frère que des accusations sans consistance, et puis elle ne voudra pas livrer sa mère pour le plaisir de perdre un ministre, et de sauver son amant.

N'est-ce pas, je lis à livre ouvert dans votre pensée, monseigneur. C'est bien cela!.. Vous vous êtes tenu ce langage!..

Eh bien, j'en suis fâchée pour votre pénétration, vous vous trompez!.. Pour délivrer le monde d'un monstre tel que vous, pour sauver le chevalier de Pavanes, qu'elle aime de toute sa tendresse de femme, de toute l'horreur que vous méritez, de toute la haine que vous portez à ce noble captif, – pour accomplir cela, la princesse Marguerite ne reculera devant rien!..

On eût dit une lionne courroucée, dont le chasseur téméraire a frappé le compagnon dans la saison des amours.

Elle agitait son épaisse chevelure comme une plantureuse crinière, ses yeux dardaient des regards de feu, et ses blanches mains s'agitaient en des mouvements à la fois gracieux et menaçants.

Antoine Duprat affecta de rentrer dans le calme, à mesure que son interlocutrice se montrait plus exaltée.

– Votre Altesse y réfléchira, dit-il, elle ne tentera pas une fausse démarche. Le roi ne prendra pas parti contre son premier ministre et sa mère, s'il ne lui est valablement démontré qu'ils ne sont pas victimes d'une calomnie…

Allons, Altesse, vous voyez que je suis le plus fort, le plus habile, et que mes serviteurs rendraient des points aux vôtres dans ce genre d'escarmouches…

Cette hypocrite placidité acheva d'éperonner sa colère.

– Sur mon âme, dit-elle, en lui lançant ses arguments en traits acérés par le sarcasme, à vous entendre, messire, on croirait que les honnêtes gens sont condamnés à servir de jouet aux autres, et que la cause juste inspire moins bien ses soutiens que la mauvaise!.. Vous vous abusez, je vous jure! Quand on sait à quels adversaires on s'attaque, on se prémunit en conséquence. Pensez-vous donc que je n'aie pas songé à ces subterfuges, à ces subtilités sur lesquelles vous vous êtes fié?..

«Parce que ces témoignages écrits sont détenus par vous, me croyez-vous donc désarmée? Me jugez-vous donc si imprudente que j'eusse été vous faire connaître mes découvertes et mes desseins, pour le plaisir de vous braver et de vous dire mes projets?..

«Allons, messire, vous êtes trop bon diplomate pour supposer tant d'inconséquence à une femme de la cour, à une femme amoureuse!..

«Il est plus d'un moyen de convaincre le roi. Vous êtes maître des témoins muets du forfait qui crée une alliance odieuse entre la régente et vous; mais s'il existe un témoin vivant, un troisième complice…

«Si, garanti par moi, ce complice repentant, et moins coupable que les autres, d'ailleurs, confesse et déclare au roi la trame à laquelle il prit part, le roi hésitera-t-il encore?..»

Le chancelier poussa de nouveau son rire d'aspic.

– Malheureusement pour tant d'habileté, dit-il, ce complice, ce témoin ne fera pas cette confession.

– Et qui l'en empêchera?.. Cet homme est à moi!

– Cet homme n'est à personne, madame, il appartient à la loi.

– Que prétendez-vous dire?

– Je veux dire qu'un homme a été arrêté, il y a quelques jours, comme il sortait furtivement, à l'abri de la nuit, du palais du Louvre…

– Vous avez osé!.. s'écria la princesse, pâle d'indignation.

Duprat poursuivit imperturbablement en aiguisant à son tour chaque syllabe:

– Cet homme était recherché pour crime de concussion dans des fonctions publiques… A l'heure que voici, on le juge devant le tribunal qui a condamné le surintendant Semblançay à mort, pour un motif absolument pareil… Il est vraisemblable que les magistrats qui ont si bien compris leur devoir une première fois, n'y failliront pas aujourd'hui.

– Savez-vous que c'est véritablement infâme, de rendre la justice, qui est religion et chose sacrée, complice de tant d'abominations?..

– Et alors, reprit le chancelier avec son calme sardonique, Votre Altesse comprend le surplus: ce délateur mort, plus d'indiscrétions possibles, plus de témoin importun.

– Ah! c'en est trop! je devancerai vos coups, je préviendrai cet arrêt d'iniquité… Ou plutôt, je m'égare, il est impossible que le parlement laisse deux fois surprendre sa conscience; il refusera le service odieux qu'on ose réclamer de lui…

– Écoutez, interrompit Duprat.

Il alla à la fenêtre donnant sur le quai et l'ouvrit.

Un crieur public s'était arrêté en face, et sa voix monta jusqu'à la princesse:

«Arrêt du parlement, qui condamne maître Rainier Gentil, conseiller aux enquêtes, à être pendu au gibet de Montfaucon, pour crime avéré de péculat dans des fonctions publiques, et ordonne que l'exécution aura lieu dans les vingt-quatre heures, à la diligence de M. le procureur au Châtelet.»

Marguerite de Valois se soutint au dossier d'un fauteuil: ses jambes fléchissaient sous elle.

– A présent, madame, demanda le chancelier, conviendrez-vous que je l'emporte?.. Eh bien, fit-il en se rapprochant avec une ardeur involontaire, et en modérant les inflexions de sa voix, il ne tient qu'à vous que tout ceci soit un rêve, que le conseiller Gentil vive, et que le captif des fosses du Louvre soit mis en liberté.

A cette nouvelle et outrageante proposition, toutes ses forces lui revinrent, et de son geste impérieux montrant la porte à ce tentateur exécré:

– Sortez! lui dit-elle.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
630 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
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