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Kitabı oku: «Les Mystères du Louvre», sayfa 27

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X
LES TROIS LETTRES

Richelieu aimait à être servi plus encore promptement que bien.

Deux jours à peine après son apparition chez la reine-mère, où il s'était rendu dans la certitude d'y rencontrer Philippe, celui-ci arrivait avec armes et bagages dans ce fameux cabinet cardinal, connu du lecteur.

Le père Joseph n'avait même pas été informé par son patron de cette fantaisie, qui devait lui être peu agréable. Mais ce qu'on ne lui confiait pas, il le devinait, et apprenant la mésaventure grotesque du maître peintre, il savait déjà l'invitation adressée à l'élève.

Certes, il y avait loin de cette faveur, qui rapprochait les deux personnages qu'il s'efforçait de tenir éloignés l'un de l'autre, au voyage d'Italie, auquel il avait condamné, dans un but inconnu, Philippe de Champaigne.

Cependant il ne fit aucune allusion à ce qui s'était passé, et parut ignorer absolument ce qui se préparait. L'habile diplomate ne heurtait jamais de front les grandes difficultés. Le côté remarquable de sa tactique consistait à les tourner avec adresse.

Le jeune peintre put donc se rendre chez le cardinal, organiser son chevalet, installer ses appareils pour ménager la lumière, étaler son arsenal tout à son aise.

Richelieu, enchanté de jouer ce tour à son confident, était radieux. Il aidait l'artiste dans ses soins divers et prétendait, quoi qu'il en eût, faire une partie de son ménage de palettes et de pinceaux.

La bonne humeur du ministre était stimulée aussi par une autre raison. Depuis sa lettre à la duchesse, il savait pertinemment qu'elle avait cessé de se rencontrer avec Châteauneuf; aussi, non seulement celui-ci n'était pas venu avec elle à la séance du portrait de la reine-mère, mais on ne les avait vus nulle part ensemble.

Il attribuait naturellement à l'éloquence de son style ce signe favorable, et quoi qu'en eût dit l'oracle de frère Jean, il désespérait moins d'assouplir cette beauté rebelle.

D'une autre part encore, d'habiles compères ne cessaient d'accréditer, depuis un certain temps, de méchants bruits contre le garde des sceaux; bruits vagues et spécieux comme toutes les calomnies, car Châteauneuf était un homme d'État irréprochable. Mais on l'accusait d'entraver, par son caractère despotique, la marche des affaires, de trop sacrifier ses amis, et surtout, ce qui était le grief capital de cette cour livrée au cardinal, d'entretenir des rapports avec les adversaires de ce dernier.

Or, nous savons que dans l'estime de Richelieu, être son ennemi, c'était être l'ennemi du roi.

On ne pouvait savoir ce qui s'était dit chez la reine-mère, mais, chose pire assurément, on connaissait l'existence de ces réunions et les noms de ceux qui s'y étaient montrés.

On évitait, bien entendu, de mêler à ces bruits les rapports de la duchesse avec Châteauneuf, et cette réserve les rendait plus dangereux, en témoignant que la disgrâce du garde des sceaux ne tenait plus qu'à un fil, et qu'on voulait en dissimuler la cause véritable sous le fallacieux couvert d'un intérêt d'État.

Châteauneuf, absorbé par son amour, refusait de reconnaître l'imminence de ce péril. Mais Chevreuse, dont la tendresse avivait le tact, ne s'y méprenait pas; déjà elle manœuvrait en conséquence.

Richelieu, cédant aux insistances respectueuses de l'artiste, confus des soins qu'il lui voyait prendre, consentit à la fin à s'asseoir, mais de manière à observer les dernières dispositions de son nouveau peintre, puis la séance commença.

Mais, phénomène bizarre, ce ne fut pas tout d'abord l'artiste qui se montra le plus attentif à étudier son modèle. On eût dit que les rôles étaient intervertis.

L'œil du cardinal s'attachait avec un intérêt puissant sur les traits de Philippe, en embrassait les lignes, les contours, et cherchait à plonger jusqu'au fond de ses prunelles.

Et voilà qu'au mépris de leurs conventions, quittant l'immobilité nécessaire à sa pose, il se leva par une impulsion irréfléchie, s'en alla tout droit vers l'artiste, qui n'y comprenait rien, mais que la fixité de son regard, l'expression singulière de son front, l'animation fiévreuse de ses pommettes, tenaient dans un vague émoi.

Il vint donc jusqu'à lui, et posant sa main sur sa tête pour le considérer mieux en face:

– C'est étrange, murmura-t-il, se parlant à lui-même et peu soucieux d'être entendu, – quel souvenir!.. ces yeux… ces traits… vit-on rien de pareil!..

– Monseigneur… hasarda l'artiste.

– Taisez-vous! lui dit-il vivement.

Et il recommença à l'observer; puis tout d'un coup secouant la tête pour en bannir une idée importune, et passant la main sur son front:

– Allons, fit-il, c'est une folie.

Il s'éloigna à reculons et sans le perdre de vue; mais, comme obéissant à une volonté supérieure à la sienne, il se penchait en avant et répétait:

– Étrange!.. étrange!..

– Alors, tout à point pour le retenir, la porte livra passage à l'éternel père Joseph, qui s'approcha rapidement de lui, le sourire aux lèvres:

– Eh quoi! monseigneur, s'écria-t-il avec un étonnement parfaitement joué, vous me faites de pareilles cachotteries; vous vous emparez de mon peintre de prédilection, et au lieu de le laisser partir comme je le souhaitais, vous le retenez et lui donnez de la besogne!

Mais sans l'entendre ni lui répondre, le cardinal l'avait pris par le bras, et l'amenant lui-même près de Philippe:

– Ne trouves-tu pas qu'il lui ressemble? lui dit-il d'une voix singulièrement vibrante.

– A qui, monseigneur? demanda froidement le franciscain.

Ce ton pénétrant et glacé sembla de l'eau versée sur un incendie.

– Ah! c'est juste, reprit sourdement Richelieu, tu ne sais pas… nul ne sait… Je défends que l'on sache…

Philippe était tenté de croire à un égarement momentané de cette grande intelligence.

Il se sentait en proie à un embarras indéfinissable, et n'osait plus regarder son modèle.

Mais le père Joseph montrait l'impassibilité d'un marbre, et Richelieu, revenant peu à peu de son exaltation, se laissa tomber sur un siège.

Le franciscain se courba alors vers lui avec une allure féline, et lui dit d'un ton cauteleux: – S'il vous plaisait de remettre la séance à demain, monseigneur… Je souhaiterais vous communiquer quelques affaires sérieuses.

– Sais-tu que je fais une remarque? lui dit son patron en plongeant son regard dans le sien.

– Laquelle, Éminence? répondit-il en homme à l'épreuve de ces interrogatoires.

– Encore un peu, et je finirai par croire que tu cherches à éloigner ce jeune homme, non pas du Louvre seulement, mais de moi.

– Oh! la belle idée que vous avez là! ricana le capucin. En conscience, c'est interpréter d'une singulière sorte ma bienveillance pour ce garçon… Qu'il demeure, si tel est votre bon plaisir, monseigneur. Pour moi, ma confidence n'étant pas de nature à être prônée à son de trompe, je reviendrai quand vous serez seul.

On pense bien que ce dialogue avait lieu en dehors de Philippe, qui se tenait timidement à son chevalet dans un coin.

Le cardinal fit un mouvement pour le congédier, puis se ravisant:

– Eh bien, dit-il à son confident, tu reviendras.

Et se tournant vers l'artiste, qui attendait son bon plaisir:

– Me voici à vous, monsieur Philippe. A tantôt, ajouta-t-il en faisant un geste d'adieu au franciscain.

Celui-ci, quoi qu'il en eût dit, et quelle que fût l'immobilité de sa physionomie, ne se souciait pas de les laisser ensemble.

– Avant de vous quitter, reprit-il, je veux vous donner ce papier, qui vous mettra au courant de ce que j'avais à vous dire.

Il tira de son froc crasseux une enveloppe grise, qu'il lui tendit avec un clignement d'yeux qui le fit tressaillir.

– C'est quelque mauvaise affaire? demanda-t-il.

– Vous en jugerez… Au revoir, monseigneur.

– Adieu, vieux démon, riposta le cardinal en le menaçant amicalement du doigt.

Et jetant le paquet sur la table, sans prendre soin de l'ouvrir:

– Enfin, mon cher enfant, dit-il à Philippe, nous allons commencer… Ah! une minute, le temps de défendre ma porte…

Il prit le petit sifflet d'argent qu'il portait toujours sur lui, et appela. La porte s'ouvrait au même instant, et l'huissier, qui s'était croisé avec le signal, annonçait:

– Madame la duchesse de Chevreuse!

C'était jouer de malheur.

Pour toute autre personne, il eût nettement répondu lui-même qu'il n'y était pas; mais la belle Marie!.. comment la repousser…

D'ailleurs, elle était déjà entrée.

Philippe quitta pour le coup sa place et voulut s'esquiver; mais la duchesse, l'apercevant, tendit une main au cardinal et de l'autre retint l'artiste.

– Eh quoi! je mettrais les beaux-arts en fuite! dit-elle. Non pas! si vous bougez, je m'échappe.

– La duchesse a raison, fit Richelieu, et je crois que devant elle nous pouvons continuer notre séance. N'y voyez-vous aucun inconvénient, mon jeune Apelles?

– Au contraire, monseigneur, pour peu que vous ne perdiez pas trop la pose dont nous sommes convenus. Votre Éminence a dans la physionomie, lorsqu'elle reçoit, une animation heureuse que je tâcherai de saisir.

– C'est à vous que je dois ce compliment, duchesse, dit le cardinal, que cette visite animait en effet beaucoup. Et vous, monsieur le peintre, je vous soupçonne de tourner au courtisan.

– Je prends son parti, monseigneur, dit la duchesse; sur mon âme, vous avez dans le regard un rayonnement qui vous sied à merveille!

Philippe s'était mis à la besogne et semblait ne plus être là. L'entretien était devenu un tête-à-tête.

– Vous avez reçu ma lettre? fit tout bas le cardinal.

– Vous le voyez bien, puisque me voici; votre style est comme votre regard, il commande.

– Oh! si vous étiez sincère!..

– Voici un doute qui va nous brouiller… fit-elle avec minauderie.

– Ah! c'est que l'expérience m'a rendu méfiant, et j'aspire après un si grand bonheur, que ce doute n'est que trop légitime…

– Encore!..

– Mon Dieu, tenez, je vis entouré de complots, de manœuvres…

Il prit au hasard le paquet laissé par le père Joseph.

– Voilà des papiers que je n'ai pas encore ouverts; eh bien, je gagerais qu'ils contiennent quelque chose de semblable, l'annonce d'une intrigue, sinon pis!

Et du même mouvement machinal il brisait l'enveloppe et commençait à promener sur les écrits qui s'y trouvaient un regard inattentif.

– Bon! fit-elle sans y prendre garde, c'est votre inquisiteur en robe grise, votre père Joseph, qui rêve pour vous des complots!

– Au fait, dit-il en lisant avec plus d'attention, mais sans perdre son ton badin, c'est bien possible; avec un conseiller tel que vous, je serais capable de voir tout en rose.

– Et cela vous changerait.

– Quel malheur que vous ne veuillez pas devenir mon Égérie!

Il reprenait l'enveloppe, y replaçait en jouant les papiers, et la rejetait sur la table.

– Ah! c'est que… une Éminence! objecta la duchesse.

– C'est bien effrayant, n'est-ce pas? – surtout si l'on aime ailleurs!

Il avait approché sous sa main une grande feuille toute écrite, toute scellée, à laquelle il ne manquait plus que quelques mots.

Il remplit les blancs et signa, du même air indifférent et rieur.

– Oh! répondit la duchesse, quant à aimer ailleurs, Votre Seigneurie s'abuse.

Le cardinal fit retentir un coup de sifflet. L'huissier s'avança:

– Pour le capitaine de service au palais, dit-il, en lui remettant l'écrit.

Puis, reprenant sa première attitude:

– Excusez-moi, dit-il à la duchesse, un ordre pressé… Ainsi, vous n'aimez plus personne?

– Personne!

– Pas même ce cher garde des sceaux?

– Oh! mais plus du tout! C'est une vieille erreur.

– Sur ma foi, j'en suis ravi, belle dame!

– Et d'où vient, monseigneur?..

– De ce que je craignais de vous chagriner en vous apprenant une nouvelle toute fraîche encore.

– Laquelle, je vous en prie? demanda-t-elle avec un sentiment d'anxiété.

– C'est que ce billet que je viens de remettre à Desnoyers…

– Ce billet?

– C'est une lettre de cachet qui l'envoie à la Bastille.

– Ah! traître!.. exclama-t-elle en se levant.

– Le mot est dur, fit-il en persiflant, et je ne sais plus celui que j'emploierai pour les auteurs de ces lettres.

En disant cela, il avait ressaisi l'enveloppe abandonnée sur la table, et en avait tiré trois épîtres qu'il lui mettait sous les yeux; mais en les détaillant, son organe était devenu sec et rauque:

– Ceci est le billet que j'eus la faiblesse de vous écrire… Reconnaissez cet autre, c'est celui par lequel vous envoyiez ma déclaration à votre amant, en vous raillant de moi… Le dernier est la réponse de l'amant!.. Le roman est complet, sur ma foi, et vous en connaissez à cette heure la conclusion.

– Châteauneuf à la Bastille!.. Mais c'est odieux!..

– Oh! de grâce; nous savons que les mots héroïques ne font pas défaut à votre muse… Vous avez agi avec félonie, madame; il me semble que moi, du moins, j'y mets de la franchise… Vous avez voulu la guerre, – vous l'avez.

– Soit! prononça-t-elle en se redressant; nous verrons à qui la victoire restera.

Et elle sortit superbe comme une reine.

Richelieu la regarda partir, et quand la draperie fut retombée derrière elle:

– Il faudrait bien des séances ce de genre, dit-il à Philippe, pour amener notre œuvre au but. N'importe, nous nous y remettrons demain; les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Et puis, vous me plaisez.

L'artiste s'inclina.

– Non, pas de fausse modestie! Vous avez de l'esprit et du talent; je me sens porté vers vous d'une bonne amitié. Je veux que vous deveniez mon peintre en titre.

– Moi, monseigneur?

– Sans doute! On dirait que cette proposition vous alarme?

– Elle me surprend et me confond… Je m'en sens tellement indigne…

– Non, vous dis-je, vous avez du talent, et je vous attache à ma maison…

– Votre Éminence me comble… et je crains de lui paraître bien ingrat…

– Quoi donc! refusez-vous?..

– Je ne suis pas libre de moi… les bienfaits de la reine-mère…

– Ah! fit avec amertume Richelieu, je comprends, vous voulez rester avec mes ennemis…

– Vous n'avez pas d'ennemis, monseigneur.

– Si fait! Vous venez d'en avoir la preuve… Mais, ajouta-t-il en serrant ses poings, vous avez vu aussi comment je me venge! Parlez donc, pourquoi ce refus?

– Éminence, balbutia l'artiste en se courbant jusqu'à terre, vous me faites peur!

Loin de s'irriter de cet aveu, Richelieu devint profondément triste, et quand le jeune homme fut sorti:

– C'est dommage, murmura-t-il, j'aurais bien voulu qu'il m'aimât… Il lui ressemble tant!..

Et à cette idée, une larme, – chose étrange! – coula lentement le long de ce mâle et grand visage, qui semblait si peu fait pour de telles faiblesses.

XI
LE FANTÔME AUX BRAS D'ACIER

Et le visionnaire, le jeune homme aux joues pâles, aux regards phosphorescents, que devenait-il durant ces intrigues de la cour et des courtisans?

Tenu implacablement au secret par le franciscain, pour lequel cette captivité n'était qu'un jeu, et qui était résolu à avoir le dernier mot de sa puissance surnaturelle, il n'avait plus franchi la porte de la cellule.

Le père Joseph seul en avait la clef; seul il pourvoyait à ses besoins presque insensibles, car, fidèle à son existence quasi-insubstantielle, frère Jean ne connaissait toujours d'autre breuvage que l'eau, d'autre aliment que les racines et les fruits.

Le franciscain, plus attentif que son patron, avait été saisi des phénomènes produits par le visionnaire, – il continuait à lui donner ce nom, faute de lui en trouver un autre, – et il lui avait signifié qu'il n'ouvrirait sa prison qu'à une condition seule; c'est qu'il l'initierait à sa science et à ses pratiques.

Mais frère Jean avait déjà refusé au cardinal, il refusa au capucin.

– Je ne vous communiquerai pas, répondit-il avec fermeté, ce qui me vient de Dieu, car je ne veux m'en servir que pour le bien, et ma conscience m'apprend que vous n'en tireriez profit que pour assouvir vos idées d'ambition et de haine.

Si le père Joseph insistait en lui laissant entrevoir la perpétuité ou l'aggravation de son emprisonnement:

– Il n'arrivera, répétait-il avec son pâle sourire, que ce qui est écrit là-haut; le jour est marqué où je sortirai d'ici, et ce jour venu, ni vous ni vos verrous ne me retiendront.

Ni caresses ni menaces ne parvenaient à ébrécher cette volonté de bronze dans un corps qui avait à peine le souffle.

Mais comme si le prophète eût commandé à des êtres surnaturels ou que ceux-ci se fussent mis en peine de se rapprocher de lui, bien que nul autre que le cardinal ne connût sa présence dans la partie la plus ignorée du Louvre, il courait parmi les gens du palais des bruits singuliers.

On s'entretenait de visions, d'apparitions, de fantômes circulant la nuit, à travers les êtres de cette résidence, et glaçant d'effroi jusqu'aux factionnaires qui les apercevaient en accomplissant leur veille sur le haut des remparts.

C'était comme une panique, car ces rumeurs, assez vagues à l'origine, prenaient, en passant de bouche en bouche, des proportions effrayantes, et finissaient par monter des serviteurs jusqu'aux maîtres.

Ne fallait-il voir là qu'une vaine terreur, un ressouvenir des antiques traditions, qui peuplaient le vieux Louvre de spectres ou de méchants génies?

Non, il y avait quelque chose de bizarre, que l'on ne pouvait supposer ni comprendre à cette époque, mais qui, pour nous, n'a rien d'invraisemblable, expliqué par la vertu de l'évocation magnétique dans les limites les plus indéniables.

Un incident décisif acheva d'établir la réputation des spectres du Louvre, car ce n'était plus une, mais vingt apparitions, une ronde infernale tout entière, que les poltrons affirmaient avoir vue.

Le gouverneur du Louvre, homme prudent et sage, ayant eu vent de ces récits, et craignant qu'ils ne cachassent quelques manœuvres ou quelques méchantes entreprises, résolut de s'en éclaircir et d'y mettre un terme.

Les apparitions ne paraissaient pas s'opérer d'une manière régulière ni quotidienne. Il prit le parti de ne confier la garde de la région du palais où l'on assurait les apercevoir qu'à des hommes sûrs. Chacun de ses meilleurs officiers et les gardes suisses furent chargés de ce poste, avec une consigne sévère, pour surveiller la sûreté des cours et rechercher tout symptôme de bruit ou d'alerte.

Une semaine presque entière se passa sans amener aucun indice, quand vint le tour d'un officier connu comme esprit fort autant que bon soldat.

Ses vigies reçurent injonction de porter tout leur intérêt sur l'objet signalé et de l'appeler si les spectres menaçaient d'apparaître.

La première partie de la veille s'était accomplie sans alerte. Mais un peu après une heure du matin, un hallebardier suisse, de faction vers la porte Saint-Germain-l'Auxerrois, jeta tout à coup le cri d'alerte.

Le poste entier débusqua aussitôt, et les soldats, moins affermis contre la superstition que contre les arquebuses, aperçurent distinctement une forme blanche qui traversait lentement les espaces intérieurs du Louvre.

La clarté brumeuse de la nuit l'enveloppait d'une vague auréole, et le suaire qui la recouvrait, pareil à un manteau de marbre, n'agitait pas ses plis au souffle de l'air.

Impassible et muette, le cri de la vigie, le bruissement des armes, n'avaient pas inquiété son oreille de pierre, et l'officier, entouré de ses dix hommes, s'avançait sur ses traces, sans qu'elle modifiât, pour la ralentir ou la hâter, sa marche rigide.

Les Suisses avaient le frisson; l'officier lui-même éprouvait un sentiment de surprise voisin de l'inquiétude.

Vainement, à deux reprises, fit-il entendre d'une voix impérieuse le Halte-là! et le Qui vive? réglementaires.

L'apparition ne détourna pas la tête, ne laissa voir aucun signe d'alarme ni de menace: elle continua d'avancer sans dévier d'une ligne.

Cette attitude avait quelque chose d'extraordinaire qui imposait aux plus résolus. Les soldats se guidaient sur leur chef, mais celui-ci, gagné par une irrésistible influence, ne marchait qu'avec une certaine circonspection.

Il gagnait néanmoins du terrain, et à mesure qu'il se rapprochait, l'aspect du fantôme se dessinait mieux, sans perdre pourtant ses contours indécis et sa translucidité.

– Halte! ordonna-t-il une dernière fois, sur le point de l'atteindre. Mais bien qu'il ne fût plus qu'à deux pas, il n'obtint pas plus qu'auparavant une marque d'attention.

Ses Suisses, fort imprégnés des idées surnaturelles de leur pays, se contentaient d'emboîter le pas derrière lui, sans échanger un mot.

Intrigué au plus haut point, excité par son émotion même, il franchit d'une enjambée la faible distance qui le séparait de l'apparition, et vint la côtoyer.

Elle marchait toujours.

C'était la forme d'une femme petite et jeune, à en juger par les blanches draperies qui la couvraient.

Il voulut voir ses traits, mais le long voile de lin qui retombait de sa tête à ses pieds et traînait derrière elle les dérobait entièrement, et il éprouva une involontaire terreur à l'idée de le soulever.

– M'entendez-vous? dit-il; je vous ordonne de vous arrêter!

Sa voix avait décidément perdu de sa fermeté ordinaire.

Il ne reçut pas de réponse, et l'on continua d'avancer.

Alors, sous le poids d'une fascination qu'il essayait en vain de secouer:

– Fantôme ou femme, exclama-t-il, je t'arrête!..

Et d'un geste fiévreux il lui saisit la main.

Mais il la lâcha aussitôt avec un cri d'horreur.

A travers la batiste, il avait éprouvé, au contact de cette main inerte et glacée, la sensation que lui avaient procurée les cadavres quand il en avait relevé sur le champ de bataille.

Ce froid n'était pas celui de la pierre ni du bois, il ne pouvait appartenir qu'à un corps humain ayant eu vie.

Cependant, à ce cri, ces hommes avaient entouré le spectre. Les plus hardis voulurent à leur tour le contraindre à s'arrêter, et s'emparèrent de ses bras; mais soudain, ces bras froids, durs comme le marbre, se raidirent avec violence, et, pareils à deux barres de fer détendues par un ressort, renversèrent du coup ces téméraires.

Un seul osa s'attaquer à cet adversaire terrible; c'était un sergent lucernois, homme intrépide, batailleur à l'épreuve, qui, tirant de sa cotte de fer une façon de lame effilée, en porta, d'un bras vigoureux, un coup vers le haut de la poitrine de l'apparition.

Effrayé lui-même de son audace, il abandonna la poignée et se recula.

Le fantôme oscilla d'abord, mais non comme une créature vivante; – c'était le mouvement d'une statue ébranlée sur son socle, et qui s'agite tout d'une pièce.

Ce ne fut, au reste, que l'affaire d'une seconde. Il reprit son aplomb, et le seul bruit que l'on entendit fut celui du stylet retombant sur le pavé de la cour.

Les Suisses n'en attendirent pas davantage, ils regagnèrent avec épouvante leur corps de garde, où l'officier les suivit, sous l'impression de cette main sépulcrale qui avait glacé la sienne.

Ils passèrent le reste de la nuit en oraisons, craignant, s'ils s'endormaient, les mauvais rêves.

Dès que le jour pénétra dans la chambrée, ils se mirent sur la piste parcourue la nuit et retrouvèrent le stylet à l'endroit où s'était passée la scène étrange et rapide qu'ils eussent voulu considérer comme une hallucination du sommeil ou de l'ivresse.

Le sergent affirmait avoir frappé fort, et avoir senti le fer s'enfoncer dans la chair; et cependant la lame était intacte, aucune gouttelette de sang n'en avait altéré le poli, et pas une des dalles n'en portait trace.

C'était à confondre, et tous étaient confondus.

Mais le jour, en calmant l'effroi, amena un autre sentiment. Le capitaine de service allait venir passer sa ronde, chercher ses informations. Fallait-il lui révéler ce qui avait eu lieu? Un poste de soldats d'élite frappé de vertige, battu par un spectre?..

Autant valait s'immoler sur l'autel du ridicule.

Chacun le comprit et s'engagea par serment à garder le silence le plus absolu.

Cette parole fut tenue, nous en avons pour gage l'intérêt de ceux qui l'avaient donnée; seulement, comme il est impossible qu'un secret connu de deux personnes ne transpire pas quelque peu, il arriva que celui-ci, possédé par onze individus, s'ébruita suffisamment pour accroître la réputation redoutable du fantôme du Louvre.

Était-ce donc vraiment une apparition surnaturelle?

Le lecteur a droit de nous adresser la demande, et nous lui devons la réponse. Elle rentre assez, d'ailleurs, dans l'ordre des faits merveilleux pour mériter son intérêt.

Depuis la séance tenue chez le cardinal, et dans laquelle frère Jean avait achevé d'asseoir son influence sur les sens magnétiques d'Henriette, il arrivait parfois à celle-ci de quitter la nuit sa couchette et de sortir des appartements de la reine-mère.

Obéissant à cette volonté mystérieuse qui l'appelait, froide et glacée comme une vierge qu'on arrache inerte de son sépulcre, vous l'eussiez vue, dans sa marche automatique, descendre lentement les degrés, ouvrir d'un coup sec les serrures, et traverser, le regard à demi clos, l'œil fixe et sans point visuel, à l'instar des fantômes qui savent se diriger sans recourir à nos sens grossiers, les jardins et les compartiments de la grande cour.

Que la clarté des étoiles resplendît sur sa route, ou que la nuit fût impénétrable, elle avançait sans dévier d'une ligne.

Le bruit ni les signes extérieurs ne détournaient son attention; car elle n'existait plus pour eux. Son atmosphère n'était plus la nôtre.

Elle lutta contre les soldats suisses sans en avoir conscience, sa force lui vint de la résistance qu'on opposait à l'instinct qui l'appelait au but où elle allait passivement.

Ces efforts amenèrent la catalepsie, cette mort apparente qui ferait illusion avec la mort réelle; car, ainsi que la mort réelle, elle donne aux membres la rigidité et la sensation du fer, elle suspend le jeu des poumons et arrête le sang dans les veines.

Il n'est plus guère personne qui n'ait vu les magnétiseurs se livrant à des expériences rappelant de loin les scènes du clos Saint-Médard, frappant, tenaillant, piquant et brûlant les sujets en catalepsie, sans leur arracher une marque de sensibilité, sans qu'il leur restât, au réveil, autre chose qu'une cicatrice imperceptible et indolore.

Labadie possédait la volonté et la foi qui commandent ces miracles, et dans Henriette il avait rencontré la nature malléable, l'intelligence jeune et morbide qui les accomplit le mieux.

Cette enfant avait en elle l'âme tendre, poétique, contemplatrice d'une prêtresse de l'antiquité. La vision s'élevait dans son esprit à des profondeurs qui allaient évoquer jusqu'aux cendres les plus éteintes du passé, qui lisaient dans le présent avec une sûreté effrayante et qui s'arrêtaient à peine devant les obscurités de l'avenir.

Le prophète, du fond de son cachot, avait commandé, et soudain, enveloppée par le fluide extatique, elle était venue.

Elle atteignit donc l'aile du Louvre où se trouvait la cellule.

Arrivée au bas du vieux mur, elle s'agenouilla sur la terre, devant le soupirail qui, de ce côté, était au ras du sol, tandis qu'en dedans il touchait la voûte. Là, elle se pencha vers les grilles:

– Frère Jean, dit-elle de cet accent singulier qui n'appartient qu'au somnambulisme, que voulez-vous de moi?

Le prisonnier, pour atteindre au soupirail, avait dû traîner contre le mur la table du père Joseph, et s'y hisser.

De cet observatoire, où il se tenait depuis l'instant où il avait évoqué la jeune fille endormie, il avait parfaitement saisi les bruits de l'attaque dont elle avait été l'objet.

Le regard luisant comme le lion dans les ténèbres, les mains étendues vers le dehors, ainsi que Moïse sur son peuple combattant, il dirigea vers elle cette force qui avait vaincu les agresseurs.

– Henriette, lui répondit-il avec bienveillance, reportez votre attention sur vous-même, et voyez si vous n'avez reçu aucune blessure.

Elle se recueillit et dit sans s'émouvoir:

– Un homme m'a frappée d'un stylet, près de l'épaule. Mais votre souffle me protégeait; ma chair était morte quand il l'a atteinte; demain il en restera à peine une cicatrice dont j'ignorerai la cause.

– C'est bien. Maintenant, mon enfant, faut-il vous expliquer pourquoi je vous fais venir?

– Arrêtez, dit-elle, le visage animé, le front brûlant, le geste rapide, les âmes n'ont pas besoin de mots pour se comprendre. Je lis dans la vôtre. Une méfiance cruelle vous détient ici, et n'hésiterait pas à se servir de vous et de moi pour assouvir ses desseins pervers.

«Le monde qui peuple le Louvre est en proie à l'intrigue; il se forme complot sur complot… Ceux que j'aime sont les plus menacés… On prépare les prisons… on prépare les supplices… Ah!.. c'en est trop!.. Par pitié!.. réveillez-moi! renvoyez-moi!..»

– Non, dit-il d'un ton ferme, je vous ordonne de voir et de parler!

– Eh bien, fit-elle pantelante, se débattant avec des sanglots étouffés contre un mauvais rêve, je vois… je vois un échafaud!..

Et, sans en pouvoir dire plus, elle s'affaissa anéantie sur la terre.

Il lui laissa un peu de répit, mais pour recommencer avec plus d'insistance ses injonctions.

– Parlez-moi de Philippe et de Richelieu! commanda-t-il.

– Philippe!.. Richelieu!.. répéta sa voix expirante, ordonnez donc aussi que je vous parle de moi, car nos destins sont unis.

– Quels sont ces destins? quelle est cette union? parlez, je le veux!..

Sa poitrine se gonfla comme celle d'une colombe qui va pousser son gémissement nocturne, et ce fut seulement, domptée par la violence de l'évocateur, qu'elle se décida à répondre en entrecoupant chaque mot d'un soupir:

– Votre ennemi est le nôtre… je vois rôder autour de moi son froc gris, et luire dans les ténèbres son œil faux… Richelieu vaut mieux que lui… mais Richelieu souffre… cet homme a pénétré son secret… il nous tient tous enlacés dans ses desseins tortueux… Je ne vois plus que des supplices et des larmes… Ah! de grâce, tirez-moi de ce songe horrible!

– Plus qu'un mot: le secret de Richelieu?

– Non!.. balbutia-t-elle en se débattant, je suis épuisée… je ne vois plus rien…

– Le secret de Richelieu?.. répéta le prophète.

Ses lèvres frémissantes s'entr'ouvrirent convulsivement, et un soupir plutôt qu'un mot les traversa:

– Philippe!

– Philippe! répéta Labadie inflexible, c'est ton secret à toi, et je te demande celui du cardinal.

Ses dents claquèrent sous un frisson, et ces trois syllabes invariables en sortirent par saccades:

– Philippe!..

Il la calma peu à peu et lui accorda un nouveau temps de repos. Puis, d'un ton plus doux:

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
630 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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