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Kitabı oku: «Les Mystères du Louvre», sayfa 28

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– Henriette, lui dit-il, je vous ai fait souffrir!

– Beaucoup, répondit-elle; j'ai entrevu tant de malheurs…

– Ne pourrez-vous point, une autre fois, vous expliquer sur le but principal de mes questions?..

– Écoutez, dit-elle, ma clairvoyance a des périodes plus ou moins lucides… Appelez-moi lorsque la lune approchera de son périgée, c'est-à-dire lorsque son évolution la rapprochera le plus près de la terre; les effluves qui s'en dégagent sont favorables à ces phénomènes.

– Je vous appellerai… Et, dites-moi, vous possédez toujours le médaillon de cristal?

– Il ne me quitte pas.

– C'est bien; souvenez-vous de ce que je vous ai dit en vous le remettant… A présent, relevez-vous, et allez!

Elle se redressa, et muette, insensible, transformée pour la seconde fois en statue, elle regagna sa chambre, où elle acheva paisiblement son sommeil.

XII
LA FILLE DU MAÎTRE

Cependant les évocations violentes auxquelles Henriette, si frêle et si nerveuse, était parfois soumise, ne laissaient pas que d'exercer une action sur son imagination et sur son tempérament.

Elle ne ressentait pas la douleur, elle n'avait pas la mémoire, mais une fatigue indéfinie circulait dans ses veines, mais son esprit avait des lassitudes ou des découragements inexplicables.

Ainsi la pythonisse, enlevée haletante de son trépied, tombait en des affaiblissements qu'aucun spécifique ne pouvait surmonter.

Était-ce d'ailleurs le seul motif qui dût l'alanguir et l'oppresser? Ce qui s'accomplissait autour d'elle, au foyer même de son père, était-il pour son cœur exempt d'alarmes?

D'une autre part, en dépit du désir de Richelieu, son portrait n'avançait que lentement. Ce n'était ni sa faute ni celle de l'artiste, qui apportait à cette entreprise toute son application, et qui devait, de cette toile, faire le chef-d'œuvre que chacun de nous connaît – ce tableau magistral qui depuis, copié et recopié, sert de type aux peintres, aux dessinateurs, aux statuaires, et même aux comédiens, pour reproduire, chacun dans leur spécialité, la physionomie du célèbre cardinal.

Philippe de Champaigne avait le sentiment de la splendeur de son œuvre; Richelieu, amateur-né des belles choses, admirait celle-ci à mesure qu'elle se complétait. Tous les deux tenaient à la voir promptement finie pour en jouir.

Eh bien, une influence maligne soufflait entre eux. C'était comme une conspiration. Les rendez-vous pris étaient à chaque instant dérangés par des affaires imprévues; des occupations pressantes disputaient les minutes; un courrier ou un incident venaient couper court aux séances, qui auraient dû, pour bien faire, avoir une certaine durée.

Le cardinal pestait, Philippe se décourageait, mais le remède à cela? Bref, ce portrait menaçait de devenir une nouvelle toile de Pénélope.

Dans ses jours de relâche le jeune artiste se consolait en se remettant à sa Nymphe, dans l'atelier du Louvre, atelier où Duchesne ne s'était pas montré depuis la sanglante avanie du portrait de la reine-mère.

Les visiteurs aussi y devenaient plus rares. L'ère des persécutions, rouverte à la cour par l'emprisonnement inique de Châteauneuf, ramenait les esprits aux préoccupations difficiles, et écartait le goût des plaisirs.

Une fois, cependant, comme Philippe était absorbé à un coin malaisé de sa toile, presque achevée, un petit pas et le frou-frou d'une robe de soie annoncèrent la venue d'une femme.

Elle arriva jusqu'à lui, sur la pointe des pieds, et s'arrêta timide et embarrassée, derrière son tabouret.

– Eh quoi! s'écria-t-il en se retournant, c'est vous, Henriette?..

– Vous ne m'attendiez pas? dit-elle avec quelque tristesse.

– C'est vrai, et la surprise n'en est que plus agréable.

– Est-ce un compliment?

– C'est une vérité; en doutez-vous? Si je n'éprouvais du bonheur à vous voir, aurais-je essayé de donner quelque chose de vos traits à cette toile, qui n'a pour l'animer que le reflet de votre grand œil bleu?

– Vraiment, fit-elle avec une joie naïve, vous pensiez à moi en esquissant cette belle divinité!

– A vous et à une autre personne qui devient rare comme vous: mademoiselle Louise, dont j'ai emprunté quelques charmes, pour que cette Nymphe rappelât ce que le Louvre de mon seigneur Louis XIII renferme de plus accompli.

– Il fallait donc prendre plutôt modèle sur notre aimable duchesse de Chevreuse.

– Vous ne me comprenez pas, chère Henriette, dit-il. J'ai voulu peindre et m'approprier par le pinceau ce qui n'était à personne; et ce n'est pas le cas de la duchesse.

– Oh! la grosse méchanceté!

– Comme je vous sais gré de cette visite! reprit-il d'une voix plus sérieuse et plus tendre. Vous ne m'en voulez pas, vous, de cette aventure chez madame la reine-mère?

– Vous en vouloir!.. Je suis venue précisément vous demander de ne pas conserver rancune à mon père…

– Maître Duchesne a été mon maître… je n'oublierai jamais ses leçons; et je vous atteste que, sans la gravité des circonstances, j'eusse subi tous ses reproches sans me plaindre… Mais, dites, il doit conserver de ce jour un souvenir.

– Qui m'effraye, répondit-elle avec effort.

– Cependant il ne s'agit que d'une plaisanterie, un peu vive il est vrai, mais dont je lui ai fait témoigner mes regrets. Un homme de son mérite ne saurait garder une longue rancune pour si peu.

Henriette secoua soucieusement la tête et évita de répondre.

– Vous craignez le contraire? reprit-il.

– Eh bien, oui, et c'est là ce qui m'amène.

– Expliquez-vous, de grâce.

– Mon cher Philippe, ne me jugez pas mal par ce que je vais vous dire; Dieu sait que, sans l'amitié que j'ai pour vous, qui m'avez vue si petite et avez été un frère pour moi depuis que vous travaillez chez mon père, je n'eusse pas osé faire un pareil aveu… Ce qui m'alarme, c'est que mon père est jaloux de vous…

– De moi?.. lui?..

– C'est pour cela qu'il était décidé à trouver mauvais votre portrait de la reine-mère, eût-ce été un chef-d'œuvre…

– Jaloux de moi!.. répétait tout bas Philippe, éclairé par ce trait de lumière.

– Tenez-vous donc sur vos gardes…

– Que puis-je craindre?

– Je l'ignore; mais à coup sûr – excusez les ennuis que mes avis vont vous causer, c'est mon amitié qui me les arrache – il n'est pas seul à vous vouloir du mal.

– A qui donc fais-je ombrage, moi, pauvre et obscur apprenti? Dites, je vous en conjure!

– Connaissez-vous le père Joseph?

– Le capucin du cardinal?.. s'écria-t-il, rappelé aux énigmes dont ce personnage l'entourait depuis quelque temps.

– Mon père et lui s'étaient entendus pour l'affaire du portrait. Vous avez là deux ennemis redoutables, et comme l'un est mon père et que c'est vous, mon premier ami, qu'on persécute… j'ai pris la résolution de vous avertir…

– Chère Henriette, dit-il, ému de cette démarche et surtout de la grâce avec laquelle elle était accomplie, vous êtes donc mon bon ange?

– Je le souhaiterais, répondit-elle avec une douce mélancolie. Mais j'aurais plutôt besoin moi-même d'être assistée.

– Eh quoi! vous aussi… souffrante… triste!..

Il lui prit les mains et se mit à la regarder plus attentivement.

Un cercle bleuâtre entourait ses paupières, la pâleur accoutumée de son teint avait une morbidesse inconnue jusqu'alors; son front semblait enveloppé d'un nuage, et l'iris de ses yeux était moins limpide.

– Égoïste! reprit-il, je ne pensais qu'à moi! Mais vous souffrez, Henriette… je le vois bien… Chère enfant, de grâce, parlez. A qui vous confier, sinon à celui que vous appeliez tout à l'heure votre premier ami?

– Eh bien, oui, je souffre… Mais ce n'est pas d'un mal ordinaire ni qui se puisse exprimer par des mots. Il se passe en moi, autour de moi, des choses que je sens et que je ne définis point. Mes nuits sont surtout pleines de songes étranges. Je crois par moments sentir un souffle mystérieux glisser sur mon front à travers l'air que je respire.

«Quelquefois je me réveille en sursaut, comme au sortir d'un cauchemar, et je croirais, à la raideur de mes membres, à la fatigue de mes jambes, à la pesanteur de ma tête, que je viens d'accomplir un rude labeur ou de faire une longue course.

«D'autres fois, je me sens dormir, mais d'un sommeil plus agité que la veille; mon sang bouillonne dans mes veines, je me débats, je lutte contre des visions effroyables, et quand je parviens à me réveiller au bruit de ma voix, j'éprouve des terreurs indéfinies.

«Oh! c'est étrange, allez, et je souffre bien!»

Le jeune homme prêtait à ses discours une oreille attentive.

– Ces rêves, ces visions, demanda-t-il, ne vous laissent-ils aucun souvenir?

– Aucun, mais un invincible sentiment d'effroi, une vague intuition de périls, imaginaires, sans doute, et qui m'obsèdent souvent néanmoins jusque dans mes réflexions de la journée.

– Et vous ne vous êtes ouverte de tout ceci à personne?..

– A personne qu'à vous, pas même à ma chère Louise.

– Peut-être avez-vous eu raison; le monde est facile à se moquer de ce qu'il ne comprend pas. Cela est plus commode que de chercher l'origine des choses, et celles de l'âme ont des abîmes si profonds!

– Oh! merci… fit-elle avec reconnaissance, vous ne savez pas le bien que vous me faites en me parlant de la sorte… Vous aussi vous croyez donc à des mystères qui entourent notre esprit et nous attachent par des liens inconnus à un monde supérieur à celui-ci?

Il ne put se défendre de la considérer avec une surprise qu'elle lut dans ses yeux. L'étude des questions métaphysiques devait partager sa vie avec la peinture. Déjà le désir d'approfondir ces grands objets de la vie mystique s'agitait en lui.

– Je vous étonne, reprit-elle, mais je m'étonne moi-même. C'est sans doute une conséquence des songes qui m'obsèdent; j'éprouve par moments des hallucinations, des vertiges. J'entre dans une sphère inconnue, et je sens mes idées grandir.

«Oh! tenez, j'en suis effrayée quelquefois. Cela m'arrive souvent dans les moments de trouble qui suivent mes laborieux sommeils et précèdent mon réveil entier. Je pense à vous.»

– A moi, Henriette?..

– Il me semble que ce n'est pas la première fois que nous nous connaissons… je me reporte à une existence antérieure; je crois comprendre que mon âme immortelle a déjà animé un corps passager, et que, dans cette première existence, nous nous sommes rencontrés et aimés…

– Est-ce possible! vous rêvez cela?..

– Je ne saurais retrouver les détails précis de cette vie antérieure, mais cette circonstance de notre attachement revient nette et distincte, parce que ce fut sans doute celle qui domina les autres.

Philippe était de plus en plus pensif.

Dans ce vaporeux pays des Flandres où il était né, au milieu de ce monde artiste où il avait fait ses premiers pas, il avait été bercé avec les idées surnaturelles qui devaient plus tard, en se rectifiant dans le sens des solitaires de Port-Royal, exercer tant d'influence sur sa vie et sur son talent.

En outre, ces visées, d'une si effrayante portée dans la bouche de cette jeune fille, étrangère à aucune étude métaphysique, éloignaient toute idée de supercherie.

– Nous ne pouvons nier, dit-il, que le monde immatériel ne soit fait de tout autre manière que ne le dépeignent nos docteurs, qui l'arrangent à leur fantaisie. Nos âmes sont immortelles, mais l'espace et l'éternité n'appartiennent qu'à Dieu. Est-il donné à nos esprits de vivre de plusieurs existences passagères? c'est là son secret; mais cette croyance ne saurait l'offenser. Et s'il faut tout vous dire, vos paroles, chère Henriette, éveillent en moi des échos inconnus, des aspirations innommées.

«Je me souviens que du premier jour où vous m'apparûtes encore tout enfant je fus porté vers vous d'une douce sympathie, et que je crus vous avoir aimée avant de vous connaître. Il fallait bien qu'il en fût ainsi, puisque pas un nuage n'a jamais altéré cette affection fraternelle dont vous me donnez aujourd'hui une preuve touchante.»

– Cher Philippe, que vous me faites de bien! soupira-t-elle; ah! vous ne sauriez comprendre de quel poids vos bonnes paroles soulagent ma pauvre tête!.. Depuis que ces idées me sont venues, vingt fois j'ai craint un égarement de mon esprit, j'ai douté de ma raison…

– Rassurez-vous, ces idées, de grands philosophes les ont ressenties, et si quelque chose m'étonne et reste inexplicable pour moi, c'est qu'elles se soient manifestées en votre jeune tête, si charmante, mais si folle!

– Folle?.. pas autant que vous croyez…

Ici l'entretien se trouva malencontreusement interrompu par une visite bien inattendue.

Le chevalier de Jars entra dans la galerie.

Sa physionomie frappa également les deux jeunes gens; elle n'offrait pas l'insouciance un peu railleuse qu'on y lisait d'ordinaire, et qui servait d'enseigne à la bonne humeur et à l'excellent naturel de l'homme.

A la vue de Philippe et d'Henriette, qui se tenaient encore les mains, un sourire effleura cependant ses lèvres, et, comme il regrettait d'être venu se jeter au milieu de ce charmant tête-à-tête, il fut sur le point de se retirer.

Mais, après tout, le mal était fait, et, comme sa démarche avait sans doute un motif sérieux, il prit le parti de demeurer, et adressa un bonjour affectueux à l'artiste et à sa compagne.

– Excusez-moi si je suis importun, mes chers amis, dit-il.

– Importun!.. vous, monsieur le chevalier! y pensez-vous? s'écria Philippe.

Henriette appuya cette réponse d'un geste gracieux.

– Peut-être bien à plus d'un titre… Je vous dérange… J'apporte de méchantes nouvelles.

– Pour M. Philippe?.. interrompit avec inquiétude la jeune fille.

– Pour tout le monde, je le crains; du moins pour tous nos amis.

– Parlez, monsieur, je vous en prie; les intérêts de nos amis sont les nôtres.

– Enfermé dans cet atelier, qui plane sur le Louvre, ne vous apercevez-vous donc pas qu'il y a comme un souffle d'orage dans l'air de la cour? Vous voyez beaucoup moins le cardinal depuis quelques semaines, en savez-vous le motif? Celui que je suppose, c'est qu'il est absorbé par de tout autres préoccupations que la peinture… Il est retombé dans un accès de cette humeur hypocondriaque qui revient avec une espèce de périodicité peser sur lui et assoupir toutes ses facultés, hors celle de la méfiance et de la rancune.

«J'ai su, par un des gens qui l'approchent, et dont j'ai ébranlé la discrétion à beaux deniers comptants, qu'il lui est échappé, dans les monologues dont il a l'habitude, des interjections contre ce qu'il appelle la petite église de la reine-mère. Il se sent haï, et redoute les justes ressentiments qu'il soulève.

«En venant ici, je l'ai aperçu. Il sortait de chez la jeune reine; ses lèvres blêmes, son front crispé m'ont fait peur.

«J'ai voulu voir Châteauneuf; je me suis présenté à la Bastille. Notre ami est au secret comme un criminel d'État.

«La duchesse vit dans des transes mortelles. Elle a essayé une démarche et n'a obtenu que des paroles aigres et pleines d'une sinistre ambiguïté. Elle se désespère; je crains qu'elle ne se lance dans quelque entreprise qui empirerait les choses.

«Enfin, à force de chercher, une idée nous est venue, un moyen de tout sauver, peut-être… et ce moyen dépend de vous.»

– De moi?.. exclama le jeune homme étonné. Oh! si cela est, si je peux quelque chose pour notre belle duchesse, pour M. de Châteauneuf, mes appuis, mes protecteurs les plus chers après Marie de Médicis, me voici tout à leur service. Mais, reprit-il avec un accent de doute, si vous comptez sur mon influence auprès de monseigneur de Richelieu, vous vous méprenez… La bienveillance qu'il me témoigne est bien fragile, et je sens entre lui et moi une influence mauvaise, qui irait au-devant de mon crédit, si j'en pouvais espérer.

– Il ne s'agit pas du cardinal, mais d'une personne dont vous aurez plus de plaisir à devenir l'obligé, et qui, si vous nous secondez, si vous parvenez à la décider en notre faveur, peut provoquer la perte de notre puissant ennemi…

– Y pensez-vous, monsieur le chevalier? J'aurais une influence sur quelqu'un d'aussi considérable?

– J'y pense: cela sera si vous le voulez. C'est l'esprit pénétrant de la duchesse qui a conçu ce projet et ce n'est pas celui qui lui fera le moins honneur.

– De grâce, quelle est donc cette personne?

– Vous n'ignorez pas les intentions du roi pour mademoiselle de Lafayette.

– Mademoiselle Louise!.. prononça Philippe avec un trouble soudain.

– Ma meilleure amie! fit Henriette; oh! si c'est d'elle que dépend la délivrance de M. de Châteauneuf, je la lui réclamerai si instamment que nous l'obtiendrons bientôt.

Le chevalier considéra l'émoi de l'artiste et la candeur de la jeune fille, et leur adressant un regard affectueux:

– Vous êtes deux braves cœurs, dit-il; oui, vous nous servirez tous les deux, dût-il vous en coûter un peu, ajouta-t-il à l'adresse particulière de Philippe.

– Mon Dieu, monsieur, fit celui-ci de plus en plus troublé, je ne sais si je comprends bien…

– Vous comprenez parfaitement. Il faut que mademoiselle de Lafayette, que l'approche du roi semble toujours effaroucher, comme un oiseau timide, prenne sur elle de répondre par un mot, un sourire, un geste, aux prévenances de Sa Majesté. Le roi n'est pas si exigeant. Il sera heureux de la mince faveur; il sollicitera comme une grâce d'accomplir un souhait de son idole, et elle obtiendra d'abord l'élargissement de notre ami, puis tout ce qu'elle voudra.

– C'est un plan merveilleux! fit Henriette avec enthousiasme; je veux y contribuer.

Mais le jeune homme ne se hâtait pas de s'y associer aussi vite, et même le chevalier vit poindre un sombre symptôme sur ses traits.

Dans sa droiture innée, il sentait que tout cela aboutissait à pousser Louise au-devant du monarque. C'était tout simplement le fameux plan conçu par la duchesse de Chevreuse, et que les chroniques du temps nous racontent dans tous ses détails.

Un roi est toujours un roi, s'appelât-il Louis le Chaste, comme celui dont il s'agissait, et les paroles du chevalier, si bien enveloppées qu'elles fussent, mordaient le cœur du jeune artiste comme un dard enfiellé.

– C'est convenu, lui dit le négociateur; vous comprenez qu'il ne s'agit que d'une manœuvre très innocente, et je vais dire à la duchesse que nous pouvons compter sur vous.

– Je ferai de mon mieux, répondit Philippe.

Le chevalier sentit qu'il ne fallait pas trop aviver cette plaie secrète, et que, pour un premier assaut, c'était assez. Il aborda adroitement un autre thème, destiné à établir un grand vide entre les affections indéfinies ou mal définies du jeune artiste et de la demoiselle d'honneur.

– Maintenant, mon enfant, dit-il à Henriette, il faut que je vous gronde… Je dois vous le faire observer, il est imprudent de vous montrer ici lorsque M. Philippe s'y trouve, après les derniers événements… Si votre père venait à le savoir, ou à vous surprendre…

– Mon père, monsieur, répondit-elle, non sans éloquence, quels reproches aurait-il à m'adresser? Je crois bien agir en réparant ses injustices.

– Oh! ces petites filles, ces enfants terribles!.. murmura de Jars, ramené malgré lui à son humeur franche et cordiale. – C'est fort bien, mes enfants, reprit-il, et un ami tel que moi ne voit pas de mal dans ces entretiens; mais le monde est méchant, la cour surtout! On y voit du mal aux choses les plus innocentes… Croyez-moi, l'amour, c'est fort joli, mais ne laissez pas surprendre le secret du vôtre…

– L'amour! répétèrent ensemble les deux jeunes gens.

La fille du maître peintre, rouge comme une fleur de grenadier, se détourna, prête à pleurer.

Et Philippe, tout confus aussi, balbutia:

– Y pensez-vous, monsieur le chevalier? l'amour!

– La peste soit! fit de Jars avec son rire charmant, de quel nom nommez-vous donc ces jolis tête-à-tête?.. Vous ai-je donc accusés d'un crime, que vous me regardiez de cet air de courroux? L'amour, mes enfants, c'est le bonheur; ce que je vous en dis, c'est pour que le vôtre se prolonge le plus possible…

– Mais, dit Henriette avec une coquetterie naïve et un embarras délicieux, je vous assure, monsieur, que vous vous trompez; M. Philippe ne m'aime pas!..

– Par la morbleu! il aurait grand tort!.. exclama de Jars, et je suis sûr du contraire!

Puis, comme elle se disposait à s'éloigner:

– Sans rancune, mademoiselle Henriette.

Il lui tendit sa franche et loyale main, où elle posa le bout de ses doigts.

Philippe lui prit le bras et la conduisit à petits pas, sans oser lui adresser la parole, jusqu'à la porte.

– Vous reviendrez, n'est-ce pas? lui dit-il avec émotion au moment de la laisser aller.

– Oui, fit-elle tout bas; mais ce n'est point de l'amour, au moins, n'allez pas le croire!..

Sur ce mot, elle s'échappa, pour que ses yeux ne donnassent pas un démenti à ses lèvres.

Philippe revint tout songeur à son chevalet, où M. de Jars l'attendait tranquillement.

– Vous ne m'en voulez pas non plus, lui dit celui-ci, de vous avoir éclairé sur vos propres sentiments. C'est cette adorable enfant que vous aimez; je vous l'atteste, et c'est un bonheur pour vous; car l'amour des grandes dames, voyez-vous, c'est souvent un malheur, c'est toujours un danger.

Mais le jeune homme se taisait, en proie à deux courants qui se disputaient son âme. Il n'osait croire à l'amour de Louise, et il regardait celui d'Henriette comme un rêve.

Tout son être débordait de bonheur, et cependant il éprouvait au cœur des serrements, comme si, pour conserver une partie de lui-même, il se voyait forcé d'en abandonner une autre.

Il n'eut pas le loisir de formuler une réponse.

Une apparition, toujours néfaste, succéda à celle de la jeune fille. Le père Joseph se montra sur le seuil que celle-ci venait de quitter.

Il parut d'abord surpris de voir le chevalier dans la galerie; mais, en homme qui n'a pas l'habitude de s'étonner, il approcha.

– Je ne vous cherchais pas, monsieur, lui dit-il d'un ton glacial; cependant, puisque je vous trouve, je m'acquitte dès à présent d'une commission dont je suis chargé pour vous.

– S'il vous plaisait d'ajourner indéfiniment cet entretien, mon père, fit le chevalier, fidèle à sa bonne humeur, je ne m'en offusquerais point. Vous abordez les choses d'un air qui n'a rien d'engageant.

– C'est que je n'ai rien de plaisant à vous dire, monsieur. Le roi s'est souvenu que vous étiez commandant de Lagny-le-Sec…

– Sa Majesté est bien bonne d'avoir pensé à moi.

– Il désire que les places d'armes soient bien gardées, et il vous invite à vous tenir entre les murs de la vôtre jusqu'à nouvel avis.

– Fort bien, mon père; c'est un ordre d'exil. Me sera-t-il permis, avant de partir, d'aller présenter mes hommages à monseigneur de Richelieu?

– Son Éminence ne reçoit personne… excepté son peintre, que je viens chercher de sa part et qu'elle veut voir de suite.

Yaş sınırı:
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Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
630 s. 1 illüstrasyon
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