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Kitabı oku: «Le Bossu, Volume 1», sayfa 5

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– Après un autre que nous connaissons bien, interrompit frère Passepoil.

Cette fois, il eut l'approbation pleine et entière de Cocardasse junior.

– Nevers par-ci, Nevers par-là! continua Lagardère. Les chevaux de Nevers, les armes de Nevers, les domaines de Nevers!.. ses bons mots, son bonheur au jeu, la liste de ses maîtresses… et sa botte secrète par-dessus le marché!.. diable d'enfer! cela me rompait la tête… Un soir, mon hôtesse me servit des côtelettes à la Nevers… je lançai le plat par la fenêtre et je me sauvai sans souper… Sur la porte, je me heurtai contre mon cordonnier, qui m'apportait des bottes à la dernière mode, des bottes à la Nevers… je rossai mon bottier; cela me coûta dix louis que je lui jetai au visage… Le drôle me dit: «M. de Nevers me battit une fois, mais il me donna cent pistoles!..»

– C'était trop! prononça gravement Cocardasse.

Passepoil suait à grosses gouttes, tant il ressentait vivement les contrariétés de son cher petit Parisien.

– Voyez-vous, continua Lagardère, je sentis que la folie me prenait… Il fallait mettre un terme à cela!.. Je montai à cheval et je m'en allai attendre Nevers à la sortie du Louvre… Quand il passa, je l'appelai par son nom.

« – Qu'est-ce? me demanda-t-il.

« – Monsieur le duc, répondis-je, j'ai grande confiance en votre courtoisie… Je viens vous demander de m'enseigner votre botte secrète, au clair de la lune.

«Il me regarda. Je pense qu'il me prit pour un échappé des Petites-Maisons.

« – Qui êtes-vous? me demanda-t-il pourtant.

« – Le chevalier Henri de Lagardère, répondis-je, par la munificence du roi… chevau-léger du corps… ancien cornette de la Ferté, ancien enseigne de Conti, ancien capitaine au régiment de Navarre… toujours cassé pour cause de cervelle absente…

« – Ah! m'interrompit-il en descendant de cheval, vous êtes le beau Lagardère? On me parle souvent de vous, et cela m'ennuie.

«Nous allions côte à côte vers l'église Saint-Germain-l'Auxerrois.

« – Si vous ne me trouviez point trop petit gentilhomme, commençai-je, pour vous mesurer avec moi…

«Il fut charmant, charmant! Je dois lui rendre cette justice.

«Au lieu de me répondre, il me planta sa rapière entre les deux sourcils, si roide et si net, que je serais encore là-bas, sans un saut de trois toises que fort à propos je fis.

« – Voilà ma botte, me dit-il.

«Ma foi! je le remerciai de bon cœur; c'était bien le moins.

« – Encore une petite leçon, demandai-je, si ce n'est pas abuser.

« – A votre service.

«Malepeste! cette fois, il me fit une piqûre au front. J'étais touché, moi… moi, Lagardère!

Les maîtres d'armes échangèrent des œillades inquiètes. La botte de Nevers prenait en vérité d'effrayantes proportions.

– Vous n'y aviez vu que du feu? insinua timidement Cocardasse.

– J'avais vu la feinte, pardieu! s'écria Lagardère, mais je n'étais pas arrivé à la parade. Cet homme est vite comme la foudre.

– Et la fin de l'aventure?

– Est-ce que le guet peut jamais laisser en repos les gens paisibles?.. Le guet arriva… Nous nous séparâmes bons amis avec promesse de revanche.

– Mais sandiéou! dit Cocardasse, qui suivait sa piste, il vous tiendra toujours par cette botte.

– Allons donc! fit Lagardère.

– Vous avez le secret?

– Parbleu!.. je l'ai étudié dans le silence du cabinet.

– Eh bien?

– C'est un enfantillage!

Les prévôts respirèrent. Cocardasse se leva.

– Monsieur le chevalier, dit-il, si vous avez quelque bon souvenir des pauvres leçons que je vous ai données avec tant de plaisir, vous ne repousserez pas ma requête… Eh donc!

Instinctivement, Lagardère mit la main au gousset.

Frère Passepoil eut un geste plein de dignité.

– Ce n'est pas cela que maître Cocardasse vous demande, dit-il.

– Parle, fit Lagardère; je me souviens. Que veux-tu?

– Je veux, répliqua Cocardasse, que vous m'enseigniez la botte de Nevers.

Lagardère se leva aussitôt.

– C'est trop juste, dit-il, mon vieux Cocardasse. Cela concerne ton état.

Ils se mirent en garde. Les volontaires et les prévôts firent cercle. Ces derniers surtout ne regardaient pas à demi.

– Tubleu! fit Lagardère en tâtant le fer du prévôt, comme tu es devenu mou!.. Voyons, engage en tierce… coup droit retenu! pare… coup droit, remets à fond… pare prime et riposte… marche… prime encore sur ma riposte… passe sous l'épée, et aux yeux!

Il joignit le geste à la parole.

– Tron de l'air! fit Cocardasse en sautant de côté; j'ai vu un million de chandelles! Et la parade? reprit-il en se mettant en garde de nouveau.

– Oui, oui, la parade? firent les spadassins avidement.

– Simple comme bonjour! repartit Lagardère. Y es-tu?.. Tierce… à temps, sur la remise… prime deux fois… évite… arrête dans les armes, le tour est fait!

Il rengaîna. Ce fut frère Passepoil qui remercia avec effusion.

– Avez-vous saisi, vous autres? fit Cocardasse en s'essuyant le front. Capédébiou! quel enfant!

Les prévôts firent un signe de tête affirmatif, et Cocardasse revint s'asseoir en disant:

– Ça pourra servir!

– Ça va servir tout de suite, répliqua Lagardère en se versant à boire.

Tous relevèrent les yeux sur lui.

Il but son verre à petites gorgées, puis il déplia lentement la lettre que le page lui avait remise.

– Ne vous ai-je pas dit, reprit-il, que M. de Nevers m'avait promis ma revanche?

– Oui; mais…

– Il fallait bien terminer cette aventure avant de partir pour l'exil… J'ai écrit à M. de Nevers, que je savais à son château du Béarn… Cette lettre est la réponse de M. de Nevers.

Un murmure d'étonnement s'éleva du groupe des estafiers.

– Il est toujours charmant, poursuivit Lagardère, charmant! Quand je me serai battu mon content avec ce parfait gentilhomme, je suis capable de l'aimer comme un frère. Il accepte tout ce que je lui propose: l'heure du rendez-vous, le lieu.

– Et quelle est l'heure? demanda Cocardasse avec trouble.

– La tombée de la nuit.

– Ce soir?

– Ce soir.

– Et le lieu?

– Les fossés du château de Caylus.

Il y eut un silence. Passepoil avait mis un doigt sur sa bouche. Les estafiers tâchaient de garder bonne contenance.

– Pourquoi choisir ce lieu? fit cependant Cocardasse.

– Autre histoire! dit Lagardère en riant, seconde fantaisie!.. Je me suis laissé dire, depuis que j'ai l'honneur de commander ces braves, pour tuer un peu le temps avant mon départ, je me suis laissé dire que le vieux marquis de Caylus était le plus fin geôlier de l'univers!.. Il faut bien qu'il ait quelques talents pour avoir mérité ce beau nom de Caylus-Verrous!.. Or, le mois passé, aux fêtes de Tarbes, j'ai entrevu sa fille Aurore… Sur ma parole, elle est adorablement belle!.. Après avoir causé avec M. de Nevers, je veux consoler un peu cette charmante recluse.

– Avez-vous donc la clef de la prison, capitaine? demanda Carrigue en montrant le château.

– J'ai pris d'assaut bien d'autres forteresses! repartit le Parisien. J'entrerai par la porte, par la fenêtre, par la cheminée… enfin, je ne sais pas… mais j'entrerai!

Il y avait déjà du temps que le soleil avait disparu derrière les futaies d'Ens. La nuit venait. Deux ou trois lueurs se montrèrent aux fenêtres intérieures du château.

Une forme glissa rapidement dans l'ombre des douves. C'était Berrichon, le petit page, qui sans doute avait fait sa commission. En prenant à toute course le sentier qui conduisait à la forêt, il envoya de loin un grand merci à Lagardère, son sauveur.

– Eh bien, s'écria celui-ci, pourquoi ne riez-vous plus, mes drôles? Ne trouvez-vous point l'aventure gaillarde?

– Si fait, répondit frère Passepoil, trop gaillarde!

– Je voudrais savoir, dit Cocardasse gravement, si vous avez parlé de mademoiselle de Caylus dans votre lettre à Nevers.

– Parbleu! je lui explique mon affaire en grand. Il fallait bien donner un prétexte à ce lointain rendez-vous.

Les estafiers échangèrent un regard.

– Ah çà! qu'avez-vous donc? demanda brusquement le Parisien.

– Nous réfléchissons répondit Passepoil; nous sommes heureux de nous trouver là pour vous rendre service.

– C'est la vérité, capédébiou! ajouta Cocardasse, nous allons vous donner un bon coup d'épaule.

Lagardère éclata de rire, tant l'idée lui sembla bouffonne.

– Vous ne rirez plus, monsieur le chevalier, prononça le Gascon avec emphase, quand je vous aurai appris certaine nouvelle…

– Voyons ta nouvelle?

– Nevers ne viendra pas seul au rendez-vous.

– Fi donc! pourquoi cela?

– Parce que, après ce que vous lui avez écrit, il ne s'agit plus entre vous d'une partie de plaisir… l'un de vous deux doit mourir ce soir… Nevers est l'époux de mademoiselle de Caylus.

Cocardasse junior se trompait en pensant que Lagardère ne rirait plus. Le fou se tint les côtes.

– Bravo! s'écria-t-il, un mariage secret! un roman espagnol! Pardieu! voilà qui me comble, et je n'espérais pas si bien pour ma dernière aventure!

VI
– La fenêtre basse. —

– Et dire qu'on exile des hommes pareils! prononça frère Passepoil d'un ton profondément pénétré.

La nuit s'annonçait noire. Les masses sombres du château de Caylus se détachaient confusément sur le ciel.

– Voyons, chevalier, dit le Gascon au moment où Lagardère se levait et resserrait le ceinturon de son épée, pas de fausse honte, vivadiou!.. acceptez nos services pour ce combat, qui doit être inégal!

Lagardère haussa les épaules.

Passepoil lui toucha le bras par derrière.

– Si je pouvais vous être utile, murmura-t-il en rougissant outre mesure, pour la galante équipée…

La morale en action affirme, sur la foi d'un philosophe grec, que le rouge est la couleur de la vertu. Amable Passepoil avait au plus haut degré la couleur, mais il manquait absolument de vertu.

– Palsambleu! mes camarades, s'écria Lagardère, j'ai coutume de faire mes affaires tout seul; et vous le savez bien… La brune vient… une dernière rasade, et décampez! voilà le service que je réclame.

Les aventuriers allèrent à leurs chevaux. Les maîtres d'armes ne bougèrent pas.

Le Gascon prit Lagardère à part.

– Je me ferais tuer pour vous comme un chien sandiéou! chevalier, dit-il avec embarras… mais…

– Mais quoi?

– Chacun son métier, vous savez… Nous ne pouvons pas quitter ce lieu.

– Ah! ah!.. Et pourquoi cela?

– Parce que nous attendons aussi quelqu'un.

– Vraiment! Qui est ce quelqu'un?

– Ne vous fâchez pas… Ce quelqu'un est Philippe de Nevers.

Le Parisien tressaillit.

– Ah! ah! fit-il encore; et pourquoi attendez-vous M. de Nevers?

– Pour le compte d'un digne gentilhomme…

Il n'acheva pas. Les doigts de Lagardère lui serraient le poignet comme un étau.

– Un guet-apens! s'écria ce dernier, et c'est à moi que tu viens dire cela!

– Je vous fais observer… commença frère Passepoil.

– La paix mes drôles!.. Je vous défends, – vous m'entendez bien, n'est-ce pas? – je vous défends de toucher un cheveu de Nevers, sous peine d'avoir affaire à moi!.. Nevers m'appartient… s'il doit mourir, ce sera de ma main, en loyal combat… mais de la vôtre, non pas!.. diable d'enfer! non pas, tant que je serai vivant!

Il s'était dressé de toute sa hauteur. Il était de ceux dont la voix, dans la colère, ne tremble pas, mais vibre plus sonore.

Les spadassins l'entouraient irrésolus.

– Ah! c'est pour cela, reprit-il, que vous vous êtes fait enseigner la botte de Nevers! et c'est moi… Carrigue! s'interrompit-il.

Celui-ci vint à l'ordre, avec ses gens qui tenaient par la bride leurs chevaux chargés de fourrage.

– C'est une honte, reprit le Parisien, une honte que de tels gens nous aient fait partager leur vin!

– Voilà un mot bien dur! soupira Passepoil, dont les yeux se mouillèrent.

Cocardasse junior blasphémait en lui-même tous les savants jurons que put jamais produire cette fertile terre de Gascogne.

– En selle, et au galop! poursuivit Lagardère. Je n'ai besoin de personne pour faire justice de ces drôles.

Carrigue et ses gens, qui avaient tâté des rapières de prévôt, ne demandaient pas mieux que d'aller un peu plus loin jouir de la fraîcheur de la nuit.

– Quant à vous, continua le jeune chevau-léger, vous allez déguerpir, et vite! ou, par la mordieu! je vais vous donner une seconde leçon d'armes… à fond!

Il dégaîna. Cocardasse et Passepoil firent reculer les estafiers, qui, forts de leur nombre, avaient des velléités de révolte.

– Qu'avons-nous à nous plaindre, insinua Passepoil, s'il veut absolument faire notre besogne?

Pour la logique, vous ne trouverez pas beaucoup de Normands plus ferrés que frère Passepoil.

– Allons-nous-en! tel fut l'avis général.

Il est vrai que l'épée de Lagardère sifflait et fouettait le vent.

– Capédébiou! fit observer Cocardasse en ouvrant la retraite, le bon sens dit que nous n'avons pas peur; chevalier, nous vous cédons la place.

– Pour vous faire plaisir, ajouta Passepoil; adieu!

– Au diable! répliqua le Parisien en tournant le dos.

Les fourrageurs partirent au galop, les estafiers disparurent derrière l'enclos du cabaret. Ils oublièrent de payer; mais Passepoil ravit en passant un doux baiser à la maritorne, qui demandait son argent.

Ce fut Lagardère qui solda tous les écots.

– La fille! dit-il, ferme tes volets et mets tes barres… Quoi que tu entendes, là, dans la douve, cette nuit, que chacun, dans ta maison, dorme sur les deux oreilles. Ce sont affaires qui ne vous regardent point!

La maritorne ferma ses volets et mit ses barres.

La nuit était presque complète, une nuit sans lune et sans étoiles.

Un lumignon fumeux, placé à la tête du pont de planches, sous la niche d'une sainte Vierge, brillait faiblement, mais n'éclairait point au delà d'un cercle de dix ou douze pas. Sa lumière d'ailleurs ne pouvait descendre dans les douves, à cause du pont qui la masquait.

Lagardère était seul. Le galop des chevaux s'était étouffé au lointain. La vallée de Louron se plongeait déjà dans une obscurité profonde où luisaient çà et là quelques lueurs rougeâtres marquant la cabane d'un laboureur ou la loge d'un berger.

Le son plaintif des clochettes attachées au cou des chèvres montait, quand le vent donnait, avec les murmures sourds du gave d'Arau, qui verse ses eaux dans la Clarabide, au pied du Hachaz.

– Huit contre un, les misérables! se disait le jeune Parisien en prenant le chemin charretier pour descendre au fond de la douve: un assassinat! Quels bandits!.. C'est à dégoûter de l'épée!

Il donna contre les tas de foin, ravagés par Carrigue et sa troupe.

– Par le ciel! reprit-il en secouant son manteau, voici une crainte qui me pousse. Le page va prévenir Nevers qu'il y a ici une bande d'égorgeurs. Et Nevers ne viendra pas. Et ce sera une partie manquée; la plus belle partie du monde. Diable d'enfer! s'il en est ainsi, demain il y aura huit coquins d'assommés.

Il arrivait sous le pont. Ses yeux s'habituaient à l'obscurité.

Les fourrageurs avaient fait une large place nette, juste à l'endroit où Lagardère était en ce moment, devant la fenêtre basse.

Il regarda cela d'un air content, et pensa qu'on serait bien en ce lieu pour jouer de la flamberge.

Mais il pensait encore à autre chose. L'idée de pénétrer dans cet inabordable château le tenait au collet. Ce sont de vrais diables que ces héros qui ne tournent point vers le bien la force exceptionnelle dont ils sont doués.

Murailles, verrous, gardiens, le beau Lagardère se riait de tout cela.

Il n'eût point voulu d'une aventure où quelqu'un de ces obstacles eût manqué.

– Faisons connaissance avec le terrain, se disait-il, rendu déjà à l'espiègle gaieté de sa nature. Morbleu! M. le duc va nous arriver bien en colère, et nous n'avons qu'à nous tenir!.. Quelle nuit! il faudra ferrailler au jugé… Du diable si on pourra voir la pointe des épées!

Il était au pied des grands murs. Le château dressait à pic au-dessus de sa tête sa masse énorme, et le pont traçait un arc noir sur le ciel. Escalader ce mur à l'aide du poignard, c'était l'affaire de toute une nuit. En tâtonnant, la main de Lagardère rencontra la fenêtre basse.

– Bon, cela! s'écria-t-il. Çà! que vais-je lui dire, à cette fière beauté? Je vois d'ici l'éclair méchant de ses yeux noirs, ses sourcils d'aigle froncés par l'indignation.

Il se frotta les mains de tout cœur.

– Délicieux! délicieux!.. Je lui dirai… Il faut quelque chose de bien tourné… je lui dirai… Palsambleu! Épargnons nos frais d'éloquence… Mais qu'est cela? s'interrompit-il tout à coup. Ce Nevers est charmant!.. toujours charmant!

Il s'arrêta pour écouter. Un bruit avait frappé son oreille.

Des pas sonnaient, en effet, au bord de la douve, des pas de gentilhomme; car on entendait le tintement argentin des éperons.

– Oh! oh! pensa Lagardère, maître Cocardasse aurait-il dit vrai? M. le duc se serait-il fait accompagner!

Le bruit de pas cessa. Le lumignon placé à la tête du pont éclaira deux hommes enveloppés de longs manteaux, et immobiles.

On voyait bien que leurs regards cherchaient à percer l'obscurité de la douve.

– Je ne vois personne, dit l'un d'eux à voix basse.

– Si fait, répondit l'autre, là-bas, près de la fenêtre.

Et il appela avec précaution.

– Cocardasse!..

Lagardère resta immobile.

– Faënza! appela encore le second interlocuteur: c'est moi… M. de Peyrolles!

– Il me semble que je connais ce nom de coquin! pensa Lagardère.

Peyrolles appela pour la troisième fois:

– Passepoil!.. Staupitz!

– Si ce n'était pas un des nôtres? murmura son compagnon.

– C'est impossible, répliqua Peyrolles, j'ai ordonné qu'on laissât ici une sentinelle… C'est Saldagne, je le reconnais… Saldagne!

– Présent! répondit Lagardère, qui prit à tout hasard l'accent espagnol.

– Voyez-vous! s'écria M. de Peyrolles, j'en étais sûr!.. Descendons par l'escalier… ici… voilà la première marche…

Lagardère pensait:

– Du diable si je ne joue pas un rôle dans cette comédie!

Les deux hommes descendaient. – Le compagnon de Peyrolles était, sous son manteau, de belle taille et de riche prestance. Lagardère avait cru reconnaître dans son accent, quand il avait parlé, un léger ressouvenir de la gamme italienne.

– Parlons bas, s'il vous plaît, dit-il en descendant avec précaution l'escalier étroit et roide.

– Inutile, monseigneur, répondit Peyrolles.

– Bon! fit Lagardère, c'est un monseigneur.

– Inutile! poursuivit le factotum; les drôles savent parfaitement le nom de celui qui les paye.

– Moi, je n'en sais rien, pensa le jeune chevau-léger, et je voudrais bien le savoir.

– J'ai eu beau faire, reprit M. de Peyrolles, ils n'ont pas voulu croire que c'était M. le marquis de Caylus.

– C'est déjà précieux à savoir, se dit Lagardère; il est évident que j'ai affaire ici à deux parfaits coquins!

– Tu viens de la chapelle? demanda celui qui semblait être le maître.

– Je suis arrivé trop tard, répondit Peyrolles d'un air contrit.

Le maître frappa du pied avec colère.

– Maladroit! s'écria-t-il.

– J'ai fait ce que j'ai pu, monseigneur. J'ai bien trouvé le registre où dom Bernard avait inscrit le mariage de mademoiselle de Caylus avec M. de Nevers, ainsi que la naissance de leur fille…

– Eh bien?

– Les pages contenant ces inscriptions ont été arrachées.

Lagardère était tout oreilles.

– On nous a prévenus! dit le maître avec dépit, mais qui? Aurore?.. Oui, ce doit être Aurore… Elle pense voir Nevers cette nuit, elle veut lui remettre avec l'enfant les titres qui établissent sa naissance… Dame Marthe n'a pu me dire cela, puisqu'elle l'ignorait elle-même, mais je le devine.

– Eh bien, qu'importe? fit Peyrolles. Nous sommes à la parade!.. Une fois Nevers mort…

– Une fois Nevers mort, repartit le maître, l'héritage va tout droit à l'enfant.

Il y eut un silence. Lagardère retenait son souffle.

– L'enfant… commença très-bas Peyrolles.

– L'enfant disparaîtra, interrompit celui qu'on appelait monseigneur; j'aurais voulu éviter cette extrémité, mais elle ne m'arrêtera pas… Quel homme est ce Saldagne?

– Un déterminé coquin.

– Peut-on se fier à lui?

– Pourvu qu'on le paye bien… oui.

Le maître réfléchissait.

– J'aurais voulu, dit-il, n'avoir d'autre confident que nous-mêmes… mais ni toi ni moi n'avons la tournure de Nevers…

– Vous êtes trop grand, répliqua Peyrolles, je suis trop maigre.

– Il fait noir comme dans un four, reprit le maître, et ce Saldagne est à peu près de la taille du duc… Appelle-le!

– Saldagne! fit Peyrolles.

– Présent! répondit encore le Parisien.

– Avance ici!

Lagardère s'avança. Il avait relevé le col de son manteau, et les bords de son feutre lui cachaient le visage.

– Veux-tu gagner cinquante pistoles outre ta part? lui demanda le maître.

– Cinquante pistoles! répondit le Parisien; que faut-il faire?

Tout en parlant, il faisait ce qu'il pouvait pour distinguer les traits de l'inconnu, mais ce dernier était aussi bien caché que lui.

– Devines-tu? demanda le maître à Peyrolles.

– Oui, répliqua celui-ci.

– Approuves-tu?

– J'approuve. Mais notre homme a un mot de passe.

– Dame Marthe me l'a donné. C'est la devise de Nevers.

– Adsum? demanda Peyrolles.

– Il a coutume de le dire en français: J'y suis!

– J'y suis! répéta involontairement Lagardère.

– Tu prononceras cela tout bas sous la fenêtre, dit l'inconnu, qui se pencha vers lui. Les volets s'ouvriront, puis la grille qui est à charnière… Une femme paraîtra, elle te parlera, tu ne sonneras mot, mais tu mettras un doigt sur ta bouche. Comprends-tu?

– Pour faire croire que nous sommes épiés? Oui, je comprends.

– Il est intelligent, ce garçon-là, murmura le maître.

Puis, reprenant:

– La femme te remettra un fardeau… tu le prendras en silence… tu me l'apporteras…

– Et vous me compterez cinquante pistoles?

– C'est cela!

– Je suis votre homme…

– Chut!.. fit M. de Peyrolles.

Ils se prirent tous trois à écouter. On entendait un bruit lointain dans la campagne.

– Séparons-nous, dit le maître; où sont tes compagnons?

Lagardère montra sans hésiter la partie des douves qui tournait au delà du pont vers le Hachaz.

– Ici, répliqua-t-il, en embuscade dans le foin.

– C'est bien; tu te souviens du mot de passe?

– J'y suis!

– Bonne chance, et à bientôt.

– A bientôt!

Peyrolles et son compagnon remontèrent l'escalier. Lagardère les suivait des yeux.

Il essuya son front, que la sueur trempait.

– Dieu me tiendra compte à mes derniers moments, se dit-il, de l'effort que j'ai fait pour ne pas mettre mon épée dans le ventre de ces misérables!.. Mais il faut aller jusqu'au bout… Désormais, je veux savoir!

Il mit sa tête entre ses mains, car ses pensées bouillaient dans son cerveau.

Nous pouvons affirmer qu'il ne songeait plus guère à son duel ni à son escalade d'amour.

– Que faire? se dit-il; enlever la petite fille? car ce fardeau, ce doit être l'enfant… mais à qui la confier?.. je ne connais dans ce pays que Carrigue et ses bandouliers… mauvaises gouvernantes pour une jeune demoiselle!.. Et pourtant il faut que je l'aie!.. il le faut!.. Si je ne la tire pas de là, les infâmes tueront l'enfant comme ils comptent tuer le père… Par la mordieu! ce n'était cependant point pour tout cela que j'étais venu!

Il se promenait à grands pas entre les meules de foin. Son agitation était extrême.

A tout instant, il regardait cette fameuse fenêtre basse, pour voir si les contrevents ne roulaient point sur leurs gros gonds rouillés.

Il ne vit rien, mais il entendit bientôt un bruit faible à l'intérieur. C'était la grille qui s'ouvrait derrière les volets.

– Adsum! dit une voix de femme qui tremblait.

Lagardère enjamba d'un saut les bottes de foin qui le séparaient du rempart, et répondit sous la croisée:

– J'y suis!

– Dieu soit loué! fit la voix de femme.

Et les contrevents s'ouvrirent à leur tour.

La nuit était bien obscure, mais les yeux du Parisien étaient faits depuis longtemps aux ténèbres. Dans la femme qui se pencha en dehors de la fenêtre, il reconnut parfaitement Aurore de Caylus, toujours belle, mais pâle et brisée par l'épouvante.

Si vous eussiez dit en ce moment à Lagardère qu'il avait fait dessein d'entrer dans la chambre de cette femme par surprise, il vous eût donné un démenti.

Cela, de la meilleure foi du monde.

Ne fût-ce que pour quelques minutes, sa fièvre folle faisait trêve. Il était sage en restant hardi comme un lion.

Peut-être qu'à cette heure un autre homme naissait en lui.

Aurore regarda au-devant d'elle.

– Je ne vois rien, dit-elle. Philippe, où êtes-vous?

Lagardère lui tendit sa main, qu'elle pressa contre son cœur.

Lagardère chancela. Il se sentit venir des larmes.

– Philippe, Philippe, reprit la pauvre jeune femme, êtes-vous bien sûr de n'avoir pas été suivi? Nous sommes vendus, nous sommes trahis!..

– Ayez courage, madame, balbutia le Parisien.

– Est-ce toi qui as parlé? s'écria-t-elle. Tiens! c'est certain… je deviens folle! je ne reconnais plus ta voix.

L'une de ses mains tenait le fardeau dont M. de Peyrolles et son compagnon avaient parlé; de l'autre, elle se pressa le front, comme pour fixer ses pensées en révolte.

– J'ai tant de choses à te dire! reprit-elle. Par où commencerai-je?

– Nous n'avons pas le temps, murmura Lagardère, qui avait pudeur de surprendre certains secrets; hâtons-nous, madame.

– Pourquoi ce ton glacé?.. pourquoi ne m'appelles-tu pas Aurore? Est-ce que tu es fâché contre moi?

– Hâtons-nous, Aurore! hâtons-nous!

– Je t'obéis, mon Philippe bien-aimé… je t'obéirai toujours!.. Voici notre petite chérie… prends-la… elle n'est plus en sûreté avec moi… Ma lettre a dû t'instruire… Il se trame autour de nous quelque infamie…

Elle tendit l'enfant, qui dormait, enveloppée dans une pelisse de soie.

Lagardère la reçut sans dire une parole.

– Que je l'embrasse encore! s'écria la pauvre mère, dont la poitrine éclatait en sanglots; rends-la moi, Philippe… Ah! je croyais mon cœur plus fort!.. Qui sait quand je reverrai ma fille!

Les larmes noyèrent sa voix.

Lagardère sentit qu'elle lui tendait un objet blanc, et demanda:

– Qu'est-ce que ceci?

– Tu sais bien… Mais tu es aussi troublé que moi, mon pauvre Philippe… Ce sont les pages arrachées au registre de la chapelle, tout l'avenir de notre enfant!

Lagardère prit les papiers en silence. Il craignait de parler.

Les papiers étaient dans une enveloppe au sceau de la chapelle paroissiale de Caylus.

Au moment où il les recevait, un son de cornet à bouquin, plaintif et prolongé, se fit entendre dans la vallée.

– Ce doit être un signal, s'écria mademoiselle de Caylus; sauve-toi, Philippe, sauve-toi!

– Adieu, dit Lagardère jouant son rôle jusqu'au bout pour ne pas briser le cœur de la pauvre jeune mère; ne crains rien, Aurore: ton enfant est en sûreté.

Elle attira sa main jusqu'à ses lèvres et la baisa ardemment.

– Je t'aime! fit-elle seulement à travers ses larmes.

Puis elle ferma les contrevents et disparut.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
130 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
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