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Kitabı oku: «Le Bossu, Volume 1», sayfa 6

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VII
– Deux contre vingt. —

C'était, en effet, un signal.

Trois hommes, portant des cornets de berger, étaient apostés sur la route d'Argelès, que devait suivre M. le duc de Nevers pour se rendre au château de Caylus, où l'appelaient à la fois une lettre suppliante de sa jeune femme et l'insolente missive du chevalier de Lagardère.

Le premier de ces hommes devait envoyer un son au moment où Nevers passerait la Clarabide, le second quand il entrerait en forêt, le troisième quand il arriverait aux premières maisons du hameau de Tarrides.

Il y avait tout le long de ce chemin de bons endroits pour commettre un meurtre. Mais Philippe de Gonzague n'avait point l'habitude d'attaquer en face. Il voulait colorer son crime. L'assassinat devait s'appeler vengeance et passer bon gré mal gré sur le compte de Caylus-Verrous.

Voici donc notre beau Lagardère, notre incorrigible batailleur, notre triple fou, voici donc la première lame de France et de Navarre avec une petite fille de deux ans sur les bras.

Il était, veuillez en être convaincus, fort embarrassé de sa personne; il portait l'enfant gauchement, comme un notaire fait l'exercice; il la berçait dans ses mains maladroites à ce métier nouveau. Il n'avait plus qu'une préoccupation en cet univers: c'était de ne point éveiller la petite fille!..

– Dodo! l'enfant do! disait-il, les yeux humides, mais ne pouvant s'empêcher de rire.

Vous l'eussiez donné en mille à tous les chevau-légers du corps, ses anciens camarades: aucun n'aurait deviné ce que le terrible bretteur faisait en ce moment sur la route de l'exil.

Il était tout entier à sa besogne de bonne d'enfant; il regardait à ses pieds pour ne point donner de secousses à la dormeuse, il eût voulu avoir un coussin d'ouate dans chaque main.

Un second signal plus rapproché envoya sa note plaintive dans le silence de la nuit.

– Que diable est cela? se dit Lagardère.

Mais il regardait la petite Aurore.

Il n'osait pas l'embrasser.

C'était un joli petit être, blanc et rose; ses paupières fermées montraient déjà les longs cils de soie qu'elle héritait de sa mère.

Un ange! un bel ange de Dieu endormi!

Lagardère écoutait son souffle si doux et si pur: Lagardère admirait ce calme profond, ce repos qui était un long sourire.

– Et ce calme, ce repos, se disait-il, au moment où sa mère pleure, au moment où son père… Ah! ah! s'interrompit-il, ceci va changer bien des choses. On a confié un enfant à cet écervelé de Lagardère… c'est bon; pour défendre l'enfant, la cervelle va lui venir.

Puis il reprenait:

– Comme cela dort!.. A quoi peuvent penser ces petits fronts couronnés de leurs boucles angéliques? C'est une âme qui est là dedans. Cela deviendra une femme capable de charmer, d'aimer, hélas! et de souffrir.

Puis encore:

– Comme il doit être bon de gagner peu à peu, à force de soins, à force de tendresse, tout l'amour de ces chères petites créatures, de guetter le premier sourire, d'attendre la première caresse, et qu'il doit être facile de se dévouer tout entier à leur bonheur!

Et mille autres folies que la plupart des hommes de bon sens n'auraient point trouvées.

Et mille naïvetés tendres qui feraient sourire les messieurs, mais qui eussent mis des larmes dans les yeux de toutes les mères.

Et enfin ce mot, ce dernier mot, parti du fond de son cœur comme un acte de contrition:

– Ah! je n'avais jamais tenu un enfant dans mes bras!

A ce moment, le troisième signal partit derrière les cabanes du hameau de Tarrides.

Lagardère tressaillit et s'éveilla. Il avait rêvé qu'il était père.

Un pas vif et sonore se fit entendre au revers du cabaret de la Pomme-d'Adam. Cela ne se pouvait confondre avec la marche de ces soudards qui étaient là tout à l'heure. Au premier son, Lagardère se dit:

– C'est lui!

Nevers avait dû laisser son cheval à la lisière de la forêt.

Au bout d'une minute à peine, Lagardère, qui devinait bien maintenant que ces cris du cornet à bouquin dans la vallée, sous bois et sur la montagne, étaient pour Nevers, le vit passer devant le lumignon qui éclairait l'image de la Vierge à la tête du pont.

La belle tête de Philippe de Nevers, pensive quoique toute jeune, fut illuminée vivement durant une seconde; puis on ne vit plus que la noire silhouette d'un homme à la taille fière et haute; puis encore l'homme disparut.

Nevers descendait les degrés du petit escalier collé au rebord des douves.

Quand il toucha le sol du fossé, le Parisien l'entendit qui mettait l'épée à la main et qui murmurait entre ses dents:

– Deux porteurs de torches ne feraient pas mal ici.

Il s'avança en tâtonnant. Les bottes de foin jetées çà et là le faisaient trébucher.

– Est-ce que ce diable de chevalier me veut faire jouer à colin-maillard! dit-il avec un commencement d'impatience.

Puis, s'arrêtant:

– Holà! n'y a-t-il personne ici?

– Il y a moi, répondit le Parisien, et plût à Dieu qu'il n'y eût que moi!

Nevers n'entendit point la seconde moitié de cette réponse. Il se dirigea vivement vers l'endroit d'où la voix était partie.

– A la besogne, chevalier! s'écria-t-il; livrez-moi seulement le fer, pour que je sache bien où vous êtes. Je n'ai pas beaucoup de temps à vous donner.

Le Parisien berçait toujours la petite fille, qui dormait de mieux en mieux.

– Il faut d'abord que vous m'écoutiez, monsieur le duc, commença-t-il.

– Je vous défie de me persuader cela, interrompit Nevers, après le message que j'ai reçu de vous ce matin. Voici que je vous aperçois; chevalier, en garde!

Lagardère n'avait pas seulement songé à dégaîner.

Son épée, qui d'ordinaire sautait toute seule hors du fourreau, semblait sommeiller comme le beau petit ange qu'il tenait dans ses bras.

– Quand je vous ai envoyé mon message de ce matin, dit-il, j'ignorais ce que je sais ce soir.

– Oh! oh! fit le jeune duc d'un accent railleur, nous n'aimons pas à ferrailler à tâtons, je vois cela.

Il fit un pas, l'épée haute. Lagardère rompit, et dégaîna en disant:

– Écoutez-moi seulement!

– Pour que vous insultiez encore mademoiselle de Caylus, n'est-ce pas?

La voix du jeune duc tremblait de colère.

– Non, sur ma foi! non… je veux vous dire… Diable d'homme! s'interrompit-il en parant la première attaque de Nevers; prenez donc garde!

Nevers, furieux, crut qu'on se moquait de lui.

Il fondit de tout son élan sur son adversaire et lui porta bottes sur bottes avec la prodigieuse vivacité qui le faisait si terrible sur le terrain.

Le Parisien para d'abord de pied ferme et sans riposter. Ensuite, il se mit à rompre en parant toujours, et, à chaque fois qu'il rejetait à droite ou à gauche l'épée de Nevers, il répétait:

– Écoutez-moi! écoutez-moi! écoutez-moi!

– Non, non, non, répondait Nevers accompagnant chaque négation d'une solide estocade.

A force de rompre, le Parisien se sentit acculé tout contre le rempart. Le sang lui montait rudement aux oreilles.

Résister si longtemps à l'envie de rendre un honnête horion, voilà de l'héroïsme!

– Écoutez-moi! dit-il une dernière fois.

– Non! répondit encore Nevers.

– Vous voyez bien que je ne puis plus reculer! fit Lagardère avec un accent de détresse qui avait son côté comique.

– Tant mieux! riposta Nevers.

– Diable d'enfer! s'écria Lagardère à bout de parades et de patience, faudra-t-il vous fendre le crâne pour vous empêcher de tuer votre enfant?

Ce fut comme un coup de foudre. L'épée tomba des mains de Nevers.

– Mon enfant! répéta-t-il; ma fille dans vos bras!..

Lagardère avait enveloppé de son manteau sa charge précieuse. Dans les ténèbres, Nevers avait cru jusqu'alors que le Parisien se servait de son manteau roulé autour du bras gauche comme d'un bouclier. C'était la coutume.

Son sang se figeait dans ses veines quand il pensait aux bottes furieuses qu'il avait poussées au hasard. Son épée aurait pu…

– Chevalier, dit-il, vous êtes un fou, comme moi et tant d'autres… mais fou d'honneur, fou de vaillance… On viendrait me dire que vous vous êtes vendu au marquis de Caylus, sur ma parole, je ne le croirais pas!

– Bien obligé, fit le Parisien, qui soufflait comme un cheval vainqueur après la course; quelle grêle de coups!.. Vous êtes un moulin à estocades, monsieur le duc!

– Rendez-moi ma fille!..

Nevers, disant cela, voulut soulever le manteau.

Mais le Parisien lui rabattit la main d'un petit coup sec.

– Doucement! fit-il, vous allez me la réveiller, vous!

– M'apprendrez-vous du moins…?

– Diable d'homme! il ne voulait pas me laisser parler. Le voilà maintenant qui prétend me forcer à lui conter des histoires. Embrassez-moi cela, père… voyons, légèrement, bien légèrement.

Nevers fit comme on lui disait, machinalement.

– Avez-vous vu quelquefois en salle un tour d'armes pareil? demanda Lagardère avec un naïf orgueil: soutenir une attaque à fond, l'attaque de Nevers, de Nevers en colère, sans riposter une seule fois, avec un enfant endormi dans les bras, un enfant qui ne s'éveille point?

– Au nom du Ciel! supplia le jeune duc.

– Dites au moins que c'est un beau travail!.. Tête-bleu! je suis en nage. Vous voudriez bien savoir…? s'interrompit-il. Assez d'embrassades, papa! Laissez-nous, maintenant. Nous sommes déjà de vieux amis tous deux, la minette et moi. Je gage cent pistoles, et du diable si je les ai! qu'elle va me sourire en s'éveillant.

Il la recouvrit du pan de son manteau avec un soin et des précautions que n'ont certes pas toujours les bonnes nourrices.

Puis il la déposa dans le foin, sous le pont, contre le rempart.

– Monsieur le duc, ajouta-t-il en reprenant tout d'un coup son accent sérieux et mâle, je réponds de votre fille sur ma vie, quoi qu'il arrive. Ce faisant, j'expie autant qu'il est en moi le tort d'avoir parlé légèrement de sa mère, qui est une belle, une noble, une sainte femme!

– Vous me ferez mourir!.. gronda Nevers, qui était à la torture; vous avez donc vu Aurore?

– Je l'ai vue.

– Où cela?

– Ici, à cette fenêtre.

– Et c'est elle qui vous a donné l'enfant?

– C'est elle qui a cru mettre sa fille sous la protection de son époux.

– Je m'y perds!..

– Ah! monsieur le duc, il se passe ici d'étranges choses! Puisque vous êtes en humeur de bataille, vous en aurez, Dieu merci, tout à l'heure à cœur joie!

– Une attaque? fit Nevers.

Le Parisien se baissa tout à coup et mit son oreille contre terre.

– J'ai cru qu'ils venaient, murmura-t-il en se relevant.

– De qui parlez-vous?

– Des braves qui sont chargés de vous assassiner.

Il raconta en peu de mots la conversation qu'il avait surprise, son entrevue nocturne avec M. de Peyrolles et un inconnu, l'arrivée d'Aurore, et ce qui s'en était suivi.

Nevers l'écoutait stupéfait.

– De sorte que, acheva Lagardère, j'ai gagné ce soir mes cinquante pistoles sans aucunement me déranger.

– Ce Peyrolles, disait M. de Nevers en se parlant à lui-même, est l'homme de confiance de Philippe de Gonzague, mon meilleur ami, un frère, qui est présentement dans ce château pour me servir.

– Je n'ai jamais eu l'honneur de me rencontrer avec M. le prince de Gonzague, répondit Lagardère; je ne sais pas si c'était lui.

– Lui!.. se récria Nevers; c'est impossible! Ce Peyrolles a une figure de scélérat; il se sera fait acheter par le vieux Caylus.

Lagardère fourbissait paisiblement son épée avec le pan de sa jaquette.

– Ce n'était pas M. de Caylus, dit-il, c'était un jeune homme. Mais ne nous perdons pas en suppositions, monsieur le duc; quel que soit le nom de ce misérable, c'est un gaillard habile. Ses mesures étaient prises admirablement: il savait jusqu'à votre mot de passe. C'est à l'aide de ce mot que j'ai pu tromper Aurore de Caylus. Ah! celle-là vous aime, entendez-vous! et j'aurais voulu baiser la terre à ses pieds pour faire pénitence de mes fatuités folles. Voyons! s'interrompit-il, n'ai-je plus rien à vous dire? Rien, sinon qu'il y a un paquet scellé sous la pelisse de l'enfant: son acte de naissance et votre acte de mariage. Ah! ah! ma belle! fit-il en admirant son épée fourbie, qui semblait attirer tous les pâles rayons épars dans la nuit, et qui les renvoyait en une gerbe de fugitives étincelles, voici notre toilette achevée… Nous avons fait assez de fredaines! Nous allons nous mettre en branle pour une bonne cause, mademoiselle… et tenez-vous bien!

Le jeune duc serra sa main dans les deux siennes.

– Lagardère, dit-il d'une voix profondément émue, je ne vous connaissais pas… Vous êtes un noble cœur!

– Moi, répliqua le Parisien en riant, je n'ai plus qu'une idée, c'est de me marier le plus tôt possible, afin d'avoir un ange blond à caresser. Mais chut!..

Il tomba vivement sur ses genoux.

– Oh! cette fois, je ne me trompe pas, reprit-il.

Nevers se pencha aussi pour écouter.

– Je n'entends rien, dit-il.

– C'est que vous êtes un duc, répliqua le Parisien.

Puis il ajouta en se relevant:

– On rampe là-bas, du côté du Hachaz, et ici, vers l'ouest.

– Si je pouvais faire savoir à Gonzague en quel état je suis, pensa tout haut Nevers, nous aurions une bonne épée de plus.

Lagardère secoua la tête.

– J'aimerais mieux Carrigue et mes gens avec leurs carabines, répliqua-t-il.

Il s'interrompit tout à coup pour demander:

– Êtes-vous venu seul?

– Avec un enfant: Berrichon, mon page.

– Je le connais; il est leste et adroit. S'il était possible de le faire venir.

Nevers mit ses doigts entre ses lèvres, et donna un coup de sifflet retentissant.

Un coup de sifflet pareil lui répondit derrière le cabaret de la Pomme-d'Adam.

– La question est de savoir, murmura Lagardère, s'il pourra parvenir jusqu'à nous.

– Il passerait par un trou d'aiguille! dit Nevers.

L'instant d'après, en effet, on vit paraître le page au haut de la berge.

– C'est un brave enfant! s'écria le Parisien, qui s'avança vers lui.

– Saute! commanda-t-il.

Le page obéit aussitôt, et Lagardère le reçut dans ses bras.

– Faites vite, dit le petit homme; ils avancent là-haut… Dans une minute, il n'y aura plus de passage.

– Je les croyais en bas, repartit Lagardère étonné.

– Il y en a partout!

– Mais ils ne sont que huit!

– Ils sont vingt pour le moins… Quand ils ont vu que vous étiez deux, ils ont pris les contrebandiers du Mialhat…

– Bah! fit Lagardère, vingt ou huit, qu'importe? Tu vas monter à cheval, mon garçon; mes gens sont là-bas au hameau de Gau… Une demi-heure pour aller et revenir… Marche!

Il le saisit par les jambes et l'enleva. L'enfant se roidit et put saisir le rebord du fossé. Quelques secondes s'écoulèrent, puis un coup de sifflet annonça son entrée en forêt.

– Que diable! dit Lagardère, nous tiendrons bien une demi-heure s'ils nous laissent élever nos fortifications.

– Voyez! fit le jeune duc en montrant du doigt un objet qui brillait faiblement de l'autre côté du pont.

– C'est l'épée de frère Passepoil, un coquin soigneux, qui ne laisse jamais de rouille à sa lame… Cocardasse doit être avec lui… Ceux-là n'attaqueront pas… Un coup de main, s'il vous plaît, monsieur le duc, pendant que nous avons le temps.

Il y avait au fond du fossé, outre les bottes de foin éparses ou accumulées, des débris de toute sorte, des planches, des madriers, des branches mortes. Il y avait, de plus, une charrette à demi chargée que les faneurs avaient laissée lors de la descente de Carrigue et de ses gens.

Lagardère et Nevers, prenant la charrette pour point d'appui et l'endroit où dormait l'enfant pour centre, improvisèrent lestement un système de barricades afin de rompre au moins le front d'attaque des assaillants.

Le Parisien dirigeait les travaux. Ce fut une citadelle bien pauvre et bien élémentaire; mais elle eut du moins ce mérite d'être bâtie en une minute.

Lagardère avait amassé des matériaux çà et là; Nevers entassait les bottes de foin servant de fascines. On laissait partout des passages pour les sorties.

Vauban eût envié cet impromptu de forteresse.

Une demi-heure! il s'agissait de tenir une demi-heure!

Tout en travaillant, Nevers disait:

– Ah çà! bien décidément, vous allez donc vous battre pour moi, chevalier?

– Et comme il faut, monsieur le duc; vous allez voir!.. Pour vous un peu… énormément pour la petite fille!

Les fortifications étaient achevées. Ce n'était rien; mais dans ces ténèbres cela pouvait embarrasser gravement l'attaque. Nos deux assiégés comptaient là-dessus.

Ils comptaient encore plus sur leurs bonnes épées.

– Chevalier, dit Nevers, je n'oublierai pas cela… C'est désormais entre nous à la vie, à la mort!..

Lagardère lui tendit la main; le duc l'attira contre sa poitrine et lui donna l'accolade.

– Frère, reprit-il, si je vis, tout sera commun entre nous… si je meurs…

– Vous ne mourrez pas! interrompit le Parisien.

– Si je meurs… répéta Nevers.

– Eh bien, sur ma part du paradis, s'écria Lagardère avec émotion, je serai son père!

Ils se tinrent un instant embrassés, et jamais deux plus vaillants cœurs ne battirent l'un sur l'autre.

Puis Lagardère se dégagea.

– A nos épées! dit-il, les voici!

Des bruits sourds s'entendirent dans la nuit.

Lagardère et Nevers avaient l'épée nue dans la main droite, leurs mains gauches restaient unies.

Tout à coup, les ténèbres semblèrent s'animer, et un grand cri les enveloppa. Les assassins fondaient sur eux de tous les côtés à la fois.

VIII
– Bataille. —

Ils étaient vingt pour le moins: le page n'avait point menti. Il y avait là, non-seulement des contrebandiers du Mialhat, mais une demi-douzaine de bandouliers, récoltés dans la vallée.

C'était pour cela que l'attaque venait si tard.

M. de Peyrolles avait rencontré les estafiers en embuscade. A la vue de Saldagne, il s'était grandement étonné.

– Pourquoi n'es-tu pas à ton poste? lui demanda-t-il.

– A quel poste?

– Ne t'ai-je pas parlé tout à l'heure dans le fossé?

– A moi?

– Ne t'ai-je pas promis cinquante pistoles?

On s'expliqua.

Quand Peyrolles sut qu'il avait fait un pas de clerc, quand il connut le nom de l'homme à qui il s'était livré, il fut pris d'une grande frayeur.

Les braves eurent beau lui dire que Lagardère était là pour attaquer lui-même, et qu'entre Nevers et lui, c'était guerre à mort, Peyrolles ne fut point rassuré. Il comprit d'instinct l'effet qu'avait dû produire sur une âme loyale et toute jeune la soudaine découverte d'une trahison.

A cette heure, Lagardère devait être un allié du duc.

A cette heure, Aurore de Caylus devait être prévenue.

Car ce que Peyrolles ne devina point, ce fut la conduite du Parisien. Peyrolles ne put concevoir cette témérité de se charger d'un enfant à l'heure du combat.

Staupitz, Pinto, le Matador et Saldagne furent dépêchés en recruteurs. Peyrolles, lui, se chargea d'avertir son maître et de surveiller Aurore de Caylus.

En ce temps, surtout vers les frontières, on trouvait toujours suffisante quantité de rapières à vendre. Nos quatre prévôts revinrent bien accompagnés.

Mais qui pourrait dire l'embarras profond, les peines de conscience, les douleurs en un mot de maître Cocardasse junior et de son alter ego frère Passepoil!

C'étaient deux coquins, nous accordons cela volontiers; ils tuaient pour un prix; leur rapière ne valait pas mieux qu'un stylet de bravo ou qu'un couteau de bandit; mais les pauvres diables n'y mettaient point de malice.

Ils gagnaient leur vie à cela. C'était la faute du temps et des mœurs, bien plus encore que leur faute à eux.

En ce siècle si grand qu'illuminait tant de gloire, il n'y avait guère de brillant qu'une certaine couche superficielle, au-dessous de laquelle était le chaos.

Encore cette couche du dessus avait-elle bien des taches parmi ses paillettes et sur son brocart!

La guerre avait tout démoralisé, depuis le haut jusqu'au bas.

La guerre était mercenaire au premier chef. On peut bien le dire, pour la plupart des généraux comme pour les derniers soldats, l'épée était purement un outil.

Et la vaillance un gagne-pain.

Cocardasse et Passepoil aimaient leur petit Parisien, qui les dépassait de la tête. Quand l'affection naît dans ces cœurs pervertis, elle est tenace et forte.

Cocardasse et Passepoil, d'ailleurs, et à part cette affection dont nous savons l'origine, n'étaient nullement incapables de bien faire. Il y avait de bons germes en eux, et l'affaire du petit orphelin de l'hôtel ruiné de Lagardère n'était pas la seule bonne action qu'ils eussent faite en leur vie au hasard et par mégarde.

Mais leur tendresse pour Henri était leur meilleur sentiment, et, quoiqu'il s'y mêlât bien quelque peu d'égoïsme, puisqu'ils se miraient tous deux dans leur glorieux élève, on peut dire que leur amitié n'avait point l'intérêt pour mobile. Cocardasse et Passepoil auraient volontiers exposé leur vie pour l'amour de Lagardère.

Et voilà que, ce soir, la fatalité les mettait en face de lui! Pas moyen de se dédire! Leurs lames étaient à Peyrolles, qui les avait payées. Fuir ou s'abstenir, c'était manquer hautement au point d'honneur, rigoureusement respecté par leurs pareils.

Ils avaient été une heure entière sans s'adresser la parole. Durant toute cette soirée, Cocardasse ne jura pas une seule fois «capédébiou!»

Ils poussaient tous deux de gros soupirs, à l'unisson. De temps en temps, ils se regardaient d'un air piteux. Ce fut tout.

Quand on se mit en branle pour l'assaut, ils se serrèrent la main tristement.

Passepoil dit:

– Que veux-tu! nous ferons de notre mieux.

Et Cocardasse soupira:

– Ça ne se peut pas, frère Passepoil, ça ne se peut pas. Fais comme moi.

Il prit dans la poche de ses chausses le bouton d'acier qui lui servait en salle, et l'adapta au bout de son épée. Passepoil l'imita.

Tous deux respirèrent alors: ils avaient le cœur plus libre.

Les estafiers et leurs nouveaux alliés s'étaient divisés en trois troupes. La première avait tourné les douves pour arriver du côté de l'ouest; la seconde gardait sa position au delà du pont; la troisième, composée principalement de bandouliers et de contrebandiers conduits par Saldagne, devait attaquer de face, en arrivant par le petit escalier.

Lagardère et Nevers les voyaient distinctement depuis quelques secondes. Ils auraient pu compter ceux qui se glissaient le long de l'escalier.

– Attention! avait dit Lagardère; dos à dos… toujours l'appui au rempart… L'enfant n'a rien à craindre, il est protégé par le poteau du pont… Jouez serré, monsieur le duc! Je vous préviens qu'ils sont capables de vous enseigner à vous-même votre propre botte, si, par cas, vous l'avez oubliée… C'est encore moi, s'interrompit-il avec dépit, c'est encore moi qui ai fait cette sottise-là! mais tenez-vous ferme. Quant à moi, j'ai la peau trop dure pour ces épées de malotrus.

Sans les précautions qu'ils avaient prises à la hâte, ce premier choc des estafiers eût été terrible. Ils s'élancèrent, en effet, tous à la fois et tête baissée en criant:

– A Nevers! à Nevers!

Et, par-dessus ce cri général, on entendait les deux voix amies du Gascon et du Normand, qui éprouvaient une certaine consolation à constater ainsi qu'ils ne s'adressaient point à leur ancien élève.

Les estafiers n'avaient aucune idée des obstacles accumulés sur leur passage. Ces remparts qui ont pu sembler au lecteur une pauvre et puérile ressource, firent d'abord merveille.

Tous ces hommes à lourds accoutrements et à longues rapières vinrent donner dans les poutres et s'embarrasser parmi le foin. Bien peu arrivèrent jusqu'à nos deux champions, et ceux-là en portèrent la marque.

Il y eut du bruit, de la confusion; en somme, un seul bandoulier resta par terre.

Mais la retraite ne ressembla pas à l'attaque.

Dès que le gros des assassins commença à plier, Nevers et son ami prirent à leur tour l'offensive.

– J'y suis! j'y suis! crièrent-ils en même temps.

Et tous deux s'élancèrent en avant.

Le Parisien perça du premier coup un bandoulier d'outre en outre; ramenant l'épée et coupant à revers, il trancha le bras d'un contrebandier; puis, ne pouvant arrêter son élan, et arrivant sur le troisième de trop court, il lui écrasa le crâne d'un coup de pommeau.

Ce troisième était l'Allemand Staupitz, qui tomba lourdement à la renverse.

– J'y suis! j'y suis!

Nevers taillait aussi de son mieux. Outre un partisan qu'il avait jeté sous les roues de la charrette, le Matador et Joël étaient grièvement blessés de sa main.

Mais, comme il allait achever ce dernier, il vit deux ombres qui se glissaient le long du mur dans la direction du pont.

– A moi, chevalier! cria-t-il en retournant précipitamment sur ses pas.

Lagardère ne prit que le temps d'allonger un vertueux fendant à Pinto, qui, tout le restant de sa vie, ne put montrer qu'une seule oreille.

– Vive Dieu! dit-il en rejoignant Nevers, j'avais presque oublié l'ange blond, mes amours!

Les deux ombres avaient pris le large.

Un silence profond régnait dans les douves. Il y avait un quart d'heure de passé.

– Reprenez haleine vivement, monsieur le duc, dit Lagardère: les drôles ne nous laisseront pas longtemps en repos… Êtes-vous blessé?

– Une égratignure.

– Où cela?

– Au front.

Le Parisien ferma les poings et ne parla plus. C'étaient les suites de sa leçon d'escrime.

Deux ou trois minutes se passèrent ainsi, puis l'assaut recommença, mais, cette fois, sérieusement et avec ensemble.

Les assaillants arrivaient sur deux lignes et prenaient soin d'écarter les obstacles avant de passer outre.

– C'est l'heure de battre fort et ferme! dit Lagardère à demi voix; surtout, ne vous occupez que de vous, monsieur le duc… Je couvre l'enfant.

C'était un cercle silencieux et sombre, qui allait se rétrécissant autour d'eux.

– A Nevers! dit une voix.

Dix lames s'allongèrent.

– J'y suis! fit le Parisien, qui bondit en avant encore une fois.

Le Tueur poussa un cri et tomba sur le corps de deux bandouliers foudroyés.

Les estafiers reculèrent, mais de quelques semelles seulement.

Ceux qui venaient les derniers criaient toujours:

– A Nevers! à Nevers!

Et Nevers répondait, car il s'échauffait au jeu:

– J'y suis, mes compagnons. Voici de mes nouvelles… Encore!.. encore!

Et, chaque fois, sa lame sortait humide et rouge.

Ah! c'étaient deux fiers lutteurs!

– A toi, seigneur Saldagne! criait le Parisien; c'est le coup que je t'enseignai à Ségorbe! A toi, Faënza!.. Mais approchez donc; il faudrait, pour vous atteindre, des hallebardes de cathédrale!

Et il piquait! et il fauchait! Il ne se trouvait déjà plus un seul des bandouliers qu'on avait mis en avant.

Derrière les contrevents de la fenêtre basse, il y avait quelqu'un. Ce n'était plus Aurore de Caylus.

Il y avait deux hommes qui écoutaient, le frisson dans les veines et la sueur glacée au front.

C'étaient M. de Peyrolles et son maître.

– Les misérables! dit le maître, ils ne sont pas assez de dix contre un!.. Faudra-t-il que je me mette de la partie?

– Prenez garde, monseigneur!

– Le danger est qu'il en reste un de vivant! dit le maître.

Au dehors:

– J'y suis! j'y suis!

En vérité, le cercle s'élargissait; les coquins pliaient. Et il ne restait plus que quelques minutes pour parfaire la demi-heure.

Lagardère n'avait pas une écorchure. Nevers n'avait que sa piqûre au front.

Et tous deux auraient pu ferrailler encore pendant une heure du même train.

Aussi la fièvre du triomphe commençait à les emporter. Sans le savoir, et surtout sans le vouloir, ils s'éloignaient parfois de leur poste pour aborder le front des spadassins. Le cercle de cadavres et de blessés qui était autour d'eux ne prouvait-il pas assez clairement leur supériorité? Cette vue les exaltait. La prudence s'enfuit quand l'ivresse va naître. C'était l'heure du véritable danger.

Ils ne voyaient point que tous ces cadavres et ces gens hors de combat étaient des auxiliaires mis en avant pour les lasser. Les maîtres d'armes restaient debout, sauf un seul, Staupitz, qui n'était qu'évanoui.

Les maîtres d'armes se tenaient à distance; ils attendaient leur belle. Ils s'étaient dit:

– Séparons-les seulement, et, s'ils sont de chair et d'os, nous les aurons.

Toute leur manœuvre, depuis quelques instants, tendait à attirer en avant un des deux champions, tandis qu'on maintiendrait l'autre acculé à la muraille.

Joël de Jugan, blessé deux fois, Faënza, Cocardasse et Passepoil furent chargés de Lagardère; les trois Espagnols allèrent contre Nevers.

La première bande devait lâcher pied à un moment donné; l'autre, au contraire, devait tenir quand même. Elles s'étaient partagé le restant des auxiliaires.

Dès le premier choc, Cocardasse et Passepoil se mirent en arrière. Joël et l'Italien, sujet de notre saint-père, reçurent chacun un horion bien appliqué. En même temps, Lagardère, se retournant, balafra le visage du Tueur, qui serrait de trop près M. de Nevers.

Un cri de sauve qui peut se fit entendre.

– En avant! dit le Parisien bouillant.

– En avant! répéta le jeune duc.

Et tous deux:

– J'y suis! j'y suis!

Tout plia devant Lagardère, qui, en un clin d'œil, fut à l'autre bout du fossé.

Mais le duc trouva devant lui un mur de fer. Tout au plus son élan gagna-t-il quelques pas.

Il n'était pas homme à crier au secours. Il tenait bon, et Dieu sait que les trois Espagnols avaient de la besogne! Pinto et Saldagne étaient déjà blessés tous les deux.

A ce moment, la grille de fer qui fermait la fenêtre basse tourna sur ses gonds.

Nevers était à trois toises environ de la fenêtre.

Les contrevents s'ouvrirent. Il n'entendit pas, environné qu'il était de mouvement et de bruit.

Deux hommes descendirent l'un après l'autre dans la douve. Nevers ne les vit point.

Ils avaient tous deux à la main leurs épées nues. Le plus grand avait un masque sur le visage.

– Victoire! cria le Parisien, qui avait fait place nette autour de lui.

Nevers lui répondit par un cri d'agonie.

Un des deux hommes descendus par la fenêtre basse, le plus grand, celui qui avait un masque sur le visage, venait de lui passer son épée au travers du corps par derrière.

Nevers tomba. – Le coup avait été porté, comme on disait alors, à l'italienne, c'est-à-dire savamment, et comme on fait une opération de chirurgie.

Les lâches estocades qui vinrent après étaient inutiles.

En tombant, Nevers put se retourner. Son regard mourant se fixa sur l'homme au masque.

Une expression d'amère douleur décomposa ses traits.

La lune, à son dernier quartier, se levait tardivement derrière les tourelles du château.

On ne la voyait point encore, mais sa lumière diffuse éclairait vaguement les ténèbres.

– Toi! c'est toi! murmura Nevers expirant; toi, Gonzague! toi, mon ami, pour qui j'aurais donné cent fois ma vie!

– Je ne la prends qu'une fois, répondit froidement l'homme au masque.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
130 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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