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Kitabı oku: «La main froide», sayfa 17

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VI. Elle parut longue à Paul Cormier…

Elle parut longue à Paul Cormier, cette nuit qu’il passa tout entière à s’agiter dans son lit sans pouvoir trouver le sommeil qui le fuyait, et dont il aurait eu grand besoin pour remettre un peu d’ordre dans ses idées.

Le jour était levé depuis longtemps, lorsqu’il put fermer l’œil, et il fut réveillé par sa femme de ménage qui vint lui dire que deux messieurs demandaient à le voir.

Elle ne les connaissait pas et ils n’avaient pas voulu dire leurs noms.

En d’autres circonstances, Paul aurait absolument refusé de les recevoir; mais il était dans le cas de ne pas renvoyer les gens, sans savoir ce qu’ils lui voulaient.

Il leur fit dire d’attendre qu’il fût levé et il sauta en bas du lit pour s’habiller rapidement.

Son logement n’était pas si grand que les visiteurs qui se présentaient fussent hors de portée d’entendre ce qui se passait dans la chambre où il couchait.

La femme de ménage avait d’ailleurs négligé de fermer les portes de communication.

Si bien qu’une voix s’éleva, voix que Paul reconnut et qui disait:

– Ne fais pas tant de façons. C’est moi, Bardin, et je suis avec un ami qui te dispense de toute cérémonie. Tu peux nous recevoir en chemise, si tu veux.

– Entrez alors, cria Paul, tout en se demandant qui Bardin lui amenait.

Dans la situation où il était, tout l’inquiétait.

Il se rassura en voyant Lestrigou, mais il ne devina pas ce que venaient faire chez lui, si matin, les deux vieux avocats qu’il avait quittés la veille au soir.

– Encore au lit, june homme? lui dit le ci-devant bâtonnier.

– Quelle heure est-il donc? demanda Paul en passant un pantalon.

– Midi passé et très passé, mon garçon, répondit Bardin.

À quoi donc as-tu employé ta nuit, que tu te réveilles si tard?… Est-ce que tu as encore fait des bêtises?

– Oh! non…, à minuit, j’étais au lit…, seulement j’ai eu beaucoup de peine à m’endormir.

– Parce tu as l’habitude de te coucher à des heures indues. Lestrigou et moi, ce matin, nous étions debout dès l’aurore… et pourtant Lestrigou avait passé l’autre nuit en chemin de fer.

Tu ne te doutes pas d’où nous venons?

– Pas du tout.

– Nous venons de l’avenue Montaigne. Lestrigou avait hâte de voir cette marquise de Ganges pour lui demander l’adresse de l’héritière. J’ai eu beau lui dire qu’il ne fait pas jour chez les marquises avant quatre heures du soir, il a voulu absolument se présenter chez elle, le matin.

– Et elle vous a reçus?

– Ah! bien, oui!… nous nous sommes heurtés à un grand laquais galonné sur toutes les coutures, qui a commencé par nous répondre que sa maîtresse n’était pas visible. Nous avons insisté. Lestrigou a donné sa carte sur laquelle il avait écrit quelques mots pour indiquer le but de sa visite. Le laquais a refusé de s’en charger. Et comme je me fâchais, il a fini par me dire que madame la marquise était en voyage.

– C’est peut-être vrai, murmura Paul.

Madame de Ganges, la dernière fois qu’il l’avait vue, lui avait annoncé qu’elle était à peu près décidée à quitter Paris.

– Je n’en ai pas cru un mot, reprit Bardin. Lestrigou non plus. Quelles raisons a cette dame pour se cacher? Nous n’en savons rien, mais certainement elle se cache. Nous pouvons nous passer d’elle, mais il nous faut l’héritière; et je viens de décider Lestrigou à s’adresser à la préfecture de police qui saura bien la retrouver.

– Vous ne ferez pas cela! s’écria Paul.

– Et pourquoi pas?

– Parce que vous compromettriez une femme qui n’a peut-être rien à se reprocher.

– Qu’en sais-tu? Est-ce que tu la connais?

– Non… mais elle est très honorablement connue à Paris, et si vous faisiez intervenir la police dans une affaire où son nom serait mêlé, vous lui feriez le plus grand tort.

– J’en serais bien fâché, dit Lestrigou. Je suis un vieil ami de la famille, et quand elle était jeune fille, je n’ai jamais eu qu’à me louer d’elle. Le diable, c’est que je ne sais comment m’y prendre pour mettre la main sur Bernadette.

– Bernadette! répéta Paul, qui entendait pour la première fois prononcer ce nom-là.

– Eh! oui… Bernadette Lamalou… l’orpheline que mademoiselle de Marsillargues a recueillie à Fabrègues et qui ne l’a pas quittée depuis cinq ou six ans… Celle-là aussi m’intéresse, et il me tarde de m’aboucher avec elle… si je connaissais un moyen d’y parvenir, sans mettre sa protectrice en cause…

– Voulez-vous que j’essaie, moi? demanda brusquement Cormier.

– Vous, june homme!… eh! mais, ça né sérait pas dé refus, si jé croyais qué…

– Perds-tu l’esprit? s’écria Bardin. Comment feras-tu pour…

– Ne me demandez pas d’explication. Je ne pourrais pas vous en donner.

Mais je m’engage à vous dire ce soir si la marquise de Ganges est encore à Paris et si sa protégée habite avec elle.

Bardin consulta d’un coup d’œil son ami Lestrigou qui approuva d’un signe de tête.

– Quand les sages sont à bout de leur latin, dit en haussant les épaules le vieil ami de madame Cormier, ce qu’ils ont de mieux à faire c’est de passer la main à un fou. Va donc, mon garçon. Tu as carte blanche, jusqu’à demain. Nous attendrons ton rapport avant de commencer des démarches officielles… nous l’attendrons chez moi, jusqu’à midi… Et maintenant, sois libre de ton temps… tu n’en as pas à perdre, si tu veux réussir… J’étais venu te chercher pour m’aider à faire à Lestrigou les honneurs de ton quartier Latin qu’il veut absolument revoir, mais je les lui ferai sans toi. Au revoir!… à demain matin!

Lestrigou n’ajouta rien; il s’était mis sous la direction de Bardin, et il ne voyait plus que par ses yeux. À Montpellier, c’eût été l’inverse; mais à Paris, l’ancien bâtonnier se trouvait tout dépaysé et il sentait la nécessité de se laisser guider par son vieil ami.

Cormier les laissa partir bien volontiers. Ils l’auraient gêné; ils le gênaient déjà. Mais il ne regrettait pas de les avoir vus. Leur arrivée l’avait tiré de la torpeur où il était après une mauvaise nuit, comme un coup de fouet remet le cœur au ventre à un bon cheval accablé de fatigue. Son esprit, engourdi par un lourd sommeil succédant à une longue insomnie, s’était réveillé tout à coup; ses idées s’étaient éclaircies, et il voyait enfin la situation telle qu’elle était.

Il ne s’agissait plus de chercher des combinaisons pour arriver à pénétrer les secrets de la marquise. Il s’agissait de la voir à tout prix, qu’elle le voulût ou non, et d’avoir avec elle une explication décisive, pas pour l’accabler de reproches, comme il l’avait résolu la veille, mais pour exiger d’elle la vérité sur tous les points et pour rompre, s’il acquérait la certitude qu’elle s’était moquée de lui.

Il ne croyait pas à son départ précipité et il se promettait de faire, s’il le fallait, le siège de son hôtel jusqu’à ce qu’elle consentît à l’entendre.

Autrement, il n’avait pas de plan arrêté. Il comptait s’inspirer des circonstances.

Il acheva de s’habiller et il déjeuna en toute hâte, comme il l’avait fait le jour de sa première visite à madame de Ganges, le lendemain du duel.

Et, cette fois, quand il descendit dans la rue, il n’y aperçut pas de fiacre suspect.

Brunachon semblait avoir désarmé, car il n’avait plus donné signe de vie à Cormier, depuis qu’ils s’étaient trouvés face à face dans le cabinet du juge d’instruction.

Peut-être comptait-il sur l’appui du vicomte de Servon pour monter une agence de renseignements.

Et quoi qu’il en fût, Paul n’avait plus à se préoccuper des attaques de ce maître chanteur, car Paul n’avait plus rien à cacher de ce qui le concernait personnellement, et il ne se croyait plus tenu de préserver madame de Ganges d’un dénonciation.

En descendant de voiture à l’entrée de l’avenue Montaigne, il s’assura d’un coup d’œil que ce drôle ne rôdait pas aux abords de l’hôtel et il se glissa en rasant les maisons jusqu’à la porte cochère qu’il s’attendait à trouver fermée.

À sa grande surprise, il la trouva, non pas ouverte, mais largement entrebâillée.

C’était une heureuse chance et il n’hésita pas à en profiter pour entrer sans sonner.

Il prévoyait qu’il n’irait pas loin sans avoir maille à partir avec le valet récalcitrant qui lui avait barré le passage, lors de sa première et unique visite.

Il ne vit personne, et au lieu de manifester sa présence en appelant, il traversa vivement la cour et pénétra dans le jardin où la marquise l’avait reçu.

Si elle y était, il allait la surprendre et elle ne pourrait pas lui échapper.

Il ne souhaitait rien de mieux, car le lieu était propice entre tous à une explication décisive qui pouvait devenir orageuse.

La marquise n’y était pas.

Il fit le tour du jardin sans la rencontrer et sans qu’aucun domestique se montrât.

Paul se demanda si l’hôtel était abandonné et il fut tenté de croire que madame de Ganges avait vraiment quitté Paris, en emmenant tout le personnel de sa maison.

Une découverte qu’il fit changea le cours de ses idées.

Sur le banc où il l’avait vue assise, au pied d’un acacia, il aperçut un sabre, une giberne et un fusil minuscules: tout l’attirail d’un petit garçon qui aime à jouer au soldat.

– Ah! murmura-t-il, en pâlissant, l’enfant est à elle.

Il n’y avait guère moyen d’en douter.

Ces jouets oubliés là attestaient que le jardin de l’hôtel servait aux ébats d’un enfant, et que cet enfant était un garçon; car les petites filles n’ont pas coutume de s’amuser avec des réductions d’ustensiles militaires. Les petites filles s’amusent avec des poupées.

Et ce garçon ne pouvait être que le belliqueux gamin qui s’était si bien gendarmé, la veille, contre un gardien du Luxembourg.

En fait de joujoux, celui-là devait préférer les sabres.

Et si la marquise venait de quitter Paris, il était permis de supposer qu’elle l’avait laissé pour compte à Mirande.

Son garde-du-corps, Coussergues, était resté pour veiller à ce que Mirande ne se débarrassât pas du petit, en le déposant à la Préfecture de police comme il aurait déposé un parapluie trouvé dans la rue.

Tout s’expliquait ainsi; et madame de Ganges, qui n’avait pas cessé de mentir à Paul Cormier depuis qu’elle le connaissait, madame de Ganges, fille-mère ou épouse infidèle, ne méritait pas que Paul la défendît.

Ses indignations le reprirent, et cette fois, il ne se donna pas la peine d’examiner le pour et le contre, ni même de chercher un valet qui le renseignât sur le brusque départ de la dame.

Il ne pensa qu’à sortir de cet hôtel où il se jurait de ne plus remettre les pieds.

Que lui importait maintenant l’héritière aux six millions? Il avait promis à Bardin et à Lestrigou de leur dire où ils trouveraient cette protégée introuvable; mais à l’impossible, nul n’est tenu. Il leur dirait qu’elle avait probablement quitté Paris avec sa protectrice et il ne se gênerait plus pour leur dire tout ce qu’il savait sur la marquise.

Ah! Lestrigou, maintenant, pouvait bien s’adresser à la police! Paul n’interviendrait pas pour l’en empêcher.

Il s’en alla comme il était venu, sans rencontrer personne, et il trouva la porte entrouverte comme il l’avait laissée.

Rien ne bougea dans cette vaste demeure où les domestiques étaient nombreux. On eût dit le château de la Belle au bois dormant.

Paul, une fois dehors, se demanda comment il emploierait le reste de sa journée.

Il serait bien allé rue des Arquebusiers, à seule fin de renseigner ses vieux amis, mais il n’espérait pas les y trouver.

Ils avaient annoncé l’intention de parcourir le quartier Latin, en quête de leurs anciens souvenirs, et cette tournée rétrospective les retiendrait probablement plusieurs heures.

Mieux valait que Paul attendît au lendemain pour leur faire son rapport.

Et comme il éprouvait le besoin de confier ses peines à un ami, il songea aussitôt à se rendre chez Mirande et à lui dire tout ce qu’il avait sur le cœur.

Il cherchait des yeux une voiture, lorsqu’il vit venir à lui le vicomte de Servon.

Ce gentilhomme arrivait du côté des Champs-Elysées et il avait tout l’air d’aller faire une visite à la marquise.

Il l’avait à peu près annoncée, la veille, cette visite, en causant avec Paul, au café Soufflot, et il était tout naturel qu’il la fît.

Paul aurait voulu l’éviter, car il n’était pas disposé à le prendre pour confident; mais le vicomte l’avait aperçu de très loin et Paul n’avait plus le temps de se dérober.

Ils s’abordèrent poliment et le premier mot de M. de Servon fut:

– Vous venez de voir madame de Ganges, je suppose?

– Je n’ai pas été reçu, répondit évasivement Cormier. Peut-être, monsieur, serez-vous plus heureux que moi.

– Ma foi! je vais essayer… et comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, hier, je me propose de lui signaler les manœuvres de l’homme qui vous a dénoncé et qui pourrait la calomnier, si on n’y met ordre.

– C’est ce que j’aurais fait si je l’avais vue… mais vous êtes mieux à même que moi d’agir contre ce misérable, puisque vous connaissez tous ses antécédents.

M. de Servon avait cette finesse que donne la pratique du monde et des hommes. Il remarqua très bien que l’étudiant paraissait ne plus s’intéresser autant à madame de Ganges, et pour savoir à quoi s’en tenir sur les sentiments qu’elle lui inspirait, il se mit à parler d’elle sur un ton plus dégagé que respectueux.

– C’est, en vérité, une étrange personne que cette marquise, dit-il en souriant. On lui pardonne tout, parce qu’elle est adorablement jolie, mais il faut convenir qu’elle a fait tout ce qu’il fallait pour se déclasser. Toute autre qu’elle y aurait réussi depuis longtemps; mais le monde a de ces indulgences pour les femmes qui savent se bien poser dès le début. Décidément, elle est très forte.

Paul aurait volontiers fait chorus avec M. de Servon, mais il lui déplut de l’entendre traiter si légèrement madame de Ganges et, de par son instinct d’amoureux mal guéri, il essaya de la défendre.

– J’ignorais qu’on médît d’elle dans les salons où on la reçoit, répliqua-t-il assez sèchement.

– Oh! pas dans ceux-là…, mais elle ne tient pas à Paris le rang auquel son nom et sa fortune lui permettraient de prétendre…

Et lorsqu’on saura comment son mari est mort, elle va se trouver dans une situation difficile. Mais nous sommes, vous et moi, disposés à la soutenir et tout s’arrangera, j’en suis persuadé.

Paul ne répondit pas. Il cherchait une transition pour prendre congé sans brusquerie de ce causeur malveillant.

– Elle est singulière en tout, reprit l’indiscret vicomte. Avez-vous remarqué, cher monsieur, qu’elle ne se dégante jamais?

– Non, balbutia Cormier, je l’ai si peu vue…

– Elle a encore une autre manie: celle de ne jamais permettre qu’on lui serre la main… pas même le bout des doigts.

Paul s’en était aperçu deux fois, mais il ne lui convenait pas de le dire et il prit un air étonné qui n’arrêta pas le cours des médisances du vicomte, car il ajouta:

– Il paraît qu’elle est affligée d’une infirmité bizarre. La peau de ses mains est glacée comme la peau d’un serpent. Quand elle était jeune fille, ses compagnes l’appelaient la Main-Froide. Si jamais elle faisait une exception en ma faveur, je me figure qu’en la touchant, j’éprouverais une impression désagréable.

Et comme Paul persistait à ne pas répondre, M. de Servon reprit gaiement:

– Je ne sais pourquoi je vous parle de cela, cher monsieur. Ce sont des bruits de salon qui ne valent pas qu’on les rapporte; et, qu’ils soient fondés ou non, madame de Ganges est charmante.

Et puis, il y a le dicton: main froide, chaudes amours… J’incline à croire qu’il s’applique très bien à la marquise… je voudrais qu’il me fût donné d’en faire l’expérience, mais je ne l’espère pas… et je vous quitte pour aller lui présenter mes hommages très platoniques… si elle veut bien ne pas me fermer sa porte.

Au revoir, et toutes mes excuses de vous avoir retenu si longtemps.

Cormier se garda de le retenir. Ce gentilhomme l’agaçait avec ses insinuations et son persifflage dont il n’apercevait pas le but.

Cormier voulait bien maudire madame de Ganges, mais il avait souffert impatiemment qu’un autre en dît du mal devant lui, et il ne pensa qu’à s’éloigner pour éviter de rencontrer de nouveau M. de Servon, quand il sortirait de l’hôtel de la marquise absente.

Il tourna donc à droite et il se jeta sous les arbres, afin de gagner le quai en passant derrière le Palais de l’Industrie.

Là, il sauta dans une voiture et il se fit conduire au boulevard

Saint-Germain.

Il en fut pour sa course. Mirande était sorti avec le petit garçon. Paul l’avait manqué d’un quart d’heure. Le concierge lui dit qu’il était sorti à pied. Paul pensa qu’il devait être allé au Luxembourg comme il le lui avait annoncé la veille, et Paul remonta en fiacre pour l’y aller rejoindre.

Il savait ce que son camarade y allait faire: chercher la mère de l’enfant perdu ou plutôt l’y attendre.

C’était une raison pour que Paul qui la cherchait aussi, et qui croyait la connaître, se rendît là où il lui restait quelque chance de la rencontrer.

Il descendit devant la grille qui borde la rue de Vaugirard, à la hauteur de la rue Féron, paya son cocher et entra dans le jardin, bien décidé à n’en pas sortir avant d’avoir trouvé son camarade.

Mirande venait là comme un pêcheur va tendre ses filets. L’enfant allait lui servir d’appât pour attirer la mère. Mirande avait dû s’établir à la place où la mère avait laissé la veille ce singulier petit garçon.

Paul commença donc sa tournée par ce bout de la terrasse. Il reconnut la boutique à joujoux près de laquelle le gamin s’était retranché pour résister à l’adjudant qui voulait l’emmener; mais il ne vit ni Mirande ni le jeune Roch. Sans doute, il les avait devancés et ils n’allaient pas tarder à paraître.

L’idée lui vint d’interroger la marchande en lui expliquant comment l’enfant était habillé, et cette femme lui répondit qu’il venait à peu près tous les jours avec sa mère, vers quatre heures.

Elle l’avait encore vu la veille et comme elle avait fermé boutique de bonne heure, elle n’avait pas assisté à la scène avec le gardien.

Paul, ainsi renseigné, poussa plus loin sur la terrasse, dans la direction de la Pépinière, afin de s’assurer que Mirande ne se promenait pas de ce côté-là.

Il ne le rencontra point et il rebroussa chemin, dans l’intention de revenir à son point de départ et d’y rester.

Ce n’était pas dimanche et le temps n’était pas très sûr. Il y avait peu de monde sur la terrasse: quelques femmes assises, par ci, par là, sur des chaises.

Paul, avant de revenir sur ses pas, se mit à les passer en revue, et resta pétrifié en apercevant la marquise de Ganges.

Elle s’était assise à la place qu’elle occupait déjà le jour où il l’avait rencontrée pour la première fois, au bout de la terrasse du côté de l’allée de l’Observatoire, adossée au piédestal d’une statue— la même— et absolument seule.

Elle ne voyait pas Paul Cormier, et elle ne l’avait pas remarqué lorsqu’il avait passé devant elle, pas plus qu’il ne l’avait remarquée.

Ce n’était pas elle qu’il cherchait, c’était Mirande et le petit garçon.

Mais il suffit qu’il aperçût madame de Ganges pour qu’il oubliât ce qu’il était venu faire au Luxembourg.

Il la retrouvait enfin, cette marquise introuvable qui faisait dire par ses gens qu’elle avait quitté Paris.

L’occasion était belle pour lui demander une explication qu’elle lui devait bien et il alla droit à elle, résolu à en finir et à ne pas la ménager.

Il fut presque brutal.

An lieu de la saluer, en l’abordant, il fit ce que Mirande avait fait, le dimanche de la première rencontre.

Il s’empara d’une chaise et il s’assit en face d’elle, sans prononcer une parole.

Elle pâlit et fut sur le point de se lever, mais elle resta et elle lui dit d’une voix altérée par l’émotion:

– Je vous en supplie, monsieur, laissez-moi.

– Désolé de vous refuser, répliqua-t-il durement. Je me suis présenté chez vous et vous n’y étiez pas. Puisque je vous rencontre, il faut absolument que je vous parle.

– Pas maintenant. Je vous recevrai quand vous voudrez; mais en ce moment, je ne puis pas vous entendre.

– Vous m’entendrez, pourtant; car je vous préviens que si vous quittez la place, je vais vous suivre. Ce sera, si vous voulez, une nouvelle promenade en fiacre, mais cette fois je ne descendrai pas en route pour vous être agréable.

– Que vous ai-je fait pour que vous preniez ce ton avec moi? demanda madame de Ganges qui se remettait peu à peu de son trouble.

– Vous vous êtes moquée de moi… vous avez menti… il faut bien que j’appelle les choses par leur nom…

– Je n’ai jamais menti de ma vie, interrompit froidement la marquise.

– Excepté le jour où vous m’avez juré que mon ami, Jean de Mirande, vous était indifférent.

– Vous vous trompez. Je vous ai dit que je ne l’aimais pas et que je ne pouvais pas l’aimer, voilà tout.

– Oh! je ne viens pas vous faire une scène de jalousie!

– Vous n’en avez pas le droit, dit avec beaucoup de dignité madame de

Ganges. Il vous a plu de me déclarer que vous m’aimiez, moi que vous connaissiez à peine. Je ne vous y ai pas encouragé, et surtout je ne vous ai rien promis. Que me reprochez-vous?

– D’avoir essayé de me faire jouer un rôle ridicule, en vous servant de moi pour en venir à vos fins.

– Je ne comprends pas.

– Vous comprenez très bien. Votre but, je ne l’ai pas encore deviné, mais je suis certain que vous n’oseriez pas l’avouer… et tenez! je voudrais que Mirande fût ici… peut-être vous décideriez-vous à jouer cartes sur table… Il y viendra, du reste…

Madame de Ganges tressaillit, mais elle ne dit mot.

– Oui, madame, je comptais l’y trouver et je vais l’attendre.

– Comme il vous plaira, monsieur. Vous êtes libre de rester, et je suis libre de partir.

– Pas seule.

– Est-ce à dire que vous prétendez me suivre, malgré ma volonté?

– Je prétends que vous m’écoutiez jusqu’au bout.

– Hâtez-vous alors et parlez clairement. Que voulez-vous de moi?

– Je veux la vérité.

– Sur quoi?

Paul hésita, retenu par un reste de délicatesse qui l’empêchait de blesser une femme qu’il aimait en lui posant à brûle-pourpoint une question qu’il avait sur les lèvres.

La passion l’emporta et il lui dit brusquement:

– Vous n’avez jamais eu d’enfants?…

Cette fois, la grossièreté était si forte que les larmes vinrent aux yeux de madame de Ganges; mais elle resta maîtresse d’elle-même et ce fut avec calme qu’elle répondit:

– Jamais, monsieur. Pourquoi me demandez-vous cela?

– Parce que je croyais que vous en aviez un.

– Et sur quoi fondiez-vous cette supposition offensante pour moi.

– Offensante? mais non, puisque vous n’êtes veuve que depuis trois jours. Vous étiez mariée, je pense, depuis plusieurs années. Vous pouvez bien avoir eu un enfant de votre mari.

– Si j’en avais un, il ne me quitterait pas, et vous ne l’avez jamais vu avec moi.

– Non… je n’ai vu que ses joujoux qu’il a oubliés sur un banc de votre jardin. J’y suis entré aujourd’hui, dans ce jardin. La porte de votre hôtel était ouverte, et je n’ai pas trouvé un de vos gens pour me répondre.

– Et de ce qu’un enfant a laissé ses jouets chez moi, vous concluez que je suis sa mère?

– J’ai d’autres preuves.

– Lesquelles, je vous prie?

– Comment vous appelez-vous de votre petit nom?

– Marcelle, répondit sans hésiter la marquise.

– Vous avez donc deux noms?… L’autre, c’est Jacqueline… vous me l’avez dit, en voiture, dimanche dernier.

– C’est vrai. Je m’en souviens. Vous me pressiez de vous l’apprendre et à ce moment-là, je ne savais pas encore si je vous reverrais jamais. Je vous ai donné le premier nom qui m’est venu à l’esprit.

Du reste, un quart d’heure après, vous avez pu entendre mon amie madame

Dozulé me nommer Marcelle.

– Marcelle de Marsillargues, alors?

– Oui, je suis née de Marsillargues. Comment la savez-vous?… je ne vous l’ai jamais dit.

– Qu’importe comment je le sais?

– Par mon mari; peut-être, balbutia madame de Ganges, légèrement troublée.

– Non, madame, ce n’est pas votre mari qui m’a renseignée.

– Qui donc alors?

– Connaissez-vous, à Montpellier, Me Lestrigou?

– L’ancien bâtonnier!… oui, certes… il était l’ami et le conseil de mon père… mais il y a plusieurs années que je ne l’ai vu.

– Il ne tiendra qu’à vous de le voir.

– Je le voudrais… mais il est si âgé qu’il ne se déplace plus.

– Il est à Paris.

– Depuis quand? demanda la marquise, tout étonnée.

– Depuis hier soir. Il est venu tout exprès pour vous.

– Pour moi!… que ne m’a-t-il écrit!… il se serait épargné la fatigue de ce long voyage.

– Il ignorait votre adresse. Il l’a apprise tout récemment… Et il s’est présenté ce matin à votre hôtel. Vous avez refusé de le recevoir.

– Je n’étais pas chez moi, dit vivement madame de Ganges. Et si je savais où il loge à Paris…

– Je le sais moi, et je vous le dirai… quand vous aurez répondu aux questions que je vais vous adresser.

– Parlez, monsieur!

Paul prit un temps, pour préparer son effet, et quand il lut dans les yeux de madame de Ganges une inquiétude qui ressemblait fort à de l’anxiété, il commença ainsi:

– Vous souvenez-vous des séjours que vous faisiez au château de Fabrègues, avant votre mariage?

– Oui, certes, répondit sans hésiter la marquise.

– Alors, vous vous souvenez aussi d’une petite paysanne… une orpheline, à laquelle vous vous intéressiez?…

– Et à laquelle je m’intéresse encore; oui, monsieur.

– Eh! bien, M. Lestrigou la cherche. Il ignore où elle est et il pense que vous ne l’ignorez pas.

– Pourquoi la cherche-t-il?

– Pour lui annoncer une bonne nouvelle.

– Je ne comprends pas. Expliquez-vous, monsieur, je vous en prie.

– Elle hérite d’une fortune énorme.

– C’est impossible. Ses parents étaient pauvres.

– Son père s’est enrichi en Californie où il est mort en lui laissant six millions.

– Que dites-vous? murmura la marquise, très émue.

– La vérité, madame. La succession est liquide, M. Lestrigou a fait toutes les démarches nécessaires. Votre protégée n’a qu’à entrer en possession. Seulement, il faut qu’elle se montre. Et si elle ne se montre pas, le brave homme qui la cherche va s’adresser à la police qui saura bien la trouver.

– Moi, je la trouverai et M. Lestrigou la verra… chez moi.

– Quand?

– Quand il lui plaira.

– Cela suffit, madame. M. Lestrigou est descendu à Paris chez un de ses anciens amis, qui est aussi un vieil ami de ma famille. Je ne suis pas certain de le rencontrer aujourd’hui, mais j’irai demain matin lui annoncer que vous êtes prête à le mettre en présence de Bernadette Lamalou.

– Vous savez son nom! s’écria madame de Ganges.

– Pourquoi M. Lestrigou me l’aurait-il caché?… Il a confiance en moi et il m’a raconté toute l’histoire de cette jeune fille…

– Que vous a-t-il dit d’elle? demanda vivement la marquise.

– Qu’elle a été élevée avec vous, au château de Fabrègues, qu’elle vous a suivie à Montpellier, et qu’après votre mariage, elle ne vous a pas quittée… vous avez fait avec elle de longs voyages; M. Lestrigou a perdu sa trace et même la vôtre.

– Il ne vous a dit que cela?

– Il m’a dit aussi que vous n’avez pas trouvé le bonheur avec M. de Ganges et que vous avez dû vous attacher encore davantage à votre protégée.

– C’est vrai. Son amitié m’a consolée de bien des chagrins… mais elle a souffert encore plus que moi.

– Eh bien, ses mauvais jours sont passés. La voilà riche.

– Ce n’est pas de la pauvreté qu’elle a souffert, murmura la veuve du marquis. La pauvreté n’est rien. J’ai toujours été riche et je n’ai jamais été heureuse.

– Que vous a-t-il donc manqué pour l’être? demanda Paul, en regardant fixement la marquise.

– Il m’a manqué d’être aimée, répondit-elle, sans hésiter.

– Qu’en savez-vous?

– Ne me dites pas que vous m’aimez… je ne pourrais pas vous croire… et alors même que vous ne vous feriez pas illusion sur la nature du sentiment que vous prétendez avoir pour moi, je ne pourrais pas y répondre… c’est trop tard… ma vie est finie… je n’ai plus qu’une seule affection… celle que je porte à Bernadette… elle aussi, a souffert par le cœur… la blessure qu’elle a reçue saigne encore, et si je parvenais à la guérir, je ne demanderais plus rien à Dieu.

Cette déclaration désespérée qui n’éclairait pas Paul Cormier sur la situation des deux amies, ne le toucha pas comme elle aurait dû le faire s’il eût été moins prévenu contre madame de Ganges.

L’enfant recueilli par Mirande ne lui sortait pas de la tête, et les réponses de la marquise ne l’avaient pas convaincu qu’elle n’était pas la mère de ce garçonnet qui oubliait ses jouets chez elle.

Il n’avait pas poussé à fond l’interrogatoire et il s’était perdu dans des questions accessoires sur le passé de mademoiselle de Marsillargues avant de lui parler de l’incident qui avait conduit le petit Roch chez Jean de Mirande.

Mais il n’avait pas renoncé à aborder ce sujet, et il était temps d’y arriver, car madame de Ganges allait se lasser de l’entendre et, quoi qu’il en eût dit, il ne songeait pas à la retenir de force, si elle se levait pour partir.

Et, emporté par la vivacité du dialogue qu’il avait entamé avec elle, il oubliait que Jean ne devait pas tarder à arriver sur la terrasse, conduisant l’enfant qui ne manquerait pas de trancher la question en reconnaissant sa mère, si elle était là.

Il ne remarquait pas non plus que la marquise semblait s’attendre à un événement, car il lui était arrivé plus d’une fois, surtout au début de l’entretien, de regarder au loin, comme si elle eût guetté l’apparition de quelqu’un.

Depuis que Paul s’était mis à la presser de questions embarrassantes, elle s’occupait moins de ce qui se passait sur la terrasse. Elle tournait moins souvent la tête et elle ne cessait guère de regarder son interlocuteur en face, sans doute afin de deviner son arrière-pensée et de se tenir prête à la riposte.

– Madame, reprit Cormier, sans s’apitoyer sur les chagrins de cœur de la marquise, je vous ai parlé tout à l’heure d’un enfant que je croyais être à vous. Vous affirmez le contraire et il se peut que je me sois trompé. Mais je ne vous ai pas dit que je l’ai vu hier… que je lui ai parlé… et que je sais où il est.

Et, comme madame de Ganges ne soufflait mot, et baissait les yeux:

– Il est chez quelqu’un que vous connaissez bien…

À ce moment, Roch, sorti on ne sait d’où, arriva, courant à toutes jambes, et sauta sur les genoux de la marquise en s’écriant:

– Maman Jacqueline! Bonjour, maman Jacqueline!

Et sans lui laisser le temps de se reconnaître, il lui jeta ses petits bras autour du cou et il se mit à la manger de caresses.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 ağustos 2016
Hacim:
340 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain

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