Kitabı oku: «La main froide», sayfa 19
Et Roch, repoussé par ces gamins exclusifs, se repliait en courant sur le groupe qui entourait les deux mères.
Il ne s’adressa ni à la vraie, ni à l’autre. Il grimpa aux jambes de Mirande qui ne résista pas à l’envie de l’enlever dans ses bras pour l’embrasser.
– Voulez-vous me prêter votre canne? criait le gamin en se débattant.
– Ma canne?… et pourquoi faire? demanda l’étudiant.
– Pour battre les polissons qui jouent là-bas à la toupie.
– Elle est plus haute que toi, ma canne… tu ne pourrais pas la porter…
– Eh! bien, alors, venez avec moi et laissez-moi vous appeler papa devant eux… Ils croiront que vous l’êtes et ils n’oseront plus refuser de jouer avec moi.
– Parbleu! dit tout bas le bonhomme Bardin, ce ferrailleur serait vraiment le père de ce moutard qui parle déjà de rosser les autres, ça ne m’étonnerait pas, car bon sang ne peut mentir.
Mirande faisait la plus singulière figure du monde.
Après la déclaration qu’il venait de lancer, il aurait dû, pour être conséquent avec lui-même, rendre l’enfant à sa mère, qu’il ne voulait plus épouser, de crainte qu’on ne l’accusât de se mésallier par spéculation.
Mais Roch, qui s’était accroché à son cou, ne le lâchait pas et criait de sa voix flûtée:
– Papa!… papa!… j’ai retrouvé petite mère, mais je ne veux pas vous quitter… Venez avec nous.
– C’est par délicatesse que vous refusez, dit madame de Ganges; vous le croyez? Eh! bien, non, c’est par vanité. Si vous aviez du cœur, vous ne penseriez qu’à réparer le mal que vous avez fait, au lieu de vous préoccuper de l’opinion du monde. Bernadette en a, elle, du cœur, et je suis sûre qu’elle renoncerait à cet héritage, s’il le fallait, pour légitimer son enfant.
– J’y renonce, murmura la jeune femme.
– Pardon! s’écria Lestrigou, on n_é renonce pas comme ça à une succession… il né suffit pas dé dire: jé_ né veux pas…
La résolution de Mirande ne tint pas devant cette scène où le petit Roch jouait le principal rôle. Il le porta dans les bras de sa mère, et comme le gamin se cramponnait, il lui dit:
– N’aie pas peur. Nous serons deux à t’aimer.
En même temps, il baisa la main de Bernadette, sans s’agenouiller cette fois; mais ce baiser devant quatre témoins, c’était comme s’il lui eût passé au doigt l’anneau des fiançailles.
– Alors, vous allez venir demeurer avec nous? demanda l’enfant terrible.
Et comme sa mère avait les larmes aux yeux:
– Pourquoi pleures-tu, maman Bernadette?… mon bon ami nous reste… tu vois bien que maman Jacqueline est contente.
Il n’y avait pas que maman Jacqueline. Bernadette pleurait, mais c’était de joie. Mirande était heureux, comme on l’est quand on vient de se mettre en règle avec sa conscience, et Lestrigou se frottait les mains en disant:
– Comme j’ai bien fait de venir à Paris!
Relégué au second plan, Paul Cormier approuvait, mais le père Bardin ne s’associait pas à la satisfaction générale.
Il n’avait jamais porté Mirande dans son cœur et il trouvait souverainement injuste que ce batailleur couronnât sa carrière de mauvais sujet en épousant une archi-millionnaire qui aurait très bien pu faire le bonheur de Paul Cormier.
Il oubliait que ce mariage n’était qu’une réparation, et il ne se doutait pas que son protégé Paul avait d’autres visées.
– Alors, continua Roch, nous allons tous rentrer chez maman Jacqueline, j’en ai assez, moi, du Luxembourg.
– Il va bien, l_é pé_tit! dit en riant Lestrigou.
La marquise saisit l’occasion de s’expliquer sur un point intéressant pour tout le monde.
– Messieurs, dit-elle, mon amie, Bernadette Lamalou, n’a jamais cessé d’habiter chez moi depuis que nous avons quitté le Languedoc. Elle et son fils y resteront jusqu’au jour où elle se mariera. En attendant, ma maison vous sera ouverte et je serai charmée de vous y voir.
L’invitation était collective. Paul crut lire dans les yeux de madame de Ganges qu’elle tenait à ce qu’il en profitât, et il se reprit à espérer que l’avenir le dédommagerait des pénibles épreuves par lesquelles il venait de passer.
– Tiens! cria tout à coup Roch qui ne restait jamais en repos bien longtemps, voilà Coussergues. Je vais lui dire bonjour.
Et il partit à toutes jambes pour aller joindre l’homme que Paul avait surpris, la veille au soir, en faction devant la maison de Mirande et qui, planté maintenant sous les arbres, à cinquante pas du groupe qui entourait la marquise, semblait monter la garde en attendant qu’on l’appelât.
Et la marquise lui fit signe de venir.
Il vint à pas comptés, ramenant l’enfant, et madame de Ganges le présenta sans qu’il desserrât les dents.
Elle ne l’avait appelé que pour l’interroger avant d’entamer une confession que Paul Cormier pressentait.
Aux brèves questions qu’elle lui adressa, M. Coussergues répondit brièvement et la marquise commença en s’adressant à Mirande:
– Monsieur, c’est moi qui ai tout fait. Je n’ai pas pu me résigner à laisser souffrir plus longtemps Bernadette. Nous ne pouvions, ni elle, ni moi, tenter une démarche directe… surtout après ce qui s’était passé dimanche entre vous et moi. Et Bernadette ne pouvait pas continuer à vivre comme elle vivait. Alors, j’ai eu une idée. J’ai toujours cru à la voix du sang… j’ai voulu faire un essai… je me suis dit que peut-être, si vous voyiez votre fils, votre cœur parlerait… je ne me trompais pas, puisque vous l’avez recueilli sans le connaître…
– C’est donc volontairement que, hier, vous l’avez laissé sur cette terrasse? interrompit Mirande.
– Contre l’avis et malgré les prières de sa mère, oui, monsieur. J’ai eu beaucoup de peine à décider Bernadette à partir et j’avais pris mes précautions pour qu’il ne mésarrivât pas à l’enfant. M. Coussergues veillait sur lui. Si vous n’aviez pas parlé à Roch, en passant, M. Coussergues l’aurait reconduit chez moi. Vous vous êtes intéressé à cet enfant, vous l’avez emmené. M. Coussergues vous a suivi. Il y aura bientôt vingt-quatre heures qu’il vous suit.
– Vous aviez donc deviné que je reviendrais aujourd’hui, au Luxembourg, puisque je vous y ai trouvée?
– Je savais, par M. Cormier, que vous y veniez tous les jours, et je supposais que vous rechercheriez la mère de l’enfant que vous aviez recueilli.
Si vous n’étiez pas venu, je serais allée moi-même le réclamer chez vous.
– Et lui?… vous l’aviez mis dans la confidence?
– Non, monsieur. Je savais qu’il n’aurait pas peur en se voyant tout seul… Il n’a peur de rien… et je ne doutais pas qu’il ne vous demandât lui-même de le ramener aujourd’hui à l’endroit où vous l’avez trouvé hier.
Tout s’est passé comme je l’avais prévu, et j’ai tout dit.
Il ne me reste plus qu’à vous demander pardon d’avoir eu recours à ce moyen.
Mon excuse, c’est que je n’en avais pas d’autre à ma disposition.
Et, ajouta en souriant la marquise, à l’employer, je risquais quelque chose… je risquais de passer pour être la mère de Roch!… demandez plutôt à M. Cormier.
Paul rougit et balbutia quelques mots de protestation, mais madame de Ganges reprit:
– Tout le monde s’y serait trompé. Cet enfant est accoutumé à ne faire aucune différence entre ma chère Bernadette et moi. Il croit qu’il a deux mères.
– Il me l’a dit, murmura Mirande.
– Il ne se trompe qu’à demi, car je l’aime comme s’il était à moi.
Il n’est pourtant pas sans défaut, ajouta malicieusement la marquise en regardant d’une certaine façon Mirande, qui comprit et qui dit sans hésiter:
– Il a les miens.
– Il a aussi les qualités de sa mère.
– Et je ne suis pas fâché qu’il ait mes défauts, dit Mirande, rasséréné.
Puis, à Bernadette:
– Vous l’en guérirez, n’est-ce pas?… Je ferai de mon mieux pour vous y aider.
Cette déclaration équivalait à une nouvelle promesse de mariage, et, de celle-là, Mirande ne se dédirait plus, sous prétexte que Bernadette était trop riche.
Madame de Ganges pensa qu’il fallait en rester là.
– Au revoir, messieurs! dit-elle.
Et elle le dit si bien que tous comprirent qu’ils n’avaient plus qu’à s’éloigner, sans en demander davantage.
Cet «au revoir» s’adressait aussi bien à Lestrigou qu’aux deux étudiants; mais Bardin ne le prit pas pour lui, et peut-être n’eut-il pas tort.
Roch ne laissa pas partir Mirande sans lui faire promettre qu’il reviendrait dès le lendemain jouer avec lui dans le jardin de maman Jacqueline.
Mirande n’avait garde d’y manquer.
Il prit le bras de Paul qui était plus troublé que satisfait.
Lestrigou s’accrocha au père Bardin.
Et pour ne pas gêner plus longtemps ces dames en restant sur la terrasse où ils les laissaient, ils s’acheminèrent deux par deux vers l’escalier par lequel Mirande était arrivé avec le petit Roch.
Les vieux ne se réunirent aux jeunes qu’au bord du bassin central, et ce fut pour se séparer, après avoir échangé quelques mots.
– Eh bien! demanda brusquement Mirande, dès qu’il fut seul avec son ami, et la voix du sang?
– Je commence à y croire, murmura Paul. Cet enfant est le tien. Tu ne peux pas le renier.
– Alors, tu m’approuves de le reconnaître!
– C’est ton devoir. Et je t’approuve aussi d’épouser la mère.
– Je l’épouserai, mais toi… n’épouseras-tu personne?
– Qui voudrait de moi?
– La marquise. Elle t’aime.
– Tu te trompes. Je lui suis indifférent, à moins qu’elle ne me haïsse, et je n’en serais pas surpris.
– Tu n’y entends rien. Je m’y connais, moi, et je t’affirme qu’elle sera ta femme, si tu veux. Nous nous marierons le même jour.
– Dans dix mois, alors, car il n’y a pas quatre jours qu’elle est veuve… cherche l’article du Code civil… Ce serait trop faire attendre Bernadette.
ÉPILOGUE
Les dix mois sont passés et madame de Ganges est toujours veuve.
Elle épousera Paul Cormier, mais elle a voulu attendre, pour l’épouser, que la fin tragique de son mari fût oubliée.
Elle l’est déjà. Le drame où le malheureux marquis a trouvé la mort n’a pas eu de retentissement, car il ne s’est pas dénoué en cour d’assises.
Après avoir longtemps hésité, Charles Bardin a rendu une ordonnance de non-lieu et les conseils de son père ont influencé sa décision que, du reste, ses supérieurs hiérarchiques ont approuvée.
Il a démontré jusqu’à l’évidence que le duel avait été loyal. L’acquittement était certain. Les magistrats ont sagement jugé qu’il valait mieux ne point infliger la publicité de l’audience à des jeunes gens qui pouvaient invoquer beaucoup de circonstances atténuantes.
Du reste, la marquise n’était pas femme à se marier, au pied levé, par un coup de tête, comme une excentrique lady qui s’éprend d’un ténor.
Paul, dès le jour de leur première rencontre, avait fait sur elle une très vive impression et il ne lui a pas fallu beaucoup de temps pour l’aimer, mais elle a voulu le connaître avant de lier sa destinée à celle d’un garçon à peine plus âgé qu’elle, et qui n’était ni de sa caste ni de son monde.
Elle lui a imposé un stage. Paul n’a pas trouvé la condition trop dure. Marcelle lui en a su gré. Elle sait maintenant tout ce qu’il vaut et elle est décidée à s’appeler madame Cormier, quand le moment lui paraîtra tenu de mettre fin à l’épreuve que son amoureux subit de bonne grâce.
Jean de Mirande et Bernadette Lamalou n’ont pas fait tant de cérémonies pour consacrer leur union.
Mirande a voulu réparer ses torts, et il a sauté à pieds joints par-dessus les préjugés sociaux. Son oncle l’a déshérité, mais il s’en moque. Il est assez riche pour se passer de sa succession et pour vivre sans toucher aux revenus de sa femme.
Il a épousé Bernadette, brûlant ce qu’il avait adoré, et cette conversion fait du bruit au quartier.
Ce fut, l’année dernière, un beau tapage dans le quartier Latin, quand on y sut que le Roi des Écoles renonçait à la vie d’étudiant pour se réfugier dans le port du mariage.
Ses favorites l’ont regretté, mais elles se sont vite consolées; et Véra, la nihiliste, a déclaré hautement que Mirande, au fond, n’était qu’un bourgeois.
Il a rompu si brusquement avec ses amis et avec ses habitudes qu’il n’a pas songé un seul instant à enterrer sa vie de garçon en offrant à la jeunesse latine un festin pantagruélique.
Bernadette n’a pas tardé à devenir, dans les délais de rigueur, la femme légitime du père de son enfant.
Elle n’était plus veuve et elle était mère: deux excellentes raisons pour hâter le mariage réparateur.
Roch n’a plus qu’une maman, car petite mère, depuis qu’elle est madame de Mirande, n’habite plus chez maman Jacqueline; mais il a un père, un vrai, qu’il adore et qui le lui rend bien.
Si jamais homme s’est vu renaître dans son fils, cet homme, c’est Jean de Mirande.
Roch lui ressemble tant que Bernadette trouve qu’il lui ressemble trop; car s’il a toutes les qualités de sa race paternelle, il en a aussi tous les défauts.
Il est volontaire et querelleur; il n’obéit qu’à son père et la douce Bernadette s’inquiète déjà de l’avenir de ce batailleur en herbe. Mais les tourments qu’il lui donne ne l’empêchent pas de le chérir.
Il sera élevé à la campagne, car elle achètera le château de Marsillargues, et les nouveaux époux comptent passer huit mois de l’année près de ce village de Fabrègues où ils se sont rencontrés.
Ils y remplaceront la famille de la marquise, et ils seront à leur tour les bienfaiteurs du pays.
Lestrigou est au comble de la joie. Il ne cesse plus de se frotter les mains depuis qu’ils les a décidés à venir s’établir en Languedoc.
Il fera leurs affaires pour rien, pour le plaisir.
Coussergues ne quittera pas la marquise quand elle aura changé de nom. Ce fidèle gardien est comme un immeuble par destination. Il fera partie de la maison jusqu’à la fin de ses jours et il vivra en meilleure intelligence avec Paul qu’il n’a jamais vécu avec le défunt marquis.
Marcelle ne s’est brouillée avec personne, parce qu’elle a pris le parti de dire la vérité aux gens de son monde. La baronne Dozulé et ses invités du thé de cinq heures savent maintenant qu’elle devra son bonheur conjugal à une méprise d’un domestique.
Le vicomte de Servon, renseigné comme les autres, a renoncé à consoler la charmante veuve de M. de Ganges.
Il sait que la place est prise et il s’est rallié de bonne grâce aux amis de son rival heureux.
Il a même débarrassé Paul et Mirande de l’affreux Brunachon en signalant à la police les méfaits anciens et récents de ce dangereux drôle.
Bardin ne boude plus le fils de sa vieille amie, mais il regrette encore— sans le dire— que le sien ait manqué d’avancer dans la magistrature, faute d’avoir à instruire un crime célèbre.
Les personnes bien informées assurent que la marquise de Ganges convolera en secondes noces avant la fin de l’hiver.
Elle a et elle aura toujours la main froide, mais pas le cœur, et elle aimera passionnément son nouveau mari.
Le proverbe aura raison, une fois de plus.