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Kitabı oku: «Le crime de l'omnibus», sayfa 8

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– On l’a trouvée morte dans l’omnibus à la station de la place Pigalle.

– Comment, c’était elle! J’ai vu ça sur le Petit Journal… et dire que je ne me suis doutée de rien… c’est pourtant arrivé le soir où elle n’est pas rentrée… et moi qui me figurais qu’elle courait la prétantaine!

– Ça prouve qu’on peut se tromper. Maintenant, vous ne m’accuserez plus.

– De l’avoir enlevée, non. Mais c’est égal… c’est louche, cette mort-là. Bianca ne pesait pas lourd, mais elle se portait comme un charme. Faut qu’on l’ait empoisonnée.

– Peut-être bien. Mais qui? Vous m’avez dit qu’elle ne voyait personne.

– Ici, non; mais elle sortait tous les soirs, et quelquefois aussi dans le jour.

– Où allait-elle? voilà ce qu’il faudrait savoir.

– Ce n’est fichtre pas moi qui te l’apprendrai. Bianca n’était pas bavarde, et moi je ne suis pas curieuse. Ça fait que je ne sais rien du tout. Elle parlait bien d’un maître de chant qui lui donnait des leçons et qui demeurait dans le quartier du Jardin des Plantes… même que ça m’avait paru drôle… vu que, de ce côté-là, il n’y a que des joueurs d’orgue de Barbarie… et à moins que ce ne fût pour apprendre à chanter dans les cours ou dans la rue… Une fois aussi, au commencement qu’elle logeait chez moi, elle m’a dit qu’elle avait des parents à Paris, mais qu’elle ne savait pas où ils demeuraient… j’ai cru qu’elle se vantait…

– Mais elle ne mentait pas en disant qu’elle allait du côté du Jardin des Plantes car elle est morte, dans l’omnibus qui venait de la Halle aux vins. Ce qu’il y a d’étonnant, c’est que son professeur, ou ses parents, si elle en avait, n’aient pas été voir à la Morgue. Ils avaient dû lire les journaux. Ils auraient bien pu s’inquiéter de sa disparition.

– Oh! ils ne s’occupent guère d’elle. Ils n’ont jamais mis les pieds ici, depuis un mois qu’elle y était.

– Elle arrivait par la gare de Lyon, murmura Binos en se parlant à lui-même; c’est drôle qu’elle ait été se loger à Montmartre.

– Ce n’est pas drôle du tout. Elle ne connaissait pas Paris, et un Italien que j’ai logé l’année passée lui avait indiqué ma maison.

– Alors, elle venait directement d’Italie.

– De Milan. C’est sur son passeport.

– Et vous l’avez, son passeport?

– Un peu, que je l’ai, mon petit! Il est là-haut dans sa malle, avec d’autres papiers, ses hardes et son saint-frusquin, qui ne doit pas être gros. Elle est fermée à clef, sa malle, et elle a emporté la clef.

– La clef! On l’a trouvée dans sa poche avec un porte-monnaie qui ne contenait que des sous.

– Parbleu! elle n’était pas riche, la pauvre fille. Et avec ça elle était méfiante; quand elle sortait, elle avait toujours soin de fermer son coffre. J’aurais bien pu le faire ouvrir par un serrurier quand j’ai vu qu’elle ne rentrait pas, mais je l’aimais, c’te petite… et puis, je croyais qu’elle reviendrait. Et je ne l’aurais pas mise à la porte, si elle était revenue. Je me serais contentée de la sermonner… parce que, vois-tu, moi, mon garçon, je suis pas méchante… Tu n’as qu’à t’informer dans le quartier… on te dira que Sophie Cornu n’a jamais fait de peine à ses locataires.

– J’en suis persuadé… quoique vous ayez été dure pour moi tout à l’heure.

– Faut pas m’en vouloir, mon garçon, je te prenais pour un de ces clampins qui rôdent sur le boulevard Clichy pour empaumer les pauvres filles qu’ils rencontrent. C’est pas de ta faute, ni de la mienne, mais tu marques mal… Et j’ai dans l’idée que tu ne travailles pas souvent.

– Tous les jours un peu, ma chère dame.

– Je veux bien le croire, si ça peut te faire plaisir. Et du moment que ce n’est pas toi qui as enlevé Bianca, je n’ai plus rien contre toi. Je suis même contente de t’avoir vu, quoique tu m’aies apporté une fichue nouvelle. Au moins, je sais ce qu’est devenue la petite, et j’empêcherai qu’on la mette dans la fosse commune… quand ça devrait me coûter cinquante francs pour acheter un terrain.

– À la bonne heure! j’avais bien deviné que vous aviez bon cœur. Alors, vous allez vous transporter à la Morgue?

– Saperlipopette! c’est ça qui ne m’amuse pas!

– Il le faut pourtant. Je voudrais bien vous éviter cet ennui-là; mais si j’y allais à votre place, ça ne serait pas du tout la même chose. Moi, je ne connaissais pas cette jeune fille, tandis que vous qui la logiez et qui avez tous ses papiers…

– Oui, je pourrais dire son nom et prouver que je ne me trompe pas. Es-tu sûr au moins qu’elle y est encore?

– Je suis sûr qu’elle n’est pas enterrée. Si elle n’est plus exposée, vous n’aurez qu’à parler au greffier, qui vous la montrera.

– Brr! ça va me tourner le sang. Et après que je l’aurai reconnue, comment ça se passera-t-il?

– Vous n’aurez à vous occuper de rien. La préfecture de police enverra chez vous prendre sa malle. On examinera les papiers de la pauvre morte, et qui sait?… On découvrira peut-être ces parents dont elle vous a parlé.

– Ça, je n’y compte pas. Et puis, à quoi ça servirait? Des drôles de parents, ceux-là. Ils ne s’inquiétaient pas plus d’elle que d’un chien perdu.

«Mais, mon gars, ce n’est pas tout ça. Si je sors, faut que quelqu’un garde ma maison, et ma bonne est au lavoir. Je vais prier une voisine d’aller la chercher, et je ne peux pas t’enfermer ici. File, et reviens me voir demain, si tu veux. Je te recevrai mieux que je ne t’ai reçu aujourd’hui. Et, si le cœur t’en dit, tu m’accompagneras à l’enterrement.

– Je crois bien que le cœur m’en dira; mais si j’y vais, ce sera à une condition: c’est que nous partagerons les frais.

– Partager les frais, allons donc! T’as pas le sou. Et moi, Dieu merci! j’ai de quoi lui payer une jolie pompe funèbre. Nous causerons de ça demain, petit, mais décampe. Je n’ai pas le temps de flâner.

Binos ne demandait qu’à disparaître, et, s’il se confondait en gracieusetés et en offres généreuses, c’est qu’il sentait la nécessité de se concilier l’hôtesse pour donner suite à des projets dont il ne lui avait pas soufflé un mot. Binos avait pleinement réussi dans son ambassade, Binos triomphait, Binos se croyait de première force en diplomatie, absolument comme les gens qui ont gagné au jeu parce qu’ils avaient de belles cartes en main, et qui s’imaginent que leur succès est dû à leur talent.

Il prit congé de Sophie Cornu, et il se précipita dans la rue. L’illustre Piédouche lui avait donné rendez-vous devant la mairie de Montmartre. Il courut l’y rejoindre, et il l’aborda en levant les deux bras au-dessus de sa tête pour lui annoncer de loin qu’il apportait une bonne nouvelle.

Peu s’en fallut qu’il ne jetât son chapeau en l’air en signe d’allégresse.

– Eh bien? lui demanda Piédouche, qui était beaucoup plus calme.

– Eh bien, répondit Binos, j’ai trouvé ce que nous cherchions. Vos indications était justes, mon cher, et je proclame que vous êtes un grand homme. La petite logeait là depuis qu’elle est à Paris, c’est-à-dire depuis un mois. Et la vieille toquée qui tient le garni est en train de mettre son tartan pour aller la reconnaître à la Morgue. Elle m’a dit le nom de la morte et tout…

– Alors, elle a les papiers?

– Les papiers, les hardes, tout est dans la malle. Et tout sera remis au commissaire de police, dès que l’identité aura été constatée.

– C’est parfait! Mais… lui avez-vous dit ce que vous pensiez de cette mort en omnibus? Sait-elle que la petite a été assassinée?

– Elle ne s’en doute pas. Je suis plus malin que je n’en ai l’air, et j’ai compris tout de suite que, si je lui parlais d’un crime, elle renâclerait, parce qu’elle aurait peur de se compromettre; tandis qu’en lui laissant croire que sa locataire est morte naturellement, j’étais sûr qu’elle ne se ferait pas prier pour aller la reconnaître.

– Tous mes compliments, mon cher. Vous avez manœuvré comme un vieux routier. Et je pense que maintenant vous pouvez vous passer de ma coopération. Vous en savez aussi long que moi.

– Ah! mais non, s’écria Binos; sans vous je ne ferais que des bêtises. Ainsi, je ne vois pas du tout par où je devrais commencer… à moins que je ne me décide à aller tout longuement conter notre affaire au commissaire de police.

– Tout plutôt que ça, dit vivement Piédouche. Le commissaire vous prendrait pour un fou. Ces gens-là ne donnent pas dans les imaginations, et vous n’avez rien de positif à lui apprendre. La logeuse vous a dit que la petite ne recevait qui que ce fût. Vous ne pouvez donc soupçonner personne.

– Elle m’a dit que la petite avait des parents à Paris et qu’elle sortait tous les jours pour aller prendre une leçon de chant.

– Des parents à Paris, c’est bien vague. Et la leçon de chant n’était peut-être qu’un prétexte. Où perchait-il, ce professeur de chant?

– La vieille ne l’a jamais su.

– Eh bien, il faut avant tout découvrir l’adresse du professeur en question.

– Il paraît qu’il demeure du côté du Jardin des Plantes. Et il n’y a que vous au monde qui soyez capable de le trouver.

– Je tâcherai, et j’y réussirai peut-être, mais les recherches prendront du temps. C’est un miracle que nous soyons tombés du premier coup sur le garni qu’elle habitait… un miracle qui ne se reproduira pas.

– Diable! mais on va procéder à l’inhumation… et une fois que la pauvre enfant sera enterrée, comment pourra-t-on constater qu’elle a été empoisonnée par une piqûre?

– C’est ce que me dira mon savant ami, quand il aura expérimenté l’épingle. S’il me déclare que le poison dont l’assassin s’est servi ne laisse pas de traces, il n’y a rien à faire ni maintenant ni plus tard. Si, au contraire, il en laisse, il sera toujours temps de les constater. Et alors, les preuves morales que j’aurai pu rassembler auront une valeur. Le premier point, c’est de savoir qui avait intérêt à supprimer cette jeune fille.

Binos baissait le nez et ne semblait pas très convaincu.

– Mon cher, reprit Piédouche, si vous n’avez pas confiance en moi, ne vous gênez pas pour me le dire. Je ne tiens pas du tout à me mêler de cette affaire-là.

– Mais si, mais si. J’ai en vous une confiance illimitée.

– Alors, laissez-moi agir à ma guise. Je vous demande carte blanche.

– Oh! bien volontiers. Je me mets sous vos ordres, et je m’en rapporte absolument à vous.

– À la bonne heure! comme ça, je pourrai travailler avec quelque chance de réussir. À une condition, cependant…

– Je m’y soumets d’avance.

– À condition que vous ne parlerez de moi à personne. Si l’on savait que j’entreprends cette campagne…

– On ne le saura pas. À qui voulez-vous que j’en parle?

– À vos camarades, parbleu! Vous en avez dans tous les ateliers du quartier. Et je les soupçonne de n’être pas très discrets. Je soupçonne même que vous avez déjà bavardé. Depuis trois jours que vous me cherchez, vous n’avez pas gardé l’histoire pour vous tout seul, je le parierais bien.

– Je vous jure, Piédouche, que…

– Ne jurez pas, cher ami. Je lis dans vos yeux que vous en avez parlé à quelqu’un. Dites-moi à qui, j’aime mieux ça.

– Ma foi! on ne peut rien vous cacher. Oui, j’ai pris un confident, mais ce confident est un garçon sérieux qui se taira, j’en suis sûr, car cette aventure ne l’intéresse pas du tout, et il n’y pense déjà plus. Il a autre chose à faire, et d’ailleurs il ne croit pas à un crime. C’est Paul Freneuse, le peintre. Il aura peut-être la grande médaille au prochain Salon, et il gagne soixante mille francs par an.

– Oh! je le connais de réputation… et de vue. Lui avez-vous dit que vous comptiez sur moi?

– Non. Il ne sait même pas que vous existez, je vous en donne ma parole d’honneur… et je vous la donne aussi de ne jamais prononcer votre nom devant lui… il croira que j’opère tout seul… sans auxiliaire.

L’avisé Piédouche réfléchit un instant. Les dernières affirmations de Binos avaient rasséréné son visage que les aveux d’indiscrétion avaient assombri, et après un court silence, il dit d’un ton décidé:

– J’ai votre parole et j’y compte. C’est pourquoi je veux bien me charger de votre affaire. Tenez-vous tranquille et venez demain au Grand-Bock. J’aurai peut-être du nouveau à vous apprendre. Maintenant, il faut nous séparer.

– J’obéis, illustre maître, dit gaiement Binos, en serrant la main de Piédouche, qui s’achemina aussitôt vers le boulevard extérieur.

V. Pendant que l’entreprenant Binos et le sagace Piédouche trouvaient

Pendant que l’entreprenant Binos et le sagace Piédouche trouvaient, par un de ces hasards qui n’arrivent qu’aux gens habiles, le domicile et le nom de la pauvre morte, le capitaliste Paulet avait d’autres soucis que celui de poursuivre les auteurs du crime de l’omnibus, et cela pour plusieurs raisons, dont la première était qu’il ignorait complètement cette histoire.

M. Paulet ne lisait guère que les journaux financiers, et lorsqu’il parcourait les feuilles politiques, il passait dédaigneusement les faits divers. M. Paulet se piquait d’être un homme sérieux et ne s’intéressait qu’aux choses sérieuses. Il se vantait de n’avoir jamais ouvert un roman, et si, depuis quelque temps, il se préoccupait des artistes, c’est qu’il avait acquis la certitude qu’à notre époque le métier de peintre est un des plus lucratifs qui soient, lorsqu’on l’exerce avec succès.

Ce n’était pas sans peine qu’il s’était formé cette conviction. Il avait passé sa vie à mépriser les barbouilleurs, comme il disait. Il les prenait pour des meurt-de-faim – c’était son mot – ou pour des mange-tout destinés à finir sur la paille. Mais un de ses amis l’avait renseigné sur le tard. Cet ami, qui avait fait fortune en vendant des curiosités, des antiquités et même des tableaux, lui avait prouvé, par des chiffres et par des exemples, que les artistes en vogue gagnent énormément d’argent et que plusieurs deviennent millionnaires. Ils ne font jamais que des affaires sûres, disait l’ex-marchand d’objets d’art, et ils sont certains de ne jamais tomber en faillite. Ce dernier argument avait beaucoup frappé M. Paulet, qui, pour rien au monde, n’aurait voulu exposer la fortune de sa fille à disparaître dans un désastre commercial.

Or, il avait justement sous la main un peintre d’avenir qui vendait déjà ses toiles fort cher et qui était en passe de les vendre bientôt encore plus cher, un garçon laborieux, économe et rangé, dont il connaissait les antécédents et la famille, bien tourné, bien élevé et bien posé dans le monde, un vrai phénix des gendres, qui, pour que rien ne lui manquât, plaisait à Marguerite.

M. Paulet avait donc jeté son dévolu sur Paul Freneuse et n’attendait pour lui faire des ouvertures directes qu’une occasion qui ne pouvait pas manquer de se présenter prochainement. Peu s’en était fallu qu’au théâtre, pendant qu’on jouait les Chevaliers du Brouillard, l’entretien ne prît une tournure décisive. Mais cet entretien avait été interrompu par un incident qui, depuis cette représentation troublée, avait fait passer de bien mauvaises nuits au père de la blonde Marguerite.

La dépêche qui lui annonçait que son frère venait de mourir en le déshéritant était rédigée dans le style habituel des télégrammes, c’est-à-dire que l’expéditeur avait si bien économisé les mots qu’elle était à peine intelligible. M. Paulet avait télégraphié aussitôt pour demander des explications complémentaires, et son correspondant, qui était le notaire du défunt, lui avait répondu par cette phrase laconique: «Je pars demain pour Paris».

Et M. Paulet attendait avec impatience cet honnête notaire, qui avait toujours défendu ses intérêts et qui probablement n’entreprendrait pas sans de graves motifs un si long voyage. Le testateur était décédé à Amélie-les-Bains, une ville d’eaux située au pied des Pyrénées orientales, à deux cent cinquante lieues de la capitale. L’officier ministériel qui avait recueilli ses volontés dernières ne se serait certes pas déplacé s’il ne s’était agi que de remettre au frère déshérité une copie de l’acte qui le dépouillait.

Aussi M. Paulet vivait-il depuis trois jours dans les alternatives d’abattement et d’espérance qui lui semblaient bien pénibles. Il tenait à son repos presque autant qu’à la fortune, et ces incertitudes le troublaient au point de lui faire perdre l’appétit et le sommeil. Sa fille, beaucoup moins agitée que lui, ne le reconnaissait plus. Il était devenu à peu près inabordable. Elle avait essayé de lui rappeler que Paul Freneuse attendait leur visite dans son atelier, et il l’avait fort mal reçue. Il lui avait même déclaré nettement qu’il ne sortirait pas avant de s’être abouché avec le notaire, qui pouvait arriver d’un instant à l’autre. Et Marguerite avait dû renoncer à le persuader. Elle se consolait en essayant des toilettes de deuil qui lui allaient fort bien.

M. Paulet ne quittait pas son cabinet. Il y passait son temps à compulser d’anciennes correspondances qu’il avait entretenues avec son frère, avant leur brouille définitive. Il tâchait de découvrir dans ces lettres écrites pendant le séjour de ce frère en Italie, quelques indications relatives au mariage qu’il le soupçonnait d’avoir contracté à Rome, et il n’y trouvait rien de positif. La grande question était de savoir si le défunt avait eu là-bas des enfants légitimes ou naturels, et surtout ce que ces enfants étaient devenus. M. Paulet faisait donc faire des recherches qui n’avaient abouti jusqu’alors qu’à des résultats incomplets, et depuis que son frère était mort, il lui tardait plus que jamais d’éclaircir ces points importants.

Le quatrième jour, après un déjeuner mélancolique où Marguerite n’avait pas paru sous prétexte de migraine, le père déshérité venait de s’asseoir devant son bureau, lorsqu’un de ses domestiques vint lui dire qu’un monsieur demandait à lui parler.

– Comment s’appelle-t-il, ce monsieur? demanda M. Paulet.

Et quand il sut que ce visiteur n’avait pas voulu dire son nom:

– Je ne reçois pas les gens que je ne connais pas, reprit-il.

– Il annonce qu’il vient entretenir monsieur d’une affaire très importante, murmura le valet de chambre.

– Oh! oh! pensa M. Paulet, si c’était le notaire de là-bas? Ces provinciaux ignorent les usages. Celui-là se sera figuré qu’on entre chez moi comme dans son étude… et il aura jugé inutile de remettre sa carte…

– C’est bien. Faites entrer, dit-il à haute voix.

Et il se leva pour recevoir ce personnage si impatiemment attendu. Une minute après, la porte s’ouvrit, et un individu entra, qui n’était ni notaire, ni provincial, cela se voyait de reste.

– Comment! c’est vous! lui dit le capitaliste en fronçant le sourcil. Je vous avais enjoint de ne revenir qu’au cas où vous m’apporteriez des certitudes au lieu de probabilités vagues.

– Je me suis conformé à vos ordres, monsieur, répondit le visiteur. Vous ne m’avez pas vu depuis quelque temps, parce que je n’avais rien de nouveau à vous apprendre; mais aujourd’hui j’en ai les mains pleines, de certitudes.

– C’est ce que nous allons voir. Mais d’abord rappelez-moi donc votre nom que j’ai complètement oublié, dit dédaigneusement M. Paulet.

– Blanchelaine, monsieur; Auguste Blanchelaine.

– Très bien. Je me souviens maintenant. Vous prétendez être agent d’affaires, et vous demeurez du côté du marché Saint-Honoré?

– Rue de la Sourdière, 74.

– En effet… je dois avoir noté votre adresse quelque part… mais elle m’était sortie de la tête… car tout récemment quelqu’un me l’a demandée, et je n’ai pas pu la donner… vous feriez bien de me laisser votre carte.

– Je n’en ai pas sur moi… mais si vous voulez bien m’indiquer l’adresse de la personne qui désire me voir…

– Tout à l’heure… quand vous m’aurez communiqué les nouvelles que vous m’apportez… et d’abord, j’ai à vous dire que l’autre soir, vous vous êtes permis de me saluer au théâtre… à travers toute la salle, et que je ne vous ai pas autorisé à prendre avec moi de pareilles libertés.

– Vous ne me les aviez pas interdites.

– C’est possible, mais je vous prie de ne pas recommencer. Maintenant, voyons ce que vous avez à me dire. Où en êtes-vous de vos recherches?

– Elles sont terminées.

– Comment cela?

– J’ai en main la preuve que Bartolomea Astrodi, décédée l’année dernière à Rome, avait eu, en 1862, une fille nommée Bianca.

– En 1862! répéta M. Paulet, dont le visage se rembrunissait à vue d’œil.

– Oui, monsieur; le 24 décembre. J’ai pu me procurer une copie de l’acte de baptême.

– Montrez-la.

– Je ne l’ai pas sur moi, mais je vous la remettrai quand le moment sera venu…

– Vous savez du moins ce que contient l’acte. Cette Bartolomea Astrodi était-elle mariée?

– Non, monsieur. Sa fille Bianca est désignée comme étant née de père inconnu.

– Ah! souffla M. Paulet, soulagé d’une inquiétude. Et qu’est devenue cette fille? Elle a disparu sans doute?

– C’est-à-dire qu’elle a quitté sa mère, dix ou douze ans après sa naissance. Mais sa mère a toujours su où elle était. Au commencement de cet hiver, cette Bianca chantait dans les chœurs au théâtre de la Scala, à Milan.

– Et… elle y est encore?

– Non, monsieur. Elle est partie pour Paris, il y a un mois.

– Pour Paris! Qu’y venait-elle faire?

– Chercher son père, qui était un Français.

– Allons donc! s’écria le capitaliste, visiblement troublé. C’est un roman que vous me racontez là.

– C’est la vérité, monsieur. Je suis parfaitement renseigné, croyez-le, à telles enseignes que je puis vous apprendre le nom de ce Français. Il s’appelle Francis Boyer. Il a eu cette enfant à Rome, où il résidait alors. Il habite maintenant le département des Pyrénées-Orientales.

– Ça ne vous regarde pas, dit brusquement M. Paulet. Je ne vous avais pas chargé de prendre des informations sur le père.

– Non, mais je ne fais jamais les choses à demi. En me renseignant sur sa fille, j’ai voulu savoir pourquoi elle avait quitté son pays… et je l’ai su.

– Comment l’avez-vous su?

– Cela, monsieur, c’est mon secret. Si je révélais à ceux qui m’emploient le mécanisme de ma profession, ils n’auraient plus besoin de moi.

«Je le sais, je le prouverai… et je sais bien d’autres choses encore.

– Que savez-vous donc de plus? demanda M. Paulet, en cherchant à prendre un air indifférent.

– Monsieur, dit Auguste Blanchelaine, je pourrais me retrancher dans des réticences et me borner à vous rendre compte de la façon dont je me suis acquitté de la mission que vous m’aviez confiée. J’étais chargé de prendre des renseignements sur un enfant qu’aurait eu, il y a une vingtaine d’années, à Rome, une certaine Bartolomea Astrodi. Ces renseignements, je vous les apporte, et je suis en mesure de les appuyer de preuves authentiques. Il ne me resterait donc, si je voulais m’en tenir là, qu’à vous réclamer le prix de mes peines et soins.

– Je ne refuse pas de vous payer.

– J’en suis persuadé, mais vous n’apprécieriez pas mes services à leur véritable valeur, si je m’en tenais là, et je crois que le moment est venu de jouer avec vous cartes sur table.

– Qu’entendez-vous par ces paroles?

– J’entends que je n’ignore pas pourquoi vous avez intérêt à savoir ce qu’est devenue la fille de la nommée Astrodi qui posait pour les peintres.

– L’intérêt que j’ai?… mais je n’en ai aucun.

– Soyons sérieux, je vous prie. Si vous n’en aviez pas, vous ne m’auriez pas promis un billet de mille francs contre informations précises.

«Eh bien, monsieur, cet intérêt, je me suis permis de le chercher, et je n’ai pas eu beaucoup de peine à le découvrir. Bianca Astrodi, fille de Bartolomea Astrodi, est votre nièce.

– Ce n’est pas vrai!… je n’ai pas de nièce.

– Oh! elle n’est votre nièce que de la main gauche… et, de plus, M. Francis Boyer, son père, n’est que votre frère utérin… votre demi-frère, comme on dit vulgairement. Vous n’en êtes pas moins son héritier naturel pour la portion de sa fortune qui lui vient de votre mère… et cette part vaut bien qu’on y tienne, car elle représente un capital très important.

– Et quand cela serait, s’écria M. Paulet, l’existence de cette fille ne me toucherait guère. Vous venez de me dire vous-même qu’elle n’a pas été reconnue. Donc, elle n’a aucun droit à la succession.

– Aucun droit à la réclamer légalement, non, certes. Mais, monsieur, vous ne l’ignorez pas, les frères ne sont pas des héritiers à réserve. Rien n’empêche M. Boyer de laisser son bien au premier venu… ou à la première venue… par exemple, à la signora Bianca Astrodi. Il est même fort heureux pour cette demoiselle que M. Boyer ne l’ait pas reconnue, car il n’aurait pas pu disposer en sa faveur de la totalité de sa fortune. Ainsi l’a décrété notre code.

– Si mon frère avait eu l’intention de faire d’une étrangère sa légataire universelle, il se serait inquiété de cette personne… et il n’a jamais cherché à la voir, depuis de longues années.

– Peut-être. Il a pu la perdre de vue et cependant ne pas l’oublier.

– Il aurait, du moins, exprimé le désir de la retrouver… Il aurait, d’une façon quelconque, manifesté ses intentions…

– Mais… il les a manifestées… et ce n’est pas sa faute s’il n’a pas revu sa fille.

– Vous en savez plus long que moi, à ce qu’il paraît, dit avec humeur M. Paulet.

– Pas plus, mais autant, répondit avec calme le sieur Auguste Blanchelaine. J’ai eu l’honneur de vous dire que j’avais coutume d’élucider à fond les affaires qu’on veut bien me confier. J’ai donc dû me ménager des intelligences dans le pays où s’est fixé M. votre frère, peu de temps après son retour en France.

«J’ai un correspondant à Amélie-les-Bains.

– Ah! c’est trop fort… et je m’étonne de votre audace… Vous vous êtes permis de m’espionner, et vous osez me le dire en face… Prétendez-vous aussi que je vous paie pour vous êtes mêlé de ce qui ne vous regardait pas?

– Je ne prétends rien. Je me borne à vous exposer des faits. C’est à vous d’en tirer les conséquences.

– Allez au diable avec vos conséquences! cria M. Paulet, emporté par la colère. Je n’ai que faire de vous maintenant; mon frère vient de mourir.

– Je le savais.

– Vous le saviez?

– Oui, depuis hier. Et je sais encore qu’il vous a déshérité au profit de Bianca Astrodi.

– Vous allez peut-être me dire aussi que vous avez vu le testament?

– Non. Et vous ne l’avez pas vu non plus. Mais le notaire qui l’a reçu a dû vous écrire. Vous êtes fixé.

– Que je le sois ou non, je n’ai plus besoin de vos services.

– Mes services vous sont, au contraire, plus nécessaires que jamais. Que donneriez-vous à qui vous apporterait la preuve que Bianca Astrodi est morte?

– Comment osez-vous dire que cette fille est morte? Vous vous moquez de moi, je pense. Vous prétendiez tout à l’heure qu’elle était à Paris.

– Eh! mais, ricana Blanchelaine, on meurt à Paris comme ailleurs.

– Et vous avez la preuve du décès?

– Je l’ai et je suis prêt à vous la fournir… pas pour rien, bien entendu.

– Je serais bien sot de vous la payer, car je n’ai pas besoin de vous pour me la procurer.

– Essayez.

– Il me suffira de compulser les registres des actes de l’état civil, dans toutes les mairies de Paris.

– Libre à vous. Les gens qui meurent ne sont pas toujours inscrits sous leur véritable nom.

– Si cette Astrodi l’a été sous un autre nom que le sien, comment pourrez-vous me fournir un acte de décès qui établisse qu’elle est morte?

– C’est mon affaire.

– Et alors même que vous me le fourniriez, à quoi me servirait-il? Si cette Italienne a hérité, ses héritiers à elle hériteront.

– Assurément. Mais quel jour est décédé M. Francis Boyer?

– Mercredi, à trois heures.

– Eh bien, si l’Astrodi était morte mardi, qu’arriverait-il?

– Ça ne changerait rien à la situation.

– Je croyais, monsieur, que vous connaissiez mieux votre code.

– Vous n’allez pas, je suppose, me faire un cours de droit. Et moi je n’ai pas de temps à perdre. Expliquez-vous clairement et finissons-en.

– Je ne demande pas mieux. Pour hériter de quelqu’un, il faut lui survivre, n’est-ce pas?

– Sans doute.

– Donc, un testament fait au profit d’un mort est nul de plein droit.

– C’est évident, mais…

– Ce testament devient caduc… C’est le terme consacré.

– Et alors?…

– Alors, c’est comme s’il n’existait pas; la succession revient tout entière aux héritiers naturels.

– Vous êtes sûr de ce que vous avancez là?

– Absolument sûr! Si vous en doutez, consultez votre notaire, ou votre avoué, ou n’importe quel homme de loi.

– De sorte que, si cette fille est décédée un jour avant mon frère…

– Un jour ou une heure, peu importe. Elle n’a pas pu hériter si elle est morte avant que la succession fût ouverte. C’est uniquement une question de date. Et pour la trancher, il suffit de produire les deux actes de décès.

– Celui de mon frère et celui de cette fille?

– Précisément. Vous aurez quand vous voudrez, si vous ne l’avez déjà, celui de M. Francis Boyer. C’est à vous de voir si vous tenez à vous procurer celui de Bianca Astrodi.

– Alors, vous venez me proposer de me le vendre?

– Mon Dieu, oui.

– Savez-vous, M. Blanchelaine, que vous faites là un singulier commerce?

– En ce monde, on fait ce qu’on peut. Si j’étais propriétaire comme vous, je ne m’amuserais pas à être marchand de successions. Mais c’est un métier qui en vaut un autre, et mes clients n’ont jamais eu à se plaindre de moi; vous-même, monsieur, vous n’aurez qu’à vous en louer si, comme je l’espère, nous parvenons à nous entendre, car vous me devrez une belle fortune, et il ne vous en coûtera qu’une somme relativement médiocre. Je vous rappelle, d’ailleurs, que c’est vous qui êtes venu me chercher.

– Pardon! J’avais entendu parler de vous par un de mes amis qui m’avait assuré que vous entrepreniez à forfait des recherches sur les personnes et que vous étiez un habile homme. Je vous ai fait venir, et je vous ai chargé de prendre des renseignements sur la nommée Bartolomea Astrodi… mais je ne vous ai pas dit un seul mot qui eût trait à un héritage.

– Oh! d’accord. Mais il aurait fallu que je fusse bien bête pour ne pas deviner qu’il s’agissait de cela. Aussi ai-je commencé par m’informer des successions que vous pouviez avoir à recueillir éventuellement. Et je n’ai pas eu beaucoup de peine à établir votre situation et celle de votre frère.

– Si j’avais su que vous procéderiez ainsi, je ne me serais pas adressé à vous.

– Cela vous plaît à dire maintenant; vous me permettrez de penser le contraire et de vous remettre en mémoire une conversation que j’ai eu l’honneur d’avoir avec vous… pas la première; la seconde… car vous avez bien voulu me recevoir deux fois. Au cours de notre dernière entrevue, comme je vous demandais ce que j’aurais à faire si j’acquérais la certitude que Bartolomea Astrodi avait eu un enfant, vous vous êtes écrié que si cet enfant existait, il serait à souhaiter qu’il mourût.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 ağustos 2016
Hacim:
320 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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