Kitabı oku: «Le roman bourgeois: Ouvrage comique», sayfa 15
Lettre de Belastre à Collantine
Mademoiselle, si je forme complainte contre vos rigueurs, ce n'est pas de m'avoir emprisonné tout entier dans la conciergerie, mais c'est parce qu'au mépris des arrests qui m'ont eslargy, vos seuls appas ont d'abondant decreté contre mon cœur, dont ayant eu advis, il s'est volontairement rendu et constitué prisonnier en la geolle de vostre merite. Il ne se veut point pourvoir contre ledit decret, ny obtenir des defenses de passer outre; ains, au contraire, il offre de prester son interrogatoire et de subir toutes les condamnations qu'il vous plaira, si mieux vous n'aimez, me recevant en mes faits justificatifs, me sceller des lettres de grace et de remission de ma temerité, attendu que le cas est fort remissible, et que si je vous ai offensée ce n'a esté qu'à mon cœur deffendant: faisant à cet effet toutes les protestations qui sont à faire, et particulierement celle d'estre toute ma vie
Votre tres humble et tres patient serviteur,
Belastre.
Si tost que cette lettre fut achevée, Belastre en trouva le stile merveilleux et magnifique, et s'applaudit à luy mesme comme s'il l'eust composée, parce qu'il y reconnut deux ou trois termes de pratique qu'il y avoit mis, qui avoient servy à son siffleur de canevas pour la mettre en cette forme. Il ne laissa pas d'embrasser tendrement son docteur, pour le remercier de sa correction; et il ne l'eut pas si-tost mise au net, qu'il l'envoya à Collantine. De vous dire quelle impression elle fit sur son esprit, je ne puis le faire bien precisément, parce qu'il n'y a point eu d'espion ou de confident qui en ayent pû faire un rapport fidelle, ce qui est un grand malheur, et fort peu ordinaire: car regulierement, en la reception de telles lettres, il se trouve tousjours quelqu'un qui remarque les paroles ou les mouvemens du visage, témoins asseurez des sentimens du cœur de la dame, et qui les decelle aussi-tost indiscretement. Il y eut encore un malheur plus signalé: c'est que la réponse qu'elle y fit (car elle a déclaré depuis y avoir répondu) fut perduë, d'autant que, comme elle n'avoit point de laquais, elle se contenta de mettre sa lettre dans de certaines boëstes118 qui estoient lors nouvellement attachées à tous les coins des rues, pour faire tenir des lettres de Paris à Paris, sur lesquelles le ciel versa de si malheureuses influences que jamais aucune lettre ne fut renduë à son adresse, et, à l'ouverture des boëstes, on trouva pour toutes choses des souris que des malicieux y avoient mises.
Ce qu'on peut apprendre neantmoins du succes de cette lettre, par les conjectures, c'est que le stile en plut fort à Collantine, comme estant tout à fait selon son genie, et elle en conceut une nouvelle estime pour Belastre, le jugeant digne par là d'estre poursuivy plus vivement, comme elle fit en effet; car elle avoit reformé ce proverbe commun: Qui bien aime, bien chastie, et elle disoit, pour le tourner à sa maniere: Qui bien aime, bien poursuit. Belastre, de son costé, poursuivoit sa pointe, et, sans préjudice de ses droits et actions, c'est à dire de ses procés, qui alloient tousjours leur train, il ne laissoit pas d'employer ses soins à faire la cour à Collantine et à lui conter des fleurettes aussi douces que des chardons. Il luy envoyoit mesme les chef-d'œuvres des patissiers, des rotisseurs, et semblables menus presens qu'il recevoit en l'exercice de sa charge. Il luy donnoit les bouquets que luy presentoient les jurées bouquetieres ou les maîtres de confrairies; il luy faisoit bailler place commode dans les lieux publics, pour voir les pendus et les roüez qu'il faisoit executer119. Et, enfin, comme le singe des autres galands, poëtes ou non, qui ne croyoient pas bien faire l'amour à leur maistresse s'ils ne lui envoyoient des vers, il ne voulut pas negliger cette formalité en faisant l'amour dans les formes. Mais comme sa temerité ne le porta pas d'abord jusqu'à en vouloir faire de son chef (veu qu'il ne sçavoit par où s'y prendre) et qu'il n'avoit personne à qui il pust commander d'en faire exprés, ou plustost qu'il n'avoit pas dequoy les payer, ce qui est le plus important, et qui n'appartient qu'aux grands seigneurs, il trouva ce milieu commode de dérober dans quelque livre ceux qu'il trouveroit les plus propres pour son dessein, et de les défigurer en y changeant quelque chose, afin de les faire passer pour siens plus aisément. Au reste, parce qu'on auroit facilement découvert son larcin s'il l'eust fait dans quelqu'un de ces nouveaux autheurs qui sont journellement dans les mains de tout le monde, son soin principal fut de chercher les plus vieux poëtes qu'il pourroit trouver. Or, à quoy pensez-vous qu'il connust si un autheur estoit ancien ou moderne (car il ne connoissoit ny leur siecle, ny leur nom, ny leur stile)? il alloit sur le Pont-Neuf120 chercher les livres les plus frippez, dont la couverture estoit la plus dechirée, qui avoient le plus d'oreilles, et tels livres estoient ceux qu'il croyoit de la plus haute antiquité.
Il trouva un jour un Theophile qui avoit ces bonnes marques, qu'il acheta le double de ce qu'il valoit, encore crut-il avoir fait une bonne emplette, et avoir trompé le marchand. Il en fit quelques extraits apres l'avoir bien feuilleté, et pourveu que les vers parlassent d'amour, cela luy suffisoit pour les trouver bons. Il en envoya quelques-uns à Collantine, apres les avoir corrigez et ajustez à sa maniere, c'est à dire les avoir gastez et corrompus. Le messager qui les porta eut ordre de dire qu'il les avoit veu faire à la haste, et que Belastre n'avoit pas eu le loisir de les polir.
Quoy que Collantine ne se connust point du tout en vers, elle ne laissoit pas neantmoins de faire grand estat de ceux qu'on luy envoyoit, non pas pour estre bons ou mauvais, mais parce seulement qu'ils estoient faits pour elle. Car il n'y a point de bourgeoise, pour sotte et ignorante qu'elle soit, qui n'en tire un grand sujet de vanité, et mesme davantage que les personnes de condition, qui sont accoustumées à en recevoir. Aussi n'y eut-il personne qui vint chez elle à qui elle ne les monstrast comme une grande rareté, depuis son procureur jusqu'à sa blanchisseuse. Mais entre ceux qu'elle croyoit qui les devoient le plus admirer, elle contoit Charroselles. Dés la premiere fois qu'elle le vid, elle courut à luy avec des papiers à la main qui le firent blesmir, car il croyoit encore que ce fussent quelques exploits. Elle luy dit brusquement: Tenez, auriez-vous jamais cru qu'on eust fait des vers a ma loüange? En voila pourtant, dea! et vous, qui faites des livres, n'avez jamais eu l'esprit d'en faire un pour moy.
Charroselles luy baragoüina entre les dents certain compliment qu'il auroit été difficile de deschiffrer, et prit ces papiers en tremblant, croyant avoir encore plus à souffrir en la lecture de ces vers qu'en celle des papiers pleins de chicane: car il contoit des-jà qu'il luy en cousteroit quelque loüange, qu'exigent d'ordinaire tous ceux qui presentent des vers à lire, ce qui estoit pour luy un supplice insupportable. Cependant il en fut quitte à meilleur marché, car il n'eust pas si-tost jetté les yeux dessus, qu'il reconnut le larcin. Il dit donc à Collantine qu'ils estoient de Theophile, et que c'estoit se mocquer de dire qu'on les avoit fait exprès pour elle. Il lui apporta mesme le livre imprimé, pour une pleine conviction, ce que Collantine receut avec grande joye. Elle ne manqua pas de faire insulte au pauvre Belastre dés la premiere fois qu'il la vint voir; pour premier compliment, elle luy dit qu'elle avoit recouvert une piece decisive qu'elle alloit produire contre luy. Belastre, qui croyoit son larcin aussi caché que s'il l'eût fait chez les Antipodes, crut alors qu'elle vouloit parler de ses procés, et répondit seulement qu'il y feroit fournir de contredits par son advocat. Mais Collantine, le tirant d'erreur, luy parla des vers qu'il lui avoit envoyez, et lui dit: Vraiment, Monsieur, vous avez raison de dire que les vers ne vous coustent gueres à faire, puisque vous les trouvez tous faits. Belastre, qui attendoit de grands remercimens, se trouva fort surpris de cette raillerie; et neantmoins, avec une asseurance de faux témoin, il lui confirma, non sans un grand serment, qu'il les avoit fait tout exprés pour elle. Mais que voulez-vous gager (reprit Collantine) que je vous les monstreray imprimez dans ce livre (dit-elle en luy monstrant un Theophile)? Tout ce que vous voudrez, dit Belastre, qui, luy voyant tenir un livre relié de neuf, ne se douta aucunement que ce fust le mesme que le sien, qu'il croyoit tres-vieux. La gageure accordée d'une collation, le livre fut ouvert à l'endroit du larcin, marqué d'une grande oreille, ce qui surprit davantage Belastre que si on luy eust revelé sa confession. Il s'enquit aussi-tost du nom de celuy qui avoit pû découvrir un si grand secret, et apprenant que c'estoit son rival, il l'accusa soudain de magie. Il crut qu'il falloit estre devin ou avoir parlé au diable pour trouver une chose si cachée. Car (disoit-il) ou il faut que cet homme ait leu tous les livres qu'il y a au monde, et qu'il les sçache tous par cœur, ou il n'a point veu celuy que j'ay, qui est le plus vieux que j'aye jamais pû trouver. Quelque temps apres ce ridicule raisonnement, assez commun chez les ignorans, et la gageure acquittée, il minutta sa sortie; et pour se vanger de son rival, il ne fut pas si-tost dehors qu'il demanda à un des procureurs de son siege comment il se falloit prendre à faire le procés à un sorcier. On luy dit qu'il falloit avoir premierement quelque denonciateur. He bien! (dit-il aussi-tost) où demeurent ces gens-là? envoyez-m'en querir un par mes sergens? Cette ignorance fit faire alors un grand éclat de rire à ceux qui estoient présens; sur quoy il adjouste en colere: Quoy! ne sont-ce pas des gens créez en titre d'office? je veux qu'ils fassent leur charge, ou je les interdiray sur le champ. La risée ayant redoublé, Belastre, en persistant, dit encore: Vous me prenez bien pour un ignorant, de croire qu'en France, où la police est si exacte, et où on chomme si peu d'officiers, on ne puisse pas trouver tous ceux qui sont nécessaires pour faire le procés à un sorcier. Mais il eut beau se mettre en colere, il ne put executer son dessein, et il fallut qu'il remist sa vengeance à une autre occasion.
Pour éviter désormais un pareil affront, et reparer celuy qu'il avoit receu, il se resolut, à quelque prix que ce fust, de faire des vers de luy-mesme. Depuis qu'il en eut une fois tasté, il ne crut pas qu'on se pust passer d'en faire; et on peut bien dire que c'est une maladie semblable à la gravelle ou à la goutte: dés qu'on en a senty une atteinte, on s'en sent toute sa vie. Il estoit fort en peine de sçavoir avec quoy on les faisoit, et apres avoir feuilleté quelques livres, le hasard le fit tomber sur certain endroit où un poëte s'estonnoit de ce qu'il faisoit si bien des vers, veu qu'il n'avoit pas beu de l'hippocrene. Il crut, par la ressemblance du nom, que c'estoit une espece d'hypocras, et il demanda à un juré apoticaire qui eut à faire à luy environ ce mesme temps qu'il lui donnast quelques bouteilles d'hypocras à faire des vers. Il n'en eut qu'une risée pour réponse, mais il adjousta: Ne faites point de difficulté de m'en faire exprés, je le payeray bien, valust-il un escu la pinte. Une autrefois, ayant leu que pour faire de bons vers il falloit se mettre en fureur, s'arracher les cheveux et ronger ses ongles, il pratiqua cela fort exactement. Il mordit ses ongles jusques au sang, il se rendit la teste presque chauve, et il se mit si fort en colere (il ne connoissoit point d'autre fureur) que son pauvre clerc et son laquais en pâtirent, et porterent long-temps sur les épaules des marques de sa verve poëtique. Enfin, il eut recours à son siffleur, qui se méloit aussi de faire des vers (de méchans, s'entend) et qui un peu auparavant avoit fait jouer dans sa chambre une pastorale de sa façon, sur un theatre basty de trois ais et de deux futailles, decoré des rideaux de son lit et de deux pieces de bergame. Cet homme lui enseigna donc les regles des vers, qu'il ne sçavoit pas luy-mesme. Il luy apprit à conter les syllabes sur ses doigts, qu'il mesuroit auparavant avec un compas: car il ne concevoit point d'autre façon de faire des vers, que de trouver moyen de ranger des mots en haye, comme il avoit veu autrefois ranger des soldats pour faire un bataillon.
Ce brave maistre luy apprit aussi qu'il y avoit des rimes masculines et féminines; surquoy Belastre luy dit avec admiration: Est-ce donc que les vers s'engendrent comme des animaux, en mettant le masle avec la femelle? Enfin, apres quelques mois de noviciat, et apres avoir autant broüillé de papier qu'un scrupuleux faiseur d'anagrammes, il fit les trois méchans couplets qu'on verra en suitte, non sans suer aussi fort que celuy qui auroit joüé quatre parties de six jeux à la paulme. Encore faut-il que je recite de luy une certaine naïfveté assez extraordinaire.
Il avoit oüy dire que les muses estoient des divinitez qu'il falloit avoir favorables pour bien faire des vers, et que tous les grands poëtes les avoient invoquées en commençant leur ouvrage. Il avoit mesme marqué de rouge quatre vers dans un Virgile qu'avoit son siffleur, qu'on luy avoit dit estre l'invocation de l'Eneïde. Il avoit apris par cœur ces quatre vers, et les recitoit comme une oraison fort devote toutes les fois qu'il se mettoit à ce travail, de mesme qu'on fait lire la vie de sainte Marguerite pour faire delivrer une femme enceinte. Quand Belastre eut si bien, à son sens, reüssi dans son entreprise, et se fust applaudi cent fois luy-mesme (car les ignorans sont ceux qui se trouvent les plus satisfaits de leurs ouvrages), il s'en alla, avec ce beau chef-d'œuvre dans sa poche, voir Collantine. Il avoit une fierté nompareille sur son visage, croyant bien effacer la honte qu'il avait auparavant receuë. Il debuta par ce cartel: Je vous deffie (dit-il en lui monstrant un papier qu'il tenoit à la main) de trouver que ces vers que je vous apporte soient dérobez; car dans tous les livres qui sont au monde, vous n'en verrez point de cette maniere. Ce n'est pas que je me veüille piquer d'estre autheur, ny faire le bel esprit; mais vous connoistrez que quand je m'y veux appliquer, je suis capable de faire des vers à la cavaliere.
Par malheur pour luy, Charroselles, qui estoit entré un peu auparavant, se trouva de la compagnie; il fit un grand cry dés qu'il ouyt nommer cette sorte de vers, qui importune tant d'honnestes gens; et sans songer s'il avoit un antagoniste raisonnable en relevant cette parole, il luy dit brusquement: Qu'entendez-vous par ces vers à la cavaliere? n'est-ce pas à dire de ces méchans vers dont tout le monde est si fatigué? Belastre se hazarda de répondre que c'estoient des vers faits par des gentilshommes qui n'en sçavoient point les regles, qui les faisoient par pure galanterie, sans avoir leu de livres, et sans que ce fust leur mestier. Hé! par la mort, non pas de ma vie (reprit chaudement Charroselles). Pourquoy diable s'en meslent-ils, si ce n'est pas leur mestier? Un masson seroit-il excusé d'avoir fait une méchante marmite, ou un forgeron une pantoufle mal faite, en disant que ce n'est pas son mestier d'en faire? Ne se mocqueroit-on pas d'un bon bourgeois qui ne feroit point profession de valeur si, pour faire le galand, il alloit monster à la brêche, et monstrer là sa poltronnerie?
Quand je voy ces cavaliers, qui, pour se mettre en credit chez les dames, negligent la voye des armes, des joustes et des tournois pour faire les beaux esprits et les versificateurs, j'aimerois autant voir les chevaliers du Port au foin faire les galans avec leurs tournois à la bateliere, lors qu'ils tirent l'anguille ou l'oison, et qu'il joustent avec leurs lances. Cependant il se coule mille millions de méchans vers sous ce titre specieux de vers à la cavaliere, qui effacent tous les bons, et qui prennent leur place. Combien voyons-nous de femmes bien faites mépriser des vers tendres et excellens qu'aura fait pour elles un honneste homme avec tout le soin imaginable, pour admirer deux méchans quatrains que leur aura donné un plumet, aussi polis que ceux de Nostradamus? O Muses! si tant est que vostre secours soit necessaire aux amans, pourquoy souffrez-vous que ceux qui vous barbouïllent et qui vous défigurent soient favorisez par vostre entremise, et que vos plus chers nourrissons soient d'ordinaire si mal receus?
L'entousiasme alloit emporter bien loin Charroselles, car il estoit fort long en ses invectives (quoy qu'il n'eust pas grand interest en celle-cy, comme faisant fort peu de vers), quand l'impatience de Collantine l'interrompit, en disant fort haut: Or sus, sans faire tant de préambules, voyons ces vers dont est question; qu'ils soient bons ou mauvais, il suffit qu'ils soient faits à ma loüange pour me plaire. Belastre ne s'en fit pas prier deux fois, de peur de differer les applaudissemens qu'il en attendoit; il leut donc ces vers avec la mesme gravité qu'il auroit deub prononcer ses sentences:
Belle bouche, beaux yeux, beau nez,
Depuis que vous me chicanez,
Mon cœur a souffert la migraine;
Faites faire halte à vos rigueurs,
Quoy? Voulez-vous par vos froideurs
Egaler la Samaritaine?
Vrayment (dit Charroselles), je ne sçay si ces vers ne sentent point plus le praticien que le cavalier; mais du moins on ne dira pas qu'ils sentent le médecin, car il n'y en a point qui pust dire que la migraine, qui est une maladie de la teste, fust dans le cœur. Cela peut passer neantmoins à la faveur de cette comparaison qui a toute la froideur que vous luy attribuez; continuez donc.
Vous trapercez si fort un cœur
Que, quand je l'aurois aussi dur
Que celuy du cheval de bronze,
Il faudroit ceder à vos coups,
Et je vous les donnerois trestous
Quand bien j'en aurois dix ou onze.
Voila (dit Charroselles) une rime gasconne121 ou perigourdine, et vous la pouvez faire trouver bonne en deux façons, en violentant un peu la prononciation, car vous pouvez dire un cœur aussi deur, ou un cur aussi dur; mais en recompense la rime de onze est fort bien trouvée. Quant au cinquième vers, si vous l'aviez bien mesuré vous le trouveriez trop long d'une sillabe. A cela (répondit Belastre) le remede sera facile; je n'auray qu'à le faire écrire plus menu, il ne sera pas plus long que les autres. Je ne me serois pas advisé de ce remede (dit Charroselles), et j'aurois plustost dit donrois au lieu de donnerois, comme faisoient les anciens, qui usoient de la sincope. Qu'est-ce à dire, sincope (reprit Belastre)? n'est-ce pas une grande maladie? qu'a-t-elle de commun avec les vers? Ensuite il continua:
Et, qui pis est, vostre attentat
Se commet contre un magistrat.
Doublement peche qui le tue.
Quand il s'agit de resister
Aux coups qu'il vous plaist me porter
Je n'ay ny force ny vertue.
Charroselles, estonné de ce dernier mot, demanda le papier pour voir comment il estoit escrit; mais il fut surpris de voir que l'autheur, qui estoit mieux fondé en rime qu'en raison, avoit mieux aimé faire un solœcisme qu'une rime fausse. Il admira sa naïveté, et luy demanda s'il en avoit fait encore d'autres. Belastre répondit qu'il y en avoit beaucoup qu'il n'avoit pas eu le loisir de décrire. Charroselles luy repliqua: Ce n'est donc icy qu'un fragment? A quoy Belastre repartit: Je ne sçay; mais, je vous prie, dites-moy combien il faut que l'on mette de vers pour faire un fragment? Cette nouvelle naïveté causa un grand esclat de rire, qui ne fut pas sitost passé que Belastre, voulant recueillir le fruit de son travail, demanda ce qu'on pensoit de ses vers, c'est-à-dire, exigeoit de l'approbation, quand Charroselles luy dit: Vrayement, Monsieur, vous faites des vers à la maniere des Grecs, qui avoient beaucoup de licences. Pourquoy non (reprit Belastre)? n'ay-je pas eu mes licences, qui m'ont cousté de bel et bon argent? Il est vray que je ne sçay de quelle université elles sont, mais mademoiselle les a veuës, car je les ay produites quand elle ma accusé de ne sçavoir pas le latin. J'ay fait toutes mes classes, tel que vous me voyez; il est vray qu'ayant esté long-temps à la guerre, j'ay tout oublié.
Vous estes donc (luy dit Charroselles) plus que docteur, car j'ai ouy dire quelquefois qu'un bachelier est un homme qui apprend, et un docteur un homme qui oublie; vous qui avez tout oublié estes quelque chose par delà. Pour revenir à vos vers, ils sont d'une manière toute extraordinaire; je n'en ay point veu de pareils, et je ne doute point que vous ne fassiez de beaux chefs-d'œuvres s'il vous vient souvent de telles boutades. Ha (dit Belastre), je voudrois bien sçavoir les regles d'une boutade; est-il possible que j'en aye fait une bonne par hazard? Vous estes bien difficiles à contenter, vous autres messieurs les delicats (dit là dessus Collantine); pour moy, j'aime generalement tous les vers poetiques, et surtout les quatrains de six vers, tels que sont ceux qui sont pour moy. Charroselles sousrit de cette belle approbation, et insensiblement prit occasion, en parlant de vers, de déclamer contre tous les autheurs qu'il connoissoit, et il n'y en eut pas un, bon ou mauvais, qui ne passast par sa critique, sans prendre garde s'il parloit à des personnes capables de cet entretien. Mais j'obmettray encore à dessein tout ce qu'il en dit, car on me diroit que c'est une médisance de reciter celle que les autres font. La conclusion fut que Collantine, qui s'étoit teuë long-temps pendant qu'il parloit de ces autheurs, dont elle ne connoissoit pas un, voulant parler de vers à quelque prix que ce fust, vint à dire: Pour moy, je ne trouve point de plus beaux vers que ceux de la Misere des clercs des procureurs; les pointes en sont bonnes et le sujet tout à fait plaisant. Je les leus dernierement sur le bureau du maistre clerc de mon procureur, durant qu'il me dressoit une requeste. Si les clercs (répondit Charroselles) sont aussi miserables que ces vers, je plains sans doute leur misere; mais quoy! ce ne sont pas seulement les clercs qui sont à plaindre, les procureurs le sont aussi, et encore plus les parties, enfin tous ceux qui se meslent de ce maudit mestier de chicaner. Pourquoy dites-vous cela (reprit Collantine)? je ne vois point qu'il y ait de meilleur mestier que celuy de procureur postulant? Vous ne voyez point de fils de paysan ou de gargotier qui soit entré dans une telle charge, la pluspart du temps à credit, qui au bout de sept à huit ans n'achete une maison à porte cochere122, qu'il se fait adjuger par decret à si bon marché qu'il veut, et qui ne fasse cependant subsister une assez nombreuse famille. Que s'il ne tient pas bonne table, et s'il ne fait pas grande dépence, c'est plustost par avarice que par incommodité. Je ne doute point (repliqua Charroselles) que le gain n'en soit assez grand, et je ne m'enquiers point s'il est legitime; mais il faut avoüer que c'est une triste occupation d'avoir tousjours la veuë sur des papiers dont le stile est si dégoustant, et de n'aquerir du bien qui ne vienne de la ruine et du sang des miserables. A leur dam (interrompit Collantine)! Pourquoy plaident-ils, ces miserables, s'ils ne sont pas bien fondez? Fondez ou non (adjousta Charroselles), les uns et les autres se ruinent également, témoin une emblesme que j'ay veuë autrefois de la chicane, où le plaideur qui avoit perdu sa cause estoit tout nud; celuy qui l'avoit gagnée avoit une robbe, à la verité, mais si pleine de trous et si déchirée, qu'on auroit pû croire qu'il estoit vestu d'un rezeau: les juges et les procureurs estoient vestus de trois ou quatre robbes les unes sur les autres.
Vous estes bien hardy (luy dit Belastre en colère) de décrier ainsi nostre mestier? Si j'avois icy mes sergens, je vous ferois mettre là bas en vertu d'une bonne amande que je vous ferois payer sans déport. Je le décrie moins (répondit Charroselles) que ne font les advocats, parce qu'on ne les void jamais avoir de procés en leur nom, de mesme que les medecins ne prennent jamais de leurs drogues. J'ay ouy dire encore ce matin à un de mes amis qu'il n'avoit jamais eu qu'un procès, qu'il avoit gagné, avec dépens et amende, mais qu'il s'est trouvé à la fin que s'il eust abandonné dès le commencement la debte pour laquelle il plaidoit, il auroit gagné beaucoup davantage. Mais comment cela se peut-il faire (lui dit Collantine)? Voicy comment il me la conté (reprit Charroselles): Il luy estoit deub cent pistolles par un mauvais payeur, proprietaire d'une maison qui valloit bien environ quatre mil francs. Il a mis son obligation entre les mains d'un procureur, qui, ayant un antagoniste aussi affamé que luy, a si bien contesté sur l'obligation et sur les procedures du dècret qu'on a fait en suite de cette maison, qu'il a obtenu jusqu'à sept arrests contre la partie, tous avec amende et dépens. Or, par l'événement, les dépens ayans esté taxez à 2500 livres, et la maison adjugée à 2000 livres seulement au beau-frere de son procureur, il luy a cousté de son argent 500 livres, outre la perte de sa debte. Mais il m'a juré que son plus grand regret estoit à l'argent qu'il luy avoit fallu tirer pour payer toutes les amandes à quoy sa partie avoit esté condamnée, faute de quoy on ne luy vouloit pas délivrer ses arrests.
On avoit raison (repartit Collantine), car ne sçait-on pas bien que c'est celuy qui gagne sa cause qui doit avancer l'amande de douze livres? Mais on luy en donne, s'il veut, aussi-tost le remboursement sur sa partie. Et que sert le remboursement (adjousta Charroselles) si le debiteur est insolvable, comme le sont tous les chicaneurs? Ne vaudroit-il pas bien mieux que Monsieur le receveur perdit la somme, qui luy est un pur gain, que de la faire tomber, par l'evenement, sur le dos de celuy qui avoit bon droit, et qui est chastié de la faute d'autruy?
La mesme personne m'a fait encore une grande plainte sur la declaration de ces dépens, qui luy tenoit fort au cœur, et l'a traduite assez plaisamment en ridicule. Il m'a fait voir que pour un mesme acte il y avoit cinq ou six articles separez, par exemple pour le conseil, pour le memoire, pour l'assignation, pour la coppie, pour la presentation, pour la journée, pour le parisis, pour le quart en sus, etc.123, et il m'a dit en suite qu'il s'imaginoit estre à la comédie italienne, et voir Scaramouche hostelier compter à son hoste pour le chapon, pour celuy qui l'a lardé, pour celuy qui l'a châtré, pour le bois, pour le feu, pour la broche, etc. Vrayment (dit alors Collantine), il faut bien le faire ainsi, puisque c'est un ancien usage; j'avouë bien que c'est là où messieurs les procureurs trouvent mieux leur compte, car pour faire cette taxe on compte les articles, et tel de ces articles qui n'est que de dix deniers couste quelquefois huit sous à taxer, comme en frais extraordinaires de criées; sans compter les roles de la declaration, qui par ce moyen s'amplifient merveilleusement. Aussi disent-ils que c'est la piece la plus lucrative de leur mestier. Mais je vous advoüray (ajousta-t'elle) que j'y trouve une chose qui me choque fort: c'est qu'on y taxe de grands droits aux procureurs pour les choses qu'ils ne font point du tout, comme les consultations et les revisions d'ecritures, et on leur en taxe de très-petits pour celles qu'ils font effectivement, comme les comparutions aux audiences pour obtenir les arrests; c'est un point qu'il sera tres-important de corriger, quand on fera la reformation des abus de la justice. Apres cela (continua Charroselles, qui avoit esté aussi obligé d'apprendre à plaider à ses dépens à cause du procés qu'il avoit eu contre Collantine) n'avoüerez-vous pas que c'est un méchant mestier que de plaider, puis qu'on est exposé à souffrir ces mangeries? Il faut distinguer (répondit la demoiselle), car on a grand sujet de plaindre ces plaideurs par necessité, qui sont obligez de se deffendre le plus souvent sans en avoir les moyens, quand ils sont attaquez par des personnes puissantes, et attirez hors de leur pays en vertu d'un committimus. Mais il n'en est pas de mesme de ces plaideurs volontaires qui attaquent les autres de gayeté de cœur, car ils sont redoutables à toutes sortes de personnes, et ils ont l'avantage de faire enrager bien des gens. Vous m'advouërez vous-mesme que c'est le plus grand plaisir du monde, et qu'on peut bien faire autant de mal par un exploit que par une satyre. Outre que leurs parties sont tousjours contraintes, pour se racheter de leurs vexations, de leur donner de l'argent ou de leur abandonner une partie de la chose contestée, de sorte que, quelque méchant procés qu'ils puissent avoir, pourveu qu'ils les sçachent tirer en longueur, ils y trouvent plus de gain que de perte.
Vrayment (interrompit Charroselles), à propos de ces gens qui chicanent à plaisir, je me souviens d'une rencontre que j'eus dernierement au palais. Je me trouvay auprés d'un Manceau qui, ayant donné un soufflet à un notaire de ses voisins (ainsi que j'appris depuis), avoit esté obligé de soustenir un gros procés criminel devolu par appel à la cour, et pour ce sujet il avoit esté condamné en de grandes reparations, dommages et interests. J'oüys un de ses compatriotes qui, pour le railler, luy disoit: Hé bien, qu'est-ce, Baptiste (ainsi falloit-il que s'appellast ce tappe-notaire)? Tu es bien chanceux: tu as perdu ton procés? Ce Manceau luy dit pour toute réponse: Vrayment c'est mon, vla bien dequoy! N'en auray-je pas un autre tout pareil quand je voudray? La risée que firent ceux qui ouyrent cette réponse me donna la curiosité d'aprendre le sujet de ce procés, et en suite d'avoüer qu'il n'y avoit rien de plus aisé que de faire des procés de cette qualité, mais que ce n'estoit pas un moyen de faire grande fortune.
Je n'entends pas parler de ces sortes de procés (dit alors Collantine), Dieu m'en garde! il n'y a rien de si dangereux que d'estre deffendeur en matiére criminelle; mais je parle de ces droits litigieux qu'on achepte à bon marché de gens foibles et ignorans des affaires, dont les plus embrouillez sont les meilleurs. Car on n'a qu'à se faire recevoir partie intervenante, et pourvu qu'on sçache bien faire des incidens et des chicanes, tantost se ranger d'un party et tantost de l'autre, il faut enfin que les autres parties acheptent la paix, à quelque prix que ce soit. Tel est le mestier dont je subsiste il y a longtemps, et dont je me trouve fort bien. J'ay des-ja ruiné sept gros paysans et quatre familles bourgeoises, et il y a trois gentilshommes que je tiens au cul et aux chausses. Si Dieu me fait la grace de vivre, je les veux faire aller à l'hospital. Collantine commençoit des-ja à leur vouloir conter ses exploits, tant en gros qu'en détail, et n'eust finy de longtemps, quand elle fut interrompuë par Belastre, qui luy dit: Sans aller plus loin, vous me faites faire une belle experience de ce que vous sçavez faire. Il y a assez long-temps que vous me chicanez, sous pretexte d'une vieille recherche de droits dont il ne vous en est pas deub un carolus. Quoy (repliqua chaudement Collantine)! vous ne me devez rien? Estes-vous assez hardy pour le soustenir? Je vous vais bientost montrer le contraire. Je m'en rapporte à Monsieur (dit-elle en monstrant Charroselles); il en jugera luy-mesme. Ce fut lors qu'ils se mirent tous deux en devoir de conter tous les procés et differens qu'ils avoient ensemble, en la presence de Charroselles, comme s'il eust esté leur juge naturel. Ils prirent tous deux la parole en mesme temps, plaiderent, haranguerent et contesterent, sans que pas un voulust escouter son compagnon. C'est une coustume assez ordinaire aux plaideurs de prendre pour juge le premier venu, de plaider leur cause sur le champ devant luy, et de s'en vouloir rapporter à ce qu'il en dira, sans que cela aboutisse néantmoins à sentence ny à transaction; de sorte que, si on avoit déduit au long cet incident, il n'auroit point du tout choqué la vray-semblance. Mais cela auroit esté fort plaisant à entendre, et le seroit peu à reciter. A peine s'estoient-ils accordez à qui parleroit le premier (car la contestation fut longue sur ce point), quand on ouyt heurter à la porte. C'estoit le greffier de Belastre, qui l'estoit venu trouver chez Collantine, sçachant qu'il y estoit, pour luy faire signer la minutte d'un inventaire qu'il venoit d'achever; et outre le procés verbal de scellé qu'il tenoit en main, il avoit encore sous le bras un fort gros sac, contenant tous les papiers inventoriez, qui devoient estre deposez au greffe pour la seureté des vacations des officiers. Son arrivée fit faire trefve à ces deux parties plaidantes, et apres qu'il eut eu une petite audiance en particulier de Belastre, ce greffier qu'on avoit appellé Volaterran, (parce qu'il voloit toute la terre) donna son procés verbal à signer à ce vénérable magistrat. Charroselles, qui fouroit son nez par tout, fut curieux de sçavoir ce que c'estoit, et s'estant baissé sous pretexte de ramasser un de ses gans, il leut au dos du cahier cette inscription:
On va bientôt mettre en pratique,
Pour la commodité publique,
Un certain établissement
(Mais c'est pour Paris seulement)
De boîtes nombreuses et drues
Aux petites et grandes rues,
Ou, par soi-même ou son laquais,
On pourra porter des paquets,
Et dedans, à toute heure, mettre
Avis, billet, missive ou lettre,
Que des gens commis pour cela
Iront chercher et prendre là,
Pour, d'une diligence habile,
Les porter par toute la ville…
Et si l'on veut savoir combien
Coûtera le port d'une lettre,
(Chose qu'il ne faut pas obmettre)
Afin que nul n'y soit trompé,
Ce ne sera qu'un sou tapé…
Un siècle après, l'utile et malheureux établissement de 1653 étoit si bien oublié, que, M. de Chamousset l'ayant remis sur pied, on lui en fit honneur comme s'il étoit le premier qui en eût eu l'idée. V. Mémoires secrets, 28 avril 1773, t. 6, p. 363-364.
Dandin.
N'avez vous jamais vu donner la question?
Isabelle.
Non, et ne le verrai, que je crois, de ma vie.
Dandin.
Venez, je vous en veux faire passer l'envie.
(Acte 3, sc. 4.)
Du reste, les similitudes de traits et de scènes qui peuvent exister entre les Plaideurs et le Roman bourgeois ne doivent pas étonner. Furetière étoit de la société des gais buveurs qui se réunissoient au Mouton du cimetière Saint-Jean, et au milieu de laquelle naquit et grandit peu à peu la comédie de Racine. Louis Racine, dans ses Mémoires sur son père (page 74), avoue lui-même indirectement cette collaboration de la spirituelle compagnie.
Le mardi (12 janvier 1649), le conseil de ville
Fit un reglement fort utile,
Savoir, que pour lever soldats,
Tant de pied comme sur dadas,
L'on taxeroit toutes les portes,
Petites, grandes, foibles, fortes;
Que la cochère fourniroit
Tant que le blocus dureroit
Un bon cheval avec un homme,
Ou qu'elle donneroit la somme
De quinze pistoles de poids,
Payable la première fois;
Les petites, un mousquetaire,
Ou trois pistoles pour en faire.
(Pièces à la suite des Mémoires du cardinal de Retz, Amst., 1719, in-12. t. 4, p. 270.)