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Kitabı oku: «Victor Hugo», sayfa 3

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Madame Gay, qui fut plus tard Madame Delphine de Girardin, et qui était déjà célèbre comme poétesse, attirait les yeux par sa beauté blonde. Elle prenait naturellement la pose et le costume que lui donne le portrait si connu d'Hersent, robe blanche, écharpe bleue, longues spirales de cheveux d'or, bras replié et bout du doigt appuyé sur la joue dans l'attitude de l'attention admirative; cette Muse avait toujours l'air d'écouter un Apollon. Lamartine et Victor Hugo étaient ses grands amis; elle se tint en adoration devant leur génie jusqu'au dernier jour, et sa belle main pâle ne laissa tomber l'encensoir que glacée. Ce soir-là, ce grand soir à jamais mémorable d'Hernani, elle applaudissait, comme un simple rapin entré avant deux heures avec un billet rouge, les beautés choquantes, les traits de génie révoltants…1

VII
PROCÈS DE VICTOR HUGO
CONTRE LA COMÉDIE-FRANÇAISE

Novembre 1837.

Le grand événement dramatique de la semaine est le procès de M. Victor Hugo, contre la Comédie-Française, qui doit se dénouer aujourd'hui. L'issue n'en paraît pas douteuse, et nous nous réjouissons à l'idée de voir enfin au Théâtre-Français autre chose que des comédies sans couplets fabriquées par des vaudevillistes à la retraite. Il est très curieux que Victor Hugo, le plus grand poète de France, soit obligé de se faire jouer par autorité de justice, comme M. Laverpillière, auteur des Deux Mahométans. Heureusement M. Victor Hugo aura pour lui, en premier et en dernier ressort, tous les juges, le tribunal et le public.

M. Hugo, fort occupé de ses dissidences avec la Comédie-Française, n'a rien donné au théâtre depuis un an, et c'est grand dommage. Nous en voulons doublement à M. Vedel: un drame en vers de M. Hugo aurait aujourd'hui un grand succès. Les questions de césure et d'enjambement sont assoupies, et tout le monde reconnaît M. Hugo pour un admirable poète: Lucrèce, Marie Tudor, Angelo ont prouvé que c'était un grand dramaturge et qu'il connaissait «les planches» aussi bien que le plus habile charpentier scénique.

A défaut de pièces nouvelles, la reprise récente de Lucrèce Borgia a obtenu un succès qui n'est pas encore près de se ralentir. Quelle fermeté de lignes, quel caractère et quelle port de style! Comme l'action est simple et sinistre à la fois! C'est une œuvre, à notre avis, d'une perfection classique; jamais la prose théâtrale n'a atteint cette vigueur et ce relief.

Marie Tudor, que l'on vient aussi de reprendre, n'a pas moins réussi; jamais Mademoiselle Georges n'a été plus familièrement terrible et plus royalement belle; la grande scène de la fin, d'une anxiété suffocante, a produit le même effet qu'aux premières représentations.

Comme on est heureux de revoir, après tant de mimodrames, d'hippodrames, de vaudevilles avec ou sans couplets une œuvre d'une conception large et grande, exécutée sévèrement en beau style magistral! Nous voudrions seulement que M. Hugo eût un peu pitié de nous et nous fît plus souvent des drames en prose ou en vers; une pièce nouvelle s'accorderait merveilleusement bien avec les reprises d'Hernani et de Marion Delorme qui vont avoir lieu.

VIII
REPRISE D'HERNANI PAR AUTORITÉ DE JUSTICE

(THÉÂTRE-FRANÇAIS)
22 janvier 1838.

C'est samedi dernier qu'a eu lieu la reprise d'Hernani, – par autorité de justice. – A vrai dire, la physionomie de la salle n'avait rien de très judiciaire, et l'on ne se serait guère douté qu'une si nombreuse affluence de spectateurs se parlât à une pièce jouée de force; beaucoup d'ouvrages joués librement sont loin d'attirer une telle foule, même dans toute la fraîcheur de leur nouveauté.

Outre sa valeur poétique, Hernani est un curieux monument d'histoire littéraire. Jamais œuvre dramatique n'a soulevé une plus vive rumeur; jamais on n'a fait tant de bruit autour d'une pièce. Hernani était le champ de bataille où se colletaient et luttaient avec un acharnement sans pareil et toute l'ardeur passionnée des haines littéraires les champions romantiques et les athlètes classiques; chaque vers était pris et repris d'assaut. Un soir, les romantiques perdaient une tirade; le lendemain, ils la regagnaient, et les classiques, battus, se portaient sur un autre point avec une formidable artillerie de sifflets, appeaux à prendre les cailles, clefs forées, et le combat recommençait de plus belle. Qui croirait, par exemple, que cette phrase si simple: «Quelle heure est-il? – Minuit!» ait excité des tumultes effroyables? Il n'y a pas un seul mot dans Hernani qui n'ait été applaudi ou sifflé à outrance. En effet, Hernani, si l'on se reporte à l'époque où il a été joué, est une pièce de la plus audacieuse étrangeté: tout y est nouveau, sujet, mœurs, conduite, style et versification. Passer tout d'un coup des pièces de MM. Debrieu, Arnand, Jory et autres à ce drame de cape et d'épée; après cette fade boisson édulcorée, boire ce vin de Xérès, haut de bouquet et de saveur, la transition était brusque.

Huit ans se sont écoulés; le public a fait comme le prophète qui voyant que la montagne ne venait pas à lui, alla lui-même à la montagne: il est allé au poète. Hernani n'a pas excité le plus léger murmure: il a été écouté avec la plus religieuse attention et applaudi avec un discernement admirable; pas un seul beau vers, pas un seul mouvement héroïque, n'ont passé incompris; le public s'est abandonné de bonne foi au poète et l'a suivi complaisamment jusque dans les écarts de sa fantaisie; ces beaux vers cornéliens, amples et puissants, s'enlevant aux cieux d'un seul coup d'aile, comme des aigles montagnards, ont excité les plus vifs transports. Le sentiment de la poésie n'est pas aussi mort en France que certains critiques, qui sans doute ont leurs raisons pour cela, veulent bien le dire: l'art est encore aimé; et nous n'en sommes pas réduits à ne pouvoir digérer comme nourriture intellectuelle que la crème fouettée du vaudeville. Les œuvres sérieuses et passionnées trouveront toujours des approbateurs intelligents dans ce beau pays de France, dont la littérature nationale ne consistera pas, nous l'espérons bien, en opéras-comiques et en flonflons.

Le mérite principal d'Hernani, c'est la jeunesse: on y respire d'un bout à l'autre une odeur de sève printanière et de nouveau feuillage d'un charme inexprimable; toutes les qualités et tous les défauts en sont jeunes: passion idéale, amour chaste et profond, dévouement héroïque, fidélité au point d'honneur, effervescence lyrique, agrandissement des proportions naturelles, exagération de force; c'est un des plus beaux rêves dramatiques que puisse accomplir un grand poète de vingt-cinq ans.

Les autres pièces de M. Hugo, égales pour le moins en mérite à Hernani, n'ont pas cet attrait particulier. Hernani est la fleur, Lucrèce Borgia est le fruit. Peut-être aussi cette sensation se joint-elle pour nous à des souvenirs d'adolescence et de juvénile ardeur; mais cet effet était généralement ressenti et tout le monde semblait surpris de se trouver encore tant d'enthousiasme après huit ans révolus. C'est M. Hugo lui-même qui l'a dit: «Il ne faut guère revoir les idées et les femmes que l'on avait à vingt ans; elles paraissent bien ridées, bien édentées, bien ridicules». Hernani a subi victorieusement cette chanceuse épreuve. Doña Sol a retrouvé ses anciens amants plus épris que jamais: il, est vrai qu'elle avait emprunté les traits et la voix de Madame Dorval.

Il est inutile de faire l'analyse d'Hernani, on sait la pièce par cœur; nous dirons quelques mots de la manière dont les acteurs ont joué, et nous constaterons les progrès du public. La magnifique scène des portraits de famille, si profondément espagnole, et qui semble écrite avec la plume qui traça le Cid, a été applaudie comme elle le mérite; autrefois elle était criblée de sifflets. Le monologue de Charles-Quint au tombeau de Charlemagne n'a paru long à personne; cette sublime méditation a été parfaitement écoutée et comprise.

La singularité et la sauvagerie de quelques détails n'ont distrait personne de la beauté sérieuse de l'ensemble, et le succès a été aussi complet que possible. Hernani consacré par l'épreuve de la première représentation, de la lecture et de la reprise, restera à tout jamais au répertoire avec le Cid dont il est le cousin et le compatriote.

Jamais le génie de M. Hugo, plus espagnol que français, ne s'est développé dans un milieu plus favorable: il a le style à larges plis, la phrase au port grave et hautain, le grandiose pointilleux qui conviennent pour faire parler des hidalgos. Personne n'a, d'ailleurs, un sentiment plus intime et plus profond des mœurs et de la famille féodales: aucun poète vivant n'aurait inventé Ruy Gomez de Sylva.

M. Vedel s'est exécuté de bonne grâce: la pièce est convenablement montée et de manière à couvrir bientôt les six mille francs de dommages-intérêts alloués à l'auteur par le tribunal.

Firmin (Hernani) a rempli son rôle avec sa chaleur et son intelligence ordinaires: il est à regretter que cet acteur, plein de sentiment, manque un: peu de moyens d'exécution, et soit trahi par ses forces. Joanny est magnifique dans Ruy de Sylva: il est ample et simple, paternel et majestueux, amoureux avec dignité, bon et confiant au commencement de la pièce, implacable et sinistre dans l'acte de la vengeance. Il a merveilleusement conservé à ce rôle sa physionomie homérique dans la scène de l'hospitalité, il a été d'une onction et d'une simplicité tout antiques. Quant à Madame Dorval, nous ne savons comment la louer; il est impossible de mieux rendre cette passion profonde et contenue qui s'échappe en cris soudains aux endroits suprêmes, cette fierté adorablement soumise aux volontés de l'amant: cette abnégation courageuse, cet anéantissement de toute chose humaine dans un seul être, cette chatterie délicieuse et pudique de la jeune fille qui dit au désir: «Tout à l'heure», et à travers tout cela l'orgueil castillan, l'orgueil du sang et de la race, qui lui fait répondre au vieux Sylva:

 
On n'a pas de galants quand on est doña Sol
Et qu'on a dans le cœur de bon sang espagnol.
 

Madame Dorval a exprimé toutes ces nuances si délicates avec le plus rare bonheur. Au cinquième acte, elle a été sublime d'un bout à l'autre; aussi, la toile tombée, elle a été redemandée à grands cris et saluée par de nombreuses salves d'applaudissements. Nous l'attendons dans Marion Delorme, avec la plus vive impatience. N'oublions pas Ligier, qui a été très convenable dans tout son rôle, et qui a particulièrement bien dit le grand monologue.

IX
DÉBUTS DE MADEMOISELLE EMILIE GUYON DANS HERNANI

(THÉÂTRE-FRANÇAIS)
15 juin 1841.

Hernani est toujours pour nous le drame de Victor Hugo que nous préférons, non pas que nous pensions, comme M. de Salvandy, que l'illustre poète n'ait rien fait qui vaille depuis sa pièce couronnée aux Jeux floraux: mais Hernani réveille en nous de tels souvenirs d'enthousiasme et de jeunesse, qu'il nous est impossible de ne pas avoir pour lui quelque partialité. C'était un beau temps que celui-là! Un temps de lutte, de passion, d'enivrement et de fanatisme; jamais la querelle littéraire ne fut débattue plus vivement. Les représentations étaient de vraies batailles rangées: on sifflait, on applaudissait avec fureur; chaque vers était pris et repris, on combattait des heures entières pour le moindre hémistiche. Un jour, les romantiques emportaient le vieillard stupide; l'autre jour les classiques, que ce mot choquait particulièrement comme une allusion personnelle, le reprenaient à l'aide d'une supérieure artillerie de sifflets. Nous avons assisté pour notre compte à plus de quarante représentations consécutives d'Hernani; nous allions là par bandes, tous fous de poésie, d'amour de l'art, fanatiques comme des Turcs, et prêts à tout faire pour notre Mahomet. Nous entrions dès trois heures, nous attendions le lever du rideau en nous récitant des tirades de la pièce, que nous savions mieux que les acteurs. C'était charmant! On demandait, par-ci par-là, la tête de quelque académicien. Qui eût dit alors que notre chef passerait à l'ennemi et serait académicien lui-même! Et l'on battait un peu les bourgeois, qui ne comprenaient pas. Nous avions, d'ailleurs, la mine singulièrement farouche avec nos barbes, nos moustaches, nos royales, nos cheveux mérovingiens, nos chapeaux excessifs, nos gilets de couleur féroce. Certes, tout cela peut sembler ridicule aujourd'hui; mais c'était une belle chose que toute cette jeunesse ardente, passionnée, combattant pour la liberté de l'esprit, et introduisant de force dans le temple de Melpomène la muse moderne dont Victor Hugo était, à cette époque le prêtre le plus fidèle; une chose encore distingue cette époque: c'est l'absence d'envie et de jalousie littéraires; l'on s'aimait et l'on s'admirait franchement: dès que l'on avait fait une pièce de vers, ou un sonnet, on courait les montrer aux camarades, on se félicitait, on se complimentait: et certes il y avait de quoi, car la poésie, enterrée par les versifications de l'Empire, venait enfin de ressusciter.

Nous avions raison, cependant, nous les jeunes fous, les enragés qui faisions de si belles peurs aux membres de l'Institut, tout inquiets dans leurs stalles; Hernani n'est interrompu aujourd'hui que par les applaudissements; cette passion si chaste et si dévouée, cette couleur romanesque et sauvage, cette fierté héroïque et castillane dont Victor Hugo semble avoir dérobé le secret à Corneille, tout cela a été compris et senti admirablement par cette même foule qui repoussait autrefois le poète au nom d'Aristote, qu'elle n'a jamais lu.

Mademoiselle Émilie Guyon, jeune et belle personne que le public avait déjà eu occasion d'applaudir dans la Fille du Ciel, de M. Casimir Delavigne, débutait par le rôle de doña Sol où Mademoiselle Mars et Madame Dorval avaient déjà montré un talent si brillant et si divers; elle a bien compris la physionomie de cette figure profondément espagnole, passionnément calme, hautaine, et douce, fière et tendre à la fois, qui s'honore de l'amour d'un banni et s'offense du caprice d'un' roi. Son costume de velours, noir et or, semble dérobé à un portrait de Zurbarán et lui sied à ravir. Beauvallet, qui manque peut-être de suavité dans les portions amoureuses de son rôle, a parfaitement rendu l'âpre mélancolie, la majesté sauvage et l'allure romanesque du chef de montagnards: il est, sous ce rapport, bien supérieur à Firmin. Guyon n'a qu'un défaut dans le Ruy Gomez de Silva, c'est qu'il est trop vert encore sous ses cheveux blancs, sa belle voix, sonore et vibrante comme un timbre de cuivre, a de la peine à imiter le chevrotement de la sénilité. À part ce défaut que nous lui pardonnons bien volontiers, et dont il n'est pas responsable, il a été simple, majestueux, et bon … Quant à Ligier, c'est un tragédien d'un grand talent sans doute, mais il nous est impossible de le prendre, ne fût-ce qu'un instant, pour le jeune roi don Carlos, avec sa barbe rousse et sa lèvre autrichienne.

X
REPRISE D'HERNANI

12 février 1844.

On a repris cette semaine Hernani à la Comédie-Française. Le chef-d'œuvre du maître, cet admirable poème dramatique interprété par Ligier, Guyon, Beauvallet et Madame Mélingue qui prenait possession du rôle de doña Sol, a été accueilli, nous ne dirons pas seulement avec attention et respect, mais avec le plus vif enthousiasme. Pour ceux qui comme nous ont assisté aux luttes des premières représentations, où chaque mot soulevait une tempête, où chaque vers était disputé pied à pied, c'est à coup sûr une chose merveilleuse que de voir aujourd'hui toutes les pensées, toutes les intentions du poète unanimement comprises et applaudies. Pourquoi donc, si ce n'est sous prétexte de longueurs, Messieurs les comédiens ont-ils cru devoir écourter la magnifique apostrophe de don Ruy Gomez, au premier acte la scène des tableaux, le monologue de Charles-Quint, etc.? Ne serait-ce pas, au contraire, le moment de rétablir le texte primitif, de jouer la pièce telle que l'auteur l'avait d'abord conçue et qu'elle se trouve imprimée dans la Bibliothèque Charpentier? Les tragédies classiques nous amusent médiocrement, on le sait; à notre avis, les plus courtes sont tes meilleures, mais, lorsqu'on fait tant que de les représenter, nous les voulons entières, et toutes les modifications qu'on s'aviserait d'y introduire au nom d'un prétendu bon goût nous paraîtraient sacrilèges. A plus forte raison devons-nous protester contre les mutilations qu'on a fait subir à Hernani. La pièce est très bien jouée, du reste, par Ligier, Guyon et Beauvallet, qui ont tort de reculer devant certaines parties de leurs rôles; c'est vraiment trop modeste à eux. Madame Mélingue a parfaitement saisi le côté pathétique du rôle de doña Sol; le cinquième acte surtout a été pour elle un triomphe; il lui a valu presque une ovation de la part des habitués, de de l'orchestre, fort prévenus, comme on sait, contre tout ce qui vient du Boulevard. Encore quelques succès pareils, et Madame Mélingue aura, nous l'espérons, complètement lavé sa tache originelle.

XI
REPRISE D'HERNANI

10 mars 1845.

La reprise Hernani attire la foule au Théâtre-Français; on écoute avec admiration, avec recueillement ce beau drame qui ressemble à une tragédie de Corneille non retouchée par MM. Andrieux ou Planat.

Quand on songe aux tumultes, aux cris, aux rages de toutes sortes soulevés par cette pièce, il y a dix ans, on est tout étonné que la postérité soit venue si vite pour elle; on y assiste comme à un des chefs-d'œuvre de nos grands maîtres, et chaque spectateur achève lui-même le vers commencé par l'acteur. Cet Hernani, si sauvage, si féroce, si baroque, si extravagant, qui a fait soupçonner M. Hugo de cannibalisme par les bonnes têtes de l'époque, est aujourd'hui une œuvre calme, sereine, se mouvant et planant comme l'aigle des montagnes dans cette région d'azur éternel et de neige immaculée que le fumier et les brouillards ne peuvent atteindre. On en met des morceaux dans les cours de littérature, et les jeunes gens en apprennent des tirades pour se former le goût. C'est maintenant une pièce classique.

Une chose qui pourrait donner un nouvel attrait à ces représentations, qui certes n'en ont pas besoin, ce serait de jouer la pièce dans son intégrité, telle que l'auteur l'a écrite. Le public est assez mûr pour applaudir ce qu'il aurait sifflé autrefois. Pourquoi ne restituerait-on pas au rebelle Hernani quelques détails caractéristiques effacés à regret par le poète? Pourquoi ne rendrait-on pas à don Carlos son sublime monologue et ces beaux vers qui n'ont jamais été prononcés à la scène:

 
Ce Corneille Agrippa pourtant en sait bien long!
Dans l'océan céleste il a vu treize étoiles
Vers la mienne, du Nord, venir à pleines voiles.
J'aurai l'empire, allons! – Mais d'autre part on dit
Que l'abbé Jean Tritème à François l'a prédit,
J'aurais dû, pour mieux voir ma fortune éclaircie
Avec quelque armement aider la prophétie!
Toutes prédictions du sorcier le plus fin
Viennent bien mieux à terme et font meilleure fin,
Quand une bonne armée avec canons et piques,
Gens de pied, de cheval, fanfares et musiques,
Prête à montrer la route au sort qui veut broncher,
Leur sert de sage-femme et les fait accoucher.
Lequel vaut mieux: Corneille Agrippa? Jean Tritème?
Celui dont une armée explique le système,
Qui met un fer de lance au bout de ce qu'il dit,
Et compte maint soudard, lansquenet ou bandit
Dont l'estoc refaisant la fortune imparfaite
Taille l'événement au plaisir du prophète?
– Pauvres fous qui, l'œil fier, le front haut, visent droit.
A l'empire du monde, et disent: J'ai mon droit!
Ils ont force canons, rangés en longues files,
Dont le souffle embrasé ferait fondre des villes;
Ils ont vaisseaux, soldats, chevaux, et vous croyez
Qu'ils vont marcher au but sur les peuples broyés?
Baste! au grand carrefour de la fortune humaine
Qui mieux encore qu'au trône à l'abîme nous mène,
A peine ils font trois pas, qu'indécis, incertains,
Tachant en vain de lire au livre des destins,
Ou hésitent, peu sûrs d'eux-mêmes, et, dans le doute,
Au nécromant du coin vont demander leur route.
 

Des vers comme ceux-là ne peuvent faire longueur, comme on dit en argot dramatique. Il serait temps de ne pas chercher au théâtre la rapidité aux dépens de la poésie, du style, des développements historiques et humains. En suivant ce système, on en arrive à faire des pièces qui ne sont en quelque sorte que des pantomimes, avec un mot çà et là pour indiquer le sujet de la scène.

Ce bel édifice poétique où les styles moresque, gothique et de la Renaissance se fondent si heureusement, pourrait se montrer avec tous ses ornements, toutes ses arabesques et tous ses caprices. Nous sommes guéris heureusement de cet amour excessif de la sobriété qui nous faisait préférer les planches aux bas-reliefs; il n'est plus nécessaire de casser le nez des statues, et les aiguilles des cathédrales.

Madame Mélingue joue doña Sol avec une grande supériorité. C'est bien l'Espagnole ardente et contenue, la jeune fille et la grande dame romanesque et sublime qui peut prendre un bandit pour époux et refuser un roi pour amant.

Quant à Beauvallet, le rôle semble avoir été fait tout exprès pour lui; il y apporte cette âpreté, cette énergie qui le caractérisent et qui s'allient à une tendresse hautaine et grave, de façon à former le plus parfait Hernani qu'on puisse voir et entendre, car cette voix de cuivre pourrait dominer le bruit des torrents, et jeter l'appel du cor d'une montagne à l'autre.

Ligier n'a guère ce qu'il faut pour représenter un prince de vingt ans qui poussait le blond jusqu'au roux; mais au moins il dit avec intelligence et netteté.

Guyon, sans faire oublier Joanny dans ce rôle épique de Ruy Gomez de Silva, le joue cependant d'une manière satisfaisante; sa belle tête et sa voix forte composent un ensemble énergiquement mâle, tout à fait approprié au personnage.

Puisque M. Victor Hugo a renoncé au théâtre, à défaut de pièces nouvelles on devrait bien reprendre Le Roi s'amuse, un des plus beaux drames du poète, – qui n'a été joué qu'une fois; – l'interdiction serait facilement levée; et le Théâtre-Français pourrait compter sur une suite de représentations fructueuses.

1.Ce chapitre, inachevé, est le dernier qu'ait écrit Théophile Gautier.
Yaş sınırı:
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Litres'teki yayın tarihi:
22 ekim 2017
Hacim:
190 s. 1 illüstrasyon
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