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Kitabı oku: «Victor Hugo», sayfa 9

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Les compagnons de Hatto sont trop occupés d'eux-mêmes pour s'apercevoir de l'arrivée de Magnus et de Job qui gardent un silence de granit, jusqu'à l'instant où l'un des convives se vante de n'avoir pas tenu son serment. Magnus prend alors la parole et lance une de ces magnifiques apostrophes, familières à M. Victor Hugo, sur la vieille loyauté allemande, sur la différence des serments et des habits d'autrefois, avec les serments et les habits d'aujourd'hui. Jadis tout était d'acier, maintenant tout n'est que soie et clinquant; les vêtements et les paroles, rien ne dure.

Les jeunes burgraves ne font pas grande attention à ce discours, accoutumés qu'ils sont aux allocutions homériques de leurs grands-parents. Le jeune comte Lupus entonne une chanson que nous reproduisons ici, parce que la musique, quoique charmante, a un peu couvert les paroles, qui certes méritaient d'être entendues tout à fait pour la nouveauté de la coupe et la franchise du jet:

 
L'hiver est froid, la bise est forte;
Il neige là-haut sur les monts;
Aimons, qu'importe,
Qu'importe, aimons.
 
 
Je suis damné, ma mère est morte,
Mon curé me fait cent sermons;
Aimons, qu'importe,
Qu'importe, aimons.
 
 
Belzébuth, qui frappe à ma porte,
M'attend avec tous ses démons;
Aimons, qu'importe,
Qu'importe, aimons.
 

Pendant que Lupus chante, les autres, penchés à la fenêtre, s'amusent à jeter des pierres à un mendiant qui semble vouloir demander l'hospitalité: «Quoi! s'écrie Magnus en sortant de sa torpeur, c'est ainsi qu'on reçoit un mendiant qui supplie, un hôte envoyé par Dieu même? De mon temps, nous avions aussi cette folie, nous aimions les chants, les longs repas, mais quand venait un malheureux ayant froid, ayant faim, on remplissait un casque de monnaie, une coupe de vin, on l'envoyait au vieillard, qui continuait gaiement sa route, et l'orgie recommençait de plus belle, sans remords et sans soucis». «Jeune homme, taisez-vous! dit à Magnus le burgrave centenaire. De mon temps, lorsque nous chantions plus haut encore que vous et que nous nous réjouissions autour d'une table colossale sur laquelle on servait des bœufs entiers couchés sur des plats d'or, si un mendiant se présentait devant la porte du burg, on l'allait chercher, les clairons sonnaient, et le vieillard s'asseyait à la plus belle place. Enfants! rangez-vous!.. Ecuyers, allez chercher cet homme, et vous, clairons, sonnez comme pour un roi!» On exécute les ordres de Job, et bientôt on voit se dessiner dans la rougeur du soir, encadré par une arcade du promenoir, au sommet de l'escalier, un pèlerin avec un manteau déchiré, des sandales poudreuses, et une barbe qui lui tombe jusqu'au ventre. Les clairons sonnent une seconde fanfare et la toile baisse sur ce tableau, l'un des plus grands, des plus épiques qui soient au théâtre, et qui, dans l'effet grandiose de l'idée et de la forme, n'a d'équivalent que la scène de l'affront, dans Lucrèce Borgia.

Au commencement de la seconde partie, le mendiant débile, un de ces beaux monologues poétiques où M. Victor Hugo résume, dans une soixantaine de vers, la situation d'un pays, le caractère d'une époque. Il excelle à construire des espèces de plan à vol d'oiseau, où l'on découvre sous une forme distincte et réelle tous les événements d'un siècle. Du haut de sa pensée la tête vous tourne, comme du sommet d'une flèche de cathédrale. C'est un enchevêtrement de piliers, d'arcs-boutants, de contreforts, une complication qui étonne et décourage. On sent que pour sortir de là il ne faut pas être moins qu'un Charlemagne, un Charles-Quint, un Barberousse. Aussi le mendiant, si royalement accueilli par Job, est-il l'empereur Frédéric Barberousse lui-même. Toute cette politique transcendante, en vers d'une beauté cornélienne, est joyeusement interrompus par l'entrée de Régina, la joue en fleur, l'œil humide d'un gai rayon, la bouche épanouie: le philtre de Guanhumara a produit son effet; la pâle enfant, si blanche et si transparente qu'elle eût pu servir de statue d'albâtre à coucher sur son propre tombeau, entretenue soudain à la vie, au bonheur, comme évoquée par les drogues souveraines de la sorcière.

Olbert est si radieux de bonheur, qu'il a presque oublié la condition fatale posée par Guanhumara. Elle a tenu sa promesse, il faut qu'il tienne la sienne; car la sorcière peut, avec un second philtre, faire replonger dans l'ombre de la tombe la souriante figure qu'elle vient de lui arracher.

Job ne se sent pas d'aise; il n'a pas été sans voir, par-dessus son grand fauteuil d'ancêtre, Olbert et Régina nouer leurs regards, et se renvoyer leurs âmes dans un sourire. Il comprend que ces deux enfants s'aiment, et qu'il faut les marier. Une secrète sympathie l'entraîne d'ailleurs vers Olbert; ce front chaste et fier, cet œil, assuré lui plaisent et le ravissent; c'est ainsi qu'il était lui-même à vingt ans, c'est ainsi que serait son Georges, enlevé, tout jeune, et sacrifié par les Juifs dans un sabbat. Olbert ne connaît ni sa mère ni son père; mais qu'importe! Lui, Job, n'est-il pas bâtard d'un comte, et légitime fils de ses exploits? L'obstacle à tout ceci, c'est Hatto, à qui Régina est fiancée. Il faut d'abord gagner du terrain: Olbert et Régina fuiront par une poterne secrète dont Job leur donne les clefs. Le vieillard se charge du reste: les amants vont partir, la joie aux yeux, le paradis au cœur; mais le démon est là, dans l'ombre, qui ricane et qui grince. Guanhumara, accrochée comme une chauve-souris par les ongles de ses ailes dans quelque coin obscur, a tout entendu. Elle va prévenir Hatto, qu'Olbert enlève sa fiancée. Hatto accourt rugissant et furieux. Olbert lui crache son mépris à la face, le provoque, l'insulte; mais Hatto repousse du pied son gant, en l'appelant faussaire, misérable, esclave et fils d'esclave: «Tu n'es pas l'archer Olbert: tu te nommes Yorghi Spadaceli: je te ferai chasser à coups de fouet par mes valets de chiens; je ne veux pas me battre avec toi. Si quelqu'un de ces seigneurs prend ton parti, j'accepte le combat contre lui, à toute arme, à l'instant, ici même, deux poignards sur la poitrine nue». Le mendiant, qui a écouté cette scène avec une indignation contenue, s'écrie: «Je serai le champion d'Olbert. – Voilà qui est bouffon! Nous tombons de l'esclave au mendiant! Qui donc êtes-vous, pour vous avancer ainsi! – Je suis l'empereur Frédéric Barberousse, et voici la croix de Charlemagne!» Cette révélation soudaine terrifie d'étonnement toute l'assemblée. «Barberousse, dit Magnus, je saurai bien te reconnaître; voyons ton bras! En effet, tu portes la trace du fer triangulaire dont mon père t'a marqué. Messeigneurs, je déclare que c'est bien l'empereur Frédéric Barberousse.» L'empereur, son identité constatée, se livre aux reproches les plus violents; il prend chaque burgrave à partie, dit son fait à chacun avec cette éloquence soudaine et terrible, ces grondements et ces tonnerres qui rappellent les colères des héros de l'Edda. En entendant ces rugissements léonins que pousse le vieil empereur indigné de tant de lâchetés, de trahisons et de rapines, les plus hardis frissonnent et se courbent; Magnus seul reste debout, sa haine gronde plus haut encore que la colère de Barberousse. Les burgraves, enhardis par l'exemple de Magnus, commencent à entourer Frédéric d'un cercle plus resserré et plus menaçant. La hache énorme du géant va faire voler en éclats l'épée de l'empereur, lorsque Job le maudit, qui n'a encore pris aucun parti dans cette querelle, s'approche de Magnus, lui met la met sur l'épaule et dit en s'agenouillant: «Frédéric a raison; lui seul peut sauver l'Allemagne, soumettons-nous». Barberousse, redevenu maître de la scène, dispose de tout à son gré, donne des ordres, envoie les uns à la frontière, condamne les autres à rendre ce qu'ils ont pris, fait mettre en liberté les captifs, et charge des chaînes qu'on ôte à ceux-ci, les plus coupables des burgraves: «Maintenant, Fosco, va m'attendre où tu te rends chaque soir», dit Barberousse à voix basse au vieux burgrave, qui reste atterré; car nul au monde ne le connaît à présent sous ce nom; tous ceux qui l'ont su reposent depuis longtemps dans la tombe.

A la troisième partie, nous sommes dans le caveau perdu, un endroit effrayant et lugubre, aux échos inquiétants, aux profondeurs pleines de ténèbres: un soupirail grillé de barreaux dont trois sont tordus et défoncés, laisse filtrer un blafard rayon de lune qui dessine sur la muraille opposée une empreinte blanche comme un suaire. Job est assis, accoudé à un quartier de pierre, près d'une petite lampe tremblotante que l'humidité fait grésiller, et qui ne sert qu'à rendre les ténèbres visibles. 11 déplore sa chute; il est enfin vaincu, lui le demi-dieu du Rhin, le grand révolté, le vieil aigle de la montagne; il repasse dans sa mémoire toutes les actions de sa vie, Donato, Ginevra, Georges, son enfant perdu, ce remords et ce désespoir de toute heure. À ses sombres lamentations, l'écho répond obstinément: «Caïn!» L'écho, c'est Guanhumara, qui s'avance, tranquille et terrible, sûre de sa vengeance. Elle se dresse devant le burgrave, qui frissonne pour la première fois de sa longue vie, et se fait reconnaître par un récit bref et saccadé, où elle retrace en peu de mots toutes les circonstances du crime qui s'est commis dans le caveau perdu. «Maintenant, écoute ceci. Ton fils Georges est vivant, c'est moi qui l'ai volé et qui l'ai élevé pour ma vengeance: le fils tuera le père; un parricide pour un fratricide, ce n'est pas trop. Georges, c'est Olbert. Il a fait un pacte avec moi. J'ai rappelé Régina à la vie à la condition qu'il frapperait une victime désignée par moi. La vie que j'ai donnée à Régina, je puis la lui reprendre. Cela me répond de la résolution d'Olbert. – Olbert sait qu'il va tuer son père? Non; meurs voilé, c'est la seule grâce que je t'accorde.» Des pas chancelants se font entendre dans la profondeur du souterrain; c'est Olbert qui arrive éperdu, vacillant, pour tenir sa fatale promesse. Ici a lieu une scène admirable où l'âme est tendue, torturée, où les pleurs jaillissent des yeux les plus secs. Personne n'a jamais su faire parler l'amour paternel comme l'auteur des Feuilles d'automne, de Notre-Dame de Paris et des Rayons et les ombres. Job ne veut pas mourir sans avoir embrassé son enfant; il rejette son voile, s'élance dans les bras d'Olbert, agité lui-même de pressentiments terribles, et, tout en assurant qu'il n'est pas son père, il lui prodigue les caresses les plus paternelles. «Tue-moi; tu ne peux pas laisser mourir ta Régina; d'ailleurs, tu me crois vénérable, je ne suis qu'un coupable, qu'un Satan; sois l'archange vengeur, frappe sans crainte: j'ai poignardé mon frère!» Olbert, malgré les supplications éperdues de Job, hésite encore à faire son métier de bourreau.

Guanhumara, le voyant chanceler dans ses résolutions, s'avance, et lui dit: «Régina ne peut plus attendre qu'un quart d'heure». Olbert, hors de lui, s'élance le couteau à la main; mais il est retenu par Barberousse, qui surgit tout à coup du sein de l'ombre, et qui dit: «Ginevra, cette vengeance est inutile. Donato n'est pas mort. Donato, c'est moi. Fosco, lorsque tu tenais mon corps penché sur l'abîme, tu as murmuré une phrase que nul au monde n'a pu entendre: – A toi la tombe; à moi l'enfer!» Fosco tombe à genoux, râlant: «Grâce! Pardon!» Barberousse le relève, et le presse sur son cœur.

Guanhumara, ou plutôt Ginevra, désarmée, ressuscite tout à fait la fiancée d'Olbert, et comme désormais sa vie n'a plus de but, elle avale le contenu d'une petite fiole, et tombe foudroyée par le poison. En effet, à quoi bon, quand on est vieille, hideuse à voir, retrouver un amant adoré à vingt ans? Pourquoi remplacer par une réalité affreuse un fantôme charmant, un souvenir plein de grâce et de fraîcheur?

Cette analyse, que nous avons faite avec toute la religion due à l'œuvre d'un grand poète, quoique longue, est bien incomplète encore; nous aurions voulu, ambition au-dessus de nos forces, reproduire quelques traits de ces figures sauvages et gigantesques, qui rappellent par leurs formes violentes, leurs mouvements terribles, leurs allures de lion en colère, les illustrations dessinées par le célèbre peintre allemand Cornélius, pour l'histoire des Nibelungen. Pourrons-nous seulement comme il convient, louer cette versification ferme, carrée, robuste, familière et grandiose, qui annonçait le poète souverain, comme dirait Dante? A chaque instant, un vers magnifique qui d'un grand coup de son aile d'aigle vous enlève dans les plus hauts cieux de la poésie lyrique. C'est une variété de ton, une souplesse de rythme, une facilité de passer du tendre au terrible, du plus frais sourire à la plus profonde terreur, que nul écrivain n'a possédée au même degré.

Le public s'est montré digne, cette fois, de la grande œuvre qu'on représentait devant lui. II a écouté avec le respect qui convient au peuple de l'Athènes moderne, l'œuvre de son premier poète, applaudissant les beaux endroits, n'inquiétant pas l'action pour un détail hasardeux, ou d'une bizarrerie relative. Aussi, il faut dire que jamais assemblée pareille ne s'était réunie pour écouter une œuvre humaine. Tout ce que Paris, le cerveau du monde, renferme de savant, d'intelligent, de passionné, de célèbre et d'illustre à un titre quelconque, se trouvait à l'appel: la littérature, les arts, le théâtre, la politique, la banque, l'élégance, la beauté, toutes les aristocraties. Chaque loge renfermait au moins une renommée. Il n'y a, dans ce temps, que M. Victor Hugo qui préoccupe à ce point la curiosité et l'attention publiques. Qu'on lui soit favorable ou hostile, tout le monde s'occupe de ses œuvres. Un drame de lui est toujours un événement, un sujet de discussions; lui seul peut substituer les querelles littéraires aux querelles politiques.

Il serait sans doute facile (assez de critiques le feront) de chercher noise au poète sur un détail, sur une entrée, sur une sortie; mais cela importe peu; les esprits médiocres excellent toujours dans ces mécanismes et ces adresses. Pour notre part, nous aimons assez les beautés choquantes, et nous acceptons parfaitement un peu de bizarrerie, de barbarie, de mauvais goût, si l'on veut, pour arriver à certains vers éclatants et soudains qui font dresser l'oreille à tout véritable poète, comme une fanfare de clairons à tout cheval de guerre. Il y a chez M. Victor Hugo une qualité, la plus grande, la plus rare de toutes dans les arts: la force! Tout ce qu'il touche prend de la vigueur, de l'énergie, de la solidité; sous ses doigts puissants, les contours se dessinent nettement; rien de vague, rien de mou, rien d'abandonné au hasard. Il a cette violence et cette âpreté de style qui caractérisent Michel-Ange: son génie est un génie mâle, – car le génie a un sexe. – Raphaël est un génie féminin, ainsi que Racine; Corneille est un génie mâle. Nul ne se rapproche davantage de la grandeur sauvage d'Eschyle: Job a des tirades qui ne seraient pas déplacées dans le Prométhée enchaîné. L'imprécation de Guanhumara, quand elle prend la nature à témoin de son serment de vengeance est un des plus beaux morceaux de notre littérature, c'est l'ampleur et la poésie à pleine volée de la tragédie antique, bien différente de la tragédie classique:

 
… O vastes cieux! ô profondeurs sacrées!
Morne sérénité des voûtes azurées!
Lueur dont la tristesse a tant de majesté!
Toi qu'en un long exil je n'ai jamais quitté!
Vieil anneau de ma chaîne, ô compagnon fidèle!
Je vous prends à témoin! Et vous, murs, citadelles,
Chênes qui versez l'ombre au pas du voyageur,
Vous m'entendez! Je voue à ce couteau vengeur
Fosco, baron des bois, des rochers et des plaines,
Sombre comme toi, nuit! vieux comme vous, grands chênes!
 

Quelle merveilleuse puissance il a fallu pour faire revivre ainsi toute cette époque évanouie et fondue dans la nuit du passé douteux, reconstruire ce monde de granit habité par des géants d'airain, rebâtir pierre à pierre, avec une patience d'architecte du moyen âge, ce burg inaccessible et formidable, aux murailles où circulent des couloirs ténébreux, aux caveaux pleins de mystères et de terreurs, avec ses vieux portraits de famille, ses panoplies qui rendent d'étranges murmures lorsque la bise les effleure de l'aile, et qui semblent être encore remplies par les âmes dont elles ont revêtu les corps! Quelle force de réalisation il a fallu pour mêler ainsi les fantômes de la légende aux personnages naturels, et mettre dans ces bouches impériales et homériques des discours dignes d'elles? Soutenir ainsi ce ton d'épopée, ce bel élan lyrique pendant trois grands actes, M. Hugo seul pouvait le faire aujourd'hui.

Les Burgraves ont été joués avec beaucoup de talent et d'ensemble. Ligier a très bien rendu les portions énergiques du rôle de Barberousse: Beauvallet et Guyon, aidés tous deux par des voix magnifiques, sont restés constamment à la hauteur de leurs personnages. Beauvallet, surtout, dans celui de Job, s'est montré tour à tour simple et majestueux, paternel et terrible. Cette création lui fait le plus grand honneur. Geffroy a rendu avec intelligence et chaleur le rôle d'Olbert. Mademoiselle Théodorine a pris rang tout de suite par la création de Guanhumara; nul doute qu'elle ne devienne une excellente reine tragique, et qu'elle ne rende d'importants services au drame moderne, qui lui a fait sa réputation.

XXXVII
LA REPRISE DES BURGRAVES

14 décembre 1846.

On va reprendre les Burgraves maintenant que les esprits sont libres de toute préoccupation réactionnaire, nul douté qu'un public nombreux n'applaudisse à cette œuvre colossale, à cette tragédie épique, la plus énorme conception qui se soit produite à la scène depuis le Prométhée d'Eschyle.

Nous allons donc les voir encore, ces grands vieux bardés de buffle et de fer, se promener tout d'une pièce dans leur burg démantelé. Nous allons donc les voir encore ces titans de granit, se parler dans une langue de pierre versifiée, et se jeter à la tête des blocs d'alexandrins abrupts; ils vivront devant nous de cette vie formidable et surprenante des créations antérieures, comme les héros des Nibelungen, ou les figures de Michel-Ange, éclairés par les reflets sinistres des soleils disparus!

Quel que soit le succès de cette reprise.

«Le burg, plein de clairons, de chansons, de huées, se dresse inaccessible au milieu des nuées.

XXXVIII
PARODIES DES BURGRAVES

(PALAIS-ROYAL ET VARIÉTÉS)
LES HURES GRAVES. – LES BUSES GRAVES

Nous avouons très humblement n'avoir jamais rien compris aux parodies. En effet, que peut-il y avoir de plaisant à mettre un cureur d'égouts à la place d'un empereur, un cocher de fiacre à la place, du seigneur élégant, une maritorne à la place d'une duchesse? La seule parodie amusante et curieuse des œuvres des grands maîtres est faite parleurs disciples et leurs admirateurs; ce sont eux qui par leurs imitations maladroites mettent en relief les défauts de l'ouvrage qu'ils copient. Le sérieux profond qu'ils apportent dans leurs exagérations est beaucoup plus comique que les inventions les plus saugrenues des parodistes. Les auteurs de vaudevilles qui jusqu'à présent ont fait la charge des pièces de M. Hugo n'ont pas le moins du monde le sentiment de la manière du poète. Les vers de leurs pièces, loin de donner l'idée du style et du rythme romantiques, ressemblent aux vers d'épître de M. Casimir Delavigne. On n'y trouve ni les tournures, ni les images, ni les coupes, ni les idées familières à la jeune école. Une caricature, pour être bonne, doit contenir les tracés réels du modèle, déviés, il est vrai, et accentués dans le sens du ridicule, mais cependant faciles à reconnaître au premier coup d'œil. Les parodistes ordinaires sont tellement étrangers aux idées poétiques, qu'ils ne peuvent même pas s'en moquer avec justesse. Nous défions qui que ce soit, sur vingt vers pris au hasard dans les Hures graves ou les Buses graves, de reconnaître que c'est de Victor Hugo qu'on a voulu se moquer.

Outre que les parodies frappent souvent à faux, elles ont l'inconvénient de ridiculiser même les plus belles choses; mais il n'en est pas moins convenu qu'elles font honneur aux ouvrages qui les provoquent. Rien n'aura donc manqué au succès des Burgraves, ni l'ardente sympathie des lettres et de toute la presse, ni les applaudissements et l'argent de la foule, ni l'opposition systématique qui s'attaque à toutes les grandes idées, car un désordre paraît être organisé depuis quinze jours pour entraver la pièce, et une dizaine de malveillants prétendent troubler l'impartial plaisir du public. On se récrie aux meilleurs endroits, on empêche d'entendre à chaque représentation ce qui a été applaudi à la représentation précédente. Nous devons dire aux siffleurs systématiques que c'est peine perdue. Le public libre qui vient aux Burgraves pour son argent, et qui écoute sérieusement une œuvre sérieuse, voudra qu'on la lui laisse entendre. Ensuite, il prononcera. Mais, quelle que soit son opinion, il saura la prendre dans la pièce, et non dans la tyrannie violente de quelques envieux ameutés.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
22 ekim 2017
Hacim:
190 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain