Kitabı oku: «Œuvres complètes de lord Byron, Tome 1», sayfa 16
140. Elle pensa, dis-je, à se poignarder: mais une circonstance rendait sa position critique, elle avait un poignard sous la main. Les corsets de l'Orient ne sont pas rembourrés, et il n'était pas impossible qu'un coup bien frappé ne la blessât dangereusement. Elle pensa à tuer Juan; – mais le pauvre garçon! sans doute il le méritait par ses ridicules retards; mais enfin, la meilleure manière de pénétrer jusqu'à son cœur n'était pas de lui ouvrir la tête.
141. Juan fut attendri: il était prêt à se laisser héroïquement empaler, mettre en quartiers et jeter aux chiens; à mourir dans les plus affreuses tortures, à servir de proie aux lions, ou d'amorce aux poissons; tout cela pour ne pas commettre un péché, – qui n'avait pour lui aucun attrait. Mais toutes ses résolutions de mourir se fondirent comme la neige devant les pleurs d'une femme.
142. De même que Bob-Acres sentit mourir sa valeur au milieu de ses lauriers, ainsi chancela, je ne sais comment, la force de Juan. D'abord il se demanda comment il avait fait pour refuser; puis s'il y avait moyen de revenir sur sa conduite. Bientôt il en fut à s'accuser d'une vertu sauvage, ainsi que l'on voit un moine maudire son vœu, et une dame son serment, quand ils sont prêts à oublier tant soit peu l'un et l'autre.
143. Juan commença donc par bégayer quelques excuses; mais, en pareil cas, les paroles ne suffisent pas, exprimassent-elles tout ce que les muses chantèrent, tout ce qu'un dandy bredouilla de plus dandy, ou bien encore toutes les figures dont nous fatigua jamais Castlereagh. Déjà cependant un languissant sourire lui donnait l'espoir d'obtenir sa grâce; mais avant qu'il allât plus loin, le vieux Baba entra avec vivacité.
144. «Fille du soleil, sœur de la lune (telles étaient ses expressions) et impératrice de la terre! Vous dont le froncement178 détruit l'harmonie des sphères, dont le sourire fait sauter de joie toutes les planètes; votre esclave, – il espère n'avoir pas mis trop d'empressement, – vous apporte une nouvelle digne de votre sublime attention: le soleil lui-même m'a envoyé comme un rayon pour vous annoncer qu'il s'approche en ce moment de vous.
145. « – La chose est-elle, s'écria Gulleyaz, comme vous le dites? J'aurais souhaité qu'il consentît à voiler ses rayons jusqu'au matin! mais ordonnez à mes femmes de former la voie lactée. Partez, ma vieille comète! donnez aux étoiles les avis convenables. – Et toi, chrétien, confonds-toi avec elles, comme tu pourras, si tu veux mériter le pardon de tes précédens mépris.» – Ici elle fut interrompue par un bruit sourd, et enfin par un cri: «Le sultan arrive.»
146. D'abord vinrent les demoiselles, gardes-d'honneur de la sultane, puis les eunuques noirs et blancs de sa hautesse; la suite entière pouvait être longue d'un quart de mille: sa majesté avait assez de politesse pour annoncer sa visite long-tems à l'avance quand elle était nocturne. Gulleyaz, en effet, était la dernière de ses femmes, étant naturellement la plus aimée des quatre.
147. Sa hautesse était un homme d'un aspect imposant, dont le turban descendait jusqu'au nez, et dont la barbe remontait jusqu'aux yeux. Arraché d'une prison pour présider une cour, il devait son élévation au cordon qui avait étranglé son frère179. C'était un excellent prince, de l'espèce de ceux mentionnés dans les histoires de Cantemir et de Knolles180; espèce peu glorieuse, si l'on en excepte Soliman, la gloire de sa race181 du jour.
Voici donc les inadvertances dont je veux parler:
1º Pour ce qui regarde Anstey, qui aurait pris, selon lui, «ses principaux caractères à Smollett,» il est certain que le Guide aux eaux de Bath, d'Anstey, fut publié en 1766, tandis que l'Humphry Clinker de Smollett (le seul des ouvrages de ce dernier qui ait pu fournir quelques traits à Tabitha, etc., etc.,) fut seulement écrit durant le dernier séjour de Smollett à Livourne, en 1770. —Ergo, s'il y a quelque emprunteur, Anstey doit être regardé comme le créancier. Je m'en rapporte aux propres dates de Campbell, dans ses Vies de Smollett et Anstey.
2º M. Campbell dit, dans la Vie de Cowper (note de la page 258, vol. I), qu'il ne sait à qui Cowper fait allusion dans ces vers:
«Nor he who, for the bane of thousands bornBuilt God a church, and laughed his word to scorn.» Ici le poète calviniste entend parler de Voltaire et de l'église de Ferney, dont l'inscription était: Deo erexit Voltaire.
3º Dans la Vie de Burns, M. Campbell cite ainsi Shakspeare:
«To gild refined gold, to paint the roseOr add fresh perfume to the violet.» Ces corrections n'embellissent nullement l'original,
«To gild refined gold, to paint the lilyTo trow a perfume on the violet.»(King Johns.) Quand un grand poète en cite un autre, il devrait être correct; il devrait encore se garder d'accuser légèrement de plagiat l'un de ses frères en Apollon. Un poète aimerait mieux piller toute espèce de choses (sauf l'argent) que les pensées des autres. – Elles ne manquent jamais d'être réclamées; mais certes il est fort pénible d'être dénoncé comme débiteur, quand on se trouve, au contraire, le créancier: tel est le cas d'Anstey à l'égard de Smollett.
Comme il y a de l'honneur parmi les voleurs, il faut qu'il y en ait aussi quelque peu parmi les poètes; et pour ce qui est de rendre à chacun ce qui lui appartient, nul, plus que M. Campbell, ne doit le faire avec désintéressement, puisque, jouissant d'une haute et incontestable réputation d'écrivain original, il est en même tems le seul poète de nos jours (Rogers excepté) auquel on puisse reprocher d'avoir écrit trop peu.
(Note de Lord Byron.)
182: on peut même dire que ses quatre femmes et ses mille jeunes filles renfermées se conduisaient avec autant de régularité qu'une seule reine chrétienne.
149. Par hasard, s'il survenait un léger désordre, on entendait peu parler du criminel et du genre de son crime. Le récit en glissait à peine sur une seule lèvre. – Un sac et la mer dont on connaissait l'incorruptible discrétion avaient promptement rétabli le calme, et le public n'en apprenait jamais plus que l'auteur de ces vers. La presse périodique ne produisait jamais de scandale. – La morale n'en valait que mieux, et les poissons n'en valaient pas moins.
150. Il découvrait judicieusement de ses propres yeux que la lune était ronde, et il ne doutait pas davantage que la terre ne fût plate, attendu qu'il avait fait un voyage de cinquante milles, sans avoir rencontré aucun indice de sa rotondité. Son empire était de même, sans bornes; quelquefois, il est vrai, un peu troublé çà et là par des pachas rebelles ou des giaours ambitieux183; mais ceux-là jamais ne se rendaient aux Sept-Tours184.
151. Excepté sous l'effigie des envoyés que l'on amenait pour y résider, quand une guerre était résolue, et cela conformément au véritable droit des gens qui ne peut en aucun cas permettre à d'infâmes marauds, dont jamais épée n'arma la main diplomatique, de décharger leur spleen en créant un amas de chicanes, et en rédigeant leurs mensonges sous le nom de dépêches, sans exposer un seul poil de leurs moustaches185.
152. Il avait cinquante filles et quatre douzaines de fils. – Dès que les premières commençaient à sortir d'enfance, elles étaient renfermées dans un palais où elles vivaient comme des nonnes jusqu'à ce qu'un bacha fût envoyé dans une province. Alors, celle dont le tour était venu l'épousait, quelquefois à peine âgée de six ans. – Cela pourra sembler étrange, mais rien n'est plus réel, et la raison, c'est que le bacha était tenu de faire un cadeau à son nouveau beau-père.
153. Ses fils étaient tenus en prison jusqu'à ce que le tems arrivât pour eux d'obtenir un cordon ou un trône; mais les destins seuls connaissaient auquel des deux ils seraient appelés. En attendant, ils recevaient une éducation toute royale, – comme l'avénement l'a toujours prouvé; et jamais l'héritier présomptif ne manquait de se montrer aussi digne d'être pendu que couronné.
154. Sa majesté, avec toutes les cérémonies dues à son rang, salua sa quatrième épouse; et Gulleyaz mit aussitôt dans ses regards une tendre flamme, et sur son front une expression respectueuse, ainsi qu'il convient de faire aux dames coupables de quelque espièglerie. Pour empêcher qu'on ne les soupçonne d'avoir rompu leur ban, il faut qu'elles se montrent doublement empressées de l'observer, et nul mari ne reçoit jamais un accueil plus rassurant que quand sa femme l'a jugé digne de s'en aller au ciel.
155. Sa hautesse promena dans la salle ses grands yeux noirs, et en les arrêtant, suivant sa coutume, sur les jeunes filles, il aperçut Juan dans son déguisement: il n'en parut nullement choqué ni surpris, mais il remarqua un maintien sage et modeste en lui, tandis que Gulleyaz poussait vers le ciel un soupir inquiet. «Je vois, dit-il, que vous avez acheté une nouvelle fille; il est déplorable qu'une simple chrétienne ait la moitié des charmes qu'elle réunit.»
156. Ce compliment, en dirigeant sur elle tous les yeux, fit rougir et trembler la vierge nouvellement acquise. Ses camarades se croyaient également perdues: ô Mahomet! fallait-il que sa majesté fît quelque attention à une giaour, quand ses lèvres impériales ne s'étaient jamais ouvertes en faveur d'aucune d'elles? Alors commença un chuchotement, un mouvement des yeux et des têtes; mais l'étiquette ne permit à aucune d'elles de ricaner.
157. Les Turcs font bien de retenir – quelquefois du moins, – les femmes en prison; – car il est trop vrai que, dans ces funestes climats, leur chasteté n'a pas cette qualité astringente qui, dans le Nord, prévient les crimes inattendus et donne à notre moral une pureté supérieure à celle de la neige. Le soleil, qui, chaque année, fait fondre les glaces polaires, produit sur le vice un effet entièrement contraire.
158. Jusque-là va notre chronique: nous ferons ici une pause, bien que nous ayons assez de matière; mais il est tems, suivant les anciennes lois de l'épopée, de replier nos voiles, et de mettre à l'ancre notre poésie. Si ce cinquième chant recueille les applaudissemens qu'il mérite, le sixième offrira des traits d'un vrai sublime. En attendant, puisque Homère lui-même dormit quelquefois, vous passerez bien à ma muse un court et léger assoupissement.
PRÉFACE DES SIXIÈME, SEPTIÈME ET HUITIÈME CHANTS
Les détails du siége d'Ismaïl dans deux des chants suivans (le septième et le huitième), sont tirés d'un ouvrage français intitulé: Histoire de la Nouvelle Russie. Quelques-uns des incidens attribués à Don Juan sont de toute réalité; entre autres la circonstance d'un enfant sauvé par lui et qui le fut effectivement par le dernier duc de Richelieu, alors volontaire au service de Russie, et devenu plus tard le fondateur et le bienfaiteur d'Odessa, où son nom et sa mémoire seront à jamais respectés.
On trouvera dans le cours de ces chants une ou deux stances relatives au dernier marquis de Londonderry (lord Castlereagh), mais écrites quelque tems avant sa mort. – Si l'oligarchie de ce personnage avait expiré avec lui, elles auraient été supprimées; mais comme elle lui a survécu, je pense qu'il n'y a rien dans son genre de vie et de mort qui soit propre à retenir l'expression franche des opinions de ceux qu'il s'efforça d'asservir pendant toute la durée de son existence. Que dans la vie privée il ait été ou non un homme aimable, c'est ce qu'il importe peu au public de savoir; et pour ce qui est de pleurer sa mort, il en sera assez tems quand l'Irlande ne pleurera plus sa naissance. Comme ministre, je le crois, avec plusieurs millions de citoyens, l'homme des intentions les plus despotiques et de l'intelligence la plus faible qui jamais ait opprimé une nation186. C'est, depuis les Normands, la première fois que l'Angleterre a été insultée par un ministre (du moins187) qui ne savait pas parler anglais, et que le parlement consentit à recevoir des ordres dans le langage de mistress Malaprop.
Il n'est pas nécessaire d'entrer dans beaucoup de détails sur sa mort; je remarquerai seulement que si un pauvre radical, tel que Waddington ou Watson, s'était ainsi coupé le cou, on l'aurait enseveli dans un carrefour, avec l'escorte ordinaire d'un pieu et d'une potence. Mais quant au ministre, ce fut un lunatique de bon ton, – un suicide sentimental: – il se coupa tout simplement «l'artère carotide» (admirez leurs connaissances)! Vite donc la pompe funèbre; l'abbaye; les sanglots de la douleur poussés – par les journaux; – l'éloge du défunt ensanglanté, prononcé par le Coroner (digne Antoine d'un pareil César), – et les propos atroces et nauséabonds d'une poignée de conspirateurs dégradés, contre tout ce que la patrie renferme de sincère et d'honorable. La loi188 devait trouver dans sa mort de deux choses l'une, – ou qu'il était un criminel, ou bien un fou; – dans ces deux cas, il n'y avait pas grande matière à panégyrique. Il avait été dans sa vie – ce que tout le monde sait, ce que la moitié de l'univers sentira long-tems encore, à moins que sa mort ne donne une leçon morale aux Séjans européens qui lui survivent189. Mais en tout cas, c'est quelque chose de consolant pour les nations de voir que leurs oppresseurs ne sont pas heureux, et que même, de tems à autre, ils jugent assez bien de leurs actions, pour prévenir eux-mêmes la sentence du genre humain. – Cessons donc de revenir sur cet homme; et laissons l'Irlande écarter du sanctuaire de Westminster les cendres de son illustre Grattan190… Faut-il que le patriote de l'humanité soit remplacé par le Werther de la politique!!!
Pour ce qui regarde les objections que l'on a faites, sous un autre point de vue, aux chants de ce poème déjà publiés, je me contenterai, pour toute réponse, de faire deux citations de Voltaire:
«La pudeur s'est enfuie des cœurs et s'est réfugiée sur les lèvres.»
«Plus les mœurs sont dépravées, plus les expressions deviennent mesurées; on croit regagner en langage ce qu'on a perdu en vertu.»
Voilà une vérité applicable à la masse des êtres vils et hypocrites qui corrompent la génération anglaise de ce siècle, et c'est la seule réponse qu'ils méritent de recevoir. Le titre vulgaire et trivial de blasphémateur, – qui, joint à ceux de radical, libéral, jacobin, réformateur, etc., compose le dictionnaire débité chaque jour par nos mercenaires politiques, devrait être un titre d'honneur pour tous ceux qui s'en rappellent la première signification. Socrate et Jésus-Christ ont été mis à mort publiquement comme blasphémateurs; beaucoup d'autres ont subi, beaucoup d'autres subiront peut-être encore le même supplice pour avoir réclamé contre les plus crians abus du nom de Dieu et de l'intelligence humaine. Mais persécuter n'est pas la même chose que réfuter ou même triompher. Le malheureux incrédule, comme on l'appelle, est probablement plus heureux dans sa prison que le plus fier de ses antagonistes. Je n'examine pas ses croyances, – elles sont bonnes ou mauvaises; – mais il a souffert pour elles, et ces souffrances mêmes, endurées pour mettre sa conscience en repos, feront au déisme plus de prosélytes191, que l'exemple des prélats d'une autre foi n'en fera au christianisme, celui des hommes d'état suicidés à l'oppression, ou celui des homicides pensionnés à l'alliance impie qui ose insulter assez l'intelligence publique pour affecter le nom de Sainte! Je ne veux pas ajouter à la honte des infâmes, ou des morts; mais il serait bien tems que les défenseurs payés de ceux qu'on se plaint de voir attaquer perdissent quelque chose de l'effronterie de leur langage, péché le plus criant de cet égoïste et bavard siècle; et – mais en voilà bien assez pour le moment.
Chant sixième
Sir Tobie. – «Penses-tu, parce que tu es vertueux, qu'il n'y aura plus ni ale ni gâteaux?»
Le Bouffon. – «Oui, par sainte Anne! et, de plus, le gingembre brûlera la bouche.»
(Shakspeare, la Douzième nuit, ou Ce que vous voudrez, acte II, scène 3.)
1. «Il est une mer dans les affaires des hommes, et quand on en saisit le flux192,» – vous savez le reste, et la plupart d'entre nous l'ont dit et le répètent encore: nous en sommes tous bien convaincus, et cependant il en est peu qui savent deviner ce moment avant qu'il ne soit trop tard pour en profiter. Quoi qu'il en soit, tout est pour le mieux; et, pour s'en convaincre, il ne faut que considérer la fin: souvent les choses reprennent un heureux cours après avoir été désespérées.
2. «Il est une mer dans les affaires des femmes, et quand on en saisit le flux on parvient,» – Dieu sait où. Ce serait un bon marin, celui qui pourrait tracer avec précision, sur sa carte, tous les courans de cette mer. Les rêveries de Jacob Behmen193 ne sont pas comparables avec ses brisans et ses retours singuliers. – Les hommes calculent avec leur tête; – mais les femmes cèdent à l'impulsion de leur cœur ou de ce que Dieu seul sait!
3. Et cependant quand il s'en trouve une pleine d'étourderie, de vivacité et de franchise, jeune, belle, entreprenante, – qui risquerait volontiers un trône, le monde, l'univers pour être aimée comme elle aime, et qui ferait plutôt changer de cours aux étoiles que de n'être pas libre comme le sont les vagues au moment où s'élève la brise, – une telle femme, il est vrai, est un diable (s'il en existe un seul); mais elle est capable de faire bien des manichéens.
4. La plus vulgaire ambition bouleverse si souvent les trônes et le monde, que, si la passion vient à produire les mêmes maux, nous n'oublions promptement, ou du moins nous n'excusons, que les fureurs dont l'amour a été la cause. Si l'on se souvient encore d'Antoine, ce ne sont pas ses conquêtes qui ont mis son nom à la mode; Actium seul, perdu pour les yeux de Cléopâtre, est d'un plus grand poids que tous les exploits de César.
5. À cinquante ans il mourut pour une reine de quarante. Je voudrais qu'ils n'en eussent eu que quinze et vingt; car à cet âge on se rit de l'or, des royaumes et des mondes. – Je me souviens du tems où je n'avais pas, il est vrai, beaucoup de mondes à perdre, mais enfin où, pour faire ma cour, je donnais ce que j'avais, – un cœur, – ce qui valait un monde, quel qu'il fût; car jamais monde ne me rendra ces sentimens purs que j'ai laissé fuir.
6. C'était le denier du jouvenceau194, et peut-être, comme celui de la veuve, me sera-t-il compté pour quelque chose dans la suite, sinon maintenant. Au reste, qu'on me le compte ou non, tous ceux qui ont aimé, ou qui aiment, n'en avoueront pas moins que la vie n'offre rien de comparable à ces instans. On dit que Dieu est amour; ajoutons que l'amour est un dieu, ou que du moins il l'était avant que le front de la terre ne se fût ridé et vieilli par les péchés, par les pleurs de – mais c'est à la chronologie qu'il appartient de calculer les années.
7. Nous avons laissé notre héros et la troisième de nos héroïnes dans une situation moins étrange que critique: en effet, il n'est pas rare que les hommes risquent leur peau pour ce cruel tentateur, – une femme défendue: mais les sultans, en particulier, ont une vive antipathie pour les péchés de cette espèce; ils ne sont nullement du caractère de ce sage Romain, l'héroïque, le sentencieux, le stoïque Caton, qui prêtait sa femme à son ami Hortensius195.
8. Gulleyaz, je le sais, était extrêmement coupable; je l'avoue, je le déplore, je la condamne; mais je répugne, même en poésie, à toute fiction, et, dussiez-vous la blâmer comme moi, je préfère vous dire toute la vérité. Sa raison était fragile, ses passions étaient vigoureuses, et elle ne croyait pas que le cœur de son mari (supposé même qu'il fût à elle) dût la satisfaire, attendu qu'il avait cinquante-neuf ans et quinze cents concubines.
9. Je ne suis pas, comme Cassio, un arithméticien196: mais en examinant le livre de théorie avec une précision féminine, il paraît démontré, sans même porter en compte les années de sa hautesse, que la belle sultane ne péchait que faute d'alimens. En effet, si le sultan était juste envers toutes ses amantes, elle n'avait plus droit qu'à la quinze-centième partie d'une chose dont on devrait toujours avoir le monopole, – le cœur.
10. On a remarqué que les dames tiennent beaucoup à tous les droits de possession que la loi leur accorde, et, sur ce point, les dévotes ne sont pas les moins exigeantes; elles grossissent même du double la gravité de ce qu'elles appellent un péché, et elles nous assiégent de poursuites et de procès (comme les tribunaux le prouvent à chacune de leurs sessions), lorsqu'elles nous soupçonnent de faire plusieurs parts d'une propriété dont la loi les déclare uniques héritières.
11. Or, s'il en est ainsi dans un pays chrétien, on ne sera pas surpris que les dames païennes ne soient guère plus traitables sur le même point, et qu'elles gardent alors, comme disent les rois, «une attitude imposante.» Elles réclament vivement leurs droits conjugaux dès que leur légitime époux se montre ingrat envers elles; et comme quatre femmes ont nécessairement quatre motifs de plaintes, il en résulte qu'il y a sur les bords du Tigre des jalousies comme sur ceux de la Tamise.
12. Gulleyaz était la quatrième et (comme je l'ai remarqué) la favorite. Mais sur quatre épouses, que sert-il d'en favoriser une? On devrait avoir peur de la polygamie, non-seulement comme d'un péché, mais même comme d'une bête noire; les plus sages se contentent d'une seule femme raisonnable, et leur philosophie se déconcerterait d'une plus forte charge. Il n'est personne (à l'exception des Turcs) qui veuille jamais faire de sa couche nuptiale un lit de Ware197.
13. Sa hautesse, la plus sublime de l'univers – (du moins s'intitule-t-elle ainsi, suivant les formes usitées par tous les rois, jusqu'au moment où ils sont adjugés aux vers, ces tristes et affamés jacobins qui osent effrontément dîner des plus puissans rois), – sa hautesse, dis-je, s'attendait, en contemplant les charmes de Gulleyaz, à recevoir l'accueil d'une amante. («Quant à l'accueil montagnard198 on le reçoit dans tout l'univers.»)
14. Ici nous devons spécifier: Quelquefois les baisers, les douces paroles, les étreintes et tout le reste, peuvent figurer des sentimens qui n'existent pas. On les prend aussi aisément qu'un chapeau, ou plutôt un bonnet (ces derniers faisant partie de la toilette des dames); ils peuvent contribuer à farder les cœurs ou les têtes, mais quelquefois les uns ne viennent pas plus du cœur que les autres ne sont sortis de la tête.
15. Une rougeur légère, une tendre émotion, une sorte de sérénité douce et calme qui se lit plutôt sur les paupières que dans les yeux, et qui semble vouloir cacher ce qu'on voudrait le plus tôt découvrir; tels sont (pour un homme discret) les meilleurs garans de l'amour, quand ils reposent sur leur plus adorable trône, le sein d'une femme sincère; – car l'excès des transports ou de l'indifférence contribue également à rompre le charme.
16. D'un côté, si ces transports excessifs sont joués, ils sont pires que la réalité; et s'ils sont naturels, on ne peut guère compter sur leur durée: personne, s'il n'est dans la première jeunesse, n'a confiance dans les aveux échappés à la violence des désirs. De tels billets sont réellement précaires, et on les passe avec un trop léger escompte au premier acheteur; – de l'autre côté, vos femmes à la glace ont une naïveté désespérante.
17. C'est-à-dire que nous ne leur pardonnons pas leur mauvais goût; car tous les amans, tardifs ou empressés, se croient faits pour arracher un aveu et allumer les désirs de la concubine monastique de saint François elle-même199. – Il faut donc que la maxime de tous les amans soit celle d'Horace: medio tu tutissimus ibis200.
18. Le tu est de trop, – pourtant il restera; – le vers l'exige, c'est-à-dire la rime anglaise et non les vieilles règles de l'hexamètre. Après tout, il n'y a dans le vers sur lequel je reviens, ni mesure, ni harmonie. Il serait difficile de le rendre plus mauvais, et je ne l'ai mis que pour fermer mon octave; mais s'il n'est pas de prosodie qui en justifie la contexture, la vérité du moins pourra applaudir à la règle de conduite qu'il offre.
19. Si Gulleyaz chargea trop son rôle, je n'en sais rien; – elle réussit, et le succès est le point important des affaires: dans le cœur des femmes il tient autant de place que l'article de la toilette; mais quels que soient les artifices féminins, l'amour-propre des hommes l'emporte encore sur eux. Elles mentent, nous mentons; tout, en un mot, est mensonge; l'amour lui-même n'est jamais en arrière, et cependant il n'est pas d'autre vertu que l'inanition pour balancer le plus hideux des désirs, – celui de la propagation.
20. Nous laisserons reposer le couple royal; un lit n'est pas un trône, on peut donc y dormir, quels que soient les songes, tristes ou gais, qu'on y fasse. La joie désappointée est cependant une source de chagrins quelquefois aussi profonde que les véritables douleurs; nos larmes peuvent être excitées par le plus léger déplaisir, et ce sont elles qui, nées de la plus légère cause et tombant goutte à goutte sur notre ame comme sur une pierre, finissent par y laisser une empreinte ineffaçable.
21. Une femme acariâtre, un fils languissant, un billet à payer non acquitté, protesté ou escompté à un pour cent; un enfant maussade, un chien malade, un cheval favori qui tombe et se blesse à l'instant même où on le montait; une méchante vieille femme qui s'avise de faire un maudit testament, et de vous laisser moins d'argent que vous ne comptiez; – voilà certes des bagatelles, et cependant j'ai vu bien peu d'hommes qui ne s'en affligeassent pas.
22. Je suis un philosophe; que le ciel donc les confonde tous, billets, animaux, hommes et – non pas les femmes. Ma bile est soulagée, grâces à cette bonne et franche malédiction: mon stoïcisme n'a plus rien derrière lui qui mérite le nom de mal ou de douleur, et mon ame va sans distraction se livrer aux travaux de la pensée. – Mais qu'est-ce que l'ame ou la pensée? d'où viennent-elles, comment vivent-elles? C'est plus que je n'en sais, et – je suis encore forcé de les envoyer toutes deux au diable!
23. Maintenant que tout est damné, on se sent à l'aise comme après la lecture de la malédiction d'Athanase201, lecture chérie du véritable fidèle. Je doute que jamais on en pût faire une plus terrible sur la tête d'un ennemi mortel agenouillé devant soi, tant elle est sentencieuse, élégante et précise: elle brille dans le livre des prières communes, comme l'iris dans les cieux nouvellement calmés.
24. Gulleyaz et son époux dormaient; du moins l'un des deux. Combien la nuit semble longue à la femme coupable qui, brûlant pour un jeune bachelier, soupire, en se mettant tristement au lit, après la fraîche lumière du matin, en épie vainement le premier rayon au travers des obscures jalousies, s'agite, se retourne, s'assoupit, se ranime, et ne cesse de trembler que son trop légitime compagnon de lit ne vienne à se réveiller.
25. Et cela peut se rencontrer sous la couverture des cieux, comme sous celle des lits à quatre pieds, garnis de soie, et destinés à recevoir les corps des hommes riches et de leurs femmes, dans des draps aussi blancs que la neige éparse dans les airs, comme disent les poètes. Il est donc bien vrai que tout, dans le mariage, dépend du hasard. Gulleyaz était une impératrice; mais peut-être aurait-elle été aussi coupable, si elle n'eût été que la maritorne d'un paysan.
26. Don Juan, dans sa féminine métamorphose, et la longue file des demoiselles s'étant inclinés devant l'œil impérial, prirent, au signal ordinaire, le chemin de leurs appartemens, c'est-à-dire de ces longues galeries du sérail où les dames reposent leurs membres délicats, où mille seins battent en pensant à l'amour, comme l'aile des oiseaux emprisonnés en pensant à la liberté.
27. J'aime le beau sexe, et quelquefois je retournerais la pensée du tyran qui souhaitait «que le genre humain eût une seule tête, afin de pouvoir la couper d'un coup.» Ce que je désire est aussi grandiose, beaucoup moins coupable, et même atteste en moi plus de sensibilité que de scélératesse: c'est (non pas à présent, mais dans mon jeune âge) que le genre féminin n'ait que deux lèvres de rose, afin de pouvoir les presser d'un seul coup du nord au midi.
28. Oh! Briarée! que ton sort était digne d'envie, si tout pour toi se multipliait en proportion de tes mains et de tes pieds! – Mais ici ma muse répugne à l'idée de donner une épouse aux Titans, ou de voyager dans les terres patagoniennes. Nous reviendrons donc à Lilliput, et nous allons conduire notre héros au travers du labyrinthe d'amour dans lequel nous l'avons laissé quelques lignes plus haut.
29. Il était sorti avec les charmantes odalisques au signal qui leur avait été donné. Chemin faisant, et de moment à autre, il se hasardait (non sans courir de grands dangers, ces licences ayant dans le sérail des suites bien autrement redoutables que les dommages et intérêts exigés, en pareil cas, dans la morale Angleterre) à lorgner tous les charmes de ses compagnes, depuis les épaules jusqu'aux pieds.
30. Il ne perdait pourtant pas de vue son déguisement. – Cependant le bataillon édifiant et, pour ainsi dire, virginal, s'avançait, flanqué par des eunuques, le long des galeries et de salles en salles. À sa tête marchait une dame chargée de maintenir la discipline dans les rangs féminins, et d'empêcher aucune d'elles de troubler ou de quitter les rangs sans permission. Son titre était la mère des vierges.
31. De dire que réellement elle fût mère ou que les autres fussent en effet des vierges, c'est plus que je ne pourrais faire: c'était là son titre dans le sérail; je n'en sais pas la raison, mais il était aussi bon que tout autre. Cantemir ou de Tott peuvent d'ailleurs vous satisfaire sur ce point. Son office était d'étouffer ou de prévenir toute espèce de mauvaises pensées dans l'ame de quinze cents jeunes femmes, et de les corriger quand elles commettaient quelque étourderie.
32. Jolie sinécure, sans doute! mais ce qui la rendait moins pénible encore, c'était l'absence de toute créature masculine, à l'exception de sa majesté; et sa coopération, celle de ses gardes, des verroux, des murailles, et de tems en tems un petit exemple pour intimider les autres, tout contribuait à rendre ce séjour de la beauté aussi paisible que les couvens d'Italie, où toutes les passions sont, hélas! étouffées, à l'exception d'une seule.
33. Et cette passion quelle est-elle? – Pouvez-vous bien faire une pareille demande? – C'est la dévotion. – Je continue. Comme je le disais, au commandement d'un seul bonhomme, cette charmante élite de dames venues de toutes les contrées s'avançait d'un regard mélancolique et virginal, d'un pas lent et majestueux, semblable aux tiges de nénuphar flottant sur un ruisseau, ou plutôt sur un lac, car les ruisseaux ne coulent pas lentement.
34. Mais quand elles eurent gagné leurs appartemens, et que leurs gardiens se furent éloignés, elles commencèrent à profiter de la trêve établie pour quelques instans entre elles et la servitude; et, semblables à des oiseaux, des enfans ou des bedlamites202 en liberté, à des vagues au lever de la marée, à toutes les femmes affranchies d'entraves (lesquelles, après tout, ne servent pas à grand'chose), ou bien enfin à des Irlandais à la foire, elles se mirent à chanter, danser, jouer, rire et babiller.
35. Leur entretien nécessairement eut pour but principal la nouvelle arrivée, ses formes, sa chevelure, son extérieur et toute sa personne: les unes pensaient que son costume ne lui allait pas fort bien, et s'étonnaient de ne pas voir d'anneaux à ses oreilles; les autres disaient que ses années touchaient à leur été, tandis que d'autres soutenaient qu'elles n'avaient pas cessé d'être à leur printems; celles-ci lui trouvaient dans la taille quelque chose de trop mâle, et celles-là auraient voulu trouver le même défaut dans toute sa personne.
36. Mais aucune, après tout, n'hésitait à déclarer, qu'elle ne fût en effet ce qu'annonçait son costume, une demoiselle jolie, fraîche, excessivement belle, et comparable à tout ce que la Géorgie avait enfanté de plus ravissant. Elles ne savaient comment Gulleyaz avait pu être assez aveugle pour acheter une esclave qui (si sa hautesse venait à s'ennuyer de son épouse) pourrait bien un jour lui ravir la moitié de son trône, de sa puissance et de tout le reste.
Pendant que je suis en train de critiquer, et après m'être hasardé à relever les erreurs de Bacon, j'en citerai aussi quelques autres aussi légères qui se sont glissées dans l'édition des British Poets, faite par le justement célèbre Campbell. – Je le fais, au reste, dans des intentions amicales, et j'espère qu'on ne s'y méprendra pas. – Si quelque chose pouvait ajouter au cas que je fais des talens et du caractère loyal de cet écrivain, ce serait sa défense classique, mesurée et victorieuse de Pope, contre les propos et les grub-street 274274
Ce surnom, que l'on donne à Londres aux pamphlets les plus dépréciés et à tous les petits livres écrits par et pour la canaille, vient de ce que ces productions se débitent presque toutes, à Londres, dans la rue de Grub (du Magot).
J'entends la loi du pays: celles de l'humanité sont moins rigoureuses; mais comme les légitimes ont toujours en bouche le mot de loi, il est bon de s'en servir une fois dans ce qui les regarde.
(Note de Lord Byron.)
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Il faut excepter Canning de ce nombre. Canning a du génie, un génie presque universel. C'est un orateur, un poète, un homme d'État et d'esprit. Or, un homme vraiment distingué ne peut long-tems se traîner dans l'ornière d'un prédécesseur tel que Castlereagh. Si jamais homme put sauver son pays c'est Canning; mais le voudra-t-il? J'en ai au moins l'espérance.
(Note de Lord Byron.)
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«Certes, a dit le More, j'ai déjà choisi mon officier, et quel est-il? ma foi, un grand arithméticien, un Michel Cassio, Florentin, qui ne connaît d'une bataille que le livre de théorie.»
(Othello, acte Ier, scène Ire.)
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«Ware, ville à trente milles de Londres, où nous eûmes la curiosité d'aller pour visiter la fameuse couche dite le lit de Ware, de douze pieds carrés, qui existait jadis dans une auberge; mais l'aubergiste actuel l'avait convertie en six couchettes.»
(Note de M. A. P.)
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«L'ancien ennemi insinua un jour dans l'ame de François une grande tentation de la chair. L'homme de Dieu la sentant, déposa aussitôt son vêtement, et se frappa vigoureusement avec une forte corde en disant: Allons, frère âne, te voila traité comme il convient. Mais comme les tentations le reprenaient, il sortit et se jeta tout nu au milieu de la neige, et puis en ayant formé sept boules, il donna à chacune d'elles la figure humaine, en disant: Toi, la plus grande, tu seras désormais ma femme; ces quatre autres, mes deux fils et mes deux filles; celle-ci mon valet, et cette dernière ma servante… Soudain le diable se retira de lui, plein de confusion.»
(Légende dorée.)
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