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Kitabı oku: «Œuvres complètes de lord Byron, Tome 1», sayfa 7

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210. J'envoyai mon offre dans une lettre adressée à l'éditeur, et il m'en remercia par le suivant courrier. – Je suis donc son créancier pour un bel article. Cependant, s'il juge à propos de rebuter ma tendre muse, s'il rompt tout d'un coup ses engagemens, s'il proteste qu'il n'a pas reçu ce qu'elle m'a coûté, et trempe sa plume dans le fiel et non dans le miel, tout ce que je puis dire, – c'est qu'il a mon argent.

211. Grâce à cette seconde sainte-alliance, je puis, je l'espère, compter sur le public et défier tous les autres magasins de sciences et arts, quotidiens, mensuels ou trimestriels. Je n'ai pas essayé d'augmenter le nombre de leurs cliens parce qu'on m'assura que mes efforts seraient superflus, et que l'Édimburg et la Quarterly Review faisaient souffrir le martyre aux auteurs qui différaient avec eux de sentimens.

212. «Non ego hoc ferrem calida juventa, consule Planco,» disent Horace et moi. Je fais cette citation pour assurer qu'il y a six ou sept bonnes années (long-tems avant de songer à dater mes lettres de la Brenta), j'étais plus disposé à répondre à tous les coups, et que je n'aurais jamais souffert des choses de ce genre, dans mon ardente jeunesse, Georges III étant roi.

213. Mais aujourd'hui, à trente ans, mes cheveux sont devenus gris (que seront-ils à quarante ans? je pensais l'autre jour à une perruque), et mon cœur n'a pas conservé beaucoup plus de jeunesse. En un mot, j'ai consumé mon été dans les jours du mois de mai, et je n'ai plus le goût des représailles. J'ai dépensé ma vie, intérêts et principal, et j'ai cessé de croire comme autrefois que mon ame fût invincible.

214. Jamais, – jamais, – non jamais à l'avenir ne descendra plus dans mon cœur cette rosée de jeunesse qui nous fait éprouver, à la vue de tous les objets agréables, des émotions ravissantes et nouvelles; semblable à la ruche des abeilles, notre sein les tenait renfermées. Penses-tu que ce miel naissait de ces objets? non, ils n'étaient pas en eux, mais dans cette puissance de ton ame qui doublait jusqu'au parfum des fleurs.

215. Jamais, – jamais à l'avenir, ô mon cœur, tu ne seras mon seul monde, mon univers! Autrefois je n'existais que par toi, aujourd'hui tu formes un être à part, et tu ne peux plus être mon paradis ou mon enfer. Les illusions ont disparu, tu es devenu insensible, mais ce n'est pas un malheur; j'ai pris à ta place une dose de jugement, quoique Dieu seul connaisse comment il a pu entrer chez moi.

216. Mes jours de tendresse sont passés; jamais les charmes d'une vierge51, d'une épouse et moins encore d'une veuve ne me feront délirer comme autrefois. Il faut, en un mot, changer mon train de vie. Je n'ai plus l'espoir d'une mutuelle sympathie; l'usage fréquent du vin m'est défendu; ainsi, me résignant à quelque vice de vieille tête, je suis d'avis de me jeter dans l'avarice.

217. L'ambition était mon idole, mais elle fut brisée sur l'autel de la douleur et du plaisir; ceux-ci ont laissé chez moi des traces qui peuvent donner matière à amples réflexions. Aujourd'hui, comme la tête de bronze de frère Bacon, je m'écrie: «Le tems est, le tems fut, le tems n'est plus.» La brillante jeunesse est un trésor chimique que j'ai de trop bonne heure éventé en fatiguant mon cœur de passions, et ma tête de rimes.

218. À quoi se réduit la gloire? à tenir une certaine place sur un léger papier. Quelques gens la comparent à l'action de gravir une hauteur dont le sommet, comme celui de toutes les montagnes, s'évanouit en vapeur. C'est pour elle que les hommes écrivent, parlent, déclament; que les héros massacrent, que les poètes consument ce qu'ils appellent leur «lampe nocturne.» C'est afin d'obtenir, quand ils seront poussière, un nom, un misérable portrait, un buste pire encore.

219. Quel est l'espoir des mortels? Un ancien roi d'Égypte, Chéops, érigea la première et la plus haute des pyramides, dans la ferme espérance qu'elle conserverait le souvenir de sa vie et qu'elle déroberait à tous les yeux son cadavre; mais un inconnu en fouillant brisa le couvercle de son tombeau. Fondez maintenant, vous ou moi, quelque espérance sur un sépulcre, quand il ne reste pas de Chéops un grain de poussière!

220. Pour moi, amant de la vraie philosophie, je me dis bien souvent à moi-même: «Hélas! tout ce qui est né naquit pour mourir: la chair est une herbe que la mort vient convertir en foin. Votre jeunesse n'a pas été sans attraits, et si vous l'aviez encore – elle s'écoulerait. – Ainsi rendez grâces à votre étoile de n'avoir pas à vous plaindre davantage; lisez votre Bible, monsieur, et songez à votre bourse.»

221. Mais, en ce moment, ami lecteur, et vous, acheteur plus aimable encore, le poète, – c'est-à-dire moi, – vous demande la permission de vous serrer la main; et puis, votre humble serviteur, bonjour. Nous nous reverrons si cela nous arrange l'un et l'autre. Autrement je ne donnerai à votre patience que cette courte épreuve. – Heureux si tant d'autres suivaient mon exemple!

222. «Va, petit livre, loin de ma solitude! Je te dépose sur les eaux, suis ton chemin; et si, comme je le pense, ton sort est heureux, le monde te retrouvera après plusieurs siècles.» Lorsqu'on lit Southey, et que Wordsworth est compris, je ne puis m'empêcher de prétendre aussi à la gloire. – Les quatre premières rimes sont des vers de Southey; pour Dieu, lecteur, n'allez pas les prendre pour les miennes.

Chant Deuxième

1. Ô vous qui êtes appelés à former la brillante jeunesse, en Hollande, en France, en Angleterre ou en Germanie, fouettez bien vos élèves en toute occasion, je vous en conjure; car c'est en oubliant leurs souffrances qu'on corrige leurs mœurs. En vain Juan avait-il reçu la plus douce des mères et des éducations, il finit, et de la manière du monde la plus vilaine, par perdre sa première innocence.

2. S'il eût été mis dans une école publique de troisième ou de quatrième classe, ou du moins s'il eût été élevé dans le Nord, ses occupations de chaque jour eussent empêché son imagination de prendre feu. – L'Espagne offre peut-être une exception, mais cette exception confirme la règle, – et dans tous les cas, un enfant de seize ans occasionant un divorce, devait bien confondre l'habileté de ses précepteurs.

3. Pour moi, cela ne me confond nullement, les choses bien considérées. D'abord sa mère n'avait en tête que les mathématiques; et tandis qu'il avait pour tuteur un vieux âne, une femme jolie (cela va sans dire, autrement la chose n'aurait sans doute pas eu lieu) avait pour mari un barbon avec lequel elle s'accordait mal. – Puis le tems et l'occasion.

4. Bien, – fort bien. Il faut que le monde tourne sur son axe et que tous les mortels, têtes et jambes, fassent le même tour que lui. Vivons et mourons, faisons l'amour, payons nos taxes, et, suivant la direction du vent, sachons disposer nos voiles.

Le roi nous parle en maître, le médecin en charlatan, le prêtre en docteur, et c'est ainsi que la vie s'exhale. C'est un léger souffle, de l'amour, du vin, de l'ambition; de la guerre, de la dévotion, de la poussière, – un nom peut-être.

5. J'ai dit que Juan fut envoyé à Cadix, – jolie ville dont je me souviens bien. – C'est le centre de tout le commerce colonial (du moins c'était, avant que le Pérou n'eût l'envie de se révolter). On y voit des filles si douces, j'entends des dames si gracieuses, que leur seule démarche enivre le cœur. Je ne pourrais vous la dépeindre bien que j'en sois encore tout ému, ni vous en offrir quelques comparaisons, je ne vis jamais rien de pareil.

6. Un cheval arabe? un cerf élancé? un barbe nouvellement dressé? un caméléopard? une gazelle? Non, – non, rien de tout cela. – Et puis, leur robe, leur voile, leur jupe, hélas! pour s'arrêter sur de pareils objets, il faudrait sacrifier près d'un chant: – ensuite viendrait leur pied et des chevilles – ici, lecteur, rendez grâces au ciel de ce que je ne puis trouver une métaphore… – Eh bien, ma trop lente muse! – Allons, laissez-moi reprendre haleine.

7. Chaste, muse!! – Bien, puisqu'il le faut, il le faut. Je crois apercevoir un voile écarté pour un moment par une main légère, tandis qu'un œil expressif vous fait pâlir et vous perce le cœur. – Terre brûlante, toute d'amour! quand je t'oublierai, puissé-je en venir à – dire mes prières! – non, jamais costume ne prêta tant de charmes aux œillades, excepté les fazzioli de Venise.

8. Mais à notre conte: Donna Inès avait envoyé son fils à Cadix seulement pour qu'il s'y embarquât; il n'entrait pas dans ses vues de l'y laisser séjourner; et la raison? – car nous embarrassons notre lecteur. – C'est qu'il était convenu que le jeune homme voyagerait: comme si un vaisseau espagnol eût dû, semblable à l'arche de Noé, le séparer de la scélératesse mondaine, et le ramener ensuite à la terre tel qu'une colombe d'espérance.

9. Don Juan, après avoir, suivant ses instructions, ordonné à son valet de disposer tout pour son départ, reçut un sermon et quelque argent. Il devait voyager pendant quatre printems; Inès était affligée sans doute (tous les genres de séparation ont leur épine), mais elle espérait, – elle croyait peut-être qu'il amenderait. Elle lui donna de plus une lettre (qu'il ne lut jamais) de bons conseils, et deux ou trois de crédit.

10. Cependant, afin de se distraire, la vertueuse Inès forma pour le dimanche une école de petits mauvais garnemens, qui auraient bien préféré jouer, comme de vilains paresseux, au diable ou au fou. C'étaient des enfans de trois ans qui, ce jour-là, venaient écouter ses leçons. Les indociles étaient fouettés ou mis sur la sellette. Le grand succès de l'éducation de Juan l'encourageait à s'occuper d'une autre génération.

11. Juan quitta le bord, et le vaisseau s'ébranla; les vents étaient bons, l'eau très-agitée. C'est un diable de courant que celui de cette baie, je l'ai assez souvent essuyé pour me le rappeler. Si vous vous asseyez sur le tillac, votre visage ne tarde pas à se couvrir d'écume jaunissante, et à prendre l'apparence d'un cuir tanné. C'est là qu'il se tint pour dire et redire son premier, peut-être son dernier adieu à l'Espagne.

12. Je ne puis m'empêcher de remarquer que c'est un spectacle poignant que celui de la terre natale s'éloignant derrière les flots mugissans. – Il anéantit tout-à-fait, surtout si l'on est encore aux jours de la jeunesse. Je me souviens que les côtes de la Grande-Bretagne paraissent blanches, mais la plupart des autres terres sont bleues; en entrant dans l'humide élément, et trompés par la distance nous reportons nos regards vers elles.

13. Juan au désespoir demeurait assis sur le tillac, et cependant le vent ronflait, les cordages sifflaient, les matelots juraient et le vaisseau craquait; la ville devenait un point dont ils s'éloignaient de plus en plus. Le meilleur de tous les remèdes contre le mal de mer c'est un beefsteak. Vous riez, monsieur? faites-en auparavant l'épreuve. Je vous assure que rien n'est plus vrai, je l'ai essayé; et puisse-t-il vous faire le même effet salutaire!

14. Don Juan, assis, voyait de la poupe sa chère Espagne s'évanouir dans le lointain. On surmonte difficilement le chagrin d'un premier départ: les nations même qui courent aux armes le ressentent. C'est une espèce indicible d'émotion, une sorte de coup qui déchire le cœur. En s'éloignant des gens et des lieux les plus insupportables, les yeux se retournent encore pour en regarder le clocher.

15. Mais Juan avait eu bien des objets à quitter. Une mère, une maîtresse et pas de femme; il avait donc pour s'attrister de bien meilleurs motifs qu'un grand nombre de personnes plus âgées. Et si, dans tous les tems, nous soupirons en perdant de vue ceux mêmes avec lesquels nous sommes en querelle, certainement, quand ces personnes nous sont chères, nous devons sangloter; – c'est-à-dire jusqu'à ce que de plus profonds chagrins viennent sécher nos larmes.

16. Juan pleurait donc, comme pleuraient les juifs captifs en se rappelant Sion, sur les ondes babyloniennes52. Je voudrais bien pleurer avec lui, mais ma muse n'est pas larmoyante, et il n'est pas sage de se consumer pour de pareils chagrins. Les jeunes gens ne doivent voyager que pour se divertir; et par la suite peut-être que leurs valets, en attachant leur porte-manteau derrière la voiture, y glisseront ce chant lui-même.

17. Enfin Juan pleurait, soupirait et méditait; ses larmes amères tombaient dans l'amer élément: doux sur le doux (j'aime beaucoup à citer: vous excuserez ce souvenir; c'est lorsque la reine de Danemarck jette des fleurs sur la tombe d'Ophélie53); tout en sanglotant, il songeait à sa position, et faisait de sérieux plans de réforme.

18. «Adieu, mon Espagne! adieu pour longtems, criait-il. Peut-être ne dois-je plus te revoir, et mourrai-je, comme tant d'autres exilés, du désir de revenir encore sur ton rivage. Adieu, bords paisibles du Guadalquivir; adieu, ma mère; et puisque tout est fini, adieu, ma trop chère Julia!» (Ici il tira encore sa lettre et se mit à la relire.)

19. «Et oh! si je devais jamais l'oublier, je jure, – mais cela est impossible et absurde: – cet Océan azuré se joindra au ciel, la terre s'abîmera dans la mer avant que je perde ton souvenir, ô ma belle amie! ou que j'aie une autre idée que la tienne. La médecine n'a pas de remède pour les chagrins de l'ame.» – (Ici le vaisseau fit un bond, et Juan sentit les approches du mal de mer.)

20. «Les cieux toucheraient plutôt la terre.» – (Ici il se sentit plus malade.) «Ô Julia! que me font tous les autres maux? – Au nom du ciel, donnez-moi un verre de liqueur. – Pedro Battista! aidez-moi à redescendre. – Julia, mes amours! – Plus vite donc, drôle de Pedro. – Ô Julia! – Ce maudit vaisseau bondit tellement. – Chère Julia, tu vois que je t'implore encore!» (Ici le vomissement l'empêcha d'articuler.)

21. Il ressentit ce froid malaise de cœur, ou plutôt d'estomac, qui, sans le secours du meilleur apothicaire, suit, hélas! également la perte d'une amante, la perfidie d'un ami, la mort de ceux auxquels nous tenons fortement et qui emportent avec eux une partie de nos espérances: nul doute que dans ce cas Juan ne se fût montré plus sentimental, mais la mer faisait sur lui l'effet d'un violent émétique.

22. L'amour est un maître capricieux. Je l'ai vu résister à des fièvres dont il était la première cause, mais reculer devant un rhume, un refroidissement, et surtout redouter une esquinancie. Toutes les bonnes et nobles maladies ne l'intimident pas, mais les indispositions vulgaires le mettent aux abois. Il ne veut pas qu'un éternuement suspende ses soupirs, ou qu'un échauffement rougisse ses yeux bandés.

23. Mais le pire de tout c'est la nausée, ou bien une douleur dans la région inférieure des entrailles. L'amour, qui aurait le courage héroïque d'ouvrir une veine, tressaillit à l'application des serviettes chaudes; les purgatifs ébranlent son empire, et enfin le mal de mer lui donne la mort. Don Juan était donc bien épris, puisque sa passion résista aux atteintes que lui porta son estomac dans son premier voyage sur mer.

24. Le vaisseau, appelé la très-sainte Trinidada, faisait directement voile pour le port de Livourne, où la famille espagnole des Moncade était établie long-tems avant la naissance du père de Juan54. Il existait des liens de parenté entre les deux maisons, et Juan avait pour eux une lettre d'introduction qui lui avait été adressée, le matin de son départ, par ses amis d'Espagne pour ceux de l'Italie.

25. Sa suite consistait en trois valets et un gouverneur, le licencié Pédrillo qui savait plusieurs langues; mais, pour le moment, il gisait malade et sans voix sur son matelas, ballotté dans son hamac, soupirant après la terre, et sentant à chaque brisée augmenter son mal de tête. Les vagues qui pénétraient par les sabords remplissaient en même tems sa couche d'humidité, et son ame de frayeur.

26. Ce n'était pas sans quelque raison, car la brise s'éleva vers la nuit, jusqu'à ce qu'elle se convertit en vent frais: c'était peu de chose pour les gens de mer; mais plusieurs passagers pouvaient en ressentir quelque effroi: les matelots sont d'une autre espèce. Au coucher du soleil, ils commencèrent à carguer les voiles, car l'aspect du ciel annonçait que le vent serait violent et pourrait enlever un mât ou quelque chose de semblable.

27. À une heure, le vent, avec une impétuosité soudaine, jette le vaisseau juste dans la vague entr'ouverte: la mer frappe la poupe, lui fait une crevasse diagonale, y brise l'étambord et en entame toutes les parties. Avant d'être sorti de cet imminent danger, le gouvernail était brisé. Il était tems d'appeler aux pompes, le bâtiment contenait quatre pieds d'eau.

28. Une troupe se mit à l'instant aux pompes, et le reste s'empressa de déballer une partie de la cargaison; cependant ils n'avaient pas encore découvert la voie d'eau. À la fin elle parut, mais ils n'en étaient pas plus rassurés; l'eau s'élançait par une ouverture énorme, malgré draps, chemises, vestes, et balles de mousselines qu'ils cherchaient à lui opposer.

29. Mais tous les obstacles eussent été inutiles, et le vaisseau eût coulé à fond en dépit de tous les efforts et expédiens, sans le secours des pompes. Je suis heureux de faire connaître celles-là à tous ceux qui pourraient en avoir besoin, elles tirèrent cinquante tonnes d'eau par heure; ainsi notre équipage eût été perdu sans M. Mann, de Londres, qui en est l'inventeur.

30. Au déclin du jour, le tems parut s'adoucir: ils eurent l'espoir de rester maîtres de l'ouverture et de remettre à flot leur bâtiment; cependant trois pieds d'eau occupaient encore deux pompes à bras et une troisième à chaîne. Le vent redevint frais. Comme il se faisait tard, une bouffée fit détacher quelques armes à feu, et une bourrasque (je voudrais en vain essayer de la décrire) jeta d'un seul coup le vaisseau sur le flanc.

31. Il resta sans mouvement dans cette position, comme s'il eût été attaché. L'eau, quittant le fond de cale pour venir laver les ponts, offrait une de ces scènes que les hommes n'oublient pas de sitôt; car ils gardent la mémoire des batailles, des incendies, des naufrages, en un mot de tout ce qui excita leurs regrets et brisa leur espérance, leur cœur, leur tête ou leur cou: c'est ainsi que l'on voit bien des gens, plongeurs ou autres, rappeler avec complaisance les instans où ils étaient sur le point de se noyer.

32. Sur-le-champ les mâts furent coupés; d'abord celui d'artimon, ensuite le grand mât: mais vain espoir, le vaisseau restait encore aussi immobile qu'une souche. Il fallut rompre le mât de misaine, et enfin (ce que nous n'aurions jamais fait tant qu'il nous serait resté une lueur d'espérance) celui de beaupré. Ainsi débarrassé, le bâtiment se redressa avec violence.

33. On peut facilement supposer que, pendant tout cela, certaines personnes n'étaient pas sans inquiétude; que les passagers trouvaient fort déplacé de sacrifier leur vie en même tems que leurs rations; que même il n'y avait pas jusqu'aux meilleurs marins qui, se voyant si près de leur fin, ne commissent quelque désordre, comme de demander du grogue, et quelquefois d'aller boire le rum à la tonne.

34. Il est vrai que rien au monde ne calme l'esprit comme le rum et la vraie religion. Dans cette circonstance, les uns pillaient, les autres buvaient des liqueurs spiritueuses, et ceux-là chantaient des psaumes, tandis que les vents aigus répondaient en dessus, et que le rugissement rauque des vagues marquait la mesure. L'effroi avait interrompu les vomissemens des passagers attaqués du mal de mer, et les sons des désespérés, des blasphémateurs et des dévots, formaient étrangement chorus avec les mugissemens de l'Océan.

35. Peut-être serait-il survenu plus de mal sans notre Juan qui, avec une raison supérieure à son âge, courut à la chambre aux liqueurs, et, armé d'une paire de pistolets, leur en ferma l'entrée. La crainte qu'il inspira, comme si la mort eût été plus effroyable en sortant de la flamme que de l'eau, tint en respect, malgré leurs jurons et leurs pleurs, tous ces hommes qui, avant de mourir, jugeaient convenable de tomber ivres morts.

36. Donnez-nous du grogue, criaient-ils, et dans une heure il n'en sera rien de plus. – Non, répondit Juan; sans doute la mort nous attend vous et moi, mais il faut mourir en hommes, et non pas tomber comme des brutes.» Ainsi il conserva son poste dangereux, et nul ne fut assez hardi pour braver ses menaces. Le très-révérend Pédrillo lui-même ne put obtenir un seul verre de rum.

37. Le bon vieux citoyen, tout éperdu, poussait de hautes et pieuses lamentations, accusait tous ses péchés, et faisait un dernier et irrévocable vœu de réforme. Rien (une fois ce danger passé) ne le déciderait plus à quitter ses occupations académiques et les cloîtres de la studieuse Salamanque, pour suivre, comme Sancho Pança, les courses de Juan.

38. Mais il survint encore une lueur d'espérance. Le jour parut et le vent s'adoucit; les mâts étaient enlevés, la voie d'eau augmentait; alentour d'eux des bas-fonds, nulle part un rivage; et cependant le vaisseau voguait depuis qu'il s'était relevé. Ils disposèrent encore les pompes, et bien qu'auparavant ils regardassent tous leurs efforts comme inutiles, un faible rayon de soleil les remit à l'ouvrage; les plus forts pompaient, les plus faibles poussaient une voile.

39. Cette voile fut placée sous la quille du vaisseau, et fut d'un effet salutaire pendant un instant. Mais que pouvait-on espérer avec une voie d'eau, et pas une baguette de mât, pas une bribe de toile? Mieux vaut cependant lutter jusqu'au dernier moment; il n'est jamais trop tard pour se noyer: et quoiqu'il soit bien vrai qu'on ne souffre la mort qu'une fois, elle est loin d'être séduisante dans le golfe de Lyon.

40. C'était là en effet que le vent et les vagues les avaient poussés; c'était de là que l'un et l'autre les emportaient sans que personne songeât à modérer leur impulsion: il était fort inutile de tenter de conduire le bâtiment. Ils n'avaient pas eu jusqu'alors un jour assez tranquille pour replacer ou seulement commencer un mât de ressource et un gouvernail, ou pour oser même assurer que dans une heure ils verraient surnager le vaisseau qui, par bonheur, nageait encore – non pas, il est vrai, aussi bien qu'un canard.

41. Le vent peut-être était moins violent, mais le vaisseau était si délabré qu'on pouvait à peine espérer d'avancer un pas de plus. Pour surcroît de détresse, ils n'avaient plus d'eau douce, et les mets solides diminuaient sensiblement; vainement consultaient-ils le télescope. – Nul vaisseau, nul rivage, partout la mer furieuse et la nuit tombante.

42. Une seconde tempête les menaçait. – Un second vent frais souffla, et l'eau entra par les deux extrémités du fond de cale. Mais bien que tout l'équipage pût voir ce qui se passait, le plus grand nombre montra de la patience et quelques-uns de l'intrépidité jusqu'au moment où toutes pompes furent crevées ou rompues. C'était l'annonce d'un abandon complet à la merci des vagues; merci comparable à celle des hommes au sein des guerres civiles.

43. Le charpentier, les yeux éraillés, remplis de larmes, se présenta alors et dit au capitaine qu'il ne pouvait rien de plus. C'était un homme d'âge qui avait long-tems voyagé dans des mers orageuses, et s'il pleurait enfin, ce n'était pas la peur qui mouillait ses paupières comme celles d'une femme; mais c'est qu'il avait, le pauvre diable, une femme et des enfans, deux choses désespérantes pour les moribonds.

44. Cependant le désordre le plus complet régnait dans le vaisseau. Toute distinction entre les particuliers disparut: plusieurs recommencèrent leurs prières, et promirent des chandelles à leurs saints. – Mais nul ne survécut pour accomplir son vœu. Ceux-ci regardaient le ciel; d'autres redressaient les chaloupes; il y en eut un qui se jeta aux pieds de Pédrillo pour lui demander l'absolution, et celui-ci dans son trouble lui accorda la damnation.

45. Quelques-uns se fouettaient dans leurs hamacs, d'autres mettaient leurs plus beaux habits comme pour aller à la foire. L'un maudissait le jour qui l'avait vu naître, grinçait les dents, hurlait, ou s'arrachait les cheveux. Ceux-là essayaient encore de retenir les chaloupes, bien convaincus qu'une barque étroitement attachée se maintiendrait sur une mer furieuse, si le vent ne tombait directement sur elle.

46. Mais ce qu'il y avait de pis, après plusieurs jours de transes mortelles, c'est qu'il leur était difficile de conserver assez de victuailles pour les soutenir maintenant dans leur détresse. Les hommes, même à leurs derniers momens, redoutent l'inanition; le mauvais tems endommageait leurs provisions, ils n'avaient que deux caisses de biscuits et une barrique de beurre susceptibles d'être transportées dans le cutter55.

47. Ils parvinrent à transporter dans la grande chaloupe quelques livres de pain gâté par l'humidité; un tonneau d'eau d'environ vingt gallons56 et six flasques de vin57. Ils remontèrent une partie de leur bœuf qu'ils réunirent à un morceau de jambon, mais le tout n'eût pas fait une bouchée pour chacun d'eux. – Ajoutez un tonneau qui renfermait encore huit gallons de rum.

48. Les autres barques, l'esquif et la pinasse, avaient été coulés dans le commencement du vent. La grande chaloupe n'en valait guère mieux, ayant pour voiles deux couvertures, et pour mât un aviron que par bonheur un petit mousse avait jeté sur l'avant du vaisseau. Deux barques seules n'auraient pu sauver la moitié de l'équipage, comment auraient-elles contenu assez de provisions?

49. On était au crépuscule; le jour sans soleil s'abaissait sur le gouffre des eaux. Semblable à un voile qui, s'il était détaché, ne découvrirait que le front d'un ennemi implacable, la nuit s'étendait autour d'eux et brunissait hideusement leurs pâles traits, et leurs yeux attachés sans espoir sur l'immensité profonde. Depuis douze jours la terreur était à leur côté, maintenant c'est la mort.

50. Quelques-uns avaient essayé de faire un radeau, sans en espérer beaucoup sur une mer aussi agitée. C'était une tentative dont on n'aurait pas manqué de rire si l'on avait pu concevoir alors d'autres éclats que ceux de gens qui s'étourdissent et ont une espèce de gaîté horrible et sauvage, moitié épileptique, moitié hystérique. – Il fallait un miracle pour les sauver.

51. À huit heures et demie, poutres, planches, poulaillers, tout, dans l'attente d'un accident, avait été distribué aux courageux matelots, pour les soutenir sur les vagues, et leur donner les moyens de lutter encore quoique assez inutilement: il n'y avait nulle autre lumière que celle de quelques étoiles dans le ciel, quand ils détachèrent les barques surchargées de monde. Le vaisseau se courba, fit un saut, et retombant la tête la première – s'engouffra.

52. C'est alors que de la mer au ciel retentit le terrible cri d'adieu; alors les timides hurlèrent et les braves conservèrent leur maintien tranquille. Plusieurs, en poussant d'affreux gémissemens, s'étaient déjà précipités dans les flots, avides de devancer l'instant de leur mort. Cependant, comme une bouche infernale, la mer restait entr'ouverte sur sa proie, et le vaisseau, en attirant encore après lui les vagues tournoyantes, ressemblait au lutteur acharné qui essaye d'étrangler son ennemi avant d'expirer lui-même.

53. D'abord, un cri universel s'était élevé, plus bruyant que le bruyant Océan, et semblable au fracas de la foudre répété par les échos. Tout ensuite rentra dans le silence, excepté le vent cruel et la mer impitoyable. Seulement par intervalles et au milieu d'un tourbillon convulsif, une voix solitaire retentissait encore; c'était le dernier cri d'un fort nageur à l'agonie.

54. Les barques, comme nous l'avons dit, étaient allées en avant, transportant plusieurs personnes de l'équipage. Mais leurs espérances n'étaient guère plus hautes qu'auparavant: le vent était trop violent pour leur laisser l'espoir de gagner quelque rivage; et d'ailleurs, bien que peu nombreux, ils l'étaient encore beaucoup trop. En se séparant du vaisseau on en comptait neuf dans le cutter et trente dans la chaloupe.

55. Tout le reste avait péri: environ deux cents ames avaient quitté leur corps; mais hélas! voici bien le pire. Quand l'Océan roule sur la dépouille des catholiques, il leur faut attendre des semaines avant qu'une messe vienne blanchir leurs taches purgatoriales; car, tant qu'on ignorera le nom précis du trépassé, on n'ira pas hasarder de l'argent à son intention: il en coûte trois francs pour faire dire une messe.

56. Juan était entré dans la grande chaloupe, et était même parvenu à placer Pédrillo. On eût alors dit qu'ils avaient changé de condition: Juan avait cet extérieur imposant que donne le courage, tandis que les yeux du pauvre Pédrillo s'apitoyaient sur le sort de celui auquel ils appartenaient. Battista (ou plus brièvement Tita) était mort en buvant un peu d'eau-de-vie.

57. Juan voulut sauver son autre valet, mais l'ivresse lui fut également funeste. Car Pedro était si bien hors de lui, qu'en croyant toucher le cutter, il mit le pied dans la mer, et resta de cette manière enseveli dans un tombeau d'eau et de vin. Quoiqu'il eût glissé près d'eux, les autres n'essayèrent pas de le remonter; la mer grossissait de minute en minute: et quant à la chaloupe, chacun songeait avant tout à s'y ménager une place.

58. Juan avait encore un petit vieux épagneul qui venait de son père Don José, et qu'il affectionnait comme vous pouvez croire; car on aime à s'arrêter sur de tels souvenirs. – Il jappait douloureusement sur le pont, sans doute parce qu'il prévoyait (les chiens ont un si bon nez) que le vaisseau allait couler à fond. Juan le prit, le jeta dans la barque et y sauta lui-même après lui.

59. Il plaça son argent comme il put sur sa personne et sur celle de Pédrillo, qui réellement ne s'y opposa pas, et ne pensait guère à parler ou à agir, tandis que chaque vague venait renouveler sa frayeur. Il croyait trouver un remède à tout, et en réembarquant son précepteur et son épagneul, il n'avait pas perdu l'espérance de leur sauver la vie.

60. La nuit fut orageuse, et le vent était si violent encore, que le bâtiment fut mis à l'abri entre les vagues. Pendant tout le tems que dura la brise ils n'osèrent pas quitter ce sillon, bien que la chaloupe fût trop chargée pour monter au sommet élevé des flots. Chaque vague s'élevait en boucle derrière eux, les inondait et les obligeait à balayer sans interruption58. Le pauvre petit cutter ne tarda pas à être submergé.

51
Me nec femina, nec puer,Jam nec spes animi credula mutui,Nec certare juval mero;Nec vincire novis tempora floribus.

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52.Super flumina Babylonis.
53
  «La reine. – Doux sur le doux, adieu! (Jetant des fleurs:) J'espérais que tu serais l'épouse de mon Hamlet; je pensais orner un jour ta couche nuptiale, douce jeune vierge, et non pas couvrir ta tombe de fleurs.»
(Hamlet, act. V, sc. Ire.)

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54.Depuis le commencement du seizième siècle, quand le fameux capitaine Hugues de Moncade avait été nommé vice-roi de Naples. Voyez Brantôme, Vie des grands capitaines étrangers.
55.Espèce de canot.
56.Le gallon contient près d'un litre.
57.Muid florentin, fiasco.
58.So that themselves as well as hopes were damp'd. De sorte qu'eux-mêmes étaient submergés comme leurs espérances. Il y a ici un jeu de mot que nous n'avons pas essayé de traduire; il consiste dans le mot damp'd, qui se prend également pour mouillé et pour découragé.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
26 haziran 2017
Hacim:
440 s. 1 illüstrasyon
Tercüman:
Telif hakkı:
Public Domain