Kitabı oku: «Œuvres complètes de lord Byron, Tome 10», sayfa 11
LETTRE CXXXVII
À M. MOORE
8 septembre 1813.
«Je suis fâché que vous ayez envoyé Toderini si tôt, je crains que votre conscience scrupuleuse vous ait empêché d'en tirer tout le parti que vous auriez dû. Je vous envoie, par cette voiture, un exemplaire de cet effrayant Giaour, qui ne m'a jamais procuré un compliment de moitié aussi flatteur que votre alarme modeste. Vous verrez, si vous y jetez les yeux quelque soir, que j'y ai beaucoup ajouté sous le rapport de la quantité, circonstance qui pourrait bien diminuer votre modestie à ce sujet.
»Vous avez grand besoin d'un coup d'épaule de Mackintosh. Mon cher Moore, vous avez beaucoup trop mauvaise opinion de vous-même. Dans tout autre, je prendrais cela pour de l'affectation, mais je vous connais assez bien pour croire qu'effectivement vous ne vous estimez pas à votre juste valeur. Du reste c'est un défaut dont on se corrige généralement, et réellement vous devriez vous en corriger. Je l'ai entendu parler de vous en termes dont votre femme eût été bien satisfaite, et capables de donner la jaunisse à tous vos amis.
»J'ai reçu hier une lettre d'Ali-Pacha, apportée par le docteur Holland, qui arrive d'Albanie. Elle est en latin, commence par excellentissime, nec non carissime; se termine par un fusil qu'il veut que je lui fasse faire, et est signée Ali, visir. À quoi pensez-vous qu'il passe son tems? Holland me rapporte qu'il a pris une ville ennemie au printems passé, dans laquelle, il y a quarante-deux ans, sa mère et ses sœurs avaient été traitées comme Mlle Cunégonde, par la cavalerie bulgare. La ville prise, il a fait chercher tous les auteurs encore vivans de ce brillant exploit, leurs enfans et petits-enfans, au nombre de six cents, et les a fait fusiller devant lui. Rappelez-vous qu'il a épargné le reste de la ville, et ne s'en est pris qu'à la race de ces Tarquins modernes. C'est plus de modération que je n'en aurais eu. En voilà assez sur cet excellent ami.
LETTRE CXXXVIII
À M. MOORE
9 septembre 1813.
«Je vous écris chez Murray et pour Murray, qui, si vous n'avez pas d'engagement préexistant avec quelqu'autre libraire, sera charmé en tems convenable de traiter avec vous de votre ouvrage. Je puis en toute assurance vous le recommander comme un homme loyal, facile, généreux, attentif, et certainement au premier rang dans sa profession. Je suis sûr que vous n'aurez qu'à vous en louer. Il y a si peu de tems que je vous ai écrit, que vous serez content de me voir n'ajouter rien à ces lignes.
»Tout à vous, etc.»
LETTRE CXXXIX
À M. MOORE
27 septembre 1813.
Thomas Moore,
«On ne vous appellera jamais Thomas le véridique, comme celui d'Elcidoune; pourquoi ne m'écrivez-vous pas? puisque vous ne le voulez pas, il faut bien que je le fasse. J'étais l'autre jour près de vous à Eston, et j'espère y retourner bientôt. Dans ce cas, j'irai vous voir, et nous ferons, avec Rogers pour complice, nos caravanes, comme on le dit dans le jargon du beau monde. On m'a présenté hier, chez lord Holland, à Southey, le plus bel homme de poète que j'aie jamais vu depuis long-tems. Pour avoir la tête et les épaules de cet homme-là, je consentirais presque à avoir composé ses poésies Saphiques. Certes il est doué d'une figure bien imposante, puis c'est un homme de talent, puis… voilà son éloge.
»*** m'a lu une partie de votre lettre; par le pied de Pharaon, je crois qu'il y avait quelque chose, car il s'est arrêté court; oui, il s'est arrêté court après une phrase très-flatteuse sur notre correspondance, et m'a regardé… Je voudrais pouvoir me venger en vous attaquant, ou en vous disant que j'ai eu à vous défendre. C'est un joli moyen de se faire valoir près d'un ami que de lui venir dire: «J'ai bien relevé M. un tel pour s'être permis de vous appeler un plagiaire, un mauvais sujet, etc, etc.» Mais savez-vous que vous êtes du petit nombre de ceux dont je n'ai jamais eu le plaisir d'entendre dire du mal; au contraire, et croyez-vous que je vous le pardonne?
»J'ai été à la campagne et me suis sauvé des courses de Doncaster. Chose étrange, je suis allé en visite dans la maison même que mon père reçut en dot avec la main de lady Carmathen, dont il avait fait sa maîtresse adultère avant d'être majeur: à propos, veuillez observer qu'elle n'est pas ma mère. On m'a campé dans une vieille chambre où se trouve sur la cheminée un tableau hideux que mon père regardait avec tout le respect convenable, et qu'héritant du goût de la famille, j'ai regardé aussi avec beaucoup de satisfaction. J'ai passé une semaine dans cette famille, et je m'y suis parfaitement conduit, quoique la dame soit jeune, dévote, jolie, et son mari mon intime ami. Je ne me suis senti de velléité que pour un chien qu'ils ont eu la complaisance de me donner. Maintenant, pour un homme comme moi, ne pas même convoiter, c'est signe que je m'amende furieusement. Pardonnez toutes ces folies et ne me gourmandez pas trop quand je me livre un moment à la gaîté.
»Tout à vous, etc.
BYRON.
»Voici un impromptu composé par une personne de qualité 55, à qui l'on reprochait d'être mélancolique.
«Quand de ce cœur où règne le chagrin s'élèvent de sombres nuages, qui viennent voiler le visage et remplir les yeux de larmes, ne prenez pas garde à ces signes extérieurs qui disparaîtront bientôt. Mes pensées connaissent trop leur cachot; après s'être promenées un instant sur mon visage, elles reviendront se renfermer dans mon cœur, qu'elles rongent et déchirent en silence.»
Note 55: (retour) Par Byron lui-même.
LETTRE CXL
À M. MOORE
2 octobre 1813.
«Vous n'avez point répondu à mes six lettres: en conséquence, celle-ci sera ma pénultième; je vous en écrirai encore une, mais après, j'en jure par tous les saints, je vous garderai silence et rancune. Je me suis trouvé avec Currant chez lord Holland: il bat tout le monde; son imagination a quelque chose de surhumain, sa gaîté est parfaite. Je ne dis pas son esprit, car qui peut définir l'esprit? Puis il a cinquante figures; et deux fois autant de voix différentes qu'il prend quand il veut imiter les personnes; je n'ai jamais vu son pareil. Si j'étais femme et vierge encore, voilà l'homme dont je voudrais faire mon Scamandre. Il est tout-à-fait enchanteur. Rappelez-vous que je ne l'ai vu qu'une fois; vous qui le connaissez depuis long-tems, vous rabattez probablement beaucoup de ce panégyrique. Je crains presque de me trouver de nouveau avec lui, de peur que l'impression ne diminue. Il m'a long-tems parlé de vous; c'est un sujet qui ne me lasse jamais, non plus que personne que je connaisse. Quelle variété d'expression il donne à sa figure, qui naturellement n'est pas des plus belles! il la change absolument du tout au tout. En voilà assez, je ne suis pas de force à faire son portrait, et vous n'en avez pas besoin, puisque vous le connaissez. Samedi je retourne à ***, où je ne serai pas loin de vous. Peut-être me favoriserez-vous d'une lettre d'ici là. Bonne nuit.
»Samedi matin, votre lettre a mis fin à toutes mes inquiétudes. Je ne soupçonnais pas que vous parlassiez sérieusement. Encore de la modestie! Parce que je ne donne pas suite à une idée assez insignifiante, «il paraît que je ne crains pas de lutter contre vous». Si la question était de savoir qui de nous deux doit l'emporter sur l'autre, je vous craindrais comme Satan craint saint Michel. Mais n'y a-t-il pas assez de place dans nos sphères respectives? Continuez, ce sera bientôt mon tour à pardonner. Je dîne aujourd'hui avec Mackintosh et mistress Staël, comme il plaît à John Bull d'appeler Corinne, que j'ai vue hier soir à Covent-Garden bâiller aux plaisanteries si gaies de Falstaff.
»C'est une chose fort commode pour moi que ma réputation, pourvu que mes amis ne partagent point l'erreur commune à ce sujet: cela me sauve des sottises d'une légion d'impertinens, sous forme de connaissances. Mais vous, Moore, vous savez que je suis bon compagnon, que je suis gai à l'occasion, et rarement larmoyant. Murray rétablira votre vers dans la prochaine édition 56. Je crois que j'ai fait l'erreur dans l'épigraphe; cependant, j'ai en général de la mémoire pour vous, et je crois que d'abord elle avait été imprimée correctement.
Note 56: (retour) Dans la première édition du Giaour, il avait cité d'une manière incorrecte un vers de mes Mélodies irlandaises, qu'il avait pris pour épigraphe. Il tomba depuis dans une erreur semblable pour les vers de Burns, qui servent d'épigraphe à la Fiancée d'Abydos.(Note de Moore.)
»Je rougis en effet très-souvent, si j'en puis croire lady H** et lady M**, mais heureusement, à présent, personne ne me voit. Adieu.»
LETTRE CXLI
À M. MOORE
8 décembre 1813.
«Depuis que je ne vous ai écrit il s'est passé bien des événemens heureux, malheureux ou indifférens, qui m'ont empêché, non de penser à vous, mais de vous rappeler le souvenir de quelqu'un qui n'a cessé de penser à vous, et pour qui la plus sûre consolation a été de tourner vers vous ses pensées. Nous avons été proches voisins cet automne, et ce voisinage m'a été à la fois heureux et funeste. Qu'il me suffise de dire que votre citation française ne s'est que trop trouvée à sa place, quoiqu'il y eût peu de chance qu'il en fût ainsi, comme vous pouvez l'imaginer par ce que je disais avant, et le silence que j'ai gardé depuis… N'importe, Richard est redevenu lui-même, et, si ce n'est toute la nuit et une partie de la matinée, je ne songe plus guère à toute cette affaire.
»Toutes les commotions un peu vives se terminent chez moi par des vers, et, pour charmer mes insomnies, j'ai écrit à la hâte un autre conte turc, non un fragment, que vous recevrez bientôt après cette lettre. Cela n'empiète pas sur votre domaine; dans le cas où vous le croiriez, il vous serait facile de me refouler dans mes limites. Vous penserez avec raison que je me risque à perdre le peu de réputation que j'ai acquise en tentant cette nouvelle expérience sur la patience du public, mais en vérité je ne m'en soucie plus le moins du monde. J'ai écrit et je publie cette bagatelle, uniquement pour m'occuper, pour détourner mes pensées des réalités, en les rejetant sur des fictions, quelque horribles qu'elles soient. Quant au succès, ceux qui en obtiennent aujourd'hui me consolent d'avoir échoué; excepté peut-être vous et deux ou trois autres que j'aime trop pour voir leurs lauriers d'une teinte plus jaune. C'est l'ouvrage d'une semaine, cela se lira en une heure et moins; ainsi, advienne que pourra…
»P. S. Ward et moi parlons d'aller en Hollande; j'ai envie de voir quel effet me fera un canal hollandais, à moi, qui ai traversé le Bosphore. Répondez-moi, je vous prie.»
LETTRE CXLII
À M. MOORE
8 décembre 1813.
«Votre lettre, comme la plupart des choses les plus douces et les meilleures du monde, m'est à la fois agréable et pénible. Mais, d'abord au plus pressé. Savez-vous que j'étais au moment de vous dédier quelque chose, non dans une épître formelle, comme d'inférieur à ancien, mais dans une courte lettre servant de préface, dans laquelle je me glorifiais de votre amitié, et annonçais au public votre poème, quand je me suis rappelé l'injonction stricte que vous m'aviez souvent réitérée de vive voix et par écrit, de garder le plus profond secret sur le poème susdit. Il me fallut donc renoncer à mon projet, non que je puisse avoir aucun motif de résister au désir de parler de vous, j'y pense et j'en parle tous les jours, mais j'ai dû craindre, en y cédant, de vous causer quelque déplaisir. Mettant de côté mon amitié pour vous, sentiment qui devient chaque jour plus vif et plus profond, vous ne sauriez douter de mon admiration pour vos ouvrages. Je les sais par cœur et sur le bout du doigt. Ecce signum. Quand j'étais à la campagne, lors de ma première visite chez ***, j'avais, comme partout ailleurs, quand je suis seul long-tems, l'envie, je ne dirai pas de chanter, mais de faire un bruit que je n'ai jamais essayé qu'en mon particulier, d'articuler sur ce que je veux prendre pour des airs, votre Oh breathe not! ou When the last glimpse, ou bien encore When he who adores the, et quelques autres du même troubadour, ce sont là mes matines et mes vêpres. Certes mon intention n'était pas d'être entendu de qui que ce fût. Voici qu'un beau matin je vois arriver non la donna, mais il marito, qui me dit d'un air bien sérieux: «Byron, je me vois forcé de vous prier de ne plus chanter, au moins de ces chansons là.» Je fus comme réveillé en sursaut: «Assurément, répondis-je, mais pourquoi? – Pour vous dire la vérité, reprit-il, cela rend ma femme si mélancolique et la fait tant pleurer, que je désire qu'elle n'entende plus rien de semblable.»
»Or, mon cher Moore, cet effet-là était produit par vos paroles, et certainement non par la beauté de ma voix. Je vous cite cette folle anecdote, pour vous prouver combien je vous suis redevable, même pour l'emploi de mes momens perdus. Un homme peut admirer un jour ceci, un jour cela; mais on ne conserve le souvenir, surtout après un long tems, que de ce qui nous a plu véritablement. Quoique je ne pense pas qu'on vous puisse rien comparer dans la poésie légère ou la satire, et que jamais auteur n'ait été aussi populaire que vous dans ces deux genres, je n'hésite pas cependant à croire que vous n'avez pas fait tout ce dont vous êtes capable, encore qu'un autre pût bien se contenter de ce que vous avez fait. J'attends de vous un ouvrage de plus longue haleine, et le monde l'attend avec moi. Je vois en vous, ce que je n'avais jamais vu dans aucun autre poète, une étrange méfiance de vos forces, que je ne puis m'expliquer et qui doit être inexplicable, puisqu'un cosaque comme moi suffit pour épouvanter un cuirassier comme vous. Votre conte, je ne le connaissais pas, je ne le pouvais pas connaître, je n'avais songé qu'à une péri: je voudrais que vous eussiez eu plus de confiance en moi, non dans mon intérêt, mais dans le vôtre, et pour empêcher que le monde ne perdît un poème bien meilleur que le mien, dont j'espère toujours que ce petit combat de générosité ne le privera pas à jamais 57.
Note 57: (retour) Parmi les épisodes que je comptais introduire dans Lalla Rookh, que j'avais commencé, mais que plusieurs circonstances m'avaient empêché de finir, il s'en trouvait un déjà assez avancé lors de la publication de la Fiancée d'Abydos, et avec lequel ce poème offrait de si étranges coïncidences, non-seulement pour les localités et le costume, mais encore pour la fable et les caractères, que j'y renonçai immédiatement, et commençai un autre épisode sur un sujet absolument nouveau: Les adorateurs du feu. C'est à ce fait que je lui avais communiqué, que Lord Byron fait allusion ici. Dans la personne de mon héros (auquel j'avais aussi donné le nom de Zélim, dont j'avais fait un descendant d'Ali, proscrit, ainsi que tous ses adhérens, par le calife régnant), j'avais intention de donner un corps, comme je l'ai fait depuis sous une autre forme, à la cause de l'Irlande 57A. Voici les propres expressions de ma lettre à Lord Byron: «J'avais choisi cette histoire parce qu'on peint mieux ce que l'on sent, et que je pensais qu'un parallèle avec l'Irlande me mettrait à même de jeter un peu de vigueur dans le caractère de mon héros. Mais songer à de la vigueur, à du sentiment après vous, c'est impossible: ce domaine-là est celui de César.»(Note de Moore.)
Note 57A: (retour) L'Histoire du célèbre chef irlandais, capitaine Rock, roman philosophique et allégorique de M. Moore.
Mon ouvrage est le travail de huit jours, entrepris partie par des raisons que je vous ai dites, partie par d'autres qui ne peuvent trouver place dans une lettre, mais que je vous dirai quelque jour…
»Continuez; je serais réellement malheureux que vous vous arrêtassiez pour moi. Le succès de ma Fiancée est encore problématique; il s'en vendra probablement un certain nombre d'exemplaires, on peut du moins le présumer d'après le goût du public pour le Giaour, et autres histoires horribles et mystérieuses de ce genre. Mon seul avantage est d'avoir été sur les lieux, ce qui n'a eu de bon que de m'éviter de parcourir des livres, que j'eusse peut-être mieux fait de relire. Si votre chambre en était meublée comme la mienne, vous n'auriez pas besoin de passer en Orient pour donner des descriptions, du moins quant à la fidélité, car j'ai tout dessiné de mémoire…
»Ma dernière production pourrait bien avoir le même sort, et je vous avoue que j'ai de grands doutes à ce sujet. Quand bien même il en serait autrement, mon succès éphémère serait oublié avant que vous ne soyez prêt et disposé à paraître. Allons, ferme, courage. Excepté le Post Bag qui vous a si bien réussi, il y a plusieurs années que vous ne nous avez rien donné régulièrement. Quoi que vous en pensiez au fond de votre retraite aux jours pluvieux, aucun poète vivant ne s'est élevé plus haut que vous. «Aucun homme, dans aucune langue, n'a été peut-être plus complètement le poète du cœur et le poète des femmes. Les critiques lui reprochent de n'avoir représenté le monde ni tel qu'il est, ni tel qu'il doit être; mais les femmes répondent qu'il l'a représenté tel qu'elles le désirent.» Je serais tenté de croire que c'est de vous, et non de Métastase, que M. Sismondi a voulu parler ici.
»Écrivez-moi, et parlez-moi de vous. Vous rappelez-vous ce que disait Rousseau à quelqu'un: «Est-ce que nous sommes fâchés? Vous m'avez souvent parlé, et jamais vous ne m'avez parlé de vous-même.»
»P. S. Cette dernière phrase est une excuse indirecte pour mon propre égoïsme, mais je crois qu'il est permis d'en avoir par lettres. Je voudrais seulement que la chose fût réciproque. J'ai trouvé une réflexion singulière dans Grimm; elle ne peut s'appliquer, du moins en mauvaise part, ni à vous ni à moi, quoique l'un d'entre nous ait certainement assez mauvaise réputation; la voici: «Bien des gens ont la réputation d'être méchans, avec lesquels nous serions trop heureux de passer notre vie.» Je n'ai pas besoin d'ajouter que c'est une femme qui parle, une demoiselle de Sommery…»
Vers cette époque, lord Byron commença un Journal dont j'ai déjà donné quelques extraits: je vais maintenant en mettre sous les yeux du lecteur tout ce que les convenances permettront. D'après la nature même de ces sortes de mémoires autographes, celui-ci roule principalement sur des personnes encore vivantes et des faits encore récens; il est donc nécessaire, avant de l'offrir au public, d'en retrancher quelques parties, qui malheureusement ayant un rapport plus direct aux vues secrètes et aux sentimens de l'auteur, piqueraient le plus vivement la curiosité. Toutefois, après cette mutilation indispensable, il en restera encore assez pour faire mieux connaître la vie privée et les habitudes du noble poète, et pour satisfaire innocemment ce goût, aussi général qu'il est naturel, qui nous fait contempler avec plaisir un grand homme en robe de chambre, et nous fait nous réjouir de découvrir, ce qui est si consolant pour l'orgueil humain, que les plus puissans dans leur intérieur ont leurs faiblesses et nous ressemblent, au moins dans de certains momens 58.
Note 58: (retour) C'est surtout aux grands hommes qui sont hors de toute comparaison par le génie, qu'on aime à ressembler au moins par les faiblesses.(Ginguené.)
JOURNAL
COMMENCÉ LE 14 NOVEMBRE 1813
«Si ce journal avait été commencé il y a dix ans, et fidèlement tenu!!! Tel qu'il est, il renferme bien des choses dont je voudrais avoir perdu le souvenir. Eh bien! j'ai eu ma part de ce qu'on appelle les plaisirs de la vie, et vu beaucoup, en Europe et en Asie sinon beaucoup profité. On dit que la vertu est sa propre récompense; elle devrait certainement être bien payée pour le mal qu'elle coûte à acquérir. À vingt-cinq ans, quand la meilleure partie de la vie est passée, on devrait être quelque chose; et que suis-je? J'ai vingt-cinq ans et quelques mois, voilà tout. Qu'ai-je vu? J'ai vu par tout le monde l'homme toujours le même, et la femme toujours la même aussi. J'aime mieux le musulman qui ne fait jamais de questions, et la musulmane qui vous évite la peine de lui en adresser. N'étaient la peste, la fièvre jaune et le retard qu'éprouve la rentrée des fonds de Newsteadt, je serais dans ce moment, pour la seconde fois, près des rives de l'Euxin. Si je puis surmonter ce dernier obstacle, la peste ne m'arrêtera pas long-tems; arrive que pourra, le printems me reverra là-bas, à moins que dans l'intervalle je ne me marie ou que je ne démarie quelque autre. Je voudrais que… je ne sais point ce que je voudrais. Il est étrange que je ne puisse jamais désirer sérieusement quelque chose, sans l'obtenir et sans m'en repentir après. Je commence à croire, avec les bons Mages des anciens tems, qu'on ne devrait prier que pour la nation, non pour soi-même; mais, d'après mes principes, cela ne serait pas très-patriotique.
»Trève de réflexions. Voyons: hier soir j'ai fini Zuleïka, mon second conte turc. Je crois que je me suis sauvé la vie en le composant, car je ne l'ai entrepris que pour détourner mes pensées de
Ce nom cher et sacré, que je ne révélerai jamais.
»Et pourtant, ici même, ma main brûle de le tracer! J'ai brûlé cet après-midi les scènes de la comédie que j'avais commencée. J'ai quelque envie d'accoucher d'un roman, ou plutôt d'un conte en prose; mais quel roman pourrait égaler les événemens
… Quœque ipse… vidi
Et quorum pars magna fui 59?
Note 59: (retour) Tous les événemens que j'ai vus, et dans lesquels j'ai joué un si grand rôle. (Virgile.)
»Henry Byron est venu me voir aujourd'hui avec ma petite cousine Élisa. Ce sera une beauté et une peste; c'est bien le plus bel enfant! des yeux noirs et des paupières noires longues comme des ailes de corbeau. Je crois qu'elle est encore plus belle que ma nièce Georgina, et cette idée-là ne me plaît pas; après tout, quoique plus âgée, elle est bien moins développée sous le rapport des facultés intellectuelles.
»Dallas est venu avant que je ne fusse levé, ainsi je n'ai pu le voir. Lewis est venu aussi, on le croirait en colère contre toute la création. Que diable peut-il avoir? Il n'est pas marié, lui: a-t-il perdu sa maîtresse, ou la femme de quelqu'autre? Hodgson est venu me voir aussi: il va se marier, et il est bâti de façon à s'en trouver plus heureux. Il a de l'esprit, de la gaîté, tout ce qu'il faut pour le rendre une compagnie agréable; la future est jeune, belle, et tout ce que vous voudrez. Malgré tout, je n'ai jamais connu personne qui ait beaucoup gagné à se marier. Tous mes amis mariés sont chauves et mécontens. W*** et S*** ont perdu leurs cheveux et leur bonne humeur, et le second en avait beaucoup à perdre. Mais dans l'état de mariage ce n'est pas ce qui tombe du front d'un homme qui importe le plus.
»Mémento. Acheter demain quelque jouet pour Élisa, envoyer la devise pour mes cachets et ceux de ***, faire demain encore visite à Mme de Staël, à lady Holland, et à *** qui m'a conseillé, sans l'avoir lu, par parenthèse, de ne point publier Zuleïka; je crois qu'il a raison, mais l'expérience aurait dû lui apprendre que ne point imprimer est physiquement impossible. Personne ne l'a lue que Hodgson et M. Gifford. Je n'ai jamais rien lu qu'à Hodgson, parce qu'il me paie en même monnaie. C'est une chose horrible que de donner des lectures de ses ouvrages, surtout fréquemment; mieux vaut les imprimer, alors les lit qui veut, et s'ils ne les approuvent pas, vous avez du moins la consolation de penser qu'ils ont acheté le droit d'en porter ce jugement.
»J'ai refusé de présenter la pétition des détenus pour dettes, je suis ennuyé à la mort de toutes ces momeries parlementaires. J'ai parlé trois fois, mais je doute que je devienne jamais orateur. Mon premier discours a été fort goûté; quant au second et au troisième, je ne sais s'ils ont eu du succès ou non. Je ne m'y suis jamais livré en amore; il faut trouver une excuse pour sa paresse, son inhabileté, ou pour les deux réunies, et voici la mienne. Les compagnies, les mauvaises compagnies m'ont perdu; et puis, j'ai pris des médecines, non pour me faire aimer les autres, mais certainement assez pour me détester moi-même.
»Avant-hier soir j'ai vu le souper des tigres à Exeter-Change. Après le lion de Véli-Pacha dans la Morée, qui suivait son gardien arabe comme un chien, rien ne m'a jamais tant amusé que l'amour de la hyène pour le sien. Quelle conversazione! Il y avait un hippopotame, absolument la figure de lord L***; l'oursin paresseux a la voix et les manières de mon domestique, le tigre a un peu trop bavardé. L'éléphant a pris mon argent et me l'a rendu. Il m'a ôté mon chapeau, a ouvert une porte, fait claquer un fouet, et tout cela si bien, que j'en ferais volontiers mon sommelier. L'une des deux panthères est bien certainement le plus bel animal que la terre ait produit; les pauvres antélopes sont mortes, j'aurais été fâché d'en voir une ici: la vue du chameau m'a fait soupirer en pensant à l'Asie-Mineure. O quando te aspiciani?..»
16 novembre.
«Je suis allé hier soir, avec Lewis, voir la première représentation d'Antoine et Cléopâtre; la pièce était admirablement montée et très-bien jouée; c'est une salade de Shakspeare et de Dryden. Cléopâtre m'a plu, comme un épitomé de son sexe; aimante, vive, tendre, triste, tourmentante, humble, fière, belle, un vrai démon, faisant la coquette jusqu'à la fin, aussi bien avec l'aspic qu'avec Antoine, après avoir fait tout ce qu'elle a pu pour lui persuader que… Mais pourquoi lui a-t-on tant reproché d'avoir fait couper la tête à ce poltron de Cicéron? Celui-ci n'avait-il pas dit à Brutus que c'était pitié d'avoir épargné Antoine? n'avait-il pas prononcé les Philippiques? Les paroles ne sont-elles pas des choses, et de telles paroles ne sont-elles pas des choses très-pestilentielles? Quand il aurait eu cent têtes, elles méritaient d'être toutes clouées sur la tribune publique, du moins en se plaçant dans la position d'Antoine; après tout, peut-être eût-il mieux valu lui pardonner, à cause du bon effet que produit toujours la clémence. Mais revenons à nos moutons; quand Cléopâtre se croit sûre d'Antoine, elle lui dit: Cependant voyez, c'est votre intérêt, etc. Que c'est bien là le sexe! Et les questions sur Octavie! tout cela est bien d'une femme.
»J'ai reçu aujourd'hui une lettre de lord Jersey, qui m'invite à Middleton. Faire soixante milles pour me trouver avec Mme ***! J'en ai fait autrefois trois cents pour chercher des peuples silencieux, et cette dame n'écrit que par in-8° et ne cause que par in-folio. J'ai lu ses ouvrages; je les aime presque tous; le dernier m'a surtout fait le plus grand plaisir: ainsi je n'ai pas besoin de le lui entendre raconter, mieux vaut encore le lire…
»J'ai lu Burns aujourd'hui. Que serait-il devenu, s'il fût né patricien? Nous eussions eu plus de poli, moins de force, précisément autant de vers, mais point d'immoralité, un divorce, un duel ou deux, auxquels, s'il avait survécu, comme nécessairement il se fût moins livré à l'abus des liqueurs fortes, il eût pu vivre aussi long-tems que Shéridan, ou même trop long-tems, comme ce pauvre Brinsley. Quel débris que cet homme! Et cela, faute d'être bien piloté; car jamais nul n'eut les vents plus favorables, excepté à de courts intervalles bien rares! Pauvre vieux Shéridan, jamais je n'oublierai la soirée que nous passâmes avec lui, Rogers, Moore et moi, quand il parla et que nous l'écoutâmes, sans un moment d'ennui, depuis six heures du soir jusqu'à une heure du matin.
»J'ai mes cachets… Encore oublié le joujou de ma petite cousine Élisa; il faudra que je l'envoie chercher demain. J'espère qu'Henri me l'amènera. J'ai envoyé à lord Holland les épreuves de la dernière édition du Giaour et de la Fiancée d'Abydos. Il n'aimera pas ce dernier ouvrage, et je crois bien que je ne l'aimerai pas long-tems non plus. Cela a été écrit en quatre nuits, pour distraire mes pensées de ***. Sans cela je ne l'aurais jamais composé; et si je n'avais pas alors fait une chose ou une autre, je serais devenu fou, à force de me ronger le cœur; mauvaise nourriture! Hodgson le préfère au Giaour; personne autre ne sera de son avis: il n'a jamais aimé le fragment. Je n'aurais jamais publié cette bagatelle, sans Murray, quoique les circonstances qui en font la base soient de nature à… hélas!
»J'ai vu ce soir les deux sœurs de ***. Mon Dieu! comme la plus jeune ressemble à ***! J'ai cru que j'allais sauter à travers la salle; je suis bien aise qu'il ne se soit trouvé personne avec moi dans la loge de lady Holland. Je déteste ces fausses ressemblances, ces moqueurs qu'on prend d'abord pour le rossignol, assez semblables pour rappeler l'objet chéri, assez différentes pour navrer l'ame 60. On est aussi contrarié des points de ressemblance que de ceux qui la détruisent.»
Note 60: (retour) «La terre ne renferme rien qui te ressemble, du moins ce serait en vain pour moi; pour tout au monde, je n'oserais jeter les yeux sur une femme qui te ressemblerait, et qui ne serait pas toi.»(Byron. -Le Giaour.)
17 novembre.
«Point de lettres de ***; je ne veux point me plaindre. Le respectable Job dit: Pourquoi un homme vivant se plaindrait-il? En vérité, je n'en sais rien; excepté, peut-être, parce qu'un homme mort ne le pourrait pas. Et lui-même, le susdit patriarche, s'est plaint, jusqu'à ce que ses amis en furent fatigués, et que sa femme lui donna cette pieuse recette: Jure une bonne fois et meurs! la seule occasion, je crois, où un jurement ne puisse donner que peu de consolation. J'ai reçu une lettre très-flatteuse de lord Holland, au sujet de la Fiancée d'Abydos, qu'il goûte fort, dit-il, ainsi que sa femme; c'est bien de la bonté à deux personnes dont je n'avais point de quartier à espérer. Et cependant, dans le tems, je croyais que la cause de mon inimitié pour eux venait de leur côté; je suis bien aise de m'être trompé: je voudrais ne pas m'être tant pressé de publier cette maudite satire, dont je désirerais anéantir jusqu'au souvenir; depuis qu'elle n'est plus dans le commerce, tout le monde veut l'avoir, comme par esprit de contradiction.
»George Ellis et Murray ont parlé de quelque chose relativement à Scott et à moi. S'ils veulent le détrôner, je souhaiterais fort qu'ils ne me choisissent pas pour lui trouver un compétiteur. Si la chose dépendait de moi, j'aimerais mieux être le comte de Warwick que tous les rois qu'il a jamais faits. Je regarde Jeffrey et Gifford comme les grands faiseurs de rois en poésie et en prose. Les critiques anglais, dans leur Rokeby-Review, ont présupposé une comparaison à laquelle mes amis n'ont jamais pensé, et que les sujets de Walter-Scott ont tort de s'amuser à examiner sérieusement. Je l'aime, et j'admire ses ouvrages avec enthousiasme. Tout ce bruit doit le vexer et ne saurait me faire de bien. Beaucoup de gens n'approuvent point ses principes politiques; moi je hais tous les principes politiques, et, dans ce pays, les principes d'un homme sont, comme l'ame des Grecs, une εἴδωλον, outre Dieu sait quelle autre ame, mais on fait généralement autant de cas de l'une que de l'autre.