Kitabı oku: «Œuvres complètes de lord Byron, Tome 7», sayfa 11
ULRIC
Vous êtes sûr de l'avoir fermé?
WERNER
Très-sûr.
ULRIC
Cela est bien; mais il eût été mieux de ne pas le transformer en une caverne de-(Il s'arrête.)
WERNER
De voleurs, penses-tu dire? Je le mérite, et je le souffrirai; mais non-
ULRIC
Non, mon père; ne parlons plus de cela: ce n'est pas l'heure. Songez, non pas à de faibles crimes, mais à prévenir la conséquence de plus graves. Pourquoi avez-vous cru devoir prêter votre appui à ce Gabor?
WERNER
Pouvais-je faire autrement? C'était un homme poursuivi par mon plus grand ennemi; déshonoré par mon propre crime; victime de ma sécurité; implorant, pour un refuge de quelques heures, l'asile même, première cause de notre commun malheur. Eût-il été un loup enragé, pouvais-je, en pareille circonstance, le livrer à ceux qui le poursuivaient?
ULRIC
Et c'est en loup qu'il vous a récompensé. Mais il est trop tard… – il faut que vous partiez avant l'aube du jour. Je resterai ici pour découvrir la trace du meurtrier, si cela est possible.
WERNER
Mais ma disparition soudaine va éveiller le soupçon; et leur offrir deux victimes, au lieu d'une, si je restais: le Hongrois fugitif, qui semble le meurtrier, et-
ULRIC
Qui semble? – Quel autre donc pourrait-ce être?
WERNER
Ce n'est pas moi, quels que soient vos nouveaux doutes. – Vous, mon fils, – vous doutez encore de moi! -
ULRIC
Vous doutez bien de lui, du fugitif?
WERNER
Enfant! depuis que moi-même j'ai pénétré dans l'abîme du crime (non pourtant d'un pareil crime), depuis que j'ai vu l'innocent poursuivi à ma place, il m'est bien permis d'hésiter à condamner le coupable lui-même. Votre cœur est libre encore; il montre une vertueuse impatience dès qu'il s'agit d'accuser des apparences; et l'ombre de la vertu elle-même semble lui révéler un crime, par cela seul que la lumière est douteuse.
ULRIC
Si telles sont mes dispositions, que seront donc celles du genre humain, qui ne vous connaît pas, ou ne vous a connu que pour vous opprimer? Gardez-vous d'en courir les chances. Fuyez, – je saurai tout arranger. Idenstein, dans son intérêt, dans celui de son diamant, gardera le silence; il est d'ailleurs complice de votre fuite; et puis, -
WERNER
Fuir! Laisser mon nom sous le poids de la même infamie que celui du Hongrois! l'exposer même comme appartenant au plus pauvre, à subir seul l'opprobre réservé aux assassins! -
ULRIC
Misères! Ne songez à rien qu'aux domaines, aux châteaux de nos pères, objets de tant de regrets et de si longues espérances. De quel nom parlez-vous? Vous n'en laissez pas ici; celui que vous portez est faux.
WERNER
Je l'avoue; mais encore ne voudrais-je pas le laisser gravé en caractère de sang dans la mémoire des hommes, même des hommes de cet endroit perdue. – D'ailleurs, des recherches-
ULRIC
Je saurai prévenir tous les dangers qui pourraient vous menacer. Personne ici ne vous connaît comme héritier de Siegendorf. Si Idenstein vous soupçonne, ce n'est qu'un soupçon, et le soupçon d'un sot; sa sottise aura d'ailleurs assez d'emploi, et l'inconnu Werner fera, chez lui, place à des considérations personnelles. Les lois (si jamais lois ont régi ce village) sont toutes, après une guerre générale de trente ans, oubliées, ou suspendues, ou à peine exhumées de la poussière dont le droit de la guerre les avait couvertes. Stralenheim, quoique noble, n'a d'autre recommandation ici que son titre, – sans terres, sans influence, à l'exception de celle qui est morte avec lui. Peu d'hommes laissent quelque souvenir une semaine après leurs funérailles, sinon grâce à des parens dont les intérêts le réveillent: ce n'est pas ici le cas; il est mort isolé, inconnu; – une tombe solitaire, ignorée comme ces déserts, privée d'un écusson, est tout ce qu'il aura et ce dont il manque encore. Si je découvre l'assassin, tant mieux; – sinon; croyez-moi, toute la suite de ces misérables valets pourra bien pousser des cris autour de sa cendre, comme ils firent autour de lui lorsqu'il se noyait dans l'Oder; mais aucun d'eux ne hasardera, pour le venger, le petit doigt. Partez! partez! mais ne répondez pas. Voyez! les étoiles sont presque toutes évanouies, et le crépuscule commence à traverser la noire chevelure de la nuit. Pardonnez, pardonnez si je suis aussi pressant; c'est votre fils qui vous parle; votre fils si long-tems perdu, si tardivement retrouvé. – Allons prévenir ma mère, avançons doucement et avec précaution, et laissez-moi le soin du reste. Je réponds de l'événement, pour ce qui vous regarde; et c'est là le point important, comme le plus sacré de mes devoirs. Nous nous retrouverons au château de Siegendorf; c'est là que nous pourrons de nouveau déployer nos glorieuses bannières. Ne songez qu'à cela; rejetez sur moi toutes les autres pensées; la jeunesse me donne plus de ressources contre elles. – Fuyez! et puisse votre vieillesse être heureuse! – Je veux une dernière fois embrasser ma mère; et que le ciel conduise vos pas!
WERNER
Votre conseil est dicté par la prudence; – mais est-il avoué par l'honneur?
ULRIC
Sauver un père est pour un fils le véritable point d'honneur.
(Ils sortent.)
FIN DU TROISIÈME ACTE
ACTE IV
SCÈNE PREMIÈRE
(Le théâtre représente une salle gothique, dans le château de Siegendorf, auprès de Prague.)
Entrent ERIC et HENRICK, attachés à la maison du comte
ERIC
Ainsi, de meilleurs jours ont enfin lui; voici, dans ces murs, deux choses depuis long-tems désirées: des maîtres nouveaux, des accens d'une vive allégresse.
HENRICK
Oui, quant à des maîtres. Ceux qui n'aspirent qu'après la nouveauté pouvaient bien désirer un changement, même au prix d'une tombe; mais quant aux fêtes, il me semble que le vieux comte Siegendorf savait exercer son hospitalité féodale aussi noblement que tout autre prince de l'empire.
ERIC
Quant au service de la table et à l'offre de la coupe vermeille, nous l'avouons, il s'en acquittait fort bien; mais pour ce qui est des plaisirs et des joyeux exercices, sans lesquels les meilleures sauces semblent privées d'assaisonnement, nous en éprouvions la disette, ou du moins une très-modeste jouissance.
HENRICK
Le vieux comte redoutait le tumulte des fêtes; êtes-vous sûr que celui-ci l'aime?
ERIC
Jusqu'ici il a fait aussi bien preuve de courtoisie que de bonté; il a su capter l'amour de tout le monde.
HENRICK
Mais à peine si son règne a dépassé la lune de miel, car la première année de souveraineté est comme celle du mariage; plus tard nous pourrons juger de ses dispositions réelles et de son caractère.
ERIC
Puisse le ciel nous le conserver! Puis, après lui, nous aurons son brave fils, le comte Ulric. – Voilà un chevalier! – Quel malheur que la guerre ait cessé.
HENRICK
Et pourquoi?
ERIC
Regardez-le, et vous vous répondrez vous-même.
HENRICK
Il est bien jeune, il est beau et vigoureux comme un jeune tigre.
ERIC
Je ne reconnais pas, dans cette comparaison, le vassal fidèle.
HENRICK
Mais le vassal sincère, peut-être.
ERIC
Je l'ai dit: c'est un malheur que la guerre ait cessé. Dans les fêtes, qui peut-on comparer au comte Ulric, pour la noble fierté et cette dignité qui, sans offenser personne, en impose à tout le monde? Dans les violens exercices, qui sait comme lui manier l'épieu, attendre le sanglier mortellement blessé et frappant à droite et à gauche la meute des chiens? Qui sait monter à cheval, porter sur le poing un faucon, ou tenir l'épée comme lui? Quel panache a plus de nobles grâces que le sien?
HENRICK
Aucun, je l'avoue. Mais ne craignez pas que la guerre se fasse trop long-tems attendre: il est capable de la faire pour lui-même, si déjà il ne l'a faite.
ERIC
Que voulez-vous dire?
HENRICK
Vous ne pouvez nier que les gens dont il s'entoure (et peu d'entre eux sont nés dans ses domaines) ne soient de ce genre de valets qui-(Il s'arrête.)
ERIC
Eh bien?
HENRICK
Qui ont échappé aux dangers de la guerre que vous aimez tant; car, semblable à bien d'autres mères, ses plus mauvais enfans sont ceux qu'elle gâte le plus.
ERIC
Ce n'est pas le cas ici. Ils ont tous l'air de braves compagnons, tels que les aimait le vieux Tilly.
HENRICK
Et qui aimait Tilly? Demandez-le aux bourgeois de Magdebourg; – ou qui aimait Wallenstein? – Ils sont allés-
ERIC
Reposer; mais pour combien de tems? c'est ce que l'on ne pourrait dire.
HENRICK
Je souhaite qu'ils nous fassent partager quelque chose de leur repos. La contrée, qui n'a de la paix que les apparences, est désolée par je ne sais quels brigands: – ils font des courses la nuit, et disparaissent avec le soleil; mais ils laissent après eux une désolation comparable aux effets de la plus ouverte guerre.
ERIC
Mais le comte Ulric, – qu'a tout cela de commun avec lui?
HENRICK
Avec lui! mais il-pourrait les prévenir. Vous le représentez comme amant de la guerre; que ne la fait-il donc à ces maraudeurs?
ERIC
Vous pourriez le lui demander vous-même.
HENRICK
J'aimerais autant demander au lion pourquoi il ne se nourrit pas de lait.
ERIC
Mais le voici qui vient.
HENRICK
Diable! au moins gardez-vous de parler.
ERIC
Pourquoi devenez-vous si pâle?
HENRICK
Ce n'est rien; – mais, je vous en conjure, silence!
ERIC
Je le garderai sur ce que vous m'avez dit.
HENRICK
Je vous assure que je ne voulais rien dire: c'était une plaisanterie, et voilà tout. Et s'il en eût été autrement, l'on sait qu'il va épouser l'aimable baronne Ida de Stralenheim, l'héritière du dernier baron; et l'on ne peut douter qu'elle n'adoucisse la dureté que les dernières guerres intestines ont jetée dans tous les caractères, surtout dans ceux qui naquirent au milieu d'elles, furent bercés, pour ainsi dire, sur les genoux de l'homicide, et arrosés d'un baptême de sang. Silence, je t'en prie, sur tout ce que je t'ai dit.
(Entrent Ulric et Rodolph.)
HENRICK
Bonjour, comte!
ULRIC
Bonjour, mon brave Henrick. Eric, tout est-il prêt pour la chasse?
ERIC
Les chiens sont accouplés à l'entrée de la forêt; les vassaux déjà battent les buissons, et le tems est de bon augure. Faut-il donner le signal à la suite de votre excellence? Quel coursier voulez-vous monter?
ULRIC
Le brun, Walstein.
ERIC
Je crains qu'il ne soit pas encore remis des courses de lundi. La noble chasse, monseigneur! vous en avez frappé quatre de votre main.
ULRIC
En effet, bon Eric; j'oubliais. – Je prendrai donc le gris, le vieux Ziska; il n'est pas sorti depuis quinze jours.
ERIC
On va sur-le-champ le garnir. De combien de vassaux immédiats serez-vous escorté?
ULRIC
Sur cela, je m'en rapporte à Weinbourg, notre écuyer.
(Eric sort.)
ULRIC
Rodolph!
RODOLPH
Monseigneur.
ULRIC
Nous avons de mauvaises nouvelles de-(Rodolph montre du doigt Henrick.) Eh bien, Henrick, que faites-vous-là?
HENRICK
J'attends vos ordres, monseigneur.
ULRIC
Allez donc vers mon père, présentez-lui mes devoirs, et informez-vous s'il aurait quelque chose à me dire avant mon départ.
(Henrick sort.)
ULRIC
Rodolph, nos amis ont éprouvé un échec sur les frontières de Franconie, et le bruit court que l'on doit fortifier la colonne envoyée contre eux. Je ne puis tarder à les rejoindre.
RODOLPH
Attendez de nouveaux et de plus sûrs avis.
ULRIC
Telle est mon intention. – En vérité, ce malheur ne pouvait tomber dans un tems plus inopportun pour tous mes projets.
RODOLPH
Vous aurez de la peine à donner une excuse suffisante de votre départ au comte votre père.
ULRIC
Oui; mais la situation précaire de notre domaine, dans la Haute-Silésie, justifiera et pourra dissimuler mon voyage. En attendant, pendant que nous serons à la chasse, vous réunirez les quatre-vingts hommes qui ont Wolff pour chef; – vous les ferez marcher par les forêts, vous savez?
RODOLPH
Aussi bien que la nuit où nous-
ULRIC
Nous en reparlerons après avoir couru une seconde fois les mêmes hasards, et avec le même succès. Quand vous serez arrivés, vous donnerez cette lettre à Rosenberg. (Il lui donne une lettre.) Ajoutez de vive voix, que je lui envoie ce faible renfort, sous votre conduite et celle de Wolff, comme l'avant-coureur de mon arrivée: parlez-lui de la peine que j'ai eue à les éloigner, dans un moment où mon père aime à s'entourer d'un bon nombre de vassaux, et quand la cloche va donner le signal de mon mariage, de ses fêtes, en un mot, de toutes les sottises qui accompagnent ordinairement l'absurde sottise conjugale.
RODOLPH
Je pensais que vous aimiez la jeune et noble Ida.
ULRIC
Je ne m'en défends pas; mais il n'en faut pas conclure que je prétende lier mes jeunes et glorieuses années, si fugitives, si impatientes de contrainte, avec la ceinture d'une dame, fût-ce même de Vénus. – Je l'aime comme doivent être aimées les femmes, sincèrement et sans partage.
RODOLPH
Et pour toujours?
ULRIC
Je le pense; car je n'aime rien qu'elle. – Mais je n'ai pas le tems de m'arrêter à ces hochets de tendresse: nous avons à faire de grandes choses avant peu. Éloigne-toi rapidement, cher Rodolph!
RODOLPH
À mon retour, cependant, je trouverai la baronne Ida transformée en comtesse Siegendorf.
ULRIC
Peut-être. Mon père le désire, et sérieusement cela est d'une bonne politique; cette union avec le dernier rejeton de la branche rivale, d'un seul coup, réconcilie l'avenir et jette un voile sur le passé.
RODOLPH
Adieu!
ULRIC
Arrête encore: – il vaut mieux demeurer ensemble jusqu'à l'ouverture de la chasse. Nous nous quitterons ensuite, toi, pour suivre mes instructions.
RODOLPH
Fort bien; mais pour revenir-ce fut un trait de véritable bonté, chez le comte votre père, d'envoyer chercher, à Kœnigsberg, cette belle orpheline, et de la recevoir comme sa fille.
ULRIC
Bonté surprenante; en égard surtout à l'ancienne haine qui, jusqu'alors, divisait les deux familles.
RODOLPH
Le dernier baron mourut d'une fièvre, n'est-ce pas?
ULRIC
Et comment pourrais-je le savoir?
RODOLPH
J'ai entendu murmurer qu'il y avait eu dans sa mort quelque chose d'étrange, et que même on savait à peine le lieu où elle était arrivée.
ULRIC
C'était quelque village obscur sur la frontière de Saxe ou de Silésie.
RODOLPH
N'a-t-il donc pas laissé de testament, – quelques mots d'adieux?
ULRIC
Je n'étais ni son notaire, ni son confesseur: je ne saurais donc le dire.
RODOLPH
Ah! voici madame Ida.
(Entre Ida Stralenheim.)
ULRIC
Vous êtes matinale, mon aimable cousine!
IDA
Je le suis trop, cher Ulric, si je vous interromps. Pourquoi m'appelez-vous donc cousine?
ULRIC, souriant
Ne l'êtes-vous pas?
IDA
Oui; mais je n'en aime pas le nom: il semble qu'il me glace, comme si vous ne songiez, en le prononçant, qu'à notre généalogie, et que vous pesiez notre sang.
ULRIC, interdit
Votre sang!
IDA
Pourquoi le vôtre a-t-il cessé d'animer vos joues?
ULRIC
Oui? – Je suis pâle?
IDA
Sans doute; mais non! il revient comme un torrent, et colore jusqu'à votre front.
ULRIC, se remettant
Et s'il avait fui, c'est que votre présence seule l'avait refoulé vers mon cœur, qui ne bat que pour vous, chère cousine!
IDA
Cousine? encore!
ULRIC
Eh bien, je vous donnerai le nom de sœur.
IDA
J'aime encore moins ce nom. – Je voudrais qu'il n'y eût entre nous aucun lien de parenté.
ULRIC, d'une voix sombre
Oui, plût à Dieu!
IDA
Ah ciel! et vous aussi; vous souhaitez cela?
ULRIC
Adorable Ida! puis-je autre chose que répéter chacun de vos vœux?
IDA
Oui, Ulric; mais les miens n'étaient pas accompagnés des mêmes regards; à peine connaissais-je ce que je disais: soyez mon frère, mon cousin, ce que vous voudrez, pourvu que vous soyez pour moi quelque chose.
ULRIC
Vous serez tout, – tout pour moi.
IDA
C'est déjà ce que vous êtes à mes yeux; mais je puis attendre.
ULRIC
Chère Ida!
IDA
Oui; appelez-moi Ida, votre Ida; car je veux être à vous, à vous seul. – Il est vrai que je n'ai personne au monde que vous, depuis que mon pauvre père-(Elle s'arrête.)
ULRIC
Vous avez le mien, – et moi-même.
IDA
Cher Ulric! combien je regrette que mon père ne puisse être témoin de notre bonheur! Il n'y manque que sa présence.
ULRIC
Vous dites vrai!
IDA
Vous l'auriez aimé, et lui-même vous eût chéri; car les braves se recherchent mutuellement. Son extérieur était bien un peu froid, et son ame fière (comme le lui permettait sa haute naissance); mais sous cette enveloppe sévère… – Ah! si vous vous étiez connus, si vous aviez pu être à ses côtés dans son dernier voyage, il ne serait pas mort sans que la voix d'un seul ami ait adouci ses derniers momens.
ULRIC
Qui dit cela?
IDA
Quoi!
ULRIC
Qu'il soit mort seul?
IDA
La commune rumeur, et la disparition de ses valets. Il fallait que la fièvre dont mon père mourut victime fût bien cruelle, pour n'en avoir épargné aucun.
ULRIC
S'ils étaient près de lui, il n'a pu mourir seul et délaissé.
IDA
Hélas! qu'est-ce qu'un valet près d'un lit de mort, quand les yeux se lèvent une dernière fois, dans le vain espoir de rencontrer ceux d'un ami? – On dit qu'il est mort d'une fièvre.
ULRIC
On dit! rien n'est plus sûr.
IDA
J'ai quelquefois rêvé qu'il n'en était rien.
ULRIC
Les songes sont autant de chimères.
IDA
Et, cependant, je le vois-comme je vous vois.
ULRIC
Où le voyez-vous?
IDA
Dans le sommeil. – Je le vois étendu, pâle, ensanglanté, et derrière lui un homme avec un couteau levé.
ULRIC
Un homme! Vous ne voyez pas ses traits?
IDA, jetant les yeux sur lui
Non! mais, grand Dieu! – et vous?
ULRIC
Que voulez-vous dire?
IDA
C'est que vos regards semblaient désigner un meurtrier.
ULRIC, avec agitation
Ida, ceci est un pur enfantillage. À ma honte, je sens que vos faiblesses me gagnent; j'y deviens sensible, sans doute parce que tout doit être commun entre nous. Je t'en prie, chère enfant, changeons-
IDA
Enfant! J'ai plus de quinze ans, l'avez-vous oublié? (Le cor retentit.)
RODOLPH
Entendez-vous, monseigneur, le cor!
IDA, avec dépit à Rodolph
Qu'aviez-vous besoin de le lui dire? Croyez-vous qu'il ne l'entendrait pas sans écho?
RODOLPH
Pardonnez-moi, noble dame!
IDA
J'y consens; mais à une condition: c'est que vous m'aiderez à détourner le comte Ulric de la chasse de ce jour.
RODOLPH
Madame, vous n'avez pas besoin de mon secours.
ULRIC
Je ne puis, en ce moment, m'en dispenser.
IDA
Mais vous vous en dispenserez.
ULRIC
Moi!
IDA
Oui, ou vous n'êtes pas un chevalier loyal. – Allons, cher Ulric! cédez-moi en cela, et pour un seul jour; aussi bien, le tems est lourd, et vous êtes devenu tout-à-coup si pâle…
ULRIC
Vous plaisantez.
IDA
Non, vraiment: demandez à Rodolph.
RODOLPH
En effet, monseigneur, vous avez, en un quart-d'heure, changé plus que je ne vous ai vu changer en plusieurs années.
ULRIC
Ce n'est rien; mais si vous disiez vrai, l'air me remettrait bien vite. Je suis un véritable caméléon: je ne vis qu'en pleine campagne. Vos fêtes, dans l'intérieur des: châteaux, vos nombreux banquets n'ont aucun attrait pour moi: – je suis un amant des forêts; j'aime à respirer sur les sommets des montagnes; en un mot, j'aime tout ce qu'aiment les aigles.
IDA
Vous n'avez pas, j'espère ses goûts carnassiers?
ULRIC
Chère Ida, souhaite-moi une bonne chasse; et je rapporterai six hures de sangliers pour trophée.
IDA
Ainsi, vous ne voulez pas rester? Non, vous n'irez pas! Venez; pour vous plaire, je chanterai.
ULRIC
Ida, vous serez difficilement l'épouse d'un soldat.
IDA
Je ne souhaite pas non plus de l'être; la guerre est pour long-tems terminée, et vous pourrez demeurer en paix dans vos domaines.
(Entre Werner, comte Siegendorf.)
ULRIC
Bon jour, mon père; désolé de ne vous voir qu'un instant. – Mais vous avez entendu le cor, les vassaux attendent.
SIEGENDORF
Eh bien! qu'ils attendent. – Vous oubliez que c'est demain, dans Prague, un grand jour de fête; on y doit célébrer le retour de la paix. L'ardeur avec laquelle vous vous laissez entraîner à la chasse ne vous permettrait pas de revenir aujourd'hui; et, dans le cas contraire même, vous reviendriez trop fatigué pour être demain en état de tenir votre rang parmi la noblesse.
ULRIC
Vous pourrez bien vous-même, comte, nous représenter tous les deux. – Je ne suis pas curieux, vous le savez, de toutes ces réunions.
SIEGENDORF
Non, Ulric; il serait peu convenable que, seul de toute notre jeune noblesse, -
IDA
Et le plus noble de tous par son maintien et ses habitudes.
SIEGENDORF, à Ida
Oui, ma chère enfant, bien que votre franchise soit un peu singulière dans une belle demoiselle. – Ulric, souviens-toi de notre position; nous avons bien tard reconquis nos droits. Crois-moi, on remarquerait dans chaque maison, et surtout dans la nôtre, que l'un de nous a négligé de se rendre à pareille fête et dans un pareil moment. D'ailleurs, le ciel qui nous a rendu le repos au même instant qu'il le répand sur tout l'univers, a pour nous un double droit aux actions de grâce: pour notre pays d'abord, ensuite pour nous avoir fait partager ses bénédictions.
ULRIC, à part
Quoi! dévot. – Eh bien, monsieur, j'obéirai. – (À l'un des valets.) Ludwig, renvoyez la suite.
IDA
Ainsi, vous lui accordez ce que je vous ai vainement demandé pendant une heure.
SIEGENDORF, souriant
Ma belle révoltée, vous n'êtes pas jalouse de moi, j'espère? Quel autre que vous justifierait ainsi la désobéissance? Mais ne craignez rien; vous saurez bientôt lui faire reconnaître une autorité plus tendre et mieux assurée.
IDA
C'est maintenant que je voudrais le régler.
SIEGENDORF
Vous devriez, en attendant, régler votre harpe qui soupire après vous dans l'appartement de la comtesse. Cette dernière se plaint que vous négligiez votre musique: elle vous attend.
IDA
Adieu donc, mon cher parent! Ulric, vous me suivez, vous venez m'entendre?
ULRIC
Dans un instant.
IDA
Soyez-en sûr, ma voix sera plus agréable que celle de vos cors; je désire que vous ayez la précision de ma harpe: je jouerai la marche du roi Gustave.
ULRIC
Et pourquoi pas celle du vieux Tilly?
IDA
De ce monstre! non, certainement. J'imaginerais que mes cordes expriment des hurlemens plutôt que des sons harmonieux. Comment, d'ailleurs, rappeler sur mon instrument quelque chose de lui? – Mais hâtez-vous de me joindre; votre mère sera ravie de vous recevoir.
(Ida sort.)
SIEGENDORF
Ulric, je désire vous parler seul.
ULRIC
Mon tems est tout à vous. – (À part à Rodolph.) Rodolph, partez! faites ce que je vous ai recommandé; et que Rosemberg ait soin de me répondre avec toute la promptitude possible.
RODOLPH
Comte Siegendorf, avez-vous quelques ordres à me donner? je pars en ce moment pour la frontière.
SIEGENDORF, en tressaillant
Ah! – Où? Et quelle frontière?
RODOLPH
Celle de Silésie, en allant-(À part à Ulric.) Où dirais-je?
ULRIC, à part, à Rodolph
Hambourg. – Ce mot, je l'espère, va couper court à ses questions.
RODOLPH
Comte, à Hambourg.
SIEGENDORF, agité
Hambourg! Non, je n'ai rien à y faire; je n'ai aucune connaissance dans cette ville. Le ciel donc vous conduise.
RODOLPH
Et vous conserve, comte Siegendorf.
(Rodolph sort.)
SIEGENDORF
Ulric, cet homme, qui vient de sortir, est l'un de ces étranges compagnons dont je désire vous entretenir en ce moment.
ULRIC
Monseigneur, c'est un noble de race, et des premières familles de Saxe.
SIEGENDORF
Je ne dis rien de sa naissance, mais de lui personnellement. On en parle assez légèrement.
ULRIC
Comme de la plupart des hommes. Le roi, lui-même, n'est pas à l'abri des calomnies de son chambellan, ou des sarcasmes du dernier courtisan qui lui aura dû sa fortune ou sa grandeur.
SIEGENDORF
Franchement, le monde parle plus que légèrement de ce Rodolph: il fait, dit-on, cause commune avec les bandes noires qui désolent encore en ce moment la frontière.
ULRIC
Et vous ajoutez foi au monde?
SIEGENDORF
Dans le cas présent, – oui.
ULRIC
Je croyais que vous le connaissiez assez bien pour ne prendre, dans aucun cas, son accusation pour une sentence.
SIEGENDORF
Mon fils! je comprends; vous faites allusion à-Mais la destinée m'avait pris dans ses toiles d'araignée, et comme tous les misérables, je ne pouvais que m'y débattre, sans parvenir à les rompre. Que mon exemple vous serve, Ulric! Vous avez vu l'abîme où les passions m'avaient précipité; vingt années de misère et de faim ne l'ont pas fermé; – vingt mille d'une autre vie (ou même de celle-ci, car le remords transforme pour moi chaque moment en autant d'années); vingt mille années ne pourraient effacer et expier la honte d'un seul instant. Ulric, écoutez les avis d'un père! – Je n'ai rien appris du mien, et vous voyez ce que je suis.
ULRIC
Je vois l'heureux, le bien-aimé Siegendorf, maître d'un apanage de prince, honoré de ceux qu'il gouverne et de ceux qui partagent son rang.
SIEGENDORF
Ah! peux-tu parler de mon bonheur, quand tu m'inspires tant de craintes? de l'affection dont je suis l'objet, quand toi tu ne m'aimes pas! Oui, tous les cœurs, excepté un seul, sont portés à me chérir; – mais qu'importe, si celui de mon enfant est de glace? -
ULRIC
Qui ose dire cela?
SIEGENDORF
Personne encore que moi-même. Je le vois, – je le sens, – plus douloureusement que ne le ferait un ennemi mortel, qui, votre épée dans le cœur, prononcerait les mêmes paroles. Chez moi, la douleur survit à la blessure.
ULRIC
Vous vous trompez: seulement, mon naturel ne comporte pas les démonstrations sentimentales. Et comment en serait-il autrement, après être resté douze ans loin de mes parens?
SIEGENDORF
Mais ces douze années d'absence ne couraient-elles pas également pour moi? – Au reste, je te fais de vaines remontrances; – jamais elles n'ont pu mettre le moindre frein au naturel. – Je change de sujet. Je reviens à ces jeunes nobles, d'un nom distingué, mais d'une conduite équivoque (oui, fort équivoque, si l'on en croit les bruits publics); ces nobles, dis-je, que tu aimes à fréquenter, te conduiront-
ULRIC, avec impatience
Je ne serai conduit par personne.
SIEGENDORF
Je désirerais du moins te voir dédaigner de conduire les autres. Quoi qu'il en soit, pour t'arracher aux écueils de la jeunesse et d'un caractère trop impérieux, j'ai jugé à propos de te proposer d'épouser la jeune Ida, – tu sembles ressentir de l'amour pour elle.
ULRIC
Je vous ai dit que je suivrais vos ordres, quand il faudrait prendre pour femme Hécate. – Un fils peut-il faire davantage?
SIEGENDORF
C'est trop parler que de parler ainsi. Il n'est pas de ton âge et de ton caractère de témoigner tant de froideur, et d'adopter avec tant d'insouciance un nouvel état qui, d'ordinaire, flétrit ou ranime le bonheur des hommes; car l'oreiller de la gloire n'invite pas au repos, quand l'amour refuse d'y incliner ses joues. Pour toi, mon fils, tu sembles dominé par une force invincible, par je ne sais quel démon qui jette son fiel sur chacune de tes pensées. Tu aurais dû me dire: «J'aime la jeune Ida, et je l'épouserai;» ou bien: «Je ne l'aime pas, et toutes les puissances de la terre ne pourront jamais me rapprocher d'elle.» Voilà la réponse que j'aurais voulue.
ULRIC
Vous vous êtes marié par amour?
SIEGENDORF
Oui, et ta mère fut ma seule consolation dans mes nombreuses infortunes.
ULRIC
Et sans ce mariage d'inclination, combien d'infortunes de moins?
SIEGENDORF
Toujours des réflexions qui ne conviennent ni à votre âge ni à votre naturel! Qui jamais, à vingt ans, a pu parler ainsi?
ULRIC
N'avez-vous pas toujours cherché à me mettre en garde contre votre exemple?
SIEGENDORF
Vous êtes un sophiste bien jeune! En un mot, aimez-vous, ou n'aimez-vous pas Ida?
ULRIC
Il importe peu, si je suis également prêt à vous obéir en l'épousant.
SIEGENDORF
Peu! pour vous, sans doute; mais il s'agit, pour elle, de toute la vie. Elle est jeune; – ravissante de beauté; – elle vous adore; elle possède toutes les qualités qui peuvent donner le bonheur, tel que nous l'entrevoyons quelquefois dans nos rêves, tel que ne peuvent le dépeindre les poètes; en un mot, capable de faire oublier la sagesse, si ce n'était déjà être sage que d'aimer la beauté vertueuse. Or, le don d'un pareil bonheur mérite bien un peu de retour. Je ne voudrais pas que son cœur pût être brisé par un homme dont le cœur est insensible, ou la voir se flétrir sur sa tige, comme la rose que les contes orientaux nous peignent abandonnée par l'oiseau qu'elle avait pris pour un rossignol. Elle est-
ULRIC
Elle est la fille de Stralenheim, mort votre ennemi. Néanmoins je l'épouserai; bien qu'à dire vrai, je sois loin en ce moment d'éprouver un vif entraînement vers les unions de ce genre.
SIEGENDORF
Mais, enfin, elle vous aime.
ULRIC
Je l'aime également; c'est pourquoi je voudrais y songer encore.
SIEGENDORF
Hélas! ce n'est pas ainsi qu'a jamais parlé l'amour.
ULRIC
Il est donc tems qu'il commence; qu'arrachant le bandeau de ses yeux, il considère les liens dans lesquels il se jette. Jusqu'à présent il a toujours joué à colin-maillard.
SIEGENDORF
Consentez-vous?
ULRIC
J'ai consenti, et je consens encore.
SIEGENDORF
Fixez donc le jour.
ULRIC
Il est d'usage, et sans doute plus convenable, d'en laisser le soin à la dame.
SIEGENDORF
Je m'en chargerai donc pour elle.
ULRIC
Je n'oserais en tant faire pour aucune femme; et comme je ne voudrais pas subir un refus, quand elle aura prononcé ses intentions je prononcerai les miennes.
SIEGENDORF
Mais il est de votre devoir de lui faire la cour.
ULRIC
Comte, c'est un mariage de votre façon, qu'elle se contente de votre cour; mais, pour mieux vous plaire, je vais aller rendre mes devoirs à ma mère, qui, dans ce moment, vous le savez, est avec Ida. – Que voulez-vous de plus? Vous m'avez empêché de me livrer à de généreux exercices, loin des murailles d'un château, j'ai obéi; vous m'ordonnez de me transformer en courtisan, de relever des gants, des éventails, des aiguilles, que sais-je? d'écouter, en extase, des chants et des instrumens; de mendier des sourires, de murmurer de gracieuses niaiseries, de m'arrêter sur des yeux de femme, comme s'ils étaient les étoiles de nos destinées. – Que peut-on exiger de plus d'un fils ou d'un homme?
(Il sort.)
SIEGENDORF, seul
Beaucoup trop! – Trop de respect et trop peu d'amour; il me paie en une monnaie à laquelle je ne puis prétendre: car telle est ma cruelle destinée, qu'il m'a, jusqu'à présent, été défendu de remplir les devoirs de père. Mais il me refuse l'amour auquel j'aurais des droits, pour la sollicitude constante que m'inspirait son absence, pour les larmes que son retour me fit répandre; et maintenant, je l'ai retrouvé: mais comment! soumis, mais glacial; respectueux à mon égard, mais sans abandon; distrait, mystérieux; – toujours éloigné de ma personne, souvent emporté dans de longues courses: dans quels lieux? – nul ne le sait, – dans la société des jeunes nobles les plus désordonnés; bien que, pour lui rendre justice, il ne soit jamais descendu jusqu'à leurs grossiers plaisirs: et cependant il existe entre eux un lien que je ne puis démêler. Ils ont les yeux fixés sur lui, – ils le consultent, – l'environnent comme un chef; mais avec moi, il est sans confiance! Pourrais-je donc espérer autre chose après… – Eh quoi! la malédiction de mon père descendrait-elle jusque sur mon fils? ou bien le Hongrois, reviendrait-il verser un nouveau sang? ou bien-l'ombre de Stralenheim, pénétrant dans ces murs, y viendrait-elle punir et l'assassin et celui-qui, sans le frapper, ouvrit pour lui la porte de la mort? Ce n'était pas notre crime; tu étais notre ennemi, et cependant je t'épargnai quand ma perte n'était retardée que par ton sommeil, quand ton réveil devait la consommer! Je ne pris… – or maudit! mes mains t'ont saisi comme un poison; je n'ose ni me servir ni me séparer de toi; il me semble que tu dois souiller toutes les mains comme la mienne. Et cependant, que n'ai-je pas fait pour expier cette bassesse et le malheur de ton maître!.. Bien qu'il ne soit pas mort par moi, ou par les miens, j'ai montré pour sa mémoire le respect d'un frère; j'ai recueilli sa fille orpheline; je chéris son Ida comme l'un de mes propres enfans.