Kitabı oku: «Œuvres complètes de lord Byron, Tome 7», sayfa 6
PANIA
Tu entends, poursuis.
L'OFFICIER
La muraille qui longeait les bords du fleuve est renversée par le débordement subit de l'Euphrate, qui, tout d'un coup gonflé dans les monts inaccessibles où il prend sa source, et par les dernières pluies de ces orageux climats, vient de rompre ses digues et de détruire le boulevard.
PANIA
Cela est d'un sinistre augure. On a dit, dans les tems anciens, que cette cité ne céderait aux efforts de l'homme qu'au jour où le fleuve se déclarerait contre elle.
SARDANAPALE
Je ne crains pas la prédiction, mais le ravage. Quelle étendue de murailles se trouve renversée?
L'OFFICIER
Vingt stades, environ.
SARDANAPALE
Et tout cet espace est en proie aux assaillans?
L'OFFICIER
Pour cette heure, la violence du fleuve s'opposerait à l'assaut; mais aussitôt qu'il rentrera dans son lit ordinaire, et que les barques pourront être confiées à ses flots, le palais leur appartiendra.
SARDANAPALE
Non, cela ne sera jamais. Les hommes et les dieux, les élémens, les présages, tout en vain se soulève contre un être qui ne les provoqua jamais; la maison de mes pères ne sera jamais l'antre où les loups dévorans viendront habiter et rugir.
PANIA
Si vous le permettez, je me rendrai sur les lieux, et je fermerai l'espace entr'ouvert, aussi bien que le tems et nos ressources nous le permettent.
SARDANAPALE
Va donc, et reviens le plus promptement possible, pour nous offrir un fidèle rapport des ravages de l'inondation.
(Pania et l'officier sortent.)
MIRRHA
Ainsi, les flots eux-mêmes se soulèvent contre vous.
SARDANAPALE
Ils ne sont pas mes sujets; et dans l'impuissance de les punir, il faut bien leur pardonner.
MIRRHA
J'aime à voir que tant de malheurs ne vous accablent pas.
SARDANAPALE
L'heure de la crainte est passée, et l'événement ne peut plus rien m'apprendre que je n'aie prévu depuis minuit: mon désespoir a pris les devants.
MIRRHA
Le désespoir!
SARDANAPALE
Non, pas le désespoir. Quand nous mesurons tout ce qui peut arriver, et le vrai moyen d'y remédier, nos sentimens méritent un nom plus généreux. Mais qu'importent les noms? bientôt nous en aurons fini avec eux et tout le reste.
MIRRHA
Il vous reste encore une affaire, – la dernière et la plus grande; action décisive pour tout ce qui fut, est ou doit être; la seule qui soit commune à tout le genre humain, si divers d'ailleurs de naissance, de langage, de sexe, de naturel, de couleur, de traits, de climats, de tems et d'intelligence; n'ayant qu'un seul point d'union, celui auquel nous tendons, pour lequel nous sommes nés et lancés dans le mystérieux labyrinthe de la vie.
SARDANAPALE
Notre trame sera bientôt filée; livrons-nous à l'espérance. Revenus de nos terreurs, nous pouvons bien, comme les enfans, en reconnaissant les fantômes qui les avaient effrayés, accorder un sourire à l'ancien objet de notre épouvante.
(Pania rentre.)
PANIA
L'avis était fidèle: j'ai disposé, le long des murailles écroulées, une double garde, en dégarnissant les points les mieux défendus pour combler la brèche occasionnée par les eaux.
SARDANAPALE
Vous avez fait votre devoir, et montré une fidélité digne de vous-même. Pania! bientôt les derniers liens qui nous unissent se trouveront rompus. Prenez, je vous en conjure, cette clef (il lui donne une clef): elle ouvre une porte secrète placée derrière la couche royale (maintenant celle du plus grand des héros qu'elle ait encore reçus, – bien qu'une longue suite de souverains aient reposé, sur ses franges dorées). Vous pénétrerez dans cette chambre; elle recèle d'immenses trésors. Vous pouvez vous en emparer, et les partager avec vos compagnons: vous êtes nombreux, mais il y a assez d'or pour vous satisfaire tous. Que les esclaves aussi soient mis en liberté; que tous les habitans du palais, de l'un ou l'autre sexe, se hâtent de le quitter d'ici à une heure. Puis alors préparez les barques royales, qui assuraient nos plaisirs jadis, et notre sécurité aujourd'hui. Le fleuve est large et gonflé, et, plus puissant qu'un roi, les assiégés ne sauraient l'emprisonner. Partez! et soyez heureux!
PANIA
Daignez souffrir ma présence ici, ou consentez à accompagner votre garde fidèle.
SARDANAPALE
Non, Pania, cela ne peut être; sors, et laisse-moi à ma destinée.
PANIA
C'est la première fois que j'aurai désobéi, mais-
SARDANAPALE
Ainsi, tout le monde ose me braver: l'insolence au dedans, la trahison au dehors. Épargnez les questions; c'est ma volonté, ma dernière volonté. Oserez-vous la méconnaître? vous!
PANIA
Cependant… – non, je ne le puis.
SARDANAPALE
Fort bien: jurez d'obéir quand je vous donnerai le signal.
PANIA
Ma volonté en souffre, mais je le promets.
SARDANAPALE
Assez! Disposez maintenant fagots, noix de pins et feuilles desséchées, toutes choses propres à produire, à l'aide d'une étincelle, une grande et brillante flamme; réunissez bois de cèdre, parfums, drogues précieuses, et de fortes planches pour soutenir un énorme bûcher; de plus, de l'encens et de la myrrhe: je veux offrir un grand sacrifice. Que tout soit disposé près de ce trône.
PANIA
Seigneur!
SARDANAPALE
J'ai parlé, et vous avez juré.
PANIA
Et sans avoir juré je devrais encore vous garder ma foi.
(Pania sort.)
MIRRHA
Quelle est votre intention?
SARDANAPALE
Mirrha, vous saurez bientôt-ce que le monde entier n'oubliera jamais.
PANIA, revenant accompagné d'un héraut
Ô mon roi, j'allais exécuter vos ordres, quand ce héraut me fut amené, demandant une audience.
SARDANAPALE
Qu'on le laisse parler.
HÉRAUT
Le roi Arbaces-
SARDANAPALE
Quoi! déjà couronné? mais poursuis.
HÉRAUT
Belèses, le grand prêtre sacré-
SARDANAPALE
De quel dieu ou démon? car avec de nouveaux rois, de nouveaux autels s'élèvent. Mais poursuis: ton devoir est d'exprimer la volonté de ton maître, et de ne pas répondre à la mienne.
HÉRAUT
De plus, le satrape Ofratanes-
SARDANAPALE
Eh quoi! n'est-il pas des nôtres?
HÉRAUT, montrant un anneau
Soyez sûr qu'il est dans le camp des vainqueurs, voici son cachet.
SARDANAPALE
Je le reconnais. Admirable procédé! Pauvre Salemènes! tu es mort assez tôt pour ne pas voir une trahison de plus. Voilà donc l'homme que tu regardais comme ton meilleur ami et mon sujet le plus fidèle! – Poursuis.
HÉRAUT
Ils t'offrent la vie, et le choix d'une résidence dans quelque province éloignée; là, surveillé, sans être captif, tu pourras couler en paix tes jours; mais sous une condition: c'est que les trois jeunes princes seront livrés en otages.
SARDANAPALE
Les généreux vainqueurs!
HÉRAUT
J'attends la réponse.
SARDANAPALE
Une réponse? esclave! Depuis quand les esclaves décident-ils du sort des rois?
HÉRAUT
Depuis qu'ils sont libres.
SARDANAPALE
Porte-voix de révolte, tu connaîtras du moins la peine méritée par les traîtres dont tu n'es que l'organe. Pania, qu'on lui tranche la tête; qu'on la jette dans le camp des rebelles, et que son cadavre soit précipité dans les flots. Sortez avec lui!
(Pania et les gardes le saisissent.)
PANIA
Jamais je n'aurai obéi à des ordres plus agréables. Entraînons-le, soldats! Ne souillons pas de son perfide sang cette salle royale! qu'il expire dehors.
HÉRAUT
Un seul mot, ô roi! Mon office est sacré.
SARDANAPALE
Et le mien, quel est-il donc, pour que tu oses venir me demander d'y renoncer?
HÉRAUT
Je n'ai fait qu'exécuter d'autres ordres: en cas de refus, je courais les dangers qui sont devenus l'effet de mon obéissance.
SARDANAPALE
Ainsi donc ces monarques d'une heure sont déjà plus despotiques que les rois bercés dans la pourpre, et, dès leur naissance, appelés à commander au monde!
HÉRAUT
Ma vie est entre vos mains; mais peut-être, excusez ma hardiesse, la vôtre est également exposée au danger le plus imminent. Voudrez-vous consacrer la dernière heure d'une race telle que celle de Nemrod à l'assassinat d'un héraut, paisible, inoffensif, et dont tout le crime est d'avoir accompli son message? violerez-vous ainsi tout ce qu'il y a jamais eu de plus saint aux yeux de la divinité?
SARDANAPALE
Il a raison, – qu'il soit libre! – le dernier acte de ma vie ne sera pas à la colère. Approche, ami. (Prenant sur la table une coupe.) Prends cette coupe d'or; remplis-la souvent de vin, et souviens-toi de moi; ou bien réduis-la en lingots, et ne songe qu'à la valeur qu'elle représente.
HÉRAUT
Je vous remercie doublement pour ma vie et pour ce don précieux, dont votre grâce augmente encore le prix. Mais ne rendrai-je pas de réponse?
SARDANAPALE
Ah! – je demande une heure pour y songer.
HÉRAUT
Une heure seulement?
SARDANAPALE
Une heure. Si, quand elle sera expirée, vos maîtres ne reçoivent aucune nouvelle, ils auront à croire que je rejette leur proposition, et que j'agis en conséquence.
HÉRAUT
Je serai l'organe fidèle de vos intentions.
SARDANAPALE
Écoute! encore un mot.
HÉRAUT
Quel qu'il soit, je ne l'oublierai pas.
SARDANAPALE
Recommande-moi à Belèses; dis-lui qu'avant la fin de l'année, je le somme de me rejoindre.
HÉRAUT
Où?
SARDANAPALE
À Babylone. Du moins partira-t-il de là pour venir à ma rencontre.
HÉRAUT
Je vous obéirai exactement.
(Le héraut sort.)
SARDANAPALE
PANIA! – allons, cher Pania! – dispose ce que j'ai demandé.
PANIA
Seigneur, – les soldats sont déjà chargés. Voyez, ils entrent.
(Entrent des soldats; ils forment un monceau autour du trône.)
SARDANAPALE
Plus haut! braves soldats, plus épais, surtout; il faut que les fondemens de ce nouvel édifice n'épuisent pas trop promptement la flamme, et qu'aucune aide officieuse ne puisse parvenir à l'étouffer. Que le trône soit le centre: je veux le livrer aux nouveaux arrivans cicatrisé par la flamme dévorante. Disposez le tout comme s'il s'agissait d'embraser la forte tour de nos mortels ennemis. Cela commence à prendre une forme; qu'en dites-vous, Pania? cet échafaudage suffit-il pour les obsèques d'un roi?
PANIA
Oui, et pour celles d'un royaume. Je vous comprends enfin.
SARDANAPALE
Et me blâmez-vous?
PANIA
Non: – je demande même à enflammer le bûcher, avant de le partager avec vous.
MIRRHA
Ce soin me regarde.
PANIA
Quoi! une femme!
MIRRHA
Le devoir d'un soldat est bien de mourir pour son prince, pourquoi celui d'une femme ne serait-il pas d'expirer avec son amant?
PANIA
Ma surprise est extrême.
MIRRHA
Cela pourtant, brave Pania, est moins rare que tu ne le penses. Toi, cependant, vis. – Adieu! le bûcher nous attend.
PANIA
J'aurais trop de honte de laisser à une faible femme l'honneur de mourir avec mon souverain.
SARDANAPALE
Déjà trop de héros m'ont précédé dans la tombe. Éloigne-toi, accepte les richesses qui te sont offertes.
PANIA
Offertes avec l'infamie.
SARDANAPALE
En un mot, songe à ton serment: – il est irrévocable et sacré.
PANIA
Adieu donc, puisqu'il le faut.
SARDANAPALE
Cherchez partout, et surtout n'éprouvez aucun remords d'emporter mes richesses; songez-y: ce que vous laisserez deviendra la proie des esclaves qui m'auront immolé. Puis, quand vous aurez transporté ces trésors dans vos barques, qu'un long éclat de trompette signale votre départ du palais; l'autre bord du fleuve est trop éloigné, les flots trop bruyans aujourd'hui pour permettre aux échos d'en transmettre le son à nos ennemis. Vous fuirez-du côté opposé, – sans pourtant cesser de côtoyer l'Euphrate: et si vous parvenez en Paphlagonie, à la cour de Cotta, où la reine s'est retirée avec mes trois enfans, dites-lui ce que vous vîtes à votre départ, et priez-la de se rappeler ce que je lui ai dit lors d'un départ plus douloureux encore.
PANIA
Ah! du moins, laissez-moi presser une dernière fois de mes lèvres cette main royale! Et ces pauvres soldats qui se pressent autour de vous, hélas! ils espéraient mourir avec vous!
(Pania et les soldats s'approchent de plus près, baisent la main du roi et les pans de sa robe.)
SARDANAPALE
Mes derniers, mes meilleurs amis! ne souffrons pas que rien en ce moment nous avilisse: les adieux doivent être brefs, quand c'est pour toujours qu'on se sépare, bien qu'ils fassent de ce douloureux moment une sorte d'éternité, et qu'ils pénètrent de larmes les derniers grains de sable de notre vie. Séparons-nous donc, et puissiez-vous être heureux. Croyez-moi, il ne faut pas me plaindre en ce moment, mais bien plutôt pour les momens passés; – quant à l'avenir, il appartient aux dieux, s'il en est: et je ne tarderai pas à le savoir. Adieu! – adieu! -
(Pania et les soldats sortent.)
MIRRHA
Ames généreuses! du moins est-ce une consolation d'avoir pu arrêter vos derniers regards sur des figures aimantes.
SARDANAPALE
Et dignes d'être aimées, ma belle Mirrha. – Mais écoute: si dans ce dernier instant, car nous touchons à la fin, tu te sentais intérieurement effrayée de ce voyage fait dans l'avenir à travers les flammes, ne crains pas de l'avouer, je ne t'en aimerai pas moins; que dis-je, davantage peut-être, pour avoir cédé au cri de la nature: prononce, il en est tems encore.
MIRRHA
Allumerai-je l'une de ces torches réunies sous la lampe qui, jour et nuit, brûle dans la salle voisine, devant l'autel de Baal?
SARDANAPALE
Tu le peux. Est-ce là ta réponse?
MIRRHA
Tu vas le savoir.
(Mirrha sort.)
SARDANAPALE, seul
Son courage n'est pas ébranlé. Ô mes pères! vous auxquels je vais me réunir, purifié peut-être, par la mort, des passions grossières, apanage des êtres matériels, je n'ai pas voulu laisser votre ancienne demeure au pouvoir avilissant de ces rebelles. Si je n'ai pas su conserver votre héritage, je n'en aurai pas du moins abandonné cette portion brillante: vos trésors, votre palais, vos armes, vos monumens, les souvenirs de votre gloire, vos dépouilles sacrées, dont ils espéraient se revêtir: je les emporte avec moi dans cet élément, image personnifiée de l'ame, dont il détruit l'enveloppe matérielle. – Et, je l'espère, la lueur de ce royal incendie ne sera pas une simple pyramide de flammes et de fumée, un phénomène d'un jour dans l'horizon, puis enfin un monceau de cendres: il deviendra un fanal dans les âges, pour l'instruction des nations rebelles et des princes voluptueux. Le tems plongera dans l'oubli les glorieux souvenirs de vingt peuples, les exploits d'un millier de héros: comme le premier des empires, il fera de nouveau rentrer dans le néant empire sur empire; mais à jamais il épargnera la mémoire de mon dernier jour; et, s'il le présente comme un problème dont on imitera rarement, mais dont on ne méprisera jamais l'exemple, peut-être, du moins, détournera-t-il plus d'un prince de suivre un plan de vie qui conduisît à une pareille catastrophe.
(Mirrha revient tenant d'une main une torche enflammée, et de l'autre une coupe.)
MIRRHA
Regarde, c'est le flambeau qui va diriger notre course vers les astres.
SARDANAPALE
Mais pourquoi cette coupe?
MIRRHA
Dans ma patrie, c'est l'usage de faire, en pareil cas, une libation aux dieux.
SARDANAPALE
Le mien était de faire des libations entre les hommes. Je ne l'ai pas oublié; et bien que j'aie perdu mes convives, je veux encore vider une coupe en mémoire de tant de joyeux banquets pour jamais passés. (Il prend la coupe, boit, et la renverse; et comme une goutte tombe: – ) Et cette dernière libation est pour l'excellent Belèses.
MIRRHA
Pourquoi songez-vous plutôt à ce nom qu'à celui de son émule en trahison?
SARDANAPALE
Ce dernier n'est qu'un soldat, un instrument, une sorte de lame d'épée entre des mains étrangères; l'autre est un habile conducteur de sa marionnette guerrière: mais écartons leur souvenir. – Réfléchis encore, Mirrha; est-il bien vrai que tu veuilles me suivre, sans craintes et sans efforts?
MIRRHA
Mais toi, supposerais-tu qu'une fille grecque tremblât de faire par amour ce que les veuves indiennes font par habitude?
SARDANAPALE
Ainsi, n'attendons plus que le signal.
MIRRHA
Il est bien long à retentir.
SARDANAPALE
Adieu! maintenant un dernier baiser.
MIRRHA
Oui, embrassons-nous, mais non pour la dernière fois.
SARDANAPALE
En effet, la flamme se chargera de réunir encore nos cendres.
MIRRHA
Et lorsqu'elles seront, comme l'amour que j'ai toujours ressenti, purifiées de la souillure et des passions terrestres! Une seule réflexion m'attriste encore.
SARDANAPALE
Laquelle?
MIRRHA
C'est que nulle main amie ne doit réunir dans une seule urne notre poussière.
SARDANAPALE
Tant mieux! qu'elle soit plutôt dispersée dans l'air et balancée sur les ailes du vent, que souillée de nouveau par des mains de traîtres et d'esclaves. Nous laissons dans ce palais embrasé, dans les ruines de ces énormes murailles, un plus durable monument que n'en dressa l'Égypte, dans des montagnes de briques, en l'honneur de ses rois ou de ses bœufs; car on ignore encore la véritable destination de pareils monumens, et si les orgueilleuses pyramides devaient contenir leurs princes ou leur dieu Apis.
MIRRHA
Adieu donc, ô terre! adieu! charmante Ionie? Puisses-tu demeurer libre et belle, et long-tems protégée contre le malheur! Ma dernière prière fut pour toi, tu auras mes dernières pensées, à l'exception d'une seule.
SARDANAPALE
Et laquelle?
MIRRHA
Celle de notre amour. (On entend la trompette de Pania.) Allons!
SARDANAPALE
Adieu, Assyrie! ma patrie, celle de mes pères: je t'aimai beaucoup, et plutôt comme mon pays que comme mon royaume. Je t'avais prodigué les jours de paix et de bonheur; en voici la récompense! Maintenant, je ne te dois plus rien, pas même un tombeau. (Il monte sur le bûcher.) Allons, Mirrha!
MIRRHA
Es-tu prêt?
SARDANAPALE
Comme la torche dans tes mains.
MIRRHA, mettant le feu au bûcher
Il est allumé! je te rejoins.
(Au moment où Mirrha s'élance au devant des flammes, la toile tombe.)
FIN DE SARDANAPALE
NOTES DE LORD BYRON
NOTE I
Et toi, Mirrha, ma chère Ionienne, etc.
«Le nom d'Ionien avait encore une acception plus étendue: il comprenait les Achéens et les Béotiens, qui, avec les peuples limitrophes, composaient toute la nation grecque. En Orient, c'était sous ce nom qu'on désignait toujours les Hellènes.»
(Grèce de Milford, tome Ier, page 199.)
NOTE 2
Sardanapale, roi, fils d'Anacyndaraxe,
A bâti dans un jour Anchialus et Tarse:
Bois, mange, fais l'amour: tout le reste n'est rien.
«Il ne se contenta pas d'employer à cette expédition une faible escouade de sa phalange, mais toutes ses troupes légères. Le premier jour, il gagna Anchialus, ville fondée, dit-on, par le roi d'Assyrie Sardanapale. Les fortifications, du tems d'Arrien, avaient encore leur première étendue et portaient ce caractère de grandeur que les Assyriens semblent avoir particulièrement affecté aux ouvrages de ce genre. On y trouva un monument représentant Sardanapale: on le reconnut à une inscription tracée en caractères assyriens, et sans doute dans la langue primitive de ce peuple. C'est elle que, bien ou mal, les Grecs traduisirent ainsi: -Sardanapale, fils d'Anacyndaraxe, a bâti en un jour Tarse et Anchialus; mange, bois, joue: toutes les autres joies humaines ne valent pas une chiquenaude. En supposant cette version parfaitement exacte (ce que conteste Arrien), on peut hésiter à décider avec quelque raison si le but de cette inscription n'était pas de disposer aux habitudes de la paix un peuple naturellement turbulent, au lieu de lui recommander un libertinage immodéré. Au reste, il n'est pas facile de dire quel pouvait être l'objet d'un roi d'Assyrie en fondant deux villes dans une contrée si éloignée de sa capitale, et qui en était d'ailleurs séparée par une immensité de déserts sablonneux et de montagnes inaccessibles. On ignore également comment les habitans pouvaient jamais se trouver dans des circonstances qui leur permissent de s'abandonner à cette intempérance que leur prince passe pour leur avoir recommandée; mais il peut être utile d'observer que, le long des côtes méridionales de l'Asie-Mineure, les ruines de plusieurs villes évidemment postérieures au siècle d'Alexandre, mais à peine nommées dans l'histoire, étonnent aujourd'hui les voyageurs par leur magnificence et leur somptuosité. Au milieu des scènes de désolation qu'un gouvernement singulièrement barbare n'avait cessé de répandre durant tant de siècles, sur les plus belles contrées du globe, il fallait trouver dans les ressources du sol et du climat, ou dans les bienfaits du commerce, des remèdes extraordinaires. Ainsi, les projets de Sardanapale pouvaient être l'effet de vues plus sages qu'on ne le suppose communément; mais ce prince ayant été le dernier d'une dynastie exterminée par suite d'une révolution, le mépris de sa mémoire a bien pu être l'effet de la politique de ses successeurs et de leurs partisans.
«La contradiction des témoignages qui se rapportent à Sardanapale est surtout frappante dans le récit de Diodore.»