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Kitabı oku: «Œuvres complètes de lord Byron, Tome 7», sayfa 7

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WERNER, OU L'HÉRITAGE.
TRAGÉDIE

À L'ILLUSTRE GOETHE.

CETTE TRAGÉDIE EST DÉDIÉE PAR L'UN DE SES PLUS HUMBLES ADMIRATEURS.


PRÉFACE

Le drame suivant est entièrement tiré de Kruitzner, conte de German, publié, il y a déjà long-tems, dans les Canterbury tales de Lee. C'est à deux sœurs, je crois, qu'on est redevable de ces derniers contes, et celle des deux qui composa Kruitzner n'a fourni à la collection qu'une seconde histoire, jugée, comme la première, supérieure à toutes les autres du même recueil. J'ai adopté plusieurs caractères, une grande partie de l'intrigue, et quelquefois jusqu'au style de cet ouvrage. J'ai modifié ou altéré quelques autres rôles; j'ai changé quelques noms, et j'ai ajouté de moi-même un personnage (Ida de Stralenheim). Quant au reste, je me suis conformé à l'original.

J'étais bien jeune; j'avais, je crois, alors quatorze ans, quand je lus, pour la première fois, cette histoire. Elle fit sur moi une impression profonde; et je puis dire qu'elle fut le germe de plusieurs des ouvrages que j'écrivis par la suite. Je ne la crois pas très-populaire, ou du moins sa popularité s'est éclipsée devant d'autres grandes compositions du même genre. Mais j'ai remarqué, en général, que ceux qui l'avaient lue avaient comme moi la plus haute estime pour la force d'esprit et de création que l'auteur y avait développée. Je dois dire création plutôt qu'exécution; car le récit pouvait comporter de plus grands et de plus heureux développemens. Parmi ceux dont l'opinion sur Kruitzner se rapportait à la mienne, je pourrais citer les noms les plus imposans; mais cela n'est pas nécessaire, ni même utile: car il faut laisser tout le monde juger d'après ses propres sentimens. Je renvoie donc simplement le lecteur à l'ouvrage original, pour qu'il puisse mieux juger tout ce que je lui redois; et je ne serais pas fâché qu'il trouvât plus de plaisir à le parcourir que le drame auquel il a donné naissance.

J'avais commencé une pièce sur le même sujet dès 1815 (c'est le premier de mes essais dramatiques, si j'en excepte un autre commencé à l'âge de treize ans, sous le nom d'Ulric et Ilvina, que j'eus le bon sens de jeter au feu); j'en avais fait environ un acte, quand je fus interrompu par les circonstances. Il s'en trouve quelque chose parmi mes papiers, en Angleterre; mais comme on ne le retrouvait pas, j'ai refait ce premier acte, et continué la pièce.

Il est bien entendu qu'en le publiant je ne l'ai pas cru susceptible, le moins du monde, d'être mis au théâtre.

PERSONNAGES

HOMMES

WERNER.

ULRIC.

STRALENHEIM.

IDENSTEIN.

GABOR.

FRITZ.

HENRICK.

ERIC.

ARNHEIM.

MEISTER.

RODOLPH.

LUDWIG.

FEMMES

JOSÉPHINE.

IDA STRALENHEIM.

La scène est en partie sur la frontière de Silésie, et en partie dans le château de Siegendorf, près de Prague. L'action a lieu sur la fin de la guerre de Trente Ans

ACTE PREMIER

SCÈNE PREMIÈRE
(Salle d'un palais en ruines, auprès d'une petite tour, sur la frontière septentrionale de Silésie. – La nuit est orageuse.)
WERNER et JOSÉPHINE, sa femme
JOSÉPHINE

Calme-toi, mon ami!

WERNER

Je suis calme.

JOSÉPHINE

Pour moi, oui, mais non pour toi-même: tes pas sont précipités, et personne n'a jamais marché dans une chambre comme tu le fais en ce moment, quand son cœur était tranquille. Si nous étions dans un jardin, je me rassurerais, je croirais te voir courir de fleur en fleur comme l'abeille; mais ici!

WERNER

Il fait froid; le vent frémit et agite la tapisserie: j'ai le sang glacé.

JOSÉPHINE

Hélas! non.

WERNER, souriant

Comment! voudrais-tu donc qu'il le fût!

JOSÉPHINE

Je voudrais que son mouvement fût paisible.

WERNER

Laisse-le se précipiter, jusqu'à ce qu'on le répande ou qu'on l'arrête: – que ce soit tôt ou tard, peu m'importe.

JOSÉPHINE

Et moi, ne suis-je donc rien à tes yeux?

WERNER

Tout! – tout!

JOSÉPHINE

Et cependant, tu souhaites ce qui doit briser mon cœur?

WERNER, s'approchant d'elle lentement

Mais n'est-ce pas pour toi que j'ai été, – peu importe, – fort heureux et fort malheureux: ce que je suis, tu le connais; ce que je pouvais, ce que je devrais être, tu ne le sais pas. – Quoi qu'il en soit, je t'aime, rien n'aura la force de nous séparer. (Il marche à grands pas, puis se rapprochant de Joséphine:) C'est peut-être l'orage de cette nuit qui m'agite; je suis un être ouvert à toutes les impressions. Dernièrement, j'étais malade, hélas! je le suis encore! tu le sais, car tu as plus souffert que moi, mon amie, en me veillant.

JOSÉPHINE

C'est beaucoup de te voir mieux portant; mais te voir heureux-

WERNER

Heureux! qui donc as-tu vu l'être? Laisse-moi, comme les autres, être misérable.

JOSÉPHINE

Mais songe combien d'hommes, en ce moment d'orage, tremblent exposés à la rage des vents et de la pluie furieuse, qui n'ont pas sur la terre un abri où ils puissent mettre leurs têtes à couvert.

WERNER

Et cela n'est pas le pis: qu'importe un logis? le calme est tout. Les misérables que tu nommes, – oui, le vent mugit autour d'eux; la pluie, triste et pressée, glace sans doute la moëlle de leurs os. J'ai été soldat, chasseur et voyageur; à présent je suis mendiant: je n'ignore donc pas les maux dont tu parles.

JOSÉPHINE

Et n'es-tu pas aujourd'hui défendu de leur atteinte?

WERNER

Oui. Et de leur seule atteinte.

JOSÉPHINE

Cela est bien quelque chose.

WERNER

En effet, – pour un paysan.

JOSÉPHINE

Eh quoi! le gentilhomme ne peut-il rendre grâce au refuge dont ses premières habitudes de délicatesse lui font un besoin plus vif que pour le paysan, quand un reflux de fortune les pousse tous les deux au milieu des écueils de la vie?

WERNER

Ce n'est pas cela, tu le sais; nous avons supporté tout, je ne dirai pas avec patience (du moins pour ce qui me regarde) – mais enfin, nous l'avons supporté.

JOSÉPHINE

Eh bien!

WERNER

Quelque chose de plus fort que nos tourmens sensibles (et cependant, ils étaient assez grands pour nous ronger le cœur), une chose m'a souvent affecté, et maintenant plus que jamais. Tu t'en souviens, quand une longue maladie vint me saisir sur cette frontière désolée, quand elle me ravit, non-seulement mes forces, mais encore mes moyens de vivre; quand elle nous enleva-Non, écartons ces idées. – Mais enfin, avec cet objet, je serais heureux; tu serais également heureuse; je soutiendrais la splendeur de mon rang, – mon nom, le nom de mon père, et plus que tout cela-

JOSÉPHINE, l'interrompant

Mon fils, – notre fils, – notre Ulric serait encore dans mes bras, il satisferait l'avidité d'une mère. Depuis douze ans, grands dieux!.. alors, il n'en avait que huit: il était beau, il doit l'être encore plus aujourd'hui. Mon Ulric! mon enfant adoré!

WERNER

J'ai été bien souvent le jouet de la fortune; mais aujourd'hui elle m'a réduit au point de ne plus rien attendre d'elle: – malade, pauvre, abandonné.

JOSÉPHINE

Abandonné! mon cher Werner?

WERNER

Ou, ce qui est pis, – enveloppant tout ce que j'aime dans cette situation plus horrible que l'isolement. Seul, je serais mort, j'aurais une tombe ignorée, et tout serait fini.

JOSÉPHINE

Et je ne t'aurais pas survécu; mais, je t'en conjure, reprends courage. Nous luttons depuis long-tems; et ceux qui savent résister à la fortune finissent par la convertir, ou du moins la lasser; ils trouvent le vent favorable, ou cessent de souffrir les tempêtes. Du courage, mon ami: – notre enfant nous sera rendu.

WERNER

Nous le touchions: nous retrouvions tout ce qui pouvait nous faire oublier les chagrins passés; – et puis tout perdre encore une fois!

JOSÉPHINE

Nous n'avons rien perdu.

WERNER

Ne sommes-nous pas dans la dernière misère?

JOSÉPHINE

Nous ne fûmes jamais riches.

WERNER

Et j'étais né pour la richesse, les honneurs et la puissance; je les ai connus, j'ai appris à les aimer, hélas! et à en abuser; le ressentiment de mon père me les a fait perdre dans ma bouillante jeunesse, et de longues souffrances ont assez puni mes premiers excès. La mort de mon père m'ouvrit de nouveau la carrière, mais je la trouvai pleine d'embûches. Ce parent insinuant et sévère, qui si long-tems avait fixé sur moi un regard inquiet, comme le serpent sur le tremblant oiseau, ce parent était devenu le maître de mes droits, le possesseur d'un domaine qui lui donnait le rang de prince.

JOSÉPHINE

Qui sait? notre fils a pu revenir près de son aïeul, et plaider avec succès ta cause.

WERNER

Vaine espérance. Depuis le jour qu'en disparaissant, tout-à-coup d'auprès de lui il a semblé vouloir partager mes premières fautes, rien ne nous a révélé son sort. Je l'avais laissé près de son aïeul, en faisant promettre à ce dernier que son ressentiment s'arrêterait à la troisième génération: mais le ciel semble avoir réclamé sa redoutable prérogative; il a voulu punir dans mon enfant les torts et les folies de son père.

JOSÉPHINE

Il faut avoir meilleur espoir: – du moins avons-nous, jusqu'à présent, trompé la longue persécution de Stralenheim.

WERNER

Nous ne le craindrions plus sans cette faiblesse fatale, plus fatale qu'une maladie mortelle, puisqu'au lieu de la vie elle détruit la seule consolation de la vie. En ce moment même, je me sens rongé par les inquiétudes que me donne cet avide antagoniste; – et que sais-je s'il ne nous a pas traqués jusqu'ici?

JOSÉPHINE

Il ne t'a jamais vu; et les espions qui si long-tems te surveillèrent t'ont laissé à Hambourg. Notre voyage imprévu et ce changement de nom nous mettent à l'abri de toute surprise: personne ici ne soupçonne que nous puissions être différens de ce que nous paraissons.

WERNER

De ce que nous paraissons! de ce que nous sommes: – malades, mendians, sans espérance. – Ah! ah! ah!

JOSÉPHINE

Hélas! que ce rire est amer!

WERNER

Qui reconnaîtrait, sous cette forme, la grande âme du fils d'une noble race? qui, sous ces guenilles, l'héritier d'une principauté? qui, dans ces yeux malades et abattus, l'orgueil du rang et de la naissance? dans ces joues creuses et sur ce front traversé par les stigmates de la famine, le seigneur des châteaux où chaque jour sont fêtés des milliers de feudataires?

JOSÉPHINE

Vous n'avez pas songé à toutes ces peines terrestres, Werner, quand vous daignâtes choisir pour épouse la fille étrangère d'un pauvre exilé.

WERNER

Une fille de proscrit et un fils déshérité, le mariage était assorti; mais alors j'avais l'espérance de te rendre un jour à l'état pour lequel nous étions nés tous les deux. La famille de ton père était noble bien que déchue, et, par son origine, elle était digne de s'allier à la nôtre.

JOSÉPHINE

Votre père ne pensait pas ainsi, bien qu'il fût noble; mais si ma naissance seule m'eût permis d'aspirer à votre main, j'aurais dû ne l'estimer encore que ce qu'elle valait.

WERNER

Et, à tes yeux, que valait-elle?

JOSÉPHINE

Tout ce qu'elle a fait pour nous: – rien.

WERNER

Comment, rien!

JOSÉPHINE

Pis encore: dès le commencement, elle devint le cancer dévorant de ton cœur. Sans elle, nous aurions accueilli la pauvreté comme des millions d'hommes la supportent, avec une joyeuse insouciance; sans elle, sans ces fantômes de féodale grandeur, tu aurais gagné chaque jour ton pain, comme la multitude le gagne: ou si l'état d'artisan t'eût paru trop peu relevé, le commerce, que sais-je? toutes les autres ressources sociales eussent corrigé les torts de la fortune à ton égard.

WERNER, avec ironie

Et j'eusse été quelque bourgeois anséatique? excellent!

JOSÉPHINE

Quoi que tu puisses avoir été, tu es pour moi ce que nulle destinée, humble ou élevée, ne saurait changer: le premier choix de mon cœur. Noblesse, espérances, orgueil, je n'avais alors rien vu dans toi, rien que tes douleurs. Elles durent encore laisse-moi les adoucir ou les partager; et quand elles auront fini, je pourrai finir moi-même avec elles ou avec toi!

WERNER

Mon bon ange! et c'est ainsi que je t'ai toujours trouvée: aussi jamais la violence, ou plutôt la faiblesse de mon caractère, ne m'inspira contre toi et les tiens une pensée injurieuse. Non, tu n'as pas à te reprocher mon sort: les dispositions de ma jeunesse m'auraient fait perdre l'empire du monde, s'il eût été mon patrimoine. Mais aujourd'hui, puni, humilié, anéanti, j'ai appris à me connaître moi-même; – et voir tout enlevé à notre enfant, à toi! Va, crois-moi: quand, à vingt-deux ans, mon père me chassa de la maison de mes pères, moi, le dernier rejeton d'un millier de héros, je ne maudis pas mon sort, mais celui de mon fils, de la mère de mon fils, arrachés, sans l'avoir mérité, aux avantages que mes fautes avaient laissé échapper. Et pourtant alors mes passions étaient autant de serpens rongeurs qui se repliaient autour de moi comme ceux de la Gorgone.

(On entend heurter à la porte.)
JOSÉPHINE

Écoutez!

WERNER

On frappe!

JOSÉPHINE

Qui peut venir à cette heure de repos? nous avons rarement des visiteurs.

WERNER

Et ceux qui visitent les pauvres ne viennent que pour les appauvrir encore. Bien! je suis préparé.

(Werner porte la main dans son sein, comme pour y chercher une arme.)
JOSÉPHINE

Oh! ne prends pas cet air farouche; je vais à la porte: il ne peut y avoir personne dans cette solitude froide et désolée: – les déserts seuls peuvent défendre l'homme de ses semblables. (Elle va à la porte.)

(Entre Idenstein.)
IDENSTEIN

Bon soir à ma belle hôtesse et à mon digne-quel est votre nom, mon ami?

WERNER

Vous êtes bien hardi de le demander!

IDENSTEIN

Hardi? en effet, je frémis. À l'air dont vous regardez, il semble que je vous demande quelque chose de mieux que votre nom.

WERNER

De mieux, monsieur!

IDENSTEIN

De mieux ou de pire, comme le mariage; que vous dirai-je? Vous avez été, depuis un mois, reçu comme un hôte dans le palais du prince-(à la vérité, son altesse l'avait résigné, depuis douze ans, aux rats et aux revenans; – mais encore, est-ce un palais); – vous avez, dis-je, été notre locataire; et jusqu'à présent nous ignorons votre nom.

WERNER

Mon nom est Werner.

IDENSTEIN

Beau nom; le plus digne que raison de commerce puisse jamais porter. J'ai un cousin dans le lazaret de Hambourg, qui a épousé une femme portant le même nom: c'est un officier de confiance, aide-chirurgien (ayant l'espoir de l'être un jour en titre), et qui, dans les affaires, a fait des miracles. Ne seriez-vous pas parent de mon parent?

WERNER

Des vôtres?

JOSÉPHINE

Oui, oui, nous le sommes, mais de loin. (Bas à Werner.) Ne pourriez-vous flatter l'humeur de ce grossier personnage, jusqu'à ce que nous ayons su ses projets?

IDENSTEIN

Ah! je m'en doutais; déjà je sentais dans mon cœur des mouvemens de tendresse. – Que voulez-vous, mon cousin, le sang n'est pas de l'eau. Donnez-nous donc un peu de vin, et buvons à plus ample connaissance: les parens doivent être des amis.

WERNER

Vous me semblez avoir déjà suffisamment bu; et si vous êtes d'un autre avis, je n'ai pas de vin à vous offrir; autrement, il serait à vous. D'ailleurs, vous le savez, ou devriez le savoir: je suis pauvre et malade, et vous ne sentez pas que j'aurais besoin d'être seul? Mais enfin, qui vous amène ici?

IDENSTEIN

Comment! et qui pourrait m'amener ici?

WERNER

Je l'ignore, quoique je devine sans effort celui qui pourra bien vous en chasser.

JOSÉPHINE, bas

Contiens-toi, cher Werner.

IDENSTEIN

Vous ne savez donc pas ce qui est arrivé?

JOSÉPHINE

Comment le saurions-nous?

IDENSTEIN

La rivière est débordée.

JOSÉPHINE

Hélas! nous ne le savons que trop: depuis cinq jours c'est là ce qui nous retient ici.

IDENSTEIN

Mais ce que vous ne savez pas, c'est qu'un grand personnage qui voulait passer le fleuve, en dépit du courant et de ses trois postillons, s'est noyé devant le gué, avec cinq chevaux de poste, un singe, un mâtin et un valet.

JOSÉPHINE

Pauvres gens! en êtes-vous bien sûr?

IDENSTEIN

Oui, pour ce qui est du singe, du valet et de l'attelage; mais nous ne savons pas encore si son excellence est ou non morte. Ces nobles sont difficiles à noyer, comme il convient à des hommes en place; mais ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il a avalé assez de l'Oder pour crever deux paysans. En ce moment, deux voyageurs, l'un Saxon, l'autre Hongrois, qui, à leurs propres risques, l'ont tiré de la rivière, ont envoyé demander un logement ou une tombe, suivant qu'ils se trouveront avoir pêché un vivant ou un mort.

JOSÉPHINE

Et où prétendez-vous les recevoir? ici, je suppose, si nous pouvons nous y prêter: – dites le mot.

IDENSTEIN

Ici? non; mais dans l'appartement du prince lui-même, comme il convient à un hôte illustre. Il est humide, sans doute, n'ayant pas été habité depuis douze ans; mais comme le seigneur vient d'un endroit plus humide, il est probable qu'il n'y prendra pas de froid, supposé qu'il puisse encore le sentir: – et dans le cas contraire, il sera encore logé moins commodément ce soir. J'ai fait disposer du feu et tout ce qu'il fallait, pour le pis-aller, – c'est-à-dire, dans le cas où il vivrait encore.

JOSÉPHINE

Le pauvre homme! je le souhaite de tout mon cœur.

WERNER

Intendant, ne l'avez-vous pas entendu nommer? (Bas à sa femme.) Retirez-vous, ma Joséphine, je vais sonder le nigaud.

(Joséphine sort.)
IDENSTEIN

Son nom? oh! seigneur! Et qui sait s'il a maintenant un nom ou s'il n'en a pas? On peut encore le lui demander, s'il peut, de son côté, répondre; autrement, on n'a qu'à prendre le nom de son héritier pour son épitaphe. Mais précisément à cette heure, vous me querelliez pour avoir demandé un nom?

WERNER

En effet; oui, je m'en souviens: vous parlez en homme sage.

(Entre Gabor.)
GABOR

Si je suis indiscret, je demande-

IDENSTEIN

Il n'y a pas d'indiscrétion. Voilà le palais; cet homme est un étranger comme vous-même. Faites, je vous prie, comme chez vous. Mais où est son excellence, et comment se porte-t-elle?

GABOR

Humidement et faiblement; mais le péril est passé. Il s'est arrêté pour changer de vêtemens, dans une chaumière, où j'ai moi-même troqué les miens pour ceux-ci: il est presque revenu de son terrible bain, et dans un instant il sera ici.

IDENSTEIN

Holà! par ici! arrivez, Herman, Weltbourg, Péter, Conrad! (Il donne des ordres à plusieurs valets qui entrent.) Un seigneur couchera ici cette nuit; – voyez à ce que tout soit en ordre dans la chambre de damas: – chauffez le poële. – Moi, je me charge de la cave, – et Mme Idenstein (étrangers, c'est mon épouse) fournira ce qui est nécessaire pour garnir le lit; car, à dire vrai, il y a, dans les coffres du palais, une merveilleuse disette sous ce rapport, depuis que son altesse l'a quitté, il y a une douzaine d'années. Mais son excellence soupera sans doute?

GABOR

Ma foi, je ne puis le dire; je crois que l'oreiller lui plaira mieux que la table, après le plongeon qu'il a fait dans votre rivière. Mais dans la crainte que vous ne soyez obligé de jeter vos viandes, je prétends souper moi-même; et j'ai là, dehors, un ami qui fera honneur à votre bonne chère, avec un appétit de voyageur.

IDENSTEIN

Êtes-vous bien sûr que son excellence-mais son nom, quel est-il?

GABOR

Je l'ignore.

IDENSTEIN

Et pourtant vous lui avez sauvé la vie.

GABOR

J'ai aidé mon ami à le faire.

IDENSTEIN

Cela est bien singulier! sauver la vie d'un homme qu'on ne connaît pas.

GABOR

Nullement; il y en a que je connais fort bien, et pour lesquels je ne prendrais pas la même peine.

IDENSTEIN

Bon ami, je vous prie, de quel pays êtes-vous?

GABOR

Je suis Hongrois par ma famille.

IDENSTEIN

Que l'on appelle?

GABOR

Peu importe.

IDENSTEIN, à part

Tout le monde, je crois, est devenu anonyme, puisque personne ne veut me dire comment il s'appelle! (Haut.) Mais, je vous prie, son excellence a-t-elle une grande suite?

GABOR

Convenable.

IDENSTEIN

Combien de gens?

GABOR

Je ne les ai pas comptés. Nous nous trouvions ici par accident, et précisément à tems pour le tirer de sa voiture par la portière.

IDENSTEIN

Vous êtes bien heureux: combien je donnerais pour sauver la vie à un grand personnage! Vous aurez certainement pour récompense une très-grosse somme.

GABOR

Peut-être.

IDENSTEIN

Allons! à quoi l'estimez-vous?

GABOR

Je ne me suis pas encore mis en vente. Pour le moment, ma plus douce récompense serait un verre de votre Hochheimer, un verre frais, entouré de grappes vermeilles et de joyeuses devises, rempli des plus vieux trésors de votre cellier. En récompense, si jamais vous courez le risque d'être noyé (bien que, de toutes les morts, celle-ci semble la moins faite pour vous), je vous promets de vous tirer de l'eau pour rien. Allons, mon ami, songez-y bien, chaque gorgée que je vais avaler sauvera d'une vague votre tête.

IDENSTEIN, à part

Je n'aime pas beaucoup cet homme-là: – il est discret et altéré, deux points qui ne me conviennent guère. Il faut pourtant lui donner du vin; s'il ne le fait pas bavarder, la curiosité m'empêchera de dormir toute la nuit.

(Idenstein sort.)
GABOR, à Werner

Ce maître des cérémonies est, je présume, l'intendant du palais? Bel édifice, quoiqu'en ruines.

WERNER

L'appartement destiné à celui que vous venez de sauver conviendra mieux à un hôte malade.

GABOR

En ce cas, je m'étonne que vous ne l'occupiez pas, car votre santé paraît délicate.

WERNER, avec impatience

Monsieur!

GABOR

Veuillez me pardonner: vous aurais-je en quelque chose offensé?

WERNER

Non; mais enfin nous sommes étrangers l'un à l'autre.

GABOR

C'est là précisément l'ennui que je voulais diminuer: il me semble que notre hôte affairé nous a dit que vous étiez ici par hasard et en passager, comme nous sommes, mon compagnon et moi.

WERNER

Effectivement.

GABOR

Alors, comme nous ne nous sommes jamais vus, et que peut-être nous ne nous reverrons jamais, j'avais pensé à égayer ce vieux donjon, en vous priant de partager la chère de mes compagnons et de moi-même.

WERNER

Excusez-moi, je vous prie; ma santé-

GABOR

À votre aise. J'ai été soldat, et peut-être mes manières sont-elles impolies.

WERNER

Moi aussi, j'ai servi; et je puis demander à ce titre quelqu'indulgence.

GABOR

À quel service? celui de l'empereur?

WERNER, avec vivacité et en s'interrompant

J'ai commandé, – non, – je veux dire j'ai servi; mais il y a longues années: c'était quand la Bohême leva, pour la première fois, l'étendard contre l'Autriche.

GABOR

Eh bien, tout cela est fini, la paix a rendu quelques milliers de braves compagnons à un genre de vie plus commode, et, à vrai dire, quelques-uns ont pris le chemin et les moyens les plus courts.

WERNER

Lesquels?

GABOR

Ils prennent tout ce qui leur tombe sous la main. La Silésie et les forêts de la Lusace sont occupées par des bandes de vieilles troupes, qui lèvent sur la contrée la solde de leur service. Les châtelains se renferment dans leurs murailles, – car toute excursion pourrait être fatale à vos riches comtes ou à vos fiers barons. Pour moi, ce qui me rassure, c'est que, dans ma course errante, il me reste peu de chose à perdre.

WERNER

Et à moi-rien.

GABOR

C'est encore plus sûr. Vous fûtes, dites-vous, soldat?

WERNER

Je l'ai été.

GABOR

Vous me semblez l'être encore. Tous les soldats sont ou doivent être camarades, même étant ennemis. Nos épées une fois tirées doivent se croiser, et nos machines se diriger d'un cœur vers l'autre; mais quand un moment de trêve, de paix, ou ce que vous voudrez, repousse le fer dans le fourreau et éteint l'étincelle de nos mousquets, nous ne sommes plus que des frères. Vous êtes pauvre et souffrant, – moi, je ne suis pas riche, mais je me porte bien, et je ne manque de rien dont je ne puisse facilement me passer; vous paraissez dépourvu de cela (faisant sonner une bourse) – eh bien, voulez-vous partager?

WERNER

Qui vous a dit que je fusse un mendiant?

GABOR

Vous, vous-même, en m'apprenant que vous étiez soldat, en tems de paix.

WERNER, le regardant avec inquiétude

Ne me connaissez-vous pas?

GABOR

Je ne connais personne, pas même moi: comment connaîtrais-je un homme que je n'avais jamais vu il y a une demi-heure?

WERNER

Je vous remercie, monsieur. Votre offre est noble, quand vous la feriez à un ami; elle est généreuse, à l'égard d'un étranger inconnu, mais elle est peut-être indiscrète. Recevez-en toutefois mes remerciemens. J'ai tout du mendiant, excepté la profession; mais quand je demanderai, ce sera près de celui qui le premier m'offrit ce que l'on refuse si souvent à ceux qui le sollicitent. Veuillez m'excuser.

(Il sort.)
GABOR, seul

Il a l'air d'un honnête homme, malgré cet accablement que la peine ou le plaisir infligent aux plus braves gens du monde, et qui les arrache à la vie long-tems avant l'époque fixée par la nature. J'en connais peu de plus ombrageux; mais, il semble avoir vu de meilleurs jours, comme tous ceux, à peu près, qui en ont vu plus de deux. Mais voici notre respectable intendant, avec du vin; ma foi, en faveur de la coupe, je ferai grâce à l'échanson.

(Entre Idenstein.)
IDENSTEIN

Le voilà! le superfin! il n'a que vingt années d'âge.

GABOR

Belle époque pour des jeunes femmes et le vin! Quel malheur que de ces deux bonnes choses l'âge perfectionne l'une et flétrisse l'autre. À pleins bords! – c'est pour la santé de notre hôtesse, – votre charmante femme. (Il prend le verre)

IDENSTEIN

Charmante! – Je crains bien que vous ne sachiez pas mieux juger du vin que de la beauté; pourtant, je vous ferai raison.

GABOR

N'est-ce pas cette jolie femme que je rencontrai dans la salle voisine, et qui me rendit le plus gracieux salut, avec un air, un maintien et des yeux mille fois mieux placés dans ce palais aux jours de sa splendeur (bien que par ses vêtemens, elle parût mieux en harmonie avec son délabrement actuel): n'est-ce pas elle qui est votre femme?

IDENSTEIN

Je le voudrais bien! mais vous vous trompez: – c'est la femme de l'étranger.

GABOR

On pourrait la prendre pour celle d'un prince: le tems l'a bien effleurée, mais elle a conservé encore une grande beauté, et surtout une grande dignité.

IDENSTEIN

C'est là, pour la beauté du moins, ce que je ne puis dire de Mme Idenstein: quant à la majesté, elle en a peut-être gardé quelques attributs; – mais n'y pensons pas.

GABOR

Je le veux bien. Quel peut donc être cet étranger? son extérieur aussi paraît au-dessus de sa fortune.

IDENSTEIN

En cela, je suis d'un autre avis. Il est pauvre comme Job, et il n'a pas sa patience; et pour ce qu'il est, ou peut se rapporter à lui, à l'exception de son nom (encore, ne l'ai-je appris que cette nuit), je l'ignore entièrement.

GABOR

Mais comment est-il venu ici?

IDENSTEIN

Dans la plus vieille et la plus misérable calèche; il y a un mois de cela, et aussitôt il tomba malade, et fut sur le point de mourir: il aurait mieux fait.

GABOR

Que de bonté et de candeur! – Mais pourquoi?

IDENSTEIN

Pourquoi? Qu'est-ce donc que la vie sans le vivre? il n'a pas un sou.

GABOR

En ce cas, je suis étonné qu'une personne d'une prudence aussi incontestable puisse admettre dans cette noble demeure des hôtes aussi misérables.

IDENSTEIN

Vous avez raison; mais vous savez, la pitié fait commettre bien des folies. D'ailleurs, ils avaient alors quelques valeurs, qui, jusqu'à présent, ont suffi pour payer leur loyer. J'ai pensé qu'ils pouvaient se trouver aussi bien logés ici qu'à la petite taverne, et je leur ai donné la clef de quelques-unes des plus vieilles salles. Ils en renouvelleront l'air aussi long-tems du moins qu'ils pourront payer leur bois de chauffage.

GABOR

Les pauvres gens!

IDENSTEIN

Oh, oui! excessivement pauvres.

GABOR

Et cependant peu faits à l'indigence, si je ne me trompe. Vers quel point se dirigeaient-ils?

IDENSTEIN

Le ciel le sait; à moins que ce ne fût vers le ciel même. Il y a quelques jours, c'était le voyage que Werner semblait vouloir faire.

GABOR

Werner! j'ai entendu ce nom, mais il est peut-être supposé.

IDENSTEIN

Cela est vraisemblable; mais, écoutons: c'est un bruit de voitures, de voix, et la lueur de torches au dehors. Son excellence arrive, on n'en peut douter; il faut que je sois à mon poste. Ne voulez-vous pas m'accompagner pour l'aider à sortir de voiture, et lui présenter vos humbles devoirs à la portière?

GABOR

Je l'ai tiré de cette voiture quand il aurait donné volontiers une baronnie ou un comté pour défendre son cou de la rivière menaçante: il a maintenant assez de valets. Ils étaient là tous à se battre les flancs sur le rivage, et à crier: Au secours! mais ils n'en offraient aucun. C'est alors que j'ai présenté mes devoirs, comme vous dites; présentez maintenant les vôtres. Allons, sortez! allez vous courber et ramper devant lui.

IDENSTEIN

Ramper! mais je pourrais perdre l'occasion… – La peste l'étouffe! il sera ici avant que je ne sois là-bas.

(Il sort à la hâte. – Werner rentre.)
WERNER, à part

J'ai entendu un bruit de voitures et de plusieurs voix. Comme maintenant tous les sons se confondent dans ma tête! (Apercevant Gabor.) Encore ici! Ne serait-ce pas un espion de mes persécuteurs! Son offre franche et soudaine, et à l'égard d'un étranger, semble trahir un ennemi secret; des amis ne sont pas aussi empressés.

GABOR

Vous paraissez distrait: le tems n'est pourtant pas favorable à la méditation. Ces vieilles murailles vont devenir bruyantes. Le baron, comte, ou tout ce que peut être ce noble demi-noyé, vient d'arriver ici; et les rares habitans de ce triste village montrent pour lui beaucoup plus de respect que n'en témoignèrent les élémens.

IDENSTEIN, en dehors

Par ici, – par ici, votre excellence; – prenez garde, l'escalier est un peu sombre, et tant soit peu fatigué: si nous avions prévu l'arrivée d'un hôte aussi illustre… – Je vous en prie, monseigneur, prenez mon bras.

(Entrent Stralenheim, Idenstein et valets, les uns, de ce dernier; les autres, attachés au domaine dont Idenstein est intendant.)
STRALENHEIM

Arrêtons un instant ici.

IDENSTEIN, aux valets

Vite un fauteuil! Allons, drôles!

(Stralenheim s'asseoit.)
WERNER, à part

C'est lui.

STRALENHEIM

Je suis mieux à présent. Quels sont ces étrangers?

IDENSTEIN

Avec votre permission, mon bon seigneur, l'un d'eux prétend qu'il n'est pas étranger.

WERNER, avec vivacité

Qui dit cela? (Tous le regardent avec étonnement.)

IDENSTEIN

Oh! mon Dieu! personne ne parle de vous, ni à vous; – mais il y a ici quelqu'un (montrant Gabor) que son excellence aimera sans doute à reconnaître.

GABOR

Je ne prétends pas fatiguer sa noble mémoire.

STRALENHEIM

Je soupçonne que c'est l'un des étrangers aux secours desquels je dois la vie. Et celui-ci, (montrant Werner) n'est-ce pas l'autre? Mon état de faiblesse, quand on me secourut, doit me servir d'excuse, si j'ignore encore le nom de ceux à qui je dois tant.

IDENSTEIN

Lui! – non, monseigneur! il a plutôt besoin d'aide qu'il ne pourrait en donner. C'est un pauvre diable, malade, harassé de fatigue, et qui s'est dernièrement levé d'un lit dont il n'espérait plus sortir vivant.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
26 haziran 2017
Hacim:
290 s. 1 illüstrasyon
Tercüman:
Telif hakkı:
Public Domain
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Byron May Clarissa Gillington
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