Kitabı oku: «Correspondance, 1812-1876. Tome 1», sayfa 10

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LXIII
A M. JULES BOUCOIRAN, A NOHANT

Paris, 9 mars 1831.

Mon cher enfant,

Je suis triste. De loin encore, on essaye de me faire du mal. Une lettre de mon frère, aigre jusqu'à l'amertume, contient ce qui suit: Ce que tu as fait de mieux, c'est ton fils; il t'aime plus que personne au monde. Prends garde d'émousser ce sentiment-là.

Il y a là bien de la cruauté. C'est me dire, qu'un jour je ne trouverai même pas la tendresse de mon enfant. Sans doute, s'il porte un coeur égoïste et froid, je dois m'y attendre. Mais il n'en sera pas ainsi, n'est-ce pas?

Vous êtes auprès de lui, vous lui parlez de moi et vous me conservez mon bien le plus précieux: l'amour de mon fils? Bah! j'ai tort d'être triste. C'est vous faire injure. Je suis tranquille.

On me blâme, à ce qu'il paraît, d'écrire dans le Figaro. Je m'en moque. Il faut bien vivre et je suis assez fière de gagner mon pain moi-même. Le Figaro est un moyen comme un autre d'arriver. Le journalisme est un postulat par lequel il faut passer. Je sais que souvent il est dégoûtant; mais on n'est pas obligé de se salir les mains pour écrire, et j'arriverai, j'espère, sans cela. Ce petit journal fait de l'opposition et de la diffamation. Il s'agit de ne pas prendre l'un pour l'autre. C'est peu de chose de gagner sept francs par colonne; mais c'est beaucoup que de se rendre nécessaire dans un bureau de littérature. Cela vous mène à tout, même sans camaraderie, et sans que la personne paraisse le moins du monde. Je n'ai affaire qu'à M. de Latouche. Je vis toujours tranquille et retirée. Je vais au spectacle presque tous les soirs avec les loges qu'il me donne. C'est très agréable.

Vous saurez que j'ai débuté par un scandale, une plaisanterie sur la garde nationale. La police a fait saisir le Figaro d'avant-hier. Déjà je m'apprêtais à passer six mois à la Force; car j'aurais très certainement pris la responsabilité de mon article. M. Vivien a senti ce matin l'absurdité d'une poursuite de ce genre, il a fait signifier aux tribunaux d'en rester là. Tant pis! une condamnation politique eût fait ma réputation et ma fortune.

La littérature est dans le même chaos que la politique. Il y une préoccupation, une incertitude dont tout se ressent. On veut du neuf, et, pour en faire, on fait du hideux. Balzac est au pinacle pour avoir peint l'amour d'un soldat pour une tigresse et celui d'un artiste pour un castrato. Qu'est-ce que tout cela, bon Dieu!

Les monstres sont à la mode. Faisons des monstres! J'en enfante un fort agréable dans ce moment-ci. Je vous conterai, sur tout ce que je vois, de singulières particularités. Si j'avais le temps de les enregistrer, ce serait un curieux journal.

Adieu, mon cher enfant; parlez-moi beaucoup de mon fils et de votre santé. Je vous embrasse de tout mon coeur.

LXIV
A MADAME MAURICE DUPIN, A PARIS

Nohant, 14 avril 1831.

Ma chère maman,

J'ai bien tardé à vous annoncer mon arrivée, parce que j'ai séjourné quelques jours à Bourges, où j'ai été assez malade. Je me porte bien tout à fait, depuis que j'ai revu mes enfants. Ce sont deux amours. Solange est devenue belle comme un ange. Il n'y a pas de rose assez fraîche pour vous donner l'idée de sa fraîcheur. Maurice est toujours mince; mais il se porte bien et on ne peut voir d'enfant plus aimable et plus caressant. Je suis aussi très contente de ses progrès et de sa douceur au travail. Enfin je suis, jusqu'ici, une heureuse mère.

J'ai trouvé Polyte un peu malade; sa femme, toujours la même, bonne et indolente; mon mari, criant fort et mangeant bien; le précepteur avec des moustaches qui lui vont comme de la dentelle à un hérisson; Léontine, ayant fait aussi des progrès et toujours très douce. Voilà!

Et vous, ma chère maman, que faites vous par ce beau temps qui donnait déjà à Paris un air de fête? Promenez-vous Caroline, en attendant que la pauvre enfant, aille retrouver son triste Charleville? Mais elle y retrouvera son Oscar, et, auprès de ses enfants, on ne peut pas s'ennuyer.

Pierret est-il toujours amoureux de son beau fusil qui lui sert de bijou sur sa cheminée, et furieux contre les républicains? Dites-lui qu'à la première révolution, les femmes repousseront les gardes nationaux avec des pots de chambre.

Ici, l'on est fort tranquille en masse et l'on ne se dispute qu'en famille. Ne pouvant faire d'émeutes, on fait des cancans; ce qui m'ennuie tellement, que je vais m'enfermer dans mon cabinet avec mes deux mioches pour ne pas entendre parler de haines, d'élections, d'intrigues, de propos, de vengeances, etc., etc. Pouah!

La peste des petites villes, c'est le commérage. Les hommes s'en mêlent au moins autant que les femmes quand il s'agit d'intérêts politiques. A Paris, on rit de tout; ici, on prend tout au sérieux. Il y a de quoi crever d'ennui; car, après tout, la vie n'est pas faite pour se fâcher d'un bout à l'autre. J'aime mieux laisser les hommes comme ils sont que de me donner la peine de les prêcher.

N'est-ce pas votre avis, chère mère, à vous qui avez l'esprit si jeune et le caractère si gai? Je voudrais que Maurice fût d'âge à entrer au collège; alors je passerais, près de vous et près de lui, une partie de ma vie à Paris. J'aime la liberté dont on y jouit et l'insouciance qui fait le fond du caractère de ses habitants.

Tout le monde ici se joint à moi pour vous embrasser mille fois.

Rendez-le-moi en particulier un peu plus qu'aux autres.

Bonsoir, ma chère petite maman.

LXV
A M. CHARLES DUVERNET. A LA CHATRE

Nohant, avril 1831.

Je viens vous faire mon compliment, cher camarade. Vous jouez très bien la comédie et je n'ai pas eu besoin de l'indulgence de l'amitié pour vous applaudir. J'eusse voulu avoir les pattes du Gaulois pour entraîner l'auditoire naturellement peu entraînable et beaucoup plus sensible aux farces de cache-cache qu'aux choses bien dites et bien senties. Vous êtes très drôle en garçon et en vieille femme; mais vous êtes encore mieux dans vos habits, ce qui est, vous le savez sans doute, le plus difficile en scène. Mais dites donc à Soumain de changer de figure s'il veut ressembler à Odry. Il est beaucoup trop gentil pour faire M. Cagnard, et ne fait pas rire parce qu'il ne peut pas être caricature. Quoiqu'il ait des gestes et des manières de dire très conformes à son modèle, personne à la Châtre ne sent le mérite de cette imitation, parce que personne n'a vu Odry. Le gros Chabenat est excellent. Il a plus de naturel qu'aucun de vous, sauf vous. Dites-leur d'apprendre leurs rôles et de ne pas manquer leurs entrées. Individuellement vous jouez bien; mais vous manquez d'ensemble.

J'ai regret d'avoir manqué votre précédente représentation, j'étais trop malade. J'ai chargé madame Decerf de me prendre vingt billets à votre loterie. J'y aurais coopéré par quelque ouvrage si j'avais eu plus de temps et de santé.

Votre mère m'a dit que toutes ces comédies vous fatiguaient beaucoup.

Prenez garde, ne vous faites pas, comme moi, vieux avant le temps.

Bonsoir, mon camarade; je vous embrasse de tout mon coeur. Avez-vous des nouvelles d'Alphonse? personne ne m'en donne, ni lui non plus.

LXVI
A MADAME MAURICE DUPIN, A PARIS

Nohant, 31 mai 1831.

Ma chère maman,

Vous êtes triste. Vous allez encore vous trouver seule. C'est une chose difficile à arranger avec la liberté, que la société d'autrui. Vous aimez à être entourée, vous détestez la contrainte; c'est tout comme moi. Comment concilier les volontés des autres avec la sienne propre? Je ne sais. Peut-être faudrait-il fermer les yeux sur bien des petites choses, tolérer beaucoup d'imperfections à la nature humaine et se résigner à certaines contrariétés qui sont inévitables dans toutes les positions. Ne jugez-vous pas un peu sévèrement des torts passagers? Il est vrai, vous pardonnez aisément et vous oubliez vite; mais ne condamnez-vous pas quelquefois un peu à la hâte?

Pour moi, ma chère maman, la liberté de penser et d'agir est le premier des biens. Si l'on peut y joindre les petits soins d'une famille, elle est infiniment plus douce; mais où cela se rencontre-t-il? Toujours l'un nuit à l'autre, l'indépendance à l'entourage ou l'entourage à l'indépendance. Vous seule pouvez savoir lequel vous aimeriez mieux sacrifier. Moi, je ne sais pas supporter l'ombre d'une contrainte, c'est là mon principal défaut. Tout ce qu'on m'impose comme devoir me devient odieux; tout ce qu'on me laisse faire de moi-même, je le fais de tout mon coeur. C'est souvent un grand malheur d'être ainsi fait, et mes torts, quand j'en ai, viennent tous de là.

Mais peut-on changer sa nature? Si vous aviez beaucoup d'indulgence pour ce travers, vous m'en trouveriez bientôt corrigée sans savoir comment. On l'augmente en moi, en me le reprochant sans cesse; et cela, je vous jure que ce n'est point esprit de contradiction, c'est penchant involontaire, irrésistible. Vous me connaissez fort peu, j'ose le dire, ma chère maman. Il y a bien des années que nous n'avons vécu ensemble, et souvent vous oubliez que j'ai vingt-sept ans, que mon caractère à dû subir bien des changements depuis ma première jeunesse.

Vous me supposez surtout un amour du plaisir, un besoin d'amusement et de distraction que je suis loin d'avoir. Ce n'est pas du monde, du bruit, des spectacles, de la parure qu'il me faut; vous seule êtes dans l'erreur sur mon compte; c'est de la liberté. Être toute seule dans la rue et me dire à moi-même: «Je dînerai à quatre heures ou à sept, suivant mon bon plaisir; je passerai par le Luxembourg pour aller aux Tuileries, au lieu de passer par les Champs-Élysées, si tel est mon caprice.» Voilà ce qui m'amuse beaucoup plus que les fadeurs des hommes et la raideur des salons.

Si je rencontre des coeurs qui prennent mes innocentes fantaisies pour des vices hypocrites, je ne sais pas me donner la peine de les dissuader. Je sens que ces gens-là m'ennuient, me méconnaissent et m'outragent. Alors je ne réponds rien et je les plante là. Suis-je bien coupable? Je ne cherche ni vengeance ni réparation, je ne suis pas méchante: j'oublie. On dit que je suis légère, parce que je ne suis pas haineuse et que je n'ai pas même l'orgueil de me justifier.

Mon Dieu! quelle rage avons-nous donc, ici-bas, de nous tourmenter mutuellement, de nous reprocher aigrement nos défauts, de condamner sans pitié tout ce qui n'est pas taillé sur notre patron?

Vous, ma chère maman, vous avez souffert de l'intolérance, des fausses vertus, des gens à grands principes. Votre beauté, votre jeunesse, votre indépendance, votre caractère heureux et facile, combien ne les a-t-on pas noircis! Quelles amertumes ne sont pas venues empoisonner votre brillante destinée! Une mère indulgente et tendre qui vous eût ouvert ses bras à chaque nouveau chagrin et qui vous eût dit: «Laisse les hommes te condamner; moi, je t'absous! laisse-les te maudire; moi, je te bénis!» Que de bien elle vous eût fait! quelle consolation elle eût répandue sur les dégoûts et les petitesses de la vie!

On vous a dit que je portais culotte, on vous a bien trompée; si vous passiez vingt-quatre heures ici, vous verriez bien que non. En revanche, je ne veux point qu'un mari porte mes jupes. Chacun son vêtement, chacun sa liberté. J'ai des défauts, mon mari en a aussi, et, si je vous disais que notre ménage est le modèle des ménages, qu'il n'y a jamais eu un nuage entre nous, vous ne le croiriez pas. Il y a dans ma position comme dans celle de tout le monde, du bon et du mauvais. Le fait est que mon mari fait tout ce qu'il veut; qu'il a des maîtresses ou n'en a pas, suivant son appétit; qu'il boit du vin muscat ou de l'eau claire selon sa soif; qu'il entasse ou dépense, selon son goût; qu'il bâtit, plante, change, achète, gouverne son bien et sa maison comme il l'entend. Je n'y suis pour rien.

Je trouve tout fort bon, parce que je sais qu'il a de l'ordre, qu'il est plutôt économe que prodigue, qu'il aime ses enfants et qu'il ne songe qu'à eux dans tous ses projets. Je n'ai pour lui, vous le voyez, que de l'estime et de la confiance, et, depuis que je lui ai entièrement abandonné l'autorité des biens, je ne crois pas qu'on puisse me soupçonner encore de vouloir le dominer.

Il me faut peu de chose: la même pension, la même aisance qu'à vous. Avec mille écus par an, je me trouve assez riche, moyennant que ma plume me fait déjà un petit revenu. Du reste, il est bien juste que cette grande liberté dont jouit mon mari soit réciproque: sans cela, il me deviendrait odieux et méprisable; c'est ce qu'il ne veut point être. Je suis donc entièrement indépendante; je me couche quand il se lève, je vais à la Châtre ou à Rome, je rentre à minuit ou à six heures; tout cela, c'est mon affaire. Ceux qui ne le trouveraient pas bon et vous tiendraient des propos sur mon compte, jugez-les avec votre raison et avec votre coeur de mère; l'un et l'autre doivent être pour moi.

J'irai à Paris cet été. Tant que vous me témoignerez que je vous suis agréable et chère, vous me verrez heureuse et reconnaissante. Si je trouve autour de vous des critiques amères, des soupçons offensants (vous comprenez que ce n'est pas de vous que je les crains), je laisserai la place au plus puissant, et, sans vengeance, sans colère, je jouirai de ma conscience et de ma liberté. Vous avez trop d'esprit pour ne pas reconnaître bientôt que je ne mérite pas toute cette dureté.

Adieu, chère petite maman; mes enfants se portent bien; ma fille est belle et mauvaise, Maurice est maigre et bon. Je suis contente de son caractère et de son travail. Je gâte un peu ma grosse fille: l'exemple de Maurice, qui est devenu si doux, me rassure pour l'avenir.

Écrivez-moi, chère maman; je vous embrasse de toute mon âme.

LXVII
A MADAME DUVERNET MÈRE, A LA CHATRE

Nohant, lundi, juin 1831.

Chère dame,

Je rentre toute comblée de votre bonne amitié et de votre douce hospitalité. Je trouve non pas M. de Latouche, mais une lettre de lui m'annonçant que des affaires imprévues, relatives au Figaro avec M. le préfet de la Charente, qui vient de se déclarer en faillite, l'ont empêché de partir au moment où il allait enfin se décider. Il nous promet d'arriver quand nous ne l'attendrons plus. Il se plaint un peu du silence de Charles et du vôtre.

Ne viendrez-vous pas aussi manger mes petits pois, cueillir mes fleurs et choisir vous-même vos petites colonies d'oeillets? Deux ou trois rayons de soleil sècheront nos chemins, et vous avez une infinité de pataches en votre possession. Accordez-moi donc une bonne journée tout entière avec le bon meunier, son fils et l'âne… Je ne vois autour de vous que le desservant de T… que nous puissions insulter ainsi. Je n'ose quasi pas vous embrasser après une pareille pensée.

LXVIII
A M. CHARLES DUVERNET, A LA CHATRE

Nohant, lundi soir, 25 juin 1831.

Comme nous nous verrons vendredi, entre l'air bienveillant et paternel du châtelain, et les decaudinades77, nous ne pourrons guère dire deux mots de suite. Je ne veux pas partir, mon bon Charles, sans vous dire combien votre amitié m'a été douce durant ces trois mois. Nous ne nous connaissions pas, et notre camaraderie d'enfance ne nous eût rien appris l'un de l'autre, si une affection qui nous est commune ne fût venue resserrer ce lien et rapprocher nos coeurs, dont les bizarreries respectives avaient besoin de s'entendre.

Sans vous, j'aurais éprouvé bien plus les amertumes de mon intérieur. Votre intérêt, la confiance avec laquelle je m'épanchais près de vous ont adouci ce temps d'épreuves. En mettant nos ennuis en commun, nous les avons mieux supportés. Du moins, je puis l'avancer pour mon compte, et je voudrais que le bienfait de cette amitié eût été réciproque.

Les fous tels que moi ont cela de bon, qu'ils ne sont pas chiches de leur coeur une fois qu'ils l'ont donné. Désabusée sur tout le reste, je ne crois plus qu'à ceux qui me sont restés fidèles, ou qui m'ont comprise, avec mes défauts, mon esprit antisocial et mon mépris pour tout ce que la plupart des hommes respectent. Je me sens assez de générosité pour recommencer avec ceux-là une existence nouvelle, une vie d'affection, d'espoir et de confiance, que ne viendra pas refroidir la mémoire de tant de déceptions anciennes. Oh! j'oublierai tout de bon coeur avec vous autres: et les amis qui trahissent, et ceux qui s'ennuient des maux qu'on leur confie, et ceux qui craignent de se compromettre en y cherchant remède, et les tièdes, et les perfides, et les maladroits qui vous crottent en voulant vous essuyer. Je croirai en vous, comme j'ai cru jadis en eux, et ne vous ferai pas responsables de leurs torts, en me livrant avec réserve à vos promesses. J'y crois et j'y compte.

C'est sur les ruines du passé, du préjugé et des préventions que nous nous sommes vus, tels que nous sommes, je crois, tels que la nature nous a faits.

C'est en nous confiant nos mutuelles infirmités que nous avons pris intérêt les uns aux autres. Sans le besoin de recevoir des consolations, sans celui d'en donner, nous serions peut-être tous restés isolés dans cette société vaine et sotte qui ne pourra jamais nous pardonner de vouloir être indépendants de ses lois étroites. Laissons-la dire. Elle regarderait notre petite communauté comme un hôpital de fous. Vivons à part, et ne la voyons que pour en rire ou pour y pardonner. Puissiez-vous être comme moi insensible à ses atteintes, et mettre votre vie réelle, votre bonheur entier, dans le coeur de ce petit nombre qui vous apprécie et qui me tolère, moi, reconnaissante quand j'obtiens seulement de l'indulgence. Toutes les peines d'intérieur ne deviennent-elles pas supportables, avec cette idée qu'il y a des êtres tout prêts à nous dédommager de l'injustice ou de l'ingratitude de ceux-là?

Oh! mon bon Charles, que cette pensée vous soit bienfaisante comme à moi! qu'elle ferme toutes les autres blessures, qu'elle anéantisse tous les souvenirs qui font mal, qu'elle reconstruise votre avenir et rajeunisse votre coeur comme elle a rajeuni le mien, bien plus vieux, hélas! bien plus mortellement froissé que le vôtre! Croyez en nous, et vous serez heureux partout même à la Châtre.

Venez près de nous, dans notre Paris, où règne sinon la liberté publique, du moins la liberté individuelle. Nous aurons de temps en temps un billet de parterre aux Italiens ou à l'Opéra. Quand nous n'aurons pas le sou, nous irons voir les cathédrales, ça ne coûte rien et c'est toujours intéressant à étudier. Ou bien nous prendrons le frais sur mon balcon, nous verrons passer l'émeute nouvelle, nous cracherons sur tout cela, battants et battus, tous fous à faire pitié. Nous garrotterons le Gaulois pour l'empêcher d'y prendre part, nous ferons brailler Planet et nous nous amuserons des manies de chacun de nous, sans les froisser, sans en souffrir. Dans le jour, nous travaillerons, car il faut travailler! Quand on ne s'est pas renfermé le matin comme nous disions l'autre fois au Coudray, on n'a pas de plaisir à se trouver libre le soir. Il faut s'imposer la gêne une moitié de sa vie pour s'amuser l'autre moitié. Vous vous créerez une occupation, ne fût-ce que de mettre en rapport Claire et Philippe, Jehan Cauvin et la cathédrale, Berido et la prima donna78. Nous louerons un piano et nous nous y remettrons tous les deux. Si vous ne vous trouvez pas bien de votre vie de garçon, il sera toujours temps de vous marier; car, avec nous, liberté de rompre quand vous voudrez; mais essayez-en d'abord; après, vous verrez. Il y aura toujours des filles nubiles, c'est une espèce qui croît et multiplie par la grâce de Dieu.

Et puis, mon bon Charles, marié ou veuf ou garçon, que vous soyez Charlot ruminant dans sa chambrette sur les misères de l'étudiant, de l'artiste et du célibataire, ou bien M. le receveur au sein de son intéressante famille, que vous soyez libre de nous venir trouver ou que votre future épouse vous le défende, aimez-nous toujours, et, croyez-le, quand vous pourrez vous échapper, vous nous trouverez joyeux de vous voir et empressés à vous distraire. En attendant, nous allons parler de vous.

Adieu donc; je vous embrasse. Venez le plus tôt que vous pourrez.

LXIX
A MAURICE DUDEVANT, A LA CHATRE

Orléans, samedi 3 juillet 1831.

Mon cher amour, je suis arrivée à Orléans un peu fatiguée. J'ai eu la migraine tout le long du chemin. Je vais me reposer un jour ou deux ici, afin de bien voir la cathédrale; car tu sais que j'aime beaucoup les cathédrales. Il y a un an, tu étais là avec moi, et nous avons été la voir ensemble, t'en souviens-tu? Tu trouvais que c'était bien grand, et qu'il faudrait bien des Maurices les uns sur les autres pour monter aussi haut.

Je suis bien contente de toi, mon cher enfant; tu n'as pas beaucoup pleuré devant moi. Après, dis-moi ce que tu as fait? As-tu trouvé ton ménage joli? l'as-tu fait voir à ta soeur? Elle a pleuré aussi, la pauvre grosse. L'as-tu un peu consolée? Joue bien avec elle, roulez-vous sur vos lits le soir et endormez-vous en riant et en chantant. Ne fais pas de vilains rêves tristes, pense à moi sans chagrin, et travaille toujours bien pour me faire voir que tu m'aimes.

Tu as vu comme j'étais heureuse de te trouver corrigé de ta paresse. Continue donc, je t'en récompenserai, en t'aimant tous les jours davantage. Je ne sais si tu pourras lire mon griffonnage, je t'écris avec une espèce d'allumette qui va tout de travers. Je t'embrasse, de tout mon coeur, pour toi d'abord, puis pour ta soeur, pour ton papa, pour Boucoiran, et puis pour toi encore un million de fois. Adieu, mon petit ange, écris-moi bien, bien souvent.

77.Du nom d'un ami de Duvernet appelé Decaudin.
78.Héroïnes de divers fragments littéraires inédits de George Sand.
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26 temmuz 2019
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