Kitabı oku: «Correspondance, 1812-1876. Tome 1», sayfa 11
LXX
AU MÊME
Paris, 16 juillet 1831
Je suis enfin installée tout à fait chez moi, mon petit amour. J'ai trois jolies petites chambres sur la rivière avec une vue magnifique et un balcon. Quand tu viendras me voir, tu t'amuseras à voir défiler les troupes et à regarder les pompiers sous les armes. Il y a un poste vis-à-vis. Toutes les fois qu'un gendarme paraît, ces pauvres pompiers sont obligés de courir à leurs fusils. Comme cela arrive fort souvent, ils n'ont pas une minute de repos par jour, et les passants s'amusent à les gouailler. Tu verras aussi les tours de Notre-Dame, qui sont toutes couvertes d'hirondelles. Il y a des figures de diables en pierre tout autour des murs, et les oiseaux se cachent dans leur gueule pour y bâtir leur nid.
J'ai vu encore ton cousin Oscar hier au soir. Il est bien gentil et ne veut pas me quitter. Il va entrer en pension; sans cela, je te l'aurais amené et vous auriez joué ensemble, mais il est temps qu'il apprenne ce que tu sais déjà. Tu seras bien content, lorsque tu entreras au collège, d'avoir pris de bonnes leçons d'avance. Tu auras moins de peine que les autres enfants de ton âge, et tu verras que c'est un grand bonheur d'avoir été forcé de travailler. Écris-moi donc, mon cher enfant; ta dernière lettre est très bien. Elle m'a fait grand plaisir, et je l'ai embrassée bien des fois. Si tu étais là, mon pauvre petit, je te mordrais les joues. En attendant, embrasse ta soeur et porte-toi bien. Pense souvent à ta mère, qui t'aime plus que tout au monde.
LXXI
A M. JULES BOUCOIRAN, A NOHANT
Paris, 17 juillet 1831
Mon cher enfant,
J'en suis fâchée pour votre optimisme politique, mais votre gredin de gouvernement indispose cruellement les honnêtes gens. Si j'étais homme, je ne sais à quels excès je me porterais, dans de certains moments d'indignation, que toute âme bien née doit ressentir à la vue des platitudes et des atrocités qui se commettent ici tous les jours.
C'est réellement une guerre civile que les ministres allument et alimentent à leur profit. Infamie! Les couleurs nationales sont proscrites. Il suffit de les porter pour être dépecé avec un odieux sang-froid, par des gens armés, lâches, qui ne rougissent point d'égorger des enfants sans défense et en petit nombre.
Cette belle institution de la garde nationale est devenue un levain de discorde et de sang. La police a recours à des moyens dignes des plus beaux temps de Carrier (de Nantes). Il semble que Philippe veuille trancher du Napoléon. Or c'est un rôle qu'un Bourbon ne saura jamais remplir. Ses efforts retarderont sa chute; mais elle n'en sera que plus tragique, et vraiment alors le peuple commettra tous les excès sans être coupable.
Moi, je hais tous les hommes, rois et peuples. Il y a des instants où j'aurais du bonheur à leur nuire. Je n'ai de repos qu'alors que je les oublie!
Vous êtes bon, vous! C'est différent. Les amis, oh! les amis! que c'est un trésor rare et difficile à garder! Si l'on ne tient pas sa main toujours étroitement fermée, ils s'échappent comme de l'eau au travers des doigts.
J'ai le coeur cruellement froissé; mais je sais qu'il y aurait de l'ingratitude à pleurer longtemps ceux qui désertent. Plus le nombre se réduit, plus je sens l'affection redoubler de vigueur. La part des uns revient aux autres.
Je vous remercie de m'avoir parlé de Maurice. Faites qu'il m'écrive souvent, qu'il ne soit pas trop livré à lui-même aux heures où il ne travaille pas, et qu'il continue à apprendre sans chagrin. Sa dernière lettre est charmante.
Adieu, mon cher enfant. Je vous embrasse comme je vous aime. C'est du fond de mon âme.
LXXII
A M. CHARLES DUVERNET, A LA CHATRE
Paris, 19 juillet 1831
Mon bon Charles,
Soyez miséricordieux et pardonnez à la lenteur de mes lettres. Je suis enfin installée quai Saint-Michel, 25, et j'espère désormais ne plus m'exposer au remords de laisser sans réponse prompte vos lettres bonnes et aimables. Je vous laisse à penser ce qu'il a fallu de mémoire, de jambes, de patience et de temps, pour acheter tout un petit ménage depuis la pelle jusqu'aux mouchettes: c'est à n'en pas finir. Le pis de tout cela, c'est l'argent que cela coûte. J'aurais tort de me plaindre pourtant. Je n'ai rien payé et je payerai s'il plaît à Dieu.
Le Gaulois et moi comptons sur une bonne tuerie patriotique, ou sur un bon choléra-morbus, qui nous délivrera de l'infâme séquelle des créanciers. D'ailleurs, n'allons-nous pas avoir la république? et le premier article de la nouvelle Charte portera, j'espère, que les dettes sont supprimées et tous les créanciers déportés. Nous leur faisons grâce de la vie, parce que nous sommes grands et généreux, mais qu'ils ne s'avisent jamais de rappeler le passé! (Il n'y que des carlistes et des jésuites capables de tant de ressentiment.) Nos créanciers, s'ils veulent éviter la guillotine, qui est, comme chacun sait, soeur de la liberté, doivent nous délivrer à tout jamais de leur odieuse présence, et purger le sol de la patrie régénérée de leur impur et stupide trafic. Tel sera le texte du premier discours du Gaulois à la prochaine assemblée constituante.
Mon bon camarade, pourquoi ne travaillez-vous plus? Évitez du moins l'ennui, ne fût-ce qu'en taillant des cure-dents. Planet en fait une consommation qui vous tiendra en haleine. Si vous n'avez pas l'espoir de succéder à votre père et que les chiffres vous rebutent, faites autre chose; lisez, instruisez-vous, la vie est toujours trop courte pour tout ce qu'on peut apprendre. Ecrivez des romans, des comédies, des proverbes, des drames: tout cela vous fera travailler sans ennui et vous forcera à des recherches historiques qui vous arriveront pleines d'intérêt et de vie.
S'ennuyer! je ne le conçois pas pour vous. Être triste! c'est différent, cela. Cette solitude, les dégoûts de cette petite existence de la province, sont bien faits pour serrer le coeur. J'en sais quelque chose. Quelque chose seulement, car j'ai une ressource immense: la société de mes enfants. Vous, tout seul, tout rêveur, sans un ami qui vous comprenne bien, souffrant de ces peines sans nom que le vulgaire regarde comme une manie et une affectation, cherchant à répandre votre coeur dans un coeur de la même nature, et ne trouvant que de bonnes et simples âmes qui vous disent d'un air surpris: «Comment! vous vous plaignez? n'êtes-vous pas riche? A votre place, je serais heureux!» etc.
Eh bien, je vous vois d'ici et je sais tout ce que vous devez souffrir. L'isolement tue les âmes actives. Il énerve le caractère; mais il redouble le feu intérieur et joint, au tourment de désirer, le tourment de ne pouvoir pas vouloir.
N'est-ce pas là où vous en êtes souvent? Je n'ose pas vous dire: «Sortez-en, venez à nous!» Mais combien je le désire! nous vous aimons comme vous méritez d'être aimé. Je crois qu'au milieu de nous, vous reprendrez vite à la vie. Écrivez donc souvent et beaucoup; vous avez toujours le temps, vous.
Si vous allez à Nohant, dites donc à Boucoiran que mon fils m'écrit bien peu, et que cela me fait beaucoup de peine.
Adieu, mon ami. Écrivez, ou faites mieux, venez!
Je n'ai pas acheté la natte de votre mère, ni les lunettes pour Decaudin. J'ai une raison honteuse, secrète, mais invulnérable. Je n'ai pas un sou. Je paye écu par écu mes damnés marchands. O Misère! je te ferai élever un temple si tu me quittes un jour; car ceux que tu hantes sont plus heureux qu'on ne pense!
Le Gaulois m'a défendu de fermer ma lettre, disant qu'il voulait vous écrire. C'est une raison pour n'y pas compter…
Le voilà! Il dit qu'il vous écrira demain: vous connaissez le demain du Gaulois.
LXXIII
A MAURICE DUDEVANT. A NOHANT
Paris, juillet 1831.
J'ai bien du chagrin quand tu ne m'écris pas, mon petit enfant. J'ai reçu tes trois lettres; mais c'est bien peu. Cela ne fait qu'une par semaine. Autrefois, tu m'en écrivais deux et souvent trois. Cela ne t'amuse donc plus de m'écrire? tu n'as pas besoin de montrer tes lettres, ni de les écrire avec tant de soin que ce soit un travail. Quand tu m'envoyais des barbouillages et des bonshommes, j'aimais autant cela. Écris-moi donc aussi mal que tu voudras, ne fût-ce que quelques lignes. Passer huit jours sans nouvelles de toi et de ta soeur, c'est bien long et je suis souvent bien triste. J'ai besoin de te savoir gai et heureux; sans cela, je ne peux être moi-même heureuse.
Il y a de bien beaux tableaux au Musée: le Musée est une grande galerie où tous les peintres exposent leurs tableaux pendant quelques mois pour les faire voir au public. Le plus joli de tous représente deux enfants de sept ou huit ans qui sont assis sur un lit. L'un est malade et appuie sa tête sur l'épaule de son frère. L'autre se porte bien; il tient un livre d'images pour l'amuser. C'est le portrait de deux jeunes princes anglais qui ont été étranglés par des méchants79.
Il y a une quantité de belles statues que tu reconnaîtrais, à présent que tu comprends un peu la mythologie. Ce qu'on a fait de plus beau, ce sont les Trois Grâces, en marbre blanc. Il y a une jolie petite divinité allégorique, dont nous n'avons pas parlé ensemble: c'est la Candeur ou l'Innocence, représentée comme un enfant qui tient une coquille où vient boire un serpent. Cela signifie que, comme les enfants ne se méfient d'aucun danger, les personnes qui ont de la candeur ne se méfient pas des méchants qui peuvent leur faire du mal.
Si tu ne comprends pas bien cela, Boucoiran te l'expliquera mieux. Il y a aussi un gros enfant qui ressemble à Solange et joue avec une petite chèvre; la chèvre mange une couronne de feuilles que l'enfant a sur sa tête. Tout cela est en beau marbre blanc. Enfin il y a Mercure, Diane, et tout plein d'autres messieurs et d'autres dames de ta connaissance. Les fêtes ont duré trois jours. De ma fenêtre, j'ai vu passer le roi et toutes ses troupes. Avant-hier, nous avons eu des joutes sur l'eau. Des matelots habillés en blanc, avec des ceintures et des chapeaux à rubans, étaient montés sur de jolies barques et venaient les uns sur les autres. Ils se battaient, c'est-à-dire qu'ils faisaient semblant, comme au spectacle. Beaucoup tombaient dans la Seine; comme c'étaient tous de très bons nageurs, ils s'en moquaient et rattrapaient bientôt leur barque. Sur le bord de l'eau était dressé un beau pavillon, pour les juges du combat qui ont donné le prix aux vainqueurs.
J'avais emmené Léontine, qui a tout vu; le grand Fleury l'a mise sur sa tête, et ils sont arrivés l'un sur l'autre; moi, je suis revenue avec la migraine. Le soir, j'ai vu les illuminations sans sortir de ma chambre. Quatre grandes colonnes de lampions autour de la statue d'Henri IV; les tours de Notre-Dame étaient illuminées aussi; c'était fort beau. De mon balcon, j'ai vu le feu d'artifice qui se tirait sur la place de la Révolution. C'est bien loin de chez moi; mais les fusées montaient si haut, qu'on voyait très bien; il y en avait qui lançaient des flammes tricolores; c'était superbe.
Il y a eu des courses de chameaux, au Champ-de-Mars. Des hommes habillés en Bédouins étaient montés sur des chevaux et sur des dromadaires. L'un d'eux est tombé et s'est tué. Puis une revue de toutes les troupes sur le boulevard; on dit qu'il y avait cent cinquante mille hommes. Tout cela serait bien amusant avec moins de monde pour regarder. On risque d'être étouffé dans la foule, et les trois quarts ne voient rien, parce qu'on a trop de personnes devant et alentour. Tous les spectacles jouaient gratis, c'est-à-dire qu'on entrait sans payer. Enfin on tirait des coups de fusil, des pétards, des boîtes à feu, dans toutes les maisons, dans toutes les rues. Cela a duré deux jours entiers. On aurait dit qu'on se battait dans Paris. Je suis bien aise que ce soit fini et que la ville reprenne sa tranquillité.
Écris-moi bien souvent et dis-moi tout ce que tu fais; tes lettres sont trop courtes. Embrasse ta soeur pour moi et aime-la bien. Adieu, mon cher petit; pense à ta petite mère, qui t'embrasse un million de fois.
LXXIV
A MADAME MAURICE DUPIN, A PARIS
Nohant, 9 septembre 1831.
Ma chère maman,
Je suis arrivée en bonne santé. Merci de votre petite lettre. Je suis coupable de ne vous avoir pas prévenue, mais j'étais si lasse et, en même temps, si contente de revoir mes enfants!
J'ai trouvé mon mari à Châteauroux; il était venu au-devant de moi avec Maurice. Celui-ci est toujours maigre, sa soeur toujours énorme, Nohant toujours tranquille, la Châtre toujours bête. Le précepteur est parti en vacances; je le remplace pour le français et la géographie, Casimir pour le latin et le calcul. Vous voyez que c'est une vie édifiante. Cela n'empêchera pas qu'on ne me trouve très coupable. Les gens qui n'ont rien à faire cherchent des torts à autrui pour s'occuper; c'est une manière comme une autre de passer le temps. Moi, je persévère dans une tranquillité qui les démonte.
Je n'ai pas vu Caroline; embrassez-la pour moi. Tâchez de m'envoyer Hippolyte et sa femme. J'ai trouvé mon mari très bien; je crois qu'il serait bien facile à Hippolyte de le tenir toujours disposé en ma faveur. Il ne faudrait que le vouloir, et fermer l'oreille aux sales petits cancans qui remplissent la vie de ce monde, et qui en font le principal ennui.
Si l'on continue à me laisser vivre en paix, je prolongerai mon séjour ici. J'ai déjà songé à remettre mes engagements du 30 septembre un peu plus loin. C'est la conduite des autres qui dictera la mienne. Je travaille le soir à mon roman; cela m'amuserait beaucoup si je n'étais pas obligée de me dépêcher. Une autre fois, je prendrai plus de latitude avec mon éditeur, afin de travailler pour mon plaisir et sans fatigue.
On dit que je suis partie pour I'Italie avec Stéphane. Ce qu'il y a de bon, c'est que je ne sais pas où il est. Je ne l'ai pas vu depuis six mois. Quant à moi, je crois bien être à Nohant dans ce moment-ci; cependant, si les gens de la Châtre sont absolument sûrs que je sois à Rome, je ne voudrais pas leur faire de peine en leur soutenant le contraire.
Adieu, ma chère petite maman; traitez-moi toujours avec bonté. Je vous embrasse de tout mon coeur, ainsi que mon ami Pierret.
LXXV
A M. JULES BOUCOIRAN, A NIMES
Nohant, 26 septembre 1831
C'est une désolation qu'un voyage de sept jours; je m'en afflige de mille manières: d'abord, parce que cela vous fatigue; ensuite parce que ces quinze jours perdus de la plus ennuyeuse manière du monde doivent faire pleurer votre mère. Elle voudra les regagner, je le prévois bien. Je ne peux ni ne veux l'affliger. Cependant, mon cher enfant, je voudrais que vous fussiez de retour vers le 20 du mois prochain.
Mettez donc à profit ces bons jours de famille et de patrie. C'est un bonheur de n'être pas blasé ou désabusé de ces biens-là. Apportez-moi des cailloux de votre sol, s'ils ont quelque chose de curieux. Si je ne l'ai pas rêvé, vous avez comme nous beaucoup de coquillages marins pétrifiés, des espèces qui nous manquent.
Maurice ne fait rien. Je ne suis pas assez rigide. Ce temps de dévergondage ne devant pas être long, je le laisse trotter avec Léontine, et les jours de travail sont rares. Le seul point, c'est qu'il n'oublie pas ce qu'il sait et non qu'il fasse des progrès sans vous. Je voudrais bien, mon enfant, que l'étude du latin ne fût pas aussi exclusive. Vous m'avez promis de commencer l'histoire à votre retour et de la faire marcher de front avec la géographie. Il me semble que ces études poussées un peu rapidement lui seraient fort utiles. Non pas qu'il faille espérer une grande mémoire des faits à son âge, mais c'est la seule manière d'ouvrir ses idées aux choses de la vie, aux lois, aux guerres, aux vicissitudes des moeurs, aux constitutions, à l'existence des peuples et à la marche de la civilisation. C'est d'un peu haut qu'il faudrait donc envisager cette science. Au lieu de le faire moisir, comme au temps de l'abbé Rollin, sur les petites guerres et les rois insignifiants d'une foule de petits États de l'antiquité, il faudrait résumer l'histoire universelle dans une sorte de cours à votre manière. Cette analyse générale n'est pas l'ouvrage d'un cuistre, et vous trouverez à la dresser avantage et plaisir pour vous-même. Plus tard, sans doute, il lui faudra étudier les diverses parties de votre édifice, il le fera par la lecture. J'ai fait, pendant cinq ou six ans, des extraits sur toutes les dynasties de la terre. C'était l'histoire enseignée à la manière des jésuites. Beaucoup de récits, pas une réflexion, pas une observation qui ne tournât à la plus grande gloire de Dieu, contre tout bon sens et toute vérité. Aussi, rien de ce fatras n'est resté dans mon cerveau fatigué. J'ai perdu cinq ou six ans de ma vie à désapprendre le sens commun. Les livres d'histoire, écrits tous sous l'empire de quelque passion politique ou de quelque préjugé religieux, ont tous besoin d'être rectifiés par un jugement sain. Ce n'est donc pas avec des livres qu'il faudrait enseigner, c'est avec votre mémoire et votre raison, n'est-il pas vrai, mon enfant?
Bonjour. Je vous embrasse de toute mon âme, ainsi que votre bonne mère. Rendez-la bien heureuse, et revenez-nous, dès que vous pourrez vous arracher comme Régulus à tant d'affection.
Maurice vous embrasse aussi. Il fait la moue dans ce moment, parce que, dit-il, il s'est f…. par terre. Est-ce vous qui formez ainsi son style?
LXXVI
AU MÊME
Paris, 6 novembre 1831.
Mon enfant,
J'ai été vraiment affligée de manquer le plaisir de vous embrasser. Je vous l'ai dit, je vous aime comme vous m'aimez, sans égoïsme, et je me réjouis du bonheur de votre mère et du vôtre. Une autre fois, nous serons à même de nous voir davantage; mais nous n'en avons pas besoin pour compter l'un sur l'autre.
Il est très vrai que madame Bertrand m'a envoyé M. de Vasson la veille de mon départ, j'ai reçu d'elle une lettre qui s'efforçait d'être aimable. Elle me parlait d'abord de l'engagement pris d'aller passer trois mois à Laleuf, cet automne, engagement que je savais bien ne pas exister. Ensuite elle remettait sa cause entre mes mains et me parlait de son Alphonse, comme si mon Maurice ne m'intéressait pas davantage. Puis elle me disait qu'elle ne savait pas votre adresse à Nîmes, qu'elle ne voulait pas vous écrire avant de s'adresser à moi; ce qui prouve tout simplement qu'elle l'eût fait si elle eût pu savoir votre adresse. Enfin elle daignait se rappeler que je lui avais offert ma place à la Chambre et me faisait des remercîments très gauches et très peu de saison. J'ai répondu en peu de mots, poliment et froidement. Je ne sais comment elle aura pris ma lettre. J'ai conté le tout au père Duris-Dufresne, qui a trouvé comme moi qu'on aimait mieux ses enfants que ceux des autres.
Je ne puis pas vous dire si je resterai ici peu ou beaucoup. Mon éditeur paye mal; cependant il paye, mais si lentement, que le travail des imprimeurs va de même. Je leur remets le manuscrit à mesure que j'en touche le prix, autrement je courrais risque de travailler pour l'honneur. C'est un méchant salaire quand on est si pauvre d'esprit et de bourse. Ce qu'il y a de sûr, c'est que je retournerai près de mes chers enfants, aussitôt que je serai délivrée de ma besogne.
Du reste, je vois avec plaisir que tous les déboires qu'on m'avait prédits dans cette carrière n'existent pas pour les gens qui vivent, comme moi, au fond de leur mansarde, sans autre ambition que celle d'un profit modeste. J'ai déjà assez vu les grands hommes pour savoir qu'ils sont les plus petits de tous. Je les fuis comme la peste, excepté Henri de Latouche, qui est bon pour moi et que j'aime sincèrement.
Je vis fort tranquille, je travaille à mon aise et je me porte bien maintenant. J'ai enfin réussi à me débarrasser de la fièvre qui m'a tourmentée pendant plus d'un mois. Il ne manque à mon bonheur que mes enfants et vous. Mais, si je vous avais ici, je serais trop bien et la destinée n'a pas coutume de me gâter de la sorte. Au reste, elle est sage. Elle me garde ce bonheur pour un avenir que je ne voudrais plus affronter sans l'espérance que vous l'embellirez.
Adieu, cher enfant; j'embrasse vous, Maurice et ma Solange. Parlez-moi d'eux beaucoup, je vous en supplie.