Kitabı oku: «Correspondance, 1812-1876. Tome 1», sayfa 19

Yazı tipi:

CXXXVI
A M. FRANÇOIS ROLLINAT, A CHATEAUROUX

La Châtre, 4 février 1836.

Qu'as-tu donc, bon vieux? manques-tu de courage? t'est-il arrivé quelque chose de pis que la vie ordinaire? pourquoi es-tu si consterné et si abattu? Ta lettre m'inquiète beaucoup. Si tu ne peux venir me voir, et que je puisse te donner un peu de coeur, j'irai te voir la semaine prochaine. Mon affaire est remise à quinzaine; c'est le seul mal que le président ait pu me faire, et il l'a fait. Du reste, cette affaire étant imperdable au dire de tous, et le ministère public ayant conclu en ma faveur avec beaucoup de chaleur, je ne m'inquiète pas.

Mais, toi, qu'as-tu? Tu es fou avec ta mort morale! Les hommes comme toi ne sont pas appelés à une pareille fin. Il y a, en toi, une si grande sérénité de vertu, que l'intelligence ne peut que gagner avec les années, et même avec les fatigues et les douleurs. C'est là le fouet, l'aiguillon des grandes âmes. Je redoute pour toi les préoccupations de l'amour et je crains quelque chose comme cela dans ta tristesse. S'il en est ainsi, j'irai te voir et je te donnerai le courage de briser, s'il le faut, des liens funestes. L'amour, tel que la plupart des hommes et des femmes l'entend, n'est fait que pour les enfants. Il ne convient pas aux esprits sérieux; il les tiraille et les torture sans jamais les satisfaire.

Je ferai mon possible pour t'aller voir, pour te confesser, et pour te remettre à flot. Tu ne t'appartiens pas, mon vieux; tu n'as même pas le droit de souffrir pour ton propre compte. C'est une terrible tâche; mais c'est une grande destinée. Porte le joug et ne te laisse pas tomber dessous. Tu te dois à ta famille, tu te dois à moi aussi, ton meilleur ami. Tu me dois ce grand exemple de la force, ce grand spectacle de la volonté persistante qui m'a soutenue dans mes luttes, qui m'a grandie depuis que je te connais.

Songe à cela. Tu es l'homme que j'estime le plus. Je ne puis m'habituer désormais à vivre sans toi. Songe, vieux Montagne, à ton Laboëtie, qui t'a connu, étant déjà vieux, et qui s'est dépêché de t'aimer beaucoup afin de réparer le temps perdu.

Réponds-moi, explique-toi, et compte que je ne te laisserai pas seul dans cette crise.

Tout à toi. G.

CXXXVII
A M. ADOLPHE GUÉROULT, A PARIS

La Châtre, 11 février 1836.

C'est le mardi gras qu'on prononce mon jugement en séparation.

Je ne puis aller à Paris par conséquent avant le mois de mars. J'en ai bien du regret, d'abord parce que j'ai grand besoin de voir mes enfants et mes amis, ensuite ce bal dont je me serais fait une fête. Tâchez qu'il y en ait un autre où je puisse me trouver.

J'aime vos prolétaires, d'abord parce qu'ils sont prolétaires, et puis parce que je crois qu'il y a en eux la semence de la vérité, le germe de la civilisation future. Faites-leur part de tous mes regrets. Dites-leur que je tiens extraordinairement aux étrennes qu'ils ont bien voulu me destiner. Je veux faire connaissance avec eux tous, dès que je serai non plus femme esclave, mais une femme libre, autant que notre méchante civilisation le permet. Rappelez-moi particulièrement au souvenir de Vinçard.

Que devenez-vous, mon ami? Allez-vous en Égypte? Si je gagne mon procès, je renoncerai au tour du monde, que nous avions modestement projeté de faire ensemble. La gouverne de mes enfants et celle de mon petit patrimoine ne me permettront plus de longues absences. Je pourrai toujours vous conduire jusqu'à la frontière, si vous prenez votre volée dans un moment où les plumes repousseront à mon aile. Là, je vous saluerai et vous suivrai de l'oeil jusqu'à l'horizon.

Avant tout, soyez heureux autant que faire se peut. Le bonheur est-il refusé à la jeunesse? Je le crois en me sentant devenir de plus en plus calme et satisfaite à mesure que je redescends la vie. La jeunesse est un bonheur par elle-même, ses distractions lui suffisent. Ceci n'est pas de moi. Je crois que c'est vrai.

Adieu, mon cher Jules César; portez-vous bien, et me ama.

GEORGE.

A LA FAMILLE SAINT-SIMONIENNE DE PARIS

La Châtre, 15 février 1836.

Ne pouvant vous remercier chacun séparément aujourd'hui, permettez, frères, que je vous remercie collectivement en m'adressant à Vinçard. Vous avez eu pour moi de la sympathie et des bienveillances pleines de charme et de bonté. Je ne méritais pas votre attention, et je n'avais rien fait pour être honorée à ce point. Je ne suis pas une de ces âmes fortes et retrempées qui peuvent s'engager par un serment dans une voie nouvelle. D'ailleurs, fidèle à de vieilles affections d'enfance, à de vieilles haines sociales, je ne puis séparer l'idée de république de celle de régénération; le salut du monde me semble reposer sur nous pour détruire, sur vous pour rebâtir. Tandis que les bras énergiques du républicain feront la ville, les prédications sacrées du saint-simonien feront la cité. Je l'espère ainsi. Je crois que mes vieux frères doivent frapper de grands coups, et que vous, revêtus d'un sacerdoce d'innocence et de paix, vous ne pouvez tremper dans le sang des combats vos robes lévitiques. Vous êtes les prêtres, nous sommes les soldats: à chacun son rôle, à chacun sa grandeur et ses faiblesses. Le prêtre s'épouvante parfois de l'impatience belliqueuse du soldat, et le soldat, à son tour, raille la longanimité sublime du prêtre. Soyons tranquilles pour l'avenir. Nous tomberons tous à genoux devant le même Dieu, et nous unirons nos mains dans un saint transport d'enthousiasme, le jour où la vérité luira pour tous; la vérité est une.

Ces temps sont loin; nous avons, je le pense, des siècles de corruption à traverser, et, tandis qu'il arrivera souvent encore à votre phalange sacrée de chanter dans des solitudes sans écho, il nous arrivera peut-être bien, à nous autres, de traverser en vain la mer rouge et de lutter contre les éléments, le lendemain du jour où nous croirons les avoir soumis. C'est le destin de l'humanité d'expier son ignorance et sa faiblesse par des revers et par des épreuves. Votre mission est de la ranimer par des conseils, et de lui verser le baume de l'union et de l'espérance. Accomplissez donc cette tâche sacrée, et sachez que vos frères ne sont pas les hommes du passé, mais ceux de l'avenir.

Vous avez eu un seul tort, en ces jours-ci, un tort grave, à mes yeux, et je vous le dirai dans la sincérité de mon coeur, parce que je vous aime trop pour vous cacher une seule des pensées que vous m'inspirez. Vous avez cherché à vous éloigner de nous. Ce tort, nous l'avons eu à votre exemple et les deux familles, les enfants de la même mère, de la même idée, veux-je dire, se sont divisés sur le champ de bataille. Cette faute retardera la venue des temps annoncés. Elle est plus grave chez vous, qui êtes des envoyés de paix et d'amour, que chez nous, qui sommes des ministres de guerre, des glaives d'extermination.

Quant à moi, solitaire jeté dans la foule, sorte de rapsode, conservateur dévot des enthousiasmes du vieux Platon, adorateur silencieux des larmes du vieux Christ, admirateur indécis et stupéfait du grand Spinosa, sorte d'être souffrant et sans importance qu'on appelle un poète, incapable de formuler une conviction et de prouver, autrement que par des récits et des plaintes, le mal et le bien des choses humaines, je sens que je ne puis être ni soldat ni prêtre, ni maître ni disciple, ni prophète ni apôtre; je serai pour tous un frère débile mais dévoué; je ne sais rien, je ne puis rien enseigner; je n'ai pas de force, je ne puis rien accomplir. Je puis chanter la guerre sainte et la sainte paix; car je crois à la nécessité de l'une et de l'autre. Je rêve dans ma tête de poète des combats homériques, que je contemple le coeur palpitant, du haut d'une montagne, ou bien au milieu desquels je me précipite sous les pieds des chevaux, ivre d'enthousiasme et de sainte vengeance. Je rêve aussi, après la tempête, un jour nouveau, un lever de soleil magnifique, des autels parés de fleurs, des législateurs couronnés d'olivier, la dignité de l'homme réhabilitée, l'homme affranchi de la tyrannie de l'homme, la femme de celle de la femme, une tutelle d'amour exercée par le prêtre sur l'homme, une tutelle d'amour exercée par l'homme sur la femme. Un gouvernement qui s'appellerait conseil et non pas domination, persuasion et non pas puissance. En attendant, je chanterai au diapason de ma voix, et mes enseignements seront humbles; car je suis l'enfant de mon siècle, j'ai subi ses maux, j'ai partagé ses erreurs, j'ai bu à toutes ses sources de vie et de mort, et, si je suis plus fervent que la masse pour désirer son salut, je ne suis pas plus savant qu'elle pour lui enseigner le chemin. Laissez-moi gémir et prier sur cette Jérusalem qui a perdu ses dieux et qui n'a pas encore salué son messie. Ma vocation est de haïr le mal, d'aimer le bien, de m'agenouiller devant le beau.

Traitez-moi donc comme un ami véritable. Ouvrez-moi vos coeurs et ne faites point d'appel à mon cerveau. Minerve n'y est point et n'en saurait sortir. Mon âme est pleine de contemplations et de voeux que le monde raille, les croyant irréalisables et funestes. Si je suis porté vers vous d'affection et de confiance, c'est que vous avez en vous le trésor de l'espérance et que vous m'en communiquez les feux, au lieu d'éteindre l'étincelle tremblante au fond de mon coeur.

Adieu; je conserverai vos dons comme des reliques; je parerai la table où j'écris des fleurs que les mains industrieuses de vos soeurs ont tissées pour moi. Je relirai souvent le beau cantique que Vinçard m'a adressé, et les douces prières de vos poètes se mêleront dans ma mémoire à celles que j'adresse à Dieu chaque nuit. Mes enfants seront parés de vos ouvrages charmants, et les bijoux que vous avez destinés à mon usage leur passeront comme un héritage honorable et cher. Tout mon désir est de vous voir bientôt et de vous remercier par l'affectueuse étreinte des mains.

Tout à vous de coeur.

GEORGE SAND.

CXXXVIII
A MAURICE DUDEVANT, AU COLLÈGE HENRI IV

La Châtre, 17 février 1836.

Mon bon petit,

Voici le carnaval, tout le monde s'amuse, ou fait semblant de s'amuser. Moi, je m'amuserais, si je t'avais, et tu t'amuserais aussi. Je suis chez Duteil, nous passons très gaiement les jours gras. Tous les soirs, nous avons bal masqué. Je déguise tous les enfants, Duteil prend son violon, nous allumons quatre chandelles et nous dansons. Si tu étais là, avec ta soeur, la fête serait complète. Hélas! tous ces mioches me font sentir l'absence des miens.

Si j'étais libre de quitter mes affaires, ce n'est pas avec eux que je serais en train de me divertir, mais bien avec vous, mes pauvres petits. Vous amusez-vous, du moins? Tu es sorti avec ton père, Solange avec ma tante; racontez-moi à quoi vous avez passé le temps. Il est bien facile de s'amuser avec les gens qu'on aime. Pour moi, il n'y a pas de vrai plaisir sans vous.

Aux vacances, nous nous amuserons; car s'amuser, c'est être heureux, et tu sais, quand nous sommes ensemble tous les trois, nous n'avons besoin de personne pour être joyeux toute la journée.

J'espérais être à Paris ces jours-ci; mais les gens avec lesquels je suis en affaires m'ont fait attendre et retardée. Il me faut donc attendre encore quinze jours avant d'aller t'embrasser. Garde-moi des sorties pour le mois de mars, afin que je t'aie le jeudi et le dimanche pendant deux ou trois semaines. Cette fois, c'est certain, et je ne prévois plus d'obstacle possible à mon voyage. N'en parle cependant pas; tu sais, une fois pour toutes, que tu ne dois rien dire de ce que je t'écris, pas même les choses en apparence les plus indifférentes.

Tu vas donc chez la reine? c'est fort bien, tu es encore trop jeune pour que cela tire à conséquence; mais, à mesure que tu grandiras, tu réfléchiras aux conséquences des liaisons avec les aristocrates. Je crois bien que tu n'es pas très lié avec Sa Majesté et que tu n'es invité que comme faisant partie de la classe de Montpensier. Mais, si tu avais dix ans de plus, tes opinions te défendraient d'accepter ces invitations.

Dans aucun cas un homme ne doit dissimuler, pour avoir les faveurs de la puissance, et les amusements que Montpensier t'offre sont déjà des faveurs. Songes-y! Heureusement elles ne t'engagent à rien; mais, s'il arrivait qu'on te fît, devant lui, quelque question sur tes opinions, tu répondrais, j'espère, comme il convient à un enfant, que tu ne peux pas en avoir encore; tu ajouterais, j'en suis sûre, comme il convient à un homme, que tu es républicain de race et de nature; c'est-à-dire qu'on t'a enseigné déjà à désirer l'égalité, et que ton coeur se sent disposé à ne croire qu'à cette justice-là. La crainte de mécontenter le prince ne t'arrêterait pas, je pense. Si, pour un dîner ou un bal, tu étais capable de le flatter, ou seulement si tu craignais de lui déplaire par ta franchise, ce serait déjà une grande lâcheté.

Il ne faut pourtant jamais d'arrogance déplacée. Si tu allais dire, devant cet enfant, du mal de son père, ce serait un espèce de crime. Mais, si, pour être bien vu de lui, tu lui en disais du bien, lorsque tu sais qu'il n'y a que du mal à en dire, tu serais capable de vendre un jour ta conscience pour de l'argent, des plaisirs ou des vanités. Je sais que cela ne sera pas; mais je dois te montrer les inconvénients des relations avec ceux qui se regardent comme supérieurs aux autres, et à qui la société donne, en effet, de l'autorité sur vous.

Garde-toi donc de croire qu'un prince soit, par nature, meilleur et plus utile à écouter qu'un autre homme. Ce sont, au contraire, nos ennemis naturels, et, quelque bon que puisse être l'enfant d'un roi, il est destiné à être tyran. Nous sommes destinés à être avilis, repoussés ou persécutés par lui.

Ne te laisse donc pas trop éblouir par les bons dîners et par les fêtes. Sois un vieux Romain de bonne heure, c'est-à-dire, fier, prudent, sobre, ennemi des plaisirs qui coûtent l'honneur et la sincérité.

Bonsoir, mon ange; écris-moi. Aime ton vieux George, qui t'aime plus que sa vie.

CXXXIX
A MADAME D'AGOULT, A GENÈVE

26 février 1836.

Je ne vous écris qu'un mot à la hâte, chère bonne et belle Marie. Je suis accablée d'affaires, de travail et de courses. Je vous écris d'une chambre d'auberge, ne sachant quand je retrouverai un quart d'heure de loisir. Ainsi prenez que ceci n'est rien, qu'un signe et un regard de tendresse jeté en courant à quelqu'un qu'on voudrait embrasser, mais dont le galop de votre cheval vous éloigne.

Votre grande lettre est charmante et bonne comme celle d'un ange. Votre seconde lettre est encore mieux, sauf qu'il s'y trouve un madame, dont je ne veux pas. Vous me parlez de coeur et de bourse. Non, cela n'est pas inconvenant; l'offrir ou l'accepter est le plus saint privilège de l'amitié, la plus sûre marque de l'antique loyauté. Si j'avais besoin de pain, j'en recevrais de vous, et vous seriez encore la plus obligée de nous deux; car vous êtes capable d'offrir au premier mendiant venu, et, moi, je ne suis capable d'en accepter que de bien peu de mains.

Je n'irai pas en Chine avec vous, quoique je le fisse de bien bon coeur, si je le pouvais. Mais j'ai mes enfants qui m'attachent à ce sol de France. Je ne pourrai plus m'absenter que pour quelques semaines.

Grâce à Dieu, j'ai gagné mon procès et j'ai mes deux enfants à moi. Je ne sais si c'est fini. Mon adversaire peut en appeler et prolonger mes ennuis. Mais je serai toujours libre au printemps et, si vous n'êtes pas partie, j'irai vous voir en Suisse.

Écrivez donc sur le sort des femmes et sur leurs droits; écrivez hardiment et modestement, comme vous sauriez le faire, vous. Madame Allart vient de faire une brochure où il y a réellement des choses fortes, belles et vraies. Moi, je suis trop ignare pour écrire autre chose que des contes, et je n'ai pas la force de m'instruire.

Vous me parlez de Beautin, de Marphyrius et de Jouffroy. Je n'ai jamais entendu parler de ces gens-là. Je n'ai rien lu de ma vie, je ne sais que ce que j'ai vu matériellement. En lisant votre lettre, je m'étonnais (le mot est modeste) de votre incommensurable supériorité sur moi. Faites-en donc profiter le monde, vous le devez. Franz doit vous y engager; moi, je vous en supplie.

Bonjour, ma douce et belle cénobite. Je vous écrirai une longue lettre bien bête, et bien bonne enfant, à la première journée de repos et de liberté que j'aurai.

Je vous aime tendrement, quoique vous soyez capable de m'empoisonner. Heureusement que je n'ai pas peur de M. Franz, et que, s'il avait une pareille idée, je le tuerais d'une chiquenaude. Il est vrai que vous me tueriez après, et que je n'en serais pas plus avancée. Espérons que la destinée nous préservera de ces catastrophes étranges, que Ballanche appellerait… Ah! ma foi, je ne me souviens plus du mot.

Dites à Franz que j'ai lu Orphée ces jours-ci, et que je suis tombée dans des extases incroyables. C'est le premier ouvrage de Ballanche que je lis. Je ne comprends pas tout; mais ce que je comprends m'enchante. On prétend ici que cela me rendra tout à fait imbécile. Je ne demande pas mieux, pourvu que vous ne m'abandonniez pas dans le malheur.

Mille tendresses.

CXL
A M. EUGÈNE PELLETAN, A PARIS

Bourges, 28 février 1836.

J'ai reçu votre lettre hier seulement. Je n'habite point Paris, et je n'habite rien les trois quarts de l'année.

Vous avez prodigieusement d'esprit, d'imagination et de talent. Mais votre simplicité est plus affectée que réelle.

Travaillez, vous êtes déjà poète, si, pour l'être, il suffit de faire très bien les vers. S'il y faut quelque chose de plus, vous êtes capable de l'acquérir.—Faites-vous imprimer quand vous l'aurez acquis.

La plastique vous manque, vous le savez; cherchez-la en tout. Byron et Goethe ne s'en sont pas affranchis dans leurs plus fougueuses compositions.

Ne soyez d'aucune école, n'imitez aucun modèle. Ceux qui posent comme tels envient presque toujours les qualités du talent qu'ils censurent et éteignent chez leurs adeptes.

Fuyez Paris, c'est le tombeau des poètes et des artistes. Tout y est chic.

Le troupeau blanc des flots est admirable.

De l'or avec du fer est détestable.

Rien faire qui vaille un sou n'aura jamais de grâce ni de sens.

De tout… de rien, du prix des moutons cette année est naïf et charmant, etc., etc.

Ne soyez pas un composé de noble et de plat, de grand et d'étriqué. Soyez correct, c'est plus rare que d'être excentrique par le temps qui court. Plaire par le mauvais goût est devenu plus commun que de recevoir la croix d'honneur.

Hugo, le plus grand novateur de notre temps, n'a pas triomphé de ces bons classiques dont il s'est moqué, quoiqu'en mille endroits il ait été plus grand qu'eux. Les beautés de détail ne sont rien sans l'ensemble.

Vivant comme je vis, je ne puis vous voir; mais je m'intéresse à vous. Cela vous est dû. Je vous souhaite et vous prédis de l'avenir, si vous êtes sévère envers vous-même, et patient. Si je puis vous obliger je le ferai de bon coeur. Mais soyez sûr que, si vous produisez une bonne oeuvre, vous n'aurez besoin de personne. Soyez sûr, au contraire, que toutes les amitiés littéraires ne feront pas un vrai succès à une production négligée.

Tout à vous.

GEORGE SAND.

CXLI
A M ADOLPHE GUÉROULT, A PARIS

La Châtre, mars 1836.

Mon ami

J'admire beaucoup vos perplexités à propos du titre que vous devez me donner. Il me semble que je m'appelle George et que je suis votre ami, ou votre amie, comme vous voudrez. Je n'entends rien aux compliments. Si je n'avais pas pour vous estime, attachement et confiance, je ne vous aurais pas témoigné confiance, estime et attachement. Après cela, je ne sais plus ce qui peut vous gêner, et vous prie de vous souvenir que je ne suis pas bégueule. Ainsi appelez-moi comme il vous plaira; mais écrivez-moi pour me parler de vous et de mes mioches. Merci mille fois de l'amitié que vous leur accordez. Ils n'en sentent pas le prix maintenant; mais j'acquitterai leur dette d'affection et de reconnaissance tant que je vivrai.

Ils sortiront tous deux aux vacances de Pâques, et vous serez à même de voir Maurice chez Buloz. Emmenez-le quelquefois promener avec vous pour décharger Buloz d'un si lourd fardeau, et rendez-moi bon compte de la conduite de monsieur mon fils. Morigénez-le paternellement; c'est un bon diable qui vous comprendra si vous lui parlez raison.

Solange est impayable avec son poignard dans le coeur ou dans l'estomac. Je pense que ce dernier organe est celui qui joue le plus grand rôle dans sa vie. Elle découchera, je crois, pour les fêtes de Pâques, et ma tante de l'Élysée-Bourbon109 se chargera d'elle; car il faut, par respect pour les moeurs, qu'elle ait son domicile chez des femmes.

Serez-vous assez bon pour conduire son frère auprès d'elle quand il voudra et pour le ramener chez Buloz ensuite, ou au moins pour surveiller ses allées: et venues, de manière qu'il ne soit qu'avec des personnes sûres, qui ne le perdront pas en chemin. Je compte sur vous, sur Papet, sur Boucoiran et sur Buloz.

Je ne puis, quelque chagrin que j'éprouverai à vous perdre pour longtemps peut-être, vous dissuader du voyage en Égypte. Voyager, c'est apprendre; savoir, c'est exister. Vous n'irez pas en Orient et vous n'en reviendrez pas sans avoir acquis beaucoup de connaissances qui vous feront très supérieur à ce que vous êtes déjà. Les gens du monde et les femmes voyagent sans fruit; il n'en sera pas ainsi de vous. Vous observerez, vous verrez différentes races d'hommes, différents modes d'organisation sociale. Vous ne négligerez pas d'apprendre leur histoire, si vous ne la savez déjà, et d'examiner leurs penchants, leurs habitudes.

Vous saurez tout cela, et, quelque talent, quelque mérite que je vous reconnaisse, vous ne changerez pas la face du monde d'une manière bien importante ou bien utile. J'ai mes idées là-dessus. Je n'espère ni ne désire vous les faire partager; car ce sont des idées qui font souffrir ceux qui les ont et qui ne servent à rien pour les autres. Mais je suis sûre que vous reviendrez plus avancé, plus rempli, par conséquent plus calme et plus apte aux choses réelles.

Le seul inconvénient que je voie à cette détermination, c'est qu'un séjour nouveau avec des chefs saint-simoniens augmentera en vous le sentiment de fanatisme pour des hommes et des noms propres. Je n'aime pas ce sentiment, je le trouve petit, ravalant et niais. Je l'éprouve souvent, et il n'y a pas vingt-quatre heures que j'ai eu une forte lutte à soutenir contre moi-même pour m'en défendre, en présence d'un homme politique d'un très grand aspect.

Je ne me suis enrôlée sous le drapeau d'aucun meneur, et, tout en conservant estime, respect et admiration pour tous ceux qui professent noblement une religion, je reste convaincue qu'il n'y a pas sous le ciel d'homme qui mérite qu'on plie le genou devant lui. Mettez-vous au service d'une idée, et non pas au pouvoir d'Enfantin. Les idées se modifient et s'élargissent en présence de la vérité. Les systèmes rêvés par des individus sont toujours arrêtés au beau milieu du progrès par la fantaisie, l'erreur ou l'impuissance du Créateur, qui ne veut pas de rébellion chez ses créatures. Prenez bien garde à cela.

J'ai causé avec les saint-simoniens, avec les carlistes, avec Lamennais, avec Coëssin, avec le juste milieu, et, hier, avec Robespierre en personne. J'ai trouvé chez tous ces hommes de grandes doses de vertu, de probité, d'intelligence et de raison, et celui qui m'a le plus agitée, c'est celui dont je hais le plus les idées et dont j'admire le plus l'individualité. C'est le dernier, ce qui prouve qu'il est facile d'égarer les hommes et d'abuser des dons de Dieu; mais je fais serment devant lui que, si l'extrême gauche vient à régner, ma tête y passera comme bien d'autres, car je dirai mon mot.

Ce que je vois au milieu de ces divergences de sectes rénovatrices, c'est un gaspillage de sentiments généreux et de pensées élevées; c'est une tendance à l'amélioration sociale; une impossibilité de produire pour le moment, faute de tête à ce grand corps aux cent bras, qui se déchire lui-même, ne sachant à quoi s'attaquer. Ce conflit ne fait encore que bruit et poussière. Nous ne sommes pas dans l'ère où il construira des sociétés, et les peuplera d'hommes perfectionnés.

Croyez le contraire si vous voulez. L'espérance est chose bonne et fortifiante. Mais, plus vous croirez à un prochain succès, plus vous devez le hâter par des efforts inouïs. Travaillez à élargir vos cerveaux. Ce qui vous perd tous, c'est leur étroitesse. Vous n'y pouvez loger qu'un plan de campagne. Quand le terrain change de nature, vous ne savez pas changer de sentier. Vous avez un drapeau au bout de votre lance, un nom sur la langue, une formule dans la tête, et vous vous faites un point d'honneur imbécile et fatal de n'en pas changer à mesure que vous vous éclairez.

Je voudrais voir un homme d'intelligence et de coeur chercher partout la vérité et l'arracher par morceaux à chacun de ceux qui l'ont dépecée et partagée entre eux. Je voudrais le voir passer par toutes les sectes pour les connaître et les juger. Je voudrais qu'au lieu de le mépriser et de le railler pour sa mobilité, les hommes l'écoutassent comme le plus éclairé et le plus zélé des prêtres de l'avenir.

Mais on fait une vertu de l'obstination,—cela convenant aux passions des uns, à l'ignorance des autres.—Si vous n'êtes pas d'une organisation magnifique pour être un chef (et vous êtes d'une nature cent fois trop élevée pour être un soldat), n'ayez ni présomption folle ni servilisme d'humilité. Vous n'êtes donc destiné ni à commander ni à servir. Souvenez-vous de ce que je vous dis: un jour, vous ne croirez plus à aucune secte religieuse, à aucun parti politique, à aucun système social. Vous ne verrez pour les hommes qu'une possibilité d'amélioration soumise à mille vicissitudes. Vous verrez qu'il faut, pour les abriter, un toit de pierre, de paille ou de papier suivant la saison, mais qu'ils étoufferaient vite dans vos palais de diamant, rêves de jeunesse!

Allez toujours, vivez! Aidez à fournir une pierre pour un édifice qui ne sera jamais ni parfait ni solide, mais auquel travailleront de mieux en mieux les générations futures. Travaillez pour que ce qui va mal aille tant soit peu mieux, mais travaillez sans trop d'orgueil. Il vous arriverait plus tard, en voyant le peu que vous avez pu, de tomber dans le découragement, comme vous avez déjà fait par moments; et convenez que, dans ces moments-là, vous êtes sensiblement au-dessous de vous-même.

Il ne serait pas impossible qu'au milieu de tous mes sermons, je me misse aussi à labourer le champ avec une épingle noire et un cure-dent. Ne partez pas trop vite pour l'Égypte. Il est possible que je m'y fasse envoyer pour tâcher d'opérer une fusion entre cette nuance et une autre.

Ma vie de femme est finie, et, puisqu'on m'a fait une petite réputation et une sorte d'influence (que je n'ai ni ambitionnée ni méritée), il m'arrivera peut-être de faire aussi de mon côté un métier de jeune homme.

J'ai regret à ces trésors de vertu et de courage qui s'isolent les uns des autres, et, si je pouvais réussir à fondre ensemble le produit de cinq paires de bras, je croirais avoir assez fait pour ma part, eu égard à la force des miens. Ne parlez de cela à personne et attendez-moi jusqu'au mois de mai. Je vous dirai où j'en suis.

Adieu, mon ami. A vous de tout coeur.

GEORGE SAND.

109.Madame Maréchal.
Yaş sınırı:
0+
Litres'teki yayın tarihi:
26 temmuz 2019
Hacim:
300 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
İndirme biçimi:
epub, fb2, fb3, ios.epub, mobi, pdf, txt, zip

Bu kitabı okuyanlar şunları da okudu