Kitabı oku: «Correspondance, 1812-1876. Tome 1», sayfa 4

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XXV
A MADAME MAURICE-DUPIN, A PARIS

Nohant, 8 mars 1829.

Ma chère maman,

Il y a bien longtemps que je veux vous écrire; mais il a fallu que le carême arrivât pour m'en laisser le temps. Jamais à Paris on ne mena une vie plus active et plus dissipée que celle que nous avons passée durant le carnaval: courses à cheval, visites, soirées, dîners, tous les jours ont été pris, et nous avons beaucoup moins habité Nohant que la Châtre et les grands chemins.

Enfin, nous voici rentrés dans un ordre de choses plus paisible, et je commence, pour que la retraite me soit aussi agréable que les plaisirs me l'ont été, par vous demander de vos nouvelles et vous assurer que je voudrais que vous fussiez ici, où vous vous porteriez bien et vous amuseriez, j'en suis sûre. Un peu de mouvement en voiture, la société de personnes gaies et aimables comme celles dont notre intimité est composée vous plairaient, à vous qui n'aimez pas plus que moi la gêne et les obligations. Le coin du feu a aussi ses plaisirs. Hippolyte l'égaye par son caractère facile, égal, toujours bon et content. Nous rions, chantons et dansons comme des fous, et jamais, depuis bien des hivers, je ne me suis si bien portée. Je lui en attribue tout l'honneur.

Avez-vous toujours votre petit compagnon Oscar? Hippolyte m'a dit qu'il était fort gentil, mais assez délicat. Maurice grandit beaucoup et n'est pas non plus très robuste maintenant. C'est l'âge, dit-on, où le tempérament se développe, non sans quelque effort et quelque fatigue. Il est joli comme un ange, et fort bon. Sa soeur est une masse de graisse, blanche et rose, où on ne voit encore ni nez, ni yeux, ni bouche. C'est un enfant superbe, quoique né imperceptible; mais, pour espérer que ce soit une fille, il faut attendre qu'elle ait une figure. Jusqu'ici, elle en a deux aussi rondes et aussi joufflues l'une que l'autre…. Elle a toujours une bonne nourrice, dont elle se trouve fort bien.

Le mois prochain, vous verrez mon mari, qui retournera avec Hippolyte vendre son cheval. De là, nous irons un mois à Bordeaux et un mois à Nérac, chez ma belle-mère, et nous serons de retour ici au mois de juillet. Si vous voulez, à cette époque, tenir votre promesse, et décider Caroline à vous accompagner, nous passerons en famille tout le temps que vous voudrez; car je n'aurai plus d'obligations de toute l'année, et il me faut des obligations pour quitter Nohant, où j'ai pris racine. Nous vous soignerons bien et vous rajeunirez si fort, que vous retournerez à Paris fraîche et encore très dangereuse pour beaucoup de têtes.

Adieu, ma chère maman. Casimir, Hippolyte, mes deux enfants et moi vous embrassons tous bien tendrement. Gare à vous, au milieu d'un pareil conflit! vous aurez bien du bonheur si vous n'êtes pas étouffée par nos caresses, et nos batailles à qui en aura sa part.

Quand-vous me répondrez, aurez-vous la bonté de me donner quelques conseils sur la façon d'une robe de foulard fort belle qu'on m'envoie de Calcutta et que je ferai moyennant que vous me direz où en est la mode et la manière dont je dois tailler les manches? Je crois que maintenant on les fait droit fil et aussi larges en bas qu'en haut. Mais dirigez-moi, car je suis fort en arrière.

XXVI
A M. DUTEIL, AVOCAT, A LA CHATRE43 (RECOMMANDÉ A MADAME LA POSTE DE LA CHATRE)

Bordeaux, 10 mai 1829.

Hélas! mon estimable ami, que c'est cruel, que c'est effrayant, que c'est épouvantable, je dirai plus, que c'est sciant, de s'éloigner de son endroit et de se voir en si peu de jours transvasé à cent vingt lieues de sa patrie! Si cette douleur est cuisante pour tous les coeurs bien nés, elle est telle pour un coeur berrichon particulièrement, qu'il s'en est fallu de peu que je ne fusse noyée dans un torrent de pleurs, répandues par Pierre44, Thomas45, Colette46, Pataud47, Marie Guillard48 et Brave49; torrent auquel j'en joignis un autre de larmes abondantes. Que dis-je! un torrent? c'était bien une mer tout entière.

Après avoir embrassé ces inappréciables serviteurs, les uns après les autres, je m'élançai dans la voiture, soutenue par trois personnes, et j'arrivai sans encombre à Châteauroux. Là, nous fûmes singulièrement égayés par la conversation piquante et badine de M. Didion, qui nous fit pour la cinquante-septième fois le récit de la maladie et de la mort de sa femme, sans omettre la plus légère particularité.

A Loches, mon ami, vous croyez peut-être que je me suis amusée à penser que ces tourelles noircies, où ma cuisinière mourrait du spleen, avaient été la résidence d'un roi de France et de sa cour; ou bien que j'ai demandé aux habitants des nouvelles d'Agnès Sorel?… J'avais bien autre chose dans l'esprit. Je songeais, avec recueillement, avec émotion, au passage dans cette ville du respectable et philanthrope M. Blaise Duplomb50, lequel fut rattrapé par des querdins de zendarmes qui l'attacèrent à la queue de leurs cevaux et… Mais vous savez le reste! Il est trop pénible de revenir sur de si déplorables circonstances.

Enfin, mon estimable ami, la présente est pour vous dire qu'après cinq jours d'une traversée fatigante et dangereuse, à travers des déserts brûlants et des hordes d'anthropophages, après une navigation de cinq minutes sur la Dordogne, pendant laquelle nous avons couru plus de périls et supporté plus de maux que la Pérouse dans toute sa carrière, nous sommes arrivés, frais et dispos, en la ville de Bordeaux, presque aussi belle qu'un des faubourgs de la Châtre, et où je me trouve fort bien; regrettant néanmoins, vous d'abord, mon ami, puis votre tabatière, puis les deux lilas blancs qui sont devant mes fenêtres, et pour lesquels je donnerais tous les édifices que l'on bâtit ici.

… Adieu, mon honorable camarade, soutenons toujours de nos lumières, et de cette immense supériorité que le ciel nous a donnée en partage (à vous et à moi), la cause du bon sens, de la nature, de la justice, sans oublier la morale, la culture libre du tabac et le régime de l'égalité.

Rappellez-moi au souvenir d'Agasta51. Quant à vous, frère, je vous donne l'accolade de l'amitié et vous prie de vous souvenir un peu de moi.

Hélas! loin de la patrie, le ciel est d'airain, les pommes de terre sont mal cuites, le café est trop brûlé.

Les rues, c'est de la séparation de pierres; cette rivière, c'est de la séparation d'eau; ces hommes, de la séparation en chair et en os! Voyez Victor Hugo.

AURORE

XXVII
A M. CARON, A PARIS

Bordeaux, 4 juin 1829.

Aimable, estimable, respectable et vénérable octogénaire; c'est pour avoir l'avantage de savoir des nouvelles de votre chancelante et précieuse santé que la présente vous est adressée par votre fille soumise et subordonnée. Comment traitez-vous ou plutôt comment vous traite la goutte, le catharre, la crachomanie, la prisomanie, la mouchomanie, en un mot le cortège innombrable des maux qui vous assiègent depuis tantôt quarante-cinq ans que j'ai le bonheur de vous connaître? Fasse le ciel, ô digne vieillard, que vous conserviez le peu de cheveux et les deux ou trois dents qui vous restent, comme vous conserverez, jusqu'à la mort, le sentiment, et le dévouement de tous ceux qui vous entourent!

C'est aussi pour vous dire que nous sommes pour le moment dans la ville de Bordeaux, qui est grande et bien faite, regrettant amèrement que vous n'ayez pu mettre à exécution le projet que vous aviez formé de venir vous y divertir avec nous. Ah! bon père! de combien de soins, de combien de tendresses, de combien de bouteilles de vin de Bordeaux, n'eussions-nous pas entouré votre vieillesse! Certes notre affection et la bonne chère vous eussent rendu cette verdeur de la jeunesse que vous regrettez en vain maintenant. Nous vous eussions procuré de bienfaisantes transpirations en vous faisant manger des artichauts crus; et un sommeil réparateur vous eût doucement bercé jusqu'à une heure de l'après-midi; mais, hélas! où êtes-vous?

Vous imaginez bien, mon cher ami, que nous trottons ici comme des lièvres, que nous flânons comme…? comme vous. Nous allons au spectacle, au café, à la campagne, sur la rivière; nous visitons les collections, les églises, les caveaux, les morts, les vivants: c'est à n'en pas finir. Nous allons voir la mer dans deux ou trois jours. Nous confions nos augustes personnes et notre précieuse existence aux flots capricieux, aux vents impétueux et au savoir chanceux d'un pilote expérimenté. Priez pour nous, saint homme, vieillard austère et séraphique! Si nous périssons dans cette lutte, je vous promets d'aller vous tirer par les pieds. Vous verrez mon ombre pâle, couronnée d'algue verte et sentant la marée à plein nez, errer autour de votre lit et chanter comme une mouette pendant votre sommeil. Alors, pieux cénobite, dites le chapelet à mon intention et répandez de l'eau bénite autour de vous.

Si pourtant, comme je l'espère, une destinée moins poétique me ramène saine et sauve à l'hôtel de France52, je partirai peu de jours après pour Guillery, où je vous prie de m'adresser votre réponse et celle de ma petite Félicie, à qui je vous prie de remettre en particulier la lettre ci-incluse.

Nous avons ici M. Desgranges53, que vous connaissez je crois. Plus, l'avocat général54, qui me charge de vous-dire mille choses affectueuses et obligeantes.

Plus, une douzaine de parents ennuyeux; plus, deux ou trois autres amis fort aimables qui ne nous quittent pas. Le temps vole trop vite au milieu de ces distractions, qui me remontent un peu l'esprit.

Il faudra pourtant reprendre le cours tranquille des heures à Nohant. Ce n'est pas que je m'en inquiète beaucoup: j'ai, comme vous, bon père, un fonds de nonchalance et d'apathie qui me rattache sans effort à la vie sédentaire, et, comme dit Stéphane, animale.

Ah çà, que faites-vous? N'êtes-vous pas un peu fatigué d'affaires et n'aurez-vous pas quelques jours de liberté? Vous savez que vous vous êtes formellement et solennement engagé à venir vous reposer près de nous, dès que vous en trouveriez la possibilité. Je désire vivement que ce temps arrive, et, en attendant, j'ai l'honneur d'être, ô vertueux père de famille, votre fille et amie,

AURORE.

Casimir vous embrasse et vous prie de vous occuper de son affaire, je ne sais laquelle.

XXVIII
A MADAME MAURICE DUPIN, A PARIS

Bordeaux, 11 juin 1829

Dites-moi donc, ma chère petite mère, ce que c'est que cette histoire de naufrage qui m'a frappée dans mon enfance et qui s'est passée, autant qu'il m'en souvient, aux lieux où je suis? Je vous vois encore tout effrayée; je me rappelle mon père se jetant à l'eau pour sauver son sabre, après nous avoir mises en sûreté; puis les jurements des matelots; puis l'eau qui entrait dans l'embarcation.

Veuillez me raconter tout cela, afin que je comprenne ce qui m'est arrivé et que je puisse me vanter d'avoir couru un fameux danger. Ce sera d'autant plus nécessaire à ma gloire, que, dans l'expédition que je viens de faire, je n'ai pas eu la satisfaction de la plus petite tempête.

Vous qui avez été partout, vous connaissez la tour de Cordouan, seule sur un rocher au milieu de la mer, vis-à-vis des côtes de la Saintonge et de la Gascogne. On prétend que c'est un voyage difficile et dangereux; et voyez comme c'est vexant: pour une fois que nous y allons, les vents sont favorables, les flots dociles et les pilotes excellents! Enfin l'humiliation a été complète, aucun de nous n'a eu le mal de mer, et nous sommes revenus aussi sains, aussi gais (je ne dirai pas aussi frais, car nous étions noirs comme des Cafres et rouges comme des Caraïbes), en un mot aussi dispos que si nous eussions fait un tour sur le boulevard de Gand.

Un succès aussi facile me donne une fière envie de faire le tour du monde sur un navire, et d'aller à la Chine comme qui prend une prise de tabac. Ne vous effrayez pourtant pas trop de ce projet, et ne croyez, pas qu'au premier jour vous allez recevoir une lettre de moi datée de Pékin. Pour le moment, je tâcherai de me contenter des pékins qui m'environnent, et, dans un mois au plus, je reverrai Nohant, qui a bien aussi ses Chinois et ses magotes.

Hippolyte me mande que vous avez presque le projet de venir à Nohant cet été. Dieu vous maintienne dans cette bonne idée!

Adieu, chère maman; je vous embrasse; mais non, je n'en suis pas digne, je baise votre pantoufle.

XXIX
A LA MÊME

Nohant, 1er août 1829.

Ma chère maman,

Je suis enfin de retour et Hippolyte est près de moi avec sa famille. Sa femme est bien fatiguée; mais j'espère que quelques jours de repos la remettront. J'ai passé chez ma belle-mère quinze jours fort agréables, qui m'ont rétablie à peu près. J'en avais grand besoin, j'étais souffrante jusqu'à perdre patience; malgré cela, je me félicite de mon voyage, et, sauf le dernier mois que j'ai presque entièrement passé dans mon lit, mon séjour à Bordeaux m'a offert beaucoup de plaisirs de mon goût, c'est-à-dire point de monde et beaucoup de courses.

Je n'en ai pas moins eu un plaisir infini à me retrouver chez moi avec tous ceux que j'aime. Il ne nous manque que vous pour être parfaitement heureux.

Nous goûtons dans tout son charme le calme de la vie paisible et retirée; nous n'avons pas d'importuns, pas de faux amis, du moins nous le croyons ainsi. Nos jours s'écoulent comme des heures, et sans que rien pourtant en interrompe l'uniformité. Cette paix profonde est fort du goût de ma belle-soeur. Hippolyte s'en arrange aussi, parce qu'elle lui donne une liberté parfaite, qui est son essence. Il monte beaucoup à cheval. Nous voyons toujours nos anciens amis; mais j'ai retranché tout doucement beaucoup de mes relations. J'étais très fatiguée, je pourrais même dire ennuyée, de voir autant de monde. Une société nombreuse et superficielle n'est pas ce qui me convient, et je crois que vous êtes tout à fait de mon avis, qu'il vaut mieux le coin du feu qu'un panorama de figures toujours nouvelles qui passent sans qu'on ait eu le temps d'apprécier leurs qualités et leurs défauts. Je m'en tiens donc à deux ou trois femmes sur l'amitié desquelles je puis me reposer, ce qui est déjà assez rare. Quant aux hommes, ils n'ont pas des dehors fort brillants; mais ce sont les meilleures gens du monde; vous en avez vu un échantillon: notre ami Duteil, qui n'est pas beau ni élégant, j'en conviens, mais qui a de l'esprit, en revanche, et le caractère le plus aimable et le plus égal.

Vous nous avez promis depuis bien longtemps, ma chère maman, de venir refaire connaissance avec Nohant; vous ne pouvez choisir un meilleur moment pour nous faire ce plaisir, puisque Hippolyte et sa femme y sont déjà et que je n'ai nulle affaire qui me force à le quitter d'ici à plusieurs mois. Si vous vous sentez assez forte pour entreprendre la route, vous nous trouverez toujours heureux de vous soigner et de vous distraire autant qu'il dépendra de nos ressources à cet égard.

Mes enfants se portent bien. Maurice vous embrasse, et nous en faisons tout autant, si vous le permettez. Moi, pour ma part, je réclame pourtant un plus gros baiser que les autres.

XXX
A M. JULES BOUCOIRAN, A PARIS55

Nohant, 2 septembre 1829.

M. Duris-Dufresne 56 m'a fait passer, monsieur, votre réponse aux propositions dont il a bien voulu se charger de ma part auprès de vous. Nous sommes d'accord dès ce moment, et, si mon offre vous convient toujours, je vous attendrai au commencement d'octobre. Le bien que M. Duris-Dufresne nous a dit et de la méthode et du professeur nous donne un vif désir de connaître l'un et l'autre, et nous nous efforcerons de vous rendre agréable le séjour que vous ferez parmi nous.

Si, dans votre méthode, il est quelque préparation préalable qu'il soit à ma portée de donner à mon fils, veuillez me l'indiquer, afin de rendre votre travail plus facile; sinon, je le disposerai toujours à vous montrer de la docilité et de la reconnaissance, et, ce dernier sentiment, ses parents le partageront, n'en doutez pas.

Agréez, monsieur, l'assurance de la considération distinguée avec laquelle j'ai l'honneur de vous saluer.

AURORE DÙDEVANT.

XXXI
A M. CARON, A PARIS

Nohant, 1er octobre 1829.

Mon cher Caron,

Je suis bien votre servante. Je vous salue et vous embrasse de tout mon coeur. Maintenant, dites-moi ce que vous avez fait d'une certaine lettre de Félicie que vous m'annoncez et que vous ne m'avez pas envoyée? Tête de linotte! à votre âge! fi! Cherchez sur votre bureau et réparez votre oubli en me la renvoyant bientôt et m'écrivant aussi, pour votre part, une longue lettre.

Permettez-moi de vous donner quelques commissions. Il y a longtemps que je ne vous ai embêté, comme dit Pauline; et ce serait dommage d'en perdre l'habitude. Ayez la bonté de m'acheter trois ou quatre petites boîtes de poudre de corail pour les dents, comme celle que vous m'avez donnée une fois; plus une aune de levantine noire au grand large: c'est pour faire un tablier sans couture. En expliquant l'affaire, vous trouverez cela dans un bon magasin de soieries. Plus, j'ai une guitare chez Puget que je désirerais ravoir (la guitare, s'entend). Veuillez la faire redemander par madame Saint-Agnan, et, s'il n'y a pas de boîte, veuillez la faire emballer et tenir ces choses prêtes chez vous, où M. de Sèze les ira prendre pour me les apporter. Cela lui procurera le plaisir de vous voir, dont il est fort désireux. Il nous a demandé votre adresse.

Remettez-lui aussi le volume de Paul-Louis Courier, et recevez tous mes remerciements.

XXXII
A M. JULES BOUGOIRAN, A NOHANT

Périgueux, 30 novembre 1829.

Mon cher Jules,

Comment vont mes enfants? et vous? et tous les miens? Je suis impatiente d'avoir de vos nouvelles et des leurs. Je n'en ai pas encore reçu et je suis bien près de m'en tourmenter.

Vous étiez de retour à Nohant vendredi soir, vous auriez dû m'écrire le lendemain; peut-être demain matin aurai-je une lettre de vous ou de mon frère. J'en ai besoin pour être tout à fait contente; car, à tous autres égards (vous prétendez que c'est mon mot), je suis bien de corps et d'esprit.

Mon voyage a été sinon rapide, du moins heureux. Ma santé est fort bonne et mon coeur assez content. Hâtez-vous donc de me dire que ma famille va bien aussi; mon Maurice surtout, mon méchant drôle, que j'aime pourtant plus que tout au monde, et sans lequel je n'aurais pas de bonheur. Dort-il? mange-t-il? est-il gai? est-il bien? Ne soyez pas trop indulgent pour lui, et, pourtant, le plus que vous pourrez, faites-lui aimer le travail. Je sais bien que ce n'est pas chose aisée. Quand je suis là pour sécher ses pleurs et le voir ensuite dormir dans son berceau, je ne m'en inquiète guère; mais, de loin, ma faiblesse de mère se réveille, et je ne sens plus que de la douleur, en songeant qu'il est peut-être à se lamenter devant son livre. Sotte chose que l'enfance de l'homme, sotte chose que sa vie tout entière!

Enfin, mon cher enfant, faites pour lui ce que vous feriez, ce que vous ferez un jour pour votre propre fils. Suivez son éducation; mais, avant tout, surveillez sa santé. Ayez aussi l'oeil sur ma petite pataude et l'oreille à ses cris. Je vous ai déjà dit tout cela. Je suis rabâcheuse et ennuyeuse comme toutes les vieilles. Vous me le pardonnerez; car vous avez une mère aussi, et, si vous étiez malade chez moi, je vous soignerais comme elle-même. Je vous ai confié mon bien le plus précieux, vous m'avez promis d'en être responsable.

Répondez bien à toutes mes questions, répétez dix fois la même chose sans vous, lasser, et ne laissez pas passer deux jours sans me tenir au courant. Vous me prouverez ainsi que vous avez autant d'amitié pour moi que j'en ai pour vous.

Je pense repartir vers le milieu de la semaine prochaine. Écrivez jusqu'à ce que je vous avertisse. Adieu.

Soignez aussi mon bengali, et dites-moi s'il n'était pas mort de soif quand vous êtes arrivé. Tenez un peu compagnie à ma pauvre Emilie 57, qui s'ennuie souvent. Je sais que vous êtes bon, attentif et obligeant.

Je compte sur vous pour me remplacer en toute chose.

AURORE DUDEVANT.

XXXIII
AU MÊME

Périgueux, 8 décembre 1829.

Mon cher Jules,

J'ai reçu trois lettres de vous. J'ai écrit ce matin à mon frère pour lui recommander de vous donner ma clef tant que vous voudriez. On n'a pas compris que je le recommandais en partant, ou, dans l'agitation de ce moment, je ne me suis peut-être pas bien expliquée. C'était pourtant mon intention, recevez-en mes excuses. Du reste, vous avez eu, j'espère, à votre disposition la clef de la grande bibliothèque vous avez pu lire à votre aise. Si l'on n'a pas fait de feu dans votre chambre, c'est bien votre faute. Il tenait qu'à vous d'en allumer, et vous n'êtes pas si niais, je pense, que d'y mettre de la discrétion.

Recommandez donc bien mon bengali et veillez à ce qu'il soit bien tenu; car, si je le retrouve mal soigné, je ferai un train du diable à André 58. Faites faire du feu tous les jours dans mon petit réduit, afin qu'en y rentrant, ce qui aura lieu à la fin de la semaine, je ne le trouve pas froid comme glace. Priez aussi mon frère de monter souvent Liska 59.

J'ai commencé par où je voulais finir; mais j'ai bien fait, car les petites choses qu'on remet, on les oublie, et les grandes ne sont pas pressées, vu qu'on ne les oubliera pas. Parlons donc de mes enfants. Ma fille est enrhumée, dites-vous? Si elle l'était trop, faites-lui le soir un lait d'amande, vous avez ce petit talent; mettez y quelques gouttes d'eau de fleurs d'oranger, et une demi-once de sirop de gomme. Maurice lit donc bien? Cela me fait plaisir, c'est pourquoi je lui écris. Je ne peux vous en dire davantage, le temps me presse.

Ma santé se maintient bonne, et, d'ailleurs, je suis en humeur de chanter le Nunc dimittis. Vous ne savez pas, hérétique, ce que cela signifie? Je vous le dirai. Bonsoir. Merci de votre exactitude, merci du fond du coeur. Rien ne m'est si doux que de recevoir des nouvelles de ma chère famille. Soignez toujours mon Maurice.

Adieu; ne m'écrivez plus, je pars incessamment.

AURORE DUDEVANT

43.Alexis Pouradier-Duteil, avocat à la Châtre, puis président à la Cour d'appel de Bourges, après avoir occupé les fonctions de procureur général auprès de cette même cour.
44.Pierre Moreau, jardinier.
45.Thomas Aucante, vacher.
46.Jument de George Sand.
47.Chien de garde.
48.Cuisinière.
49.Chien des Pyrénées.
50.Propriétaire à la Châtre.
51.Madame Duteil.
52.A Bordeaux.
53.Armateur bordelais.
54.M. Aurélien de Sèze.
55.Jules Boucoiran, précepteur de Maurice, puis ami intime de la famille. Plus tard, rédacteur en chef du Courrier du Gard.
56.Duris-Dufresue, député de l'Indre.
57.Madame Hippolyte Chatiron, belle soeur de Georges Sand.
58.Domestique de la maison.
59.Jument de selle de George Sand.
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