Kitabı oku: «Correspondance, 1812-1876. Tome 1», sayfa 6

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XXXIX
A MADAME MAURICE DUPIN, A PARIS

Nohant, 19 avril 1830.

Ma chère maman,

J'ai été empêchée de vous écrire par une ophthalmie qui m'a fait beaucoup souffrir pendant plus d'un mois et dont je ne suis pas tout à fait débarrassée, j'ai encore les yeux malades et fatigués le soir. Néanmoins, je suis assez bien pour mettre à exécution un projet dont je n'ai pas voulu vous faire part avant qu'il fût tout à fait arrêté. Je vais aller passer quelques jours auprès de vous, et, de plus, je vous mène Maurice, afin que vous fassiez connaissance avec lui. Il en meurt d'envie et me fait mille questions sur votre compte.

Je profite d'une occasion agréable et commode pour le voyage: le sous-préfet et sa femme62 vont aussi prendre l'air de Paris et m'offrent place dans leur calèche. Une fois près de vous, j'espère bien vous décider à revenir avec moi; vous n'aurez plus de défaites à me donner; nous ferons le voyage aussi long que vous voudrez. Nous nous arrêterons pour vous laisser reposer où il vous plaira; enfin, je vous soignerai si bien en route, que vous ne vous apercevrez pas de la fatigue. Mais c'est de quoi nous aurons le loisir de parler ensemble la semaine prochaine, c'est-à-dire le 30 de ce mois ou le 1'er mai.

Dites à l'ami Pierret de s'apprêter à gâter Maurice, comme il m'a gâtée jadis; ce qui ne nous rajeunit ni les uns ni les autres. Si j'avais été seule, je vous aurais priée de me donner un lit de sangle au pied du vôtre; mais Maurice est un camarade de lit assez désagréable; d'ailleurs, Hippolyte désire que je donne un coup d'oeil à sa maison63. J'occuperai donc son appartement; ce qui ne m'empêchera pas de vous voir tous les jours et de vous mener promener.

J'espère bien vous redonner des jambes. Je me rappelle qu'à mon dernier voyage, je vous ai été enlever, un jour que vous étiez malade, et que j'ai réussi à vous égayer et à vous guérir. Je compte encore livrer l'assaut à votre paresse et vous rendre plus jeune que moi. Ce ne sera pas beaucoup dire quant au physique; car je suis un peu dans les pommes cuites, comme vous verrez; mais le moral ne vieillit pas autant et je suis encore assez folle quand je me mêle de l'être.

Adieu, ma chère maman; bientôt je vous dirai bonjour. Je suis heureuse d'avance. Faites que je vous trouve bien portante; car, malgré mon empressement à vous soigner, j'aime mieux que vous n'en ayez pas besoin. Je vous embrasse mille fois.

Émilie, Casimir, Hippolyte et nous tous vous embrassons tendrement.

XL
A M. JULES BOUCOIRAN, A PARIS

Nohant, 20 juillet 1830.

Mon cher enfant,

Où êtes-vous? Je vous écris à tout hasard à Paris. Vous m'aviez promis de venir me voir aussitôt votre retour dans le pays, et je ne vous vois point arriver. Dernièrement madame Saint-Agnan me mandait qu'elle vous voyait souvent. Pourquoi ne m'écrivez-vous pas? Je sais que vous vous portez bien, que vous avez conservé l'habitude de cette gaieté bruyante que je vous connais. Mais ce n'est pas assez; je veux que vous bavardiez un peu avec moi et me racontiez ce que vous faites et ne faites pas.

Moi, je ne vous dirai rien de curieux. Vous savez comment on vit à Nohant; le mardi ressemble au mercredi, le mercredi au jeudi, ainsi de suite. L'hiver et l'été apportent seuls quelque diversion à cet état de stagnation permanente. Nous avons le sentiment ou, si vous aimez mieux, la sensation du froid et du chaud pour nous avertir que le temps marche et que la vie coule comme l'eau. C'est un cours tranquille, celui qui me mène et je ne demande pas à rouler plus vite. Mais vous, dans ce grand et fatigant Paris, comment prenez-vous le fardeau de l'existence? Ah! il est lourd à porter par un temps chaud, avec de longues courses à faire. Je m'y suis amusé ou amusée (comme votre sublime exactitude grammaticale l'entendra). Mais je suis bien aise d'être de retour. Arrangez cela comme vous voudrez.

J'en conclus que je me trouve bien partout, grâce à ma haute philosophie, ou à ma profonde nullité. Vous aimiez assez notre vie paisible, vous êtes né pour cela, et vous avez une tournure faite exprès pour le grand canapé somnifère de mon silencieux salon. Ne viendrez-vous pas bientôt y lire les journaux ou vous y enfoncer dans une léthargie demi-méditative, demi-ronflante?

Il me tarde de vous embrasser, mon cher enfant, de vous morigéner par-ci par-là, avec toute l'autorité que mon âge vénérable et mon caractère grave me donnent sur votre folâtre jeunesse. En attendant, écrivez-moi, ou nous nous fâcherons.

Bonsoir, mon cher fils; je suis toujours à moitié aveugle: c'est pour qu'il ne me manque aucune des infirmités dont l'imbécillité se compose.

Cela ne m'empêche pas de vous aimer tendrement. Quand vous viendrez, demandez, je vous prie, à madame Saint-Agnan si elle n'a rien à m'envoyer de chez Gondel64. Achetez-moi aussi quelques cahiers de papier pareil à celui de cette lettre. Quand je dis quelques, c'est-à-dire une vingtaine. Je vous dois beaucoup de choses. Il me tarde de m'acquitter envers vous. Mais ce que je ne vous rembourserai qu'en amitié, c'est l'infatigable obligeance que vous avez eue pour moi à Paris et à laquelle je sais être sensible, quoique bourrue.

Maurice vous embrasse; il lit bien, mais n'écrit pas assez couramment pour commencer l'orthographe; d'ailleurs, je n'ai encore examiné qu'imparfaitement votre méthode. Je veux m'en pénétrer un peu plus, avant de la mettre en pratique, et votre secours ne me sera pas inutile.

XLI
AU MÊME

La Châtre, 31 juillet 1830, onze heures du soir.

Oui, oui, mon enfant, écrivez-moi. Je vous remercie d'avoir pensé à moi au milieu de ces horreurs. O mon Dieu, que de sang! que de larmes!

Votre lettre du 28 ne m'est arrivée qu'aujourd'hui 31. Nous attendions des nouvelles avec une anxiété! Cependant, nous savions à peu près tout ce qu'elle contient par mille voies diverses, et les versions diffèrent peu les unes des autres. Mais rien d'officiel! Nous espérons que ce sera demain; car nous avons besoin de cela pour coopérer aussi de tous nos faibles moyens au grand oeuvre de la rénovation. Ah Dieu! l'emporterons nous? Le sang de toutes ces victimes profitera-t-il à leurs femmes et à leurs enfants!

Votre lettre a été lue par toute la ville; car on est avide de détails et chacun fournit son contigent; écrivez donc, songez qu'on s'arrachera les nouvelles et ne me parlez que des affaires publiques. Mon pauvre enfant, en dépit de la fusillade et des barricades, vous avez réussi à m'informer de ce qui se passait. Croyez-le bien, parmi tous ceux pour qui je frémis, vous n'êtes pas un de ceux qui m'intéressent le moins. Ne vous exposez pas, à moins que ce ne soit pour sauver un ami; alors je vous dirais ce que je dirais à mon propre fils: «Faites-vous tuer plutôt que de l'abandonner.» Au nom du ciel, si vous pouvez circuler sans danger, informez-vous du sort de ceux qui me sont chers.

Les Saint-Agnan n'ont-ils pas souffert? Le père était de la garde nationale. On en est à se dire: «Un tel est-il mort?» Il y a trois jours, la mort d'un ami nous eût glacés; aujourd'hui, nous en apprendrons vingt dans un seul jour peut-être, et nous ne pourrons les pleurer. Dans de tels moments, la fièvre est dans le sang, et le coeur est trop oppressé pour se livrer à la sensibilité.

Je me sens une énergie que je ne croyais pas avoir. L'âme se développe avec les événements. On me prédirait que j'aurai demain la tête cassée, je dormirais quand même cette nuit; mais on saigne pour les autres. Ah! que j'envie votre sort! Vous n'avez pas d'enfant! Vous êtes seul; moi, je veille comme une louve veille sur ses petits. S'ils étaient menacés, je me ferais mettre en pièces.

Mais que voulais-je vous dire? Mes pensées se ressentent du désordre général. Courez à l'hôtel d'Elboeuf, place du Carrousel. Il est pillé, dévasté sans doute. Sachez si ma tante, madame Maréchal, et sa famille out échappé aux désastres de ces journées de meurtre. Mon oncle était inspecteur de la maison du roi. Je me flatte qu'il était absent. Mais sa femme et sa fille, seules au centre de la tempête! Son gendre est brigadier aux gardes du corps; est-il mort? S'il ne l'est pas, vivra-t-il demain? Je n'ai pas le courage de leur écrire. D'ailleurs, où sont-ils? Et puis peuvent-ils songer, s'ils out été maltraités, comme je le crains, à donner de leurs nouvelles? Mais vous, mon enfant, qui êtes actif, bon et dévoué à vos amis, vous pouvez peut-être me tirer de cette horrible inquiétude. Faites-le si le combat a cessé, comme on le dit. Hélas! ne recommencera-t-il pas bientôt?

Que je vous dise ce qui se passe chez nous. Notre ville est la seule qui se montre vraiment énergique. Qui l'aurait cru? elle seule marche. Châteauroux est moins déterminée. Issoudun ne l'est pas du tout; néanmoins, les gardes nationales s'organisent, et, si l'autorité (l'autorité renversée) lutte encore, nous résisterons bien. Dans ce moment, la gendarmerie est la seule force qu'on ait à nous opposer; c'est si peu de chose contre la masse, qu'elle se tient prudemment en repos. Nous n'avons qu'un danger à courir, celui d'être assaillis par un régiment détaché de Bourges pour nous soumettre. Alors on se battra.

Les deux hommes d'ici sont des plus décidés. Casimir est nommé lieutenant de la garde nationale, et cent vingt hommes sont déjà inscrits. Nous attendons avec impatience la direction que nous donnera le gouvernement provisoire. J'ai peur, mais je n'en dis rien; car ce n'est pas pour moi que j'ai peur. En attendant, on se réunit, on s'excite mutuellement.

Et vous, que ferez-vous? La famille Bertrand viendra-t-elle ici bientôt? L'accompagnez-vous toujours? Je désire bien vous revoir.

Parlez-moi de notre député; est-il arrivé sans événement? Nous l'avons vu partir au plus rude moment et nous frémissions de ce qui pouvait lui arriver. Nous espérons maintenant qu'il a pu entrer sans danger, mais nous sommes impatients d'en avoir la certitude. Tâchez de le voir, et priez-le, s'il a un instant de loisir, de me donner de ses nouvelles. Il est notre héros, et, comme notre attachement est son unique salaire, il ne peut pas refuser celui-là.

Adieu, mon cher enfant. Où sont nos paisibles lectures et nos jours de repos? Quand reviendront-ils? La guerre n'est pas mon élément; mais, pour vivre ici-bas, il faut-être amphibie. S'il ne fallait que mon sang et mon bien pour servir la liberté! Je ne puis pas consentir à voir verser celui des autres, et nous nageons dans celui des autres! Vous êtes heureux d'être homme; chez vous, la colère fait diversion à la douleur. Merci encore une fois de votre lettre.

Ne vous lassez pas de nous donner des détails. Je ne crois pas qu'il ait pu rien arriver à ma mère; mais la pauvre femme a dû avoir bien peur. Voyez-la, je vous en prie; elle demeure près de vous, boulevard Poissonnière, n^o 6. Ne vous étonnez pas si son accueil est singulier; elle a l'étrange manie de prendre tous les gens qu'elle ne connaît pas pour des voleurs. Criez-lui en entrant que vous venez de ma part savoir de ses nouvelles, et, si elle vous reçoit froidement, ne vous en inquiétez pas. Je vous saurai gré de ce nouveau service. Adieu.

XLII
A MADAME MAURICE DUPIN, A CHARLEVILLE

7 septembre 1830.

J'aurais répondu plus tôt à votre lettre, ma chère petite mère, si je n'eusse été fort malade. On a craint pour moi une fièvre cérébrale, et, pendant quarante-huit heures, j'ai été je ne sais où. Mon corps était bien au lit sous l'apparence du sommeil, mais mon âme galopait dans je ne sais quelle planète. Pour parler tout simplement, je n'y étais plus et je ne me sentais plus.

Casimir est fort sensible à vos reproches; il assure qu'il ne les mérite pas. On lui a dit chez ma tante que vous étiez partie. Il en était si convaincu, qu'il me l'a dit en arrivant ici. Il n'a point été s'en assurer par lui-même; il regardait cela comme une course inutile, dans la certitude où il était de ne point vous rencontrer. Il était tellement pressé, tellement occupé d'affaires politiques et de commissions dont la ville de la Châtre l'avait chargé pour les Chambres, qu'il regardait, avec raison, son temps comme fort précieux. Forcé de revenir au bout de huit jours, ce n'est pas sans peine qu'il a rempli si vite sa mission. Ce que je ne conçois pas, c'est qu'on l'ait induit en erreur, lorsque, d'après ce que vous me dites, on savait que vous étiez encore à Paris. J'ai des lettres de lui datées de cette époque dans lesquelles il me dit positivement: «Ta mère est partie pour Charleville, c'est pourquoi je n'ai pu la voir.»

Casimir est incapable d'un mensonge et il ne peut avoir de raison pour vous éviter; ainsi, tout cela est le résultat d'un malentendu. Il était décidé à vous ramener ici avec lui, si vous y eussiez consenti.

Vous avez été près de Caroline. Je suis loin d'en être jalouse. Elle était malade, et je n'ai qu'un regret, c'est que les liens qui me retiennent ici m'aient empêchée de vous y accompagner. Je l'aurais soignée avec zèle; mais, outre que l'arrivée de deux personnes de plus dans son ménage eût pu la gêner beaucoup, il ne m'est pas facile de quitter mes petits enfants, encore moins de les faire voyager avec moi. Voici l'âge où Maurice a besoin de leçons suivies et je suis comme enchaînée à la maison. J'ai renoncé aux longues courses; ce qui me force de négliger celles de mes connaissances qui demeurent à cinq ou six lieues.

Oscar doit être un beau garçon bien avancé. S'il était à moi, avec les dispositions qu'il a pour le dessin, j'en ferais un peintre. C'est l'avenir que je rêve pour le mien. Il annonce aussi du goût pour cet art. C'est, à mon gré, le plus beau de tous, celui qui peut occuper le plus agréablement la vie, soit qu'il devienne un état, soit qu'il serve seulement à l'amusement. Il me fait passer tant d'heures de plaisir et de bonheur que je passerais peut-être à m'ennuyer! Si j'avais un talent véritable, je sens qu'il n'y aurait pas de sort plus beau que le mien et j'oublierais bien au fond de mon cabinet les intrigues et les ambitions qui font les révolutions.

Que dites-vous de celle-ci? Je suis loin de la croire finie, et j'ai peur même que tout ce qu'on a fait ne serve à rien. Mais vous en avez par-dessus la tête, vous qui avez vu tout cela. Je ne veux pas vous en parler.

Vous me rendez heureuse en m'apprenant que vous êtes plus forte que vous ne disiez. Je le pensais bien. Vous vous exagériez votre faiblesse. Je crois que je tiens de vous sous le rapport de la santé; je suis sujette à de fréquentes indispositions, à des souffrances presque continuelles; mais, au fond, je suis extrêmement forte, comme vous, et d'étoffe à vivre longtemps sans infirmité, en dépit de tous ces arias de bobos.

Soignez-vous bien, mais ne vous figurez donc pas que vous avez cent ans; toutes les femmes de votre âge ont l'air d'avoir vingt ans de plus que vous. En ne vous affectant pas, en ne vous laissant pas gagner par l'ennui et la tristesse, vous serez longtemps jeune.

Restez près de ma soeur tant qu'elle aura besoin de vous et que vous vous plairez dans ce pays. Dès que vous éprouverez le besoin de changer de place et la force de le faire, venez ici. Vous y resterez dix ans si vous vous y trouvez bien, huit jours si vous vous ennuyez. Vous serez libre comme chez vous, vous vous lèverez, vous vous coucherez, vous serez seule, vous aurez du monde, vous mangerez comme bon vous semblera, vous n'aurez qu'à parler pour être obéie. Si vous n'êtes pas contente de nous, je suis bien sûre que ce ne sera pas de notre faute.

Adieu, ma chère maman; je vous embrasse de toute mon âme, ainsi que ma soeur et Oscar.

Donnez-moi de vos nouvelles et des leurs.

XLIII
A M. JULES BOUCOIRAN, A CHATEAUROUX

Nohant, 27 octobre 1830.

Je vous remercie, mon cher enfant, de vos deux billets. Je me doutais bien de l'exagération des rapports sur Issoudun qui nous étaient parvenus. Il en est ainsi de toutes les nouvelles, véritables cancans politiques, qui grossissent en roulant par le monde.

La vérité a toujours quelque chose de trivial qui déplaît aux esprits poétiques. Nous sommes d'ailleurs dans le pays, dans la terre classique de la poésie, on ne dit jamais les choses comme elles sont. Voit-on des cochons, ce sont des éléphants; des oies, ce sont des princesses; ainsi du reste. Je suis lasse et dégoûtée de tout cela; aussi je ne lis plus les journaux. J'exècre l'esprit de commérage des coteries provinciales: c'est une guerre de menteries, un assaut d'absurdités qui fait mal au coeur, pour peu qu'on en ait. Je ne trouve en dehors de ma vie intime, rien qui mérite un sentiment d'intérêt véritable.

De nos jours, l'enthousiasme est la vertu des dupes. Siècle de fer, d'égoïsme, de lâcheté et de fourberie, où il faut railler ou pleurer sous peine d'être imbécile ou misérable. Vous savez quel parti je prends. Je concentre mon existence aux objets de mes affections. Je m'en entoure comme d'un bataillon sacré qui fait peur aux idées noires et décourageantes. Absents ou présents, mes amis remplissent mon âme tout entière; leur souvenir y apporte la joie, efface la pointe acérée des douleurs cuisantes, souvent répétées. Le lendemain ramène un rayon de soleil et d'espérance. Alors je me moque des larmes de la veille.

Vous vous étonnez souvent de mon humeur mobile, de mon caractère flexible. Où en serais-je sans cette faculté de m'étourdir? Vous connaissez tout dans ma vie, vous devez comprendre que, sans l'heureuse disposition qui me fait oublier vite le chagrin, je serais maussade et sans cesse repliée sur moi-même, inutile aux autres, insensible à leur affection.

Loin de là, cette faculté d'oublier m'inspire tant de reconnaissance, m'apporte tant de consolations, que je suis fière de pouvoir dire à ceux qui m'aiment: «Vous me rendez le bonheur et la gaieté, vous me dédommagez de ce qui me manque, vous suffisez à toutes mes ambitions.» Prenez votre part de ce compliment, mon enfant; car vous savez que je vous aime comme un fils et comme un frère.

Nous différons de caractère; mais nos coeurs sont honnêtes et aimants, ils doivent s'entendre. Il me sera doux de vous avoir pour longtemps près de moi et de vous confier mon Maurice. Il me tarde de voir arriver ce moment.

Bonsoir, mon fils; écrivez-moi.

XLIV
A MADAME MAURICE DUPIN, A CHARLEVILLE

Nohant, 22 novembre 1830.

Ma chère petite maman,

Vous êtes bien paresseuse. Si je ne vous savais en bonnes mains et en sûreté à Charleville, je serais inquiète de vous. Par ce temps-ci, on ne sait qui vit ni qui meurt. Il y a des troubles de tous les côtés; notre pays, tout pacifique qu'il est d'ordinaire, se mêle aussi de remuer. Des émeutes assez sérieuses ont eu lieu à Bourges, à Issoudun, voire à la Châtre; c'est là, par exemple, qu'elles ont été le plus vite apaisées; tout s'est tourné en plaisanterie. Bien des gens ont fui de peur, cependant; chaque chose a son côté ridicule dans la vie.

Je me sens peu disposée à m'effrayer de l'avenir si noir qu'on nous prédit. La frayeur grossit les objets et ces hommes sanguinaires, vus de près, ne sont, la moitié du temps, que des ivrognes, qu'on met en gaieté avec du vin et qui n'égorgeront personne. Ils font grand bruit et peu de mal, quoi qu'on en dise; cependant, je suis bien aise que vous ne soyez pas à Paris. Vous y êtes très isolée, et, dans cette position, il est naturel qu'on ne soit pas rassuré. La peur fait mal, elle rend malade. Reposez-vous donc auprès de vos enfants, mais n'oubliez pas les absents et parlez-moi un peu plus souvent de vous et d'eux.

Oscar est-il au collège? La santé de Caroline se raffermit-elle? Votre présence, qu'elle désirait vivement, a dû être pour elle le meilleur des remèdes, et puis ce beau temps est excellent pour les poitrines délicates. Soignez-la bien, elle vous le rendra; mais faites en sorte de n'en avoir pas besoin.

J'ai été assez malade depuis ma dernière lettre. Je cours du matin au soir pour me dédommager de l'ennui de souffrir.

Ma belle-soeur65 ne court guère, on peut même dire pas du tout. Elle est douce et bonne, point exigeante; elle se lève tard, et nous ne nous voyons qu'au moment du dîner. C'est toujours avec plaisir et bonne intelligence. Nous passons la soirée ensemble, soirée qui n'est pas longue; car elle se retire à neuf heures, et, moi, je vais écrire ou dessiner dans mon cabinet, tandis que mes deux marmots ronflent à qui mieux mieux. Solange est superbe de graisse et de fraîcheur. Je doute qu'elle soit jolie: elle a la bouche grande et le front saillant; mais elle a de jolis yeux, un petit nez et la peau comme du satin. Je crois que ce sera une bonne gaillarde berrichonne.

Maurice travaille bien. Il écrit l'orthographe passablement et son caractère gagne beaucoup. Léontine est aussi très gentille; enfin, notre ménage va au mieux, mais je crains que nous ne soyons forcés de nous séparer bientôt. Hippolyte est à Paris depuis quelques jours, il devait y passer une quinzaine et revenir; à présent, il nous mande qu'il sera forcé d'y rester tout à fait, à cause de l'obligation de faire partie de la garde nationale. Les troubles fréquents qui éclatent à Paris contraignent ce corps à une grande activité. C'est un devoir d'homme d'en faire partie dans un temps d'agitations et de désordres civils. Il a vu Pierret, qui venait de monter trente heures de garde; il était sur les dents.

Si mon frère ne peut revenir de l'hiver, probablement sa femme voudra l'aller rejoindre. Je verrais cette séparation avec regret; l'habitude nous avait déjà rendus nécessaires les uns aux autres; du moins, je le sens ainsi pour ma part; c'est un besoin pour moi de m'attacher à ceux qui m'entourent.

Pardon de mon bavardage et de mon barbouillage. A propos, vous occupez-vous toujours de peinture, distraction agréable dont vous vous tirez fort bien? Le mot barbouillage, que je fais suivre d'un à propos assez impertinent, ne peut s'appliquer qu'à moi. Je fais des fleurs qui ont l'air de potirons, mais ça m'amuse.

Adieu, ma chère petite mère; je vous embrasse de toute mon âme. Émilie, mon mari et les enfants se joignent à moi et vous chargent d'embrasser Caroline, Oscar et Cazamajou.

62.M. et madame de Périgny
63.Rue de Seine, 31.
64.Gondel, marchand.
65.Madame Hippolyte Chatiron.
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Litres'teki yayın tarihi:
26 temmuz 2019
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